• Une demi-heure plus tard, ils étaient dans la voiture, roulant à toute allure vers San Francisco. A chaque arrêt imposé par la signalisation ou le trafic, Derek en profitait pour prendre la main de Meredith, lui caresser les cheveux ou l’embrasser. N’eut été la peur de causer un accident, il ne l’aurait pas quittée des yeux. Elle, elle était partagée entre allégresse et appréhension. Avoir retrouvé son amoureux lui avait ôté le poids qu’elle avait sur le cœur depuis des semaines. Cependant, la perspective d’une nouvelle confrontation avec sa mère, à qui elle n’avait finalement pas envoyé de message, ne l’enchantait guère. Elle n’avait aucune envie de se justifier. Elle avait décidé de repartir à zéro avec l’homme qu’elle aimait. Il s’agissait de sa décision et elle ne voyait pas à quel titre elle devait s’en expliquer, fût-ce à sa mère. Pourtant, elle n’y échapperait pas, elle en était convaincue. Elle se prépara donc mentalement à assurer la défense de Derek auprès du redoutable avocat général que serait Anne Grey. Je peux te poser une question ? demanda-t-elle en se tournant vers son chauffeur. Il hocha la tête en souriant. Pourquoi avoir coupé les ponts avec ta famille ? Ton père, je comprends, mais tes sœurs ?

    Il haussa légèrement les épaules. Parce qu’elles ont continué à vivre avec lui, tout simplement. Ça s’est fait par la force des choses. Et puis, il y a eu des trucs, on n’a pas été capable de passer au-dessus.

    Intriguée, Meredith fronça les sourcils. Des trucs ?

    A l’époque, l’aînée de mes sœurs était fiancée. En apprenant ce qui s’était passé, la famille du garçon l’a poussé à rompre, expliqua Derek. Dans notre milieu, ce genre de scandale est malvenu.

    Et donc, ta sœur t’en a voulu pour ça, déduisit Meredith, scandalisée.

    Tout le monde me désignait comme le coupable. Elle a choisi la solution de facilité, c’est tout, répondit Derek avec fatalisme. Mais je ne lui en veux pas. Elle était jeune, et bouleversée, et ça n’a pas été facile pour elle, non plus. Ses sœurs… Il ne se souvenait pas en avoir été un jour vraiment proche. Enfant, il n’avait vu en elles qu’un obstacle de plus entre lui et sa mère. Plus tard, elles avaient bénéficié d’un traitement de faveur de la part de leurs parents qui avait accru son ressentiment. En outre, il leur avait longtemps reproché de ne pas avoir pris nettement le parti de leur mère, et le sien par extension. Ce n'est que bien plus tard qu'il avait réalisé qu’elles avaient été, elles aussi, les victimes du drame familial et qu'elle avaient simplement fait ce qui leur semblait nécessaire pour survivre en milieu hostile. Cela ne l’avait cependant pas fait revenir sur sa décision de couper les ponts. Ils avaient appris à vivre les uns sans les autres et ne s’en portaient manifestement pas plus mal. De toute façon, il était impossible de remonter le temps. Certaines erreurs ne pouvaient jamais être réparées.

    Et la plus jeune ? se renseigna Meredith.

    Ce n’était qu’une adolescente. Elle a suivi le mouvement. Derek afficha un sourire attendri. C’était une brave gamine. Elle est vétérinaire maintenant. Elle s’est mariée, elle a des enfants. L’ainée aussi d’ailleurs. Il se tourna vers Meredith en affichant un air qui se voulait indifférent. J’ai un tas de neveux et nièces que je n’ai jamais vus et qui, pour leur part, ne doivent même pas savoir que j’existe.

    Elle fit la moue. C’est triste, je trouve.

    La situation a ses avantages, fanfaronna Derek. Au moins, je ne me fais pas emmerder.

    Bien que n’étant absolument pas convaincue par ce pseudo désintérêt qu’il manifestait, Meredith ne releva pas. Le fait qu’il ait suivi, même de loin, le parcours de ses sœurs prouvait qu’il se souciait encore de ce qui pouvait leur arriver. Quoiqu’il en dise, sa famille devait lui manquer. Et ton père, tu sais s’il est encore avec Abigail ?

