• La contrariété se reflétant encore sur son visage, Mark ouvrit la double porte et fit signe à Meredith de passer. Attends-moi là, la pria-t-il sans lui donner plus d’explications. Elle le regarda d’éloigner en se demandant ce qu’il allait faire. Il revint quelques minutes plus tard, avec sur son bras une blouse blanche pliée en deux qu'il lui tendit. Tiens, mets ça. Avec un peu de chance, personne ne te remarquera, grommela-t-il avec une expression qui montrait qu'il n'était pas convaincu par ce qu'il disait. Il souffla bruyamment lorsque Meredith lui tendit son sac à main, le portant néanmoins pendant qu’elle revêtait la blouse.

    Une fois celle-ci enfilée, la jeune fille regarda autour d’elle, comme si elle cherchait un miroir dans lequel elle aurait pu s’admirer. Ça me va bien ?

    Mark lui jeta un regard critique. Ouais. Enfin, on n’est pas là pour l’élection de Miss Infirmière, ronchonna-t-il. Le but, c’est que tu passes inaperçue. Pour autant que ça soit possible, ajouta-t-il en repérant deux jeunes infirmiers qui observaient la jeune fille avec un intérêt non dissimulé. C’est vrai qu’elle était sacrément mignonne dans cette tenue. Il eut envie de crier aux deux curieux que s’ils n’avaient rien d’autre à faire que de mater les filles, il allait leur trouver une occupation plus intéressante, mais il s'en abstint pour ne pas attirer plus l’attention sur eux. Il prit Meredith par la main. Viens. Plus vite on sera dans la galerie, mieux ce sera. Sinon, ils vont tous défiler.

    Elle le suivit avec un grand sourire. T’as peur, hein ? se moqua-t-elle gentiment. 

    Un peu plus loin que la double porte du bloc opératoire, à peine deux mètres, il y avait l’entrée d’un couloir étroit dans lequel Mark s’engouffra sans tarder. Non, j’ai pas peur, affirma-t-il. J’ai juste pas envie d’avoir des ennuis. Et puis, pourquoi je prendrais des risques pour qu’un autre en retire tous les avantages ? grogna-t-il. Il vira soudain sur la gauche et emprunta un escalier en colimaçon. C’est avec lui que tu vas faire des galipettes ce soir, pas avec moi.

    Pas de galipettes, répliqua Meredith. Enfin pas encore. Je ne suis pas prête, précisa-t-elle à son ami qui, tout en continuant de monter les marches, avait légèrement tourné la tête vers elle avec un air surpris.

    Ah bon ? Parce que c’est pas l’impression que tu m’as donnée, là, tout de suite. 

    Elle ne réagit pas. Ils venaient de pénétrer dans la galerie, une pièce exigüe, presque un couloir, avec deux simples rangées de bancs en béton. Meredith alla s’asseoir sur la première, au milieu, et découvrit pour la première fois de sa vie une salle d’opération. Première constatation : la pièce était bien plus grande que ce qu’elle avait imaginé. Au centre, se trouvait la table d’opération sur laquelle la petite fille de la civière était assise. Au-dessus d’elle, il y avait, accrochée au plafond, une sorte d’immense spot qui n’était pas encore allumé et, tout autour de la table, différents appareils et écrans que Meredith ne put identifier. Elle remarqua que la jeune patiente portait sur la tête un calot bleu, identique à celui de l’anesthésiste, dont elle semblait écouter les explications avec beaucoup d’attention. Autour d’eux, quelques infirmières s’affairaient pour disposer les différents instruments chirurgicaux sur des tables roulantes. D’autres vérifiaient le bon fonctionnement des appareils. Derek n’est pas là ? s’étonna Meredith en se penchant pour chercher son amoureux du regard.

    Il va arriver, il est en train de