    Derek ricana. Tu parles ! Il n'en a jamais rien eu à foutre d'elle. Elle n'était qu'une distraction parmi tant d'autres. Il l'aurait peut-être gardée un peu plus longtemps que les autres, rien que pour m'emmerder, mais le suicide de ma mère a changé la donne. Il a eu peur du scandale, peur pour sa carrière. Il s'est empressé de rompre, sans aucun état d’âme. Cela avait été pour lui une preuve supplémentaire du manque total de conscience de son père. Tout ça pour ça ! persifla-t-il avec un sourire mauvais.

    Meredith le dévisagea avec compassion. Cela devait être difficile pour lui de se dire que sa vie avait été gâchée pour ce qui n'avait été qu'un caprice. Et Abigail, qu’est-ce qui lui est arrivé ?

    Après la mort de ma mère, les langues se sont déliées. Mais ce n’étaient que des soupçons. Personne n'avait jamais rien vu qui prouve que mon père avait une relation avec une de ces étudiantes.

    Personne sauf toi, fit remarquer Meredith. Et Mark.

    Oui, mais il était hors de question qu'on en parle. J'étais déjà assez mortifié d'être le cocu de service, je n'avais pas du tout envie d'en faire la pub, surtout compte tenu des circonstances, avoua Derek. Donc, on n'a rien dit. Je suis sûr que la direction de l'université savait ce qu'il en était mais, pour éviter le scandale, ils ont prétendu que ce n'était que de vilaines rumeurs et c'est resté sans suite. Ils ont simplement incité mon père à prendre congé jusqu'à la fin de l'année, le temps que ça se calme, ce qu'il a fait. 

    Et Abigail ? insista Meredith.

    Elle a fini son année, tout simplement. Ensuite, elle est partie faire son internat, comme nous tous. Je ne l’ai plus jamais revue. Répondre à Meredith obligeait Derek à replonger au cœur des évènements mais, en ce qui concernait Abigail, cela n’avait plus rien de douloureux. Il n’éprouvait plus mépris, ni haine. Il ne ressentait plus rien pour elle en fait. Un autre effet de sa relation avec la merveille qui était à ses côtés ! Il jeta à cette dernière un regard plein de reconnaissance. Avec elle, tout devenait tellement facile.

    Et vous avez parlé de ce qui s'était passé ? s’enquit-elle.  


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  • Oh certainement pas ! s’exclama Derek. Je ne lui ai plus jamais adressé la parole. De toute façon, je n’avais pas besoin d’explications. La voir avec mon père m’avait suffi. Comme il me l’a dit la dernière fois où je l’ai vu, pourquoi se serait-elle contentée de l’apprenti alors qu’elle pouvait avoir le maitre ?

    Quel cynisme ! s'écria Meredith, choquée à l’idée qu’un père puisse parler avec autant de mépris à son fils, envers lequel il était plus que coupable. Et elle, comment a-t-elle pu te faire ça ? Moi, à sa place, je ne pourrais plus me regarder en face ! 

    Oui, mais elle n’était pas toi, lui dit Derek avec douceur, en lui prenant la main. Tu sais, au début, quand je pensais à elle, je rêvais de vengeance, reconnut-il. Je lui souhaitais tous les malheurs possibles. Mais j’ai appris récemment qu’elle avait perdu son mari et son gosse dans un accident de voiture. Qu’est-ce que je pourrais lui souhaiter de pire ? Ils échangèrent un regard plein de gravité. J'ai réalisé que la savoir malheureuse ne m’apportait rien. Rien ne pourra jamais me consoler de la mort de ma mère. Mais j'ai compris aussi qu'il fallait que j'accepte ce qui s'était passé et aujourd’hui, j’ai seulement envie d’aller de l’avant. Par chance, le feu de signalisation passa au rouge, lui donnant l’occasion de se pencher vers Meredith pour effleurer sa joue dans un doux baiser tout en tendresse. Ma plus belle vengeance, ce sera d’être heureux, avec toi, murmura-t-il avant de reprendre sa place. Emue, Meredith se laissa aller contre lui, la tête appuyée légèrement sur son épaule et la main posée sur sa cuisse. Elle adorait le nouveau Derek, délicat et amoureux, qui ne craignait plus de dévoiler ses sentiments.

    Ils restèrent ainsi jusqu’à ce que la Porsche s’arrête devant la maison de Tante Ellis. Derek se pencha en avant pour la regarder méchamment à travers le pare-brise, comme s’il s’agissait d’un de ses ennemis personnels. Ça va aller ? demanda-t-il à Meredith.

    Elle esquissa un petit sourire. Oui. Pourquoi ça n’irait pas ?

    Ta mère, se borna à répondre Derek avant de fusiller à nouveau du regard la haute bâtisse bleue qui était soudain devenue le symbole de ses problèmes. Je devrais peut-être entrer avec toi. Si elle s’en prend à toi, ce serait bien que je sois là pour te défendre.

    Cette fois, Meredith sourit franchement. Elle ne va pas me tuer, tu sais. Au pire, elle va crier, encore que ce ne soit pas son genre.

    Derek souffla. Ça m’ennuie de te laisser. Tu ne devrais pas avoir à l’affronter toute seule. C’est de nous qu’il s’agit.

    Fais-moi confiance, ça va très bien se passer, lui assura Meredith, bien qu’elle n’en soit pas totalement convaincue. Elle connaissait sa mère et son entêtement. La plupart du temps, Anne Grey restait sur ses premières impressions et, à cause de ce qu’avait dit Izzie, celles concernant Derek n’étaient pas bonnes. Meredith allait devoir déployer des trésors de persuasion pour faire admettre à sa mère que l’infidélité dont Derek s’était rendu coupable n’était qu’un incident de parcours et qu’il était digne de sa fille.

    S’il se passe quoi que ce soit, tu m’appelles, lui recommanda-t-il, en la couvant du regard. Il n’avait pas envie de la quitter et s'il n'y avait pas eu cette intervention programmée, il l’aurait ramenée illico à la péniche.

    Il ne se passera rien, certifia Meredith, un sourire tranquille sur les lèvres. Elle lui arrangea une petite mèche de cheveux qui lui tombait sur le front.

    Dès que je sors du bloc, je t’appelle et tu me racontes.

    D’accord. Elle avança vers lui pour l’embrasser et s’étonna de le voir se reculer.

    Ta mère, se justifia-t-il. Il pointa un regard méfiant sur la fenêtre du rez-de-chaussée. Je parie qu’elle est en train de nous observer derrière le rideau. Il n’avait guère envie de donner à Anne Grey un motif supplémentaire de colère.

    Et alors ? On ne fait rien de mal ! objecta Meredith, amusée par la toute nouvelle réserve de son petit ami. On est ensemble, on a bien le droit de s’embrasser.

    Elle lui sourit et il se sentit fondre. Il passa la main derrière la nuque de la jeune fille pour l’attirer à lui et il lui prit les lèvres dans un langoureux baiser. On se voit ce soir ? l’implora-t-il ensuite. 

    Elle grimaça un peu. J’aimerais bien mais… je voudrais passer un peu de temps avec Maman. Depuis que je suis revenue, on s’est à peine croisée et c’était à chaque fois pour se chamailler. Aujourd’hui, je voudrais rester avec elle, pour lui parler, lui expliquer. En plus, qui sait ce qu’Izzie et Cristina ont pu lui raconter, après mon départ ? L’air catastrophé que Derek afficha ramena le sourire sur les lèvres de Meredith. Ne t’en fais pas. Je vais lui dire qui tu es vraiment.

    Il soupira. Si tu crois que tu me rassures, là ! Il sentit son bipeur vibrer dans sa poche. Il faut que j’y aille, annonça-t-il à contrecœur. Tu es sûre que ça va aller ? 

    Mais oui ! Allez, file maintenant. Meredith n’avait pas envie de le quitter mais en même temps, elle était pressée de retrouver sa mère pour rétablir la vérité. Certes, Derek avait fait des erreurs mais il restait malgré tout l’homme de ses rêves, son prince charmant. Rien ne la ferait renoncer à lui. Elle l’embrassa encore une fois avant d’ouvrir la portière. Tu m’appelles quand tu as fini, promis ? quémanda-t-elle sur un ton un peu enfantin.

    Promis ! Derek la regarda courir vers la maison de sa démarche aérienne. Elle était déjà sur le perron lorsqu’il prit appui sur son volant pour sortir à moitié son corps de la voiture, sa tête émergeant juste au-dessus du toit. Mademoiselle Grey ! Intriguée par cette appellation, elle se retourna rapidement. Je vous aime, lui cria-t-il avec un sourire éblouissant. Je vous aime comme un fou. Je vous aime plus que tout !

    Elle sentit ses joues s’empourprer. Moi aussi, Docteur, je vous aime, lui lança-t-elle. Elle agita sa main en guise d’au revoir et suivit la voiture du regard jusqu’à ce qu’elle quitte la rue. Alors seulement, elle ouvrit la porte, prête à affronter sa mère qui, elle le savait, pouvait être impitoyable lorsqu’elle pensait que les siens étaient en danger.


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  • C’est le sourire aux lèvres que Derek pénétra dans la clinique. Sur la route, il avait réfléchi à la façon dont il pourrait réorganiser son planning de la journée afin de se ménager une longue pause à l’heure de midi, pendant laquelle il pourrait retrouver Meredith. Afin de convaincre celle-ci de lâcher sa mère pour quelques heures, il lui avait envoyé un texto lui faisant miroiter un pique-nique au bord de l’océan. Elle avait immédiatement accepté l’invitation. Il était donc en train de composer mentalement son menu, qu’il commanderait chez Bailey : saumon fumé et crevettes, poulet rôti et roastbeef, salades diverses et mousse au chocolat en dessert. Restait à espérer maintenant que rien ne viendrait compromettre ce projet, ni une urgence médicale, ni surtout la conversation entre mère et fille. A l’idée qu’en ce moment même, Meredith était en train de plaider leur cause, il se renfrogna. Malgré ce qu’elle lui avait dit, il restait pessimiste quant à l’issue de la discussion. Il avait le pressentiment qu’Anne Grey s’était déjà fait une opinion à son sujet – le débauché qui avait fait souffrir sa fille – et qu’elle ne se laisserait impressionner ni par sa promesse d’un changement d’attitude, ni par sa renommée, et encore moins par son statut social. La seule chose qui pouvait peut-être la faire fléchir était de réaliser à quel point sa fille était déterminée à donner une autre chance à son amoureux. Mais justement, Derek ne pouvait s’empêcher de se demander si Meredith l’aimait suffisamment pour imposer son point de vue à sa mère et, le cas échéant, passer outre son accord. Subitement inquiet, il reprit son téléphone et, tout en continuant de marcher, pianota rapidement un message sur les touches. Ça se passe bien avec ta mère ? Il n’avait pas fait trois pas que la sonnerie de son téléphone lui indiquait qu’il avait reçu une réponse. Elle n’est pas là. Elle est partie faire une course, lut-il, soulagé. Pourvu que Maman prenne son temps pour rentrer ! se dit-il. Chaque minute était une minute gagnée pour lui. Il prit l’ascenseur, pressé maintenant de retrouver son équipe, ses patients, sa salle d’opération, toutes ces choses qui pourraient le distraire un peu de ce qui était en train de se jouer dans un autre quartier de la ville. Il avait à peine posé le pied dans son service qu’il tomba nez à nez avec une infirmière.

    Ah Docteur ! s’écria celle-ci. Justement, je vous cherchais. Il y a une dame qui vous attend. Ça fait un moment, précisa-t-elle en trottinant aux côtés du chirurgien qui continuait à avancer d’un pas hâtif. Il n’y a rien dans votre agenda mais elle dit que vous avez rendez-vous.

    Je n’ai aucun rendez-vous ce matin, objecta Derek. Je pratique une craniotomie sur la petite Patterson.

    Je sais, Docteur. C’est ce que je lui ai dit, lui apprit l’infirmière, prête à subir les foudres de son ombrageux patron. Mais elle affirme que vous la connaissez et que vous l’attendez.

    Son nom ? s’enquit Derek.

    Madame Philips, répondit l’infirmière. C’est elle, là. Elle pointa son menton en direction de trois chaises qui étaient adossées au mur du couloir, et dont l’une d’elles était occupée par la dame en question.

    Derek sursauta en reconnaissant la mère de Meredith. Il n’eut pas le temps de s'interroger sur l'attitude à adopter. Anne tourna la tête vers lui et il lut dans ses yeux qu’elle n’était pas venue lui rendre une visite de courtoisie. Il avança vers elle en se demandant pour quelle raison elle avait ressenti le besoin de donner un nom d’emprunt. Madame Philips…

    Anne perçut de l’étonnement dans la voix de Derek. Philips est mon nom de jeune fille, se justifia-t-elle en négligeant la main qu’il lui tendait. C’était plus simple au cas où le nom de Grey vous aurait fait fuir.

    Derek fit signe à l’infirmière de s’en aller. Je n’ai aucune raison de vous fuir, Madame.

    Résolue à ne pas mettre de gants, Anne posa immédiatement la question qui la taraudait depuis la veille. Où est ma fille ?

    Je l’ai déposée chez votre belle-sœur avant de venir ici, dit Derek sans se départir de son calme, malgré le ton très agressif avec lequel elle s’adressait à lui. Il la vit pousser un soupir de soulagement. Elle va bien, ajouta-t-il pour finir de la rassurer. A aucun moment, elle n’a été en danger.

    Je n’en suis pas si sûre, riposta Anne en le fusillant du regard. Il comprit qu’elle faisait allusion à la relation qui l’unissait à Meredith. Alors, vous et elle…

    Nous sommes ensemble, oui. D’un signe de la main, il l’invita à l’accompagner jusqu’à son bureau. Si jamais la conversation dégénérait, autant que cela se fasse à l’abri des regards et des oreilles.

    Anne le suivit sans hésitation. Je ne comprends pas, avoua-t-elle. Elle ne m’a jamais parlé de vous, jamais. Depuis qu’elle avait été mise au courant de la nature des liens qui unissaient Meredith à cet homme, elle avait tenté de se rappeler toutes les conversations téléphoniques qu’elle avait eues avec sa fille, les textos et les mails qu’elle avait reçus d’elle, et elle était sûre que jamais, d’aucune façon que ce soit, Meredith n'avait fait allusion au chirurgien. Cela lui faisait mal de penser que son enfant n’avait pas eu suffisamment confiance en elle pour lui parler de cette première relation. Et même maintenant, elle continue de me cacher la vérité. Je ne comprends pas, répéta-t-elle, abattue.

    Je crois qu’elle a peur de votre jugement, avança Derek. Il ouvrit la porte de son bureau et s’écarta pour laisser entrer Anne.

    Mon jugement ? Celle-ci planta son regard dans celui de son interlocuteur. Vous n’êtes absolument pas le genre d’homme qui lui convient. Vous n’êtes pas bien pour elle. Depuis qu’elle vous connait, ma fille a changé. Elle ment. Elle dissimule. Elle renie ses valeurs. La Meredith qui a quitté Crestwood n’aurait jamais accepté qu’un homme la trompe. Elle se jeta dans le canapé, sans se douter une seule seconde que le meuble sur lequel elle était assise avait servi maintes fois de cadre aux fredaines de celui qui lui faisait face.


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  • Derek accusa le coup sans broncher. Oh mais si ça peut vous rassurer, elle ne l’a pas accepté ! assura-t-il. Quand elle l’a appris, elle m’a immédiatement quitté. Après avoir hésité un instant, il renonça à s’installer derrière son bureau et s’assit sur une des chaises réservées à ses visiteurs. La mère de Meredith mettait suffisamment de distance entre eux pour qu’il n’en rajoute pas.

    Mais vous avez réussi à la faire changer d’avis ! tempêta-t-elle. Vous l’avez embobinée.

    C'est faux, je ne l'ai pas embobinée, protesta Derek.

    Anne ne le laissa pas poursuivre sa défense. Allons donc ! Ma fille est jeune et sans expérience. Elle est naïve. Vous, vous avez la parole facile, lança-t-elle comme une accusation. Ça n’a pas dû être compliqué pour vous d’obtenir d’elle ce que vous vouliez.

    Pas compliqué ? Derek émit un petit rire plus ironique qu’il ne l’aurait souhaité. Si vous le pensez vraiment, alors, c’est que vous connaissez très mal votre fille.

    Frappée de plein fouet par ce qui lui sembla être une évidence, Anne s’affaissa dans le canapé. C’est ce que je crains, soupira-t-elle. Comment ma petite fille a-t-elle pu accepter de vous donner une seconde chance après ce que vous lui avez fait ?

    Derek réfléchit un petit instant avant de lui donner son avis. Sans doute parce que, malgré ce que je lui avais fait, malgré tout, elle a toujours su que je l’aimais sincèrement.

    Vous l’aimez ? interrogea Anne avec une once de suspicion dans la voix. Derek opina de la tête. Alors pourquoi l’avoir trompée ? l’attaqua-t-elle.

    Parce que j’étais un imbécile, reconnut-il sans détours. Et aussi, parce que j’ai vécu des choses dans ma vie qui ont fait que je ne croyais plus en rien, et certainement pas en l’amour. Il était conscient que ses arguments étaient pitoyables et qu’ils ne suffiraient pas à convaincre Anne.

    Il ne se trompait pas. La mère de Meredith ouvrit de grands yeux scandalisés. Donc, parce que vous avez souffert dans votre passé, vous avez voulu vous venger sur ma fille ? C’était à dessein qu’elle précisait à chaque phrase que Meredith était sa fille. Premièrement, cela lui donnait l’impression qu’elle avait encore une influence à exercer. Ensuite, c’était sa façon de dire à Derek qu’il allait devoir compter avec elle.

    Me venger, non, jamais. Je n’ai jamais voulu lui faire du mal sciemment, soutint-il avec fermeté. Mais elle a payé les pots cassés de mon passé, c’est vrai, et je m’en voudrai jusqu'à la fin de mes jours pour ça.

    Anne le regarda au fond des yeux, comme si elle voulait sonder son âme et savoir à quel point il était sincère. Qu’est-ce qui vous plait chez elle ?

    Un tendre sourire adoucit soudain les traits jusqu’alors tendus de Derek. Tout ! Elle est merveilleuse.

    En quoi ? insista Anne. Quand vous l’avez vue pour la première fois, qu’est-ce qui vous a plu chez elle ?

    Derek se demanda quel effet aurait son franc-parler sur la mère de Meredith. Pourtant, bien que n’ayant pas la réponse, il n'envisagea absolument pas de contourner le problème en déguisant la vérité. Pour être honnête, la première fois, pas grand-chose. Je n’étais pas là pour elle mais pour Izzie. Meredith était… enfin, je l'ai trouvée gentille mais ce n’était pas mon genre.

    Et c’était quoi, votre genre ? se renseigna Anne avec défiance.

    Derek avait l’impression qu’il risquait de ruiner sa vie à chaque phrase et, pourtant, une fois encore, il ne se défila pas. Le genre de fille avec laquelle on aime s’afficher le temps d’une soirée et qu’on largue après l’avoir sautée à l’arrière de la voiture.

    L’homme était un goujat mais Anne devait admettre qu’on ne pouvait pas prendre sa franchise en défaut. Elle sentait qu’il n’éluderait aucune question et qu’elle en apprendrait bien plus sur sa relation avec Meredith, que si elle s’était adressée à cette dernière. Alors, si elle ne vous plaisait pas, qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à elle ?

    Derek se leva pour prendre une bouteille d’eau dans son frigo. Mon meilleur ami m’a mis au défi de sortir avec elle. Un pari stupide. Il versa l’eau dans deux verres.

    Horrifiée, Anne le regarda revenir vers elle. Sortir avec ma fille pour de l’argent ? Cet homme était bien pire que ce qu’elle croyait. Meredith n’était sûrement pas au courant de l’existence de ce pari. Si elle l’avait été, jamais elle ne l’aurait toléré.

    Derek lui tendit un verre. Pas pour de l’argent, la corrigea-t-il. Juste pour le défi. C’était stupide, je vous l’ai dit. De toute façon, je ne l’ai pas fait. Il devança la prochaine question. Parce que quand je l’ai vue, ce soir-là… Il revit Meredith telle qu’elle lui était apparue, en haut des escaliers, magnifique princesse dans sa robe de bal. Il n’a plus été question de pari. Je n’ai pas voulu la séduire pour battre mon ami, mais pour moi. Je la voulais pour moi ! Il alla reprendre sa place sur sa chaise et posa son verre sur son bureau, sans avoir touché à son contenu.

    Vous vous êtes dit qu’elle ferait l’affaire à l’arrière de votre voiture, ironisa Anne avant de boire une gorgée d’eau.

    Oui. Oui, c’est ce que j’ai pensé, admit Derek. Mais il ne s’est rien passé ce jour-là, ni les suivants. Nous avons mis un certain temps pour… Il voulait convaincre la mère de Meredith que le sexe n’était pas l’élément moteur de leur relation mais, en croisant son regard furieux, il comprit qu’il valait mieux ne pas s’étendre sur le sujet.


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  • Au début, ce n’était qu’un jeu pour moi, poursuivit Derek. En plus, elle me résistait, alors… Et petit à petit, sans m’en rendre compte… Il planta son regard perçant dans celui d’Anne. Pendant des années, je me suis conduit comme un véritable salaud et ça ne m’a posé aucun problème. Je n’ai jamais pensé à ce que ces femmes ressentaient. Mais avec Meredith… – ses yeux se firent rêveurs tandis que le ton de sa voix devenait suave – je n’en ai plus été capable. Ce qu’elle ressentait a commencé à avoir de l’importance pour moi.

    C’est classique, déclara Anne. Vous vous êtes attaché à elle parce qu’elle vous résistait. Elle but encore un peu d’eau avant de déposer le verre par terre, à ses pieds.

    Un sourire énigmatique sur les lèvres, Derek hocha lentement la tête. Il y a de ça, oui, mais pas seulement. Elle est tellement différente de toutes les femmes que j’ai rencontrées. Elle est… elle est pure.

    Anne fronça les sourcils. Que voulez-vous dire ?

    Il n’y a aucun calcul chez Meredith, lui expliqua Derek dont le visage s’imprégna de douceur, au fil des mots. Elle se montre telle qu’elle est. Quand elle aime, elle le dit. Quand elle n’aime pas, ça se voit. C’est tout nouveau pour moi, qui vient d’un milieu où il est de bon ton de ne jamais montrer ce qu’on ressent. Elle est sincère et c’est ce que je j’aime chez elle. Il commença à s’emballer un peu. Elle a des principes et elle s’y tient. On ne lui fera jamais faire ce dont elle n’a pas envie. Et puis, elle a des idéaux. C’est tellement rare de nos jours, des gens, surtout des jeunes, qui ont des convictions et qui les défendent. Anne nota, non sans plaisir, que les qualités qu’il énumérait ne concernaient en rien le physique de sa fille. Vous disiez tout à l’heure qu’elle était naïve, lui rappela-t-il en relevant vers elle des yeux inondés de tendresse. Peut-être un peu. Mais je crois qu’en fait, elle arrive toujours à déceler ce que les gens ont de bon en eux. Quand elle m’a connu… Il fit une grimace. J’étais vraiment un sale type, vous savez. Je n’avais plus grand-chose d’humain, je crois. Mais elle… Le bleu des yeux de Derek devint tellement clair qu’Anne se demanda si son imagination ne lui jouait pas des tours. Elle a réussi à voir le peu de bonté qu’il y avait encore en moi et elle l’a fait ressortir. Elle est la première à croire en moi de cette façon, argua Derek sans réaliser que la moindre de ses émotions transparaissait sur son visage, permettant ainsi à la mère de Meredith de lire en lui comme dans un livre ouvert. Elle m’a fait confiance. Je n’avais plus beaucoup d’estime pour moi mais j’ai commencé à me voir à travers ses yeux et ce que j’y ai vu m’a plu. Elle m’a réconcilié avec moi-même. La gorge de Derek se serra. Je crois même que je suis devenu quelqu’un de meilleur parce que c’est l’effet que Meredith a sur les gens. Elle les rend meilleurs. Sa voix se cassa et il ne put en dire plus.

    Jusqu’à présent, malgré les regards qu’elle avait observés entre sa fille et le chirurgien, Anne doutait de la sincérité des sentiments de ce dernier. Maintenant, cela ne lui était plus permis. Vous l’aimez vraiment, murmura-t-elle, ébahie.

    Plus que tout ! réussit à ânonner Derek.

    Et pourtant, vous l’avez trompée, lui reprocha Anne sans ambages.

    Il prit une grande inspiration pour tenter de reprendre le contrôle. C’était une énorme erreur, admit-il. Cette emprise qu’elle avait sur moi, tous ces sentiments que je ressentais et auxquels je n’étais pas habitué… Il se tut à nouveau, un long moment, et lorsqu’il recommença à parler, Anne eut l’impression qu’il ne s’adressait plus à elle, mais qu’il se parlait à lui-même, comme s’il se livrait à une sorte d’introspection. Nous ne savons pas aimer dans ma famille. Chez nous, soit c’est rien, soit c’est tout et dans ce dernier cas… Ma mère est morte d’avoir trop et mal aimé. Anne eut un petit sursaut mais elle ne releva pas, pour ne pas l’interrompre. On m’a toujours dit que je lui ressemblais beaucoup. Aussi excessif qu’elle… Il y a de quoi avoir peur. Comme à chaque fois qu’il pensait à sa mère, il la revit avec ses yeux qui lui lançaient ce dernier regard de haine, et son corps gisant dans le sang sur le pavement de la terrasse. Il détourna rapidement la tête, afin de chasser cette horrible vision. Pour se donner une contenance, il prit son verre et le vida d’un trait, regrettant qu’il ne s’agisse que d’eau. Il aurait bien eu besoin de quelque chose de plus fort. Quand j’ai commencé à sortir avec Meredith, je ne voulais rien de sérieux, reprit-il en regardant Anne dans les yeux. Je ne voulais surtout pas tomber amoureux. Je voulais seulement une petite relation sympa, sans engagement, sans contraintes. Pendant longtemps, je me suis convaincu que ce n’était rien de plus. Il sourit de sa propre crédulité. Il avait cru qu’en imposant ses règles, il allait pouvoir rester maître de son destin, mais l’amour avait tout balayé sur son passage et l’avait réduit à sa merci. Et puis, un jour, j’ai compris. J’ai compris que je m’étais menti, que notre relation était bien plus que sympa, que Meredith comptait énormément pour moi. J’ai réalisé que je l’aimais et que je ne pouvais plus vivre sans elle. Ça m’a fait peur et j’ai réagi de la façon la plus imbécile qui soit. Il repensa à ce qu’il avait éprouvé en prenant conscience de ses sentiments et à l’horrible impression de n’être plus rien, lorsque Meredith l’avait quitté. Vous savez, je regretterai toute ma vie d’avoir trompé Meredith, parce que ça l’a blessée au-delà de tout ce que j'avais imaginé, mais, en même temps, c’est ce qui m’a remis les idées en place. Ça m’a permis de comprendre que je ne voulais plus de mon ancienne vie, mais que je voulais prendre un nouveau départ avec elle. Il se tut enfin, attendant maintenant le verdict de sa juge. 

    Anne ne réagit pas tout de suite, prenant d’abord le temps de digérer toutes les informations qu’elle avait reçues. Elle ne remettait plus en cause l’amour que Derek portait à Meredith. Mais pour autant, elle ne croyait pas que sa fille serait heureuse avec lui. Il était sombre, torturé, manifestement traumatisé par un passé douloureux. Il avait derrière lui tout un vécu que la jeune fille était loin d’avoir. Il semblait déjà blasé par la vie alors que Meredith avait encore tout à découvrir. Le déséquilibre était trop grand aux yeux d’Anne. De plus, il y avait cette différence d’âge qui lui paraissait être un obstacle supplémentaire, et non le moindre. Je crois que vous aimez vraiment ma fille et que vous êtes sincère, se décida-t-elle enfin à dire. Mais ça ne suffit pas.

    Ah bon ? dit Derek, un rien acerbe. Qu’est-ce qui, dans un couple, pouvait être plus important que l’amour ?


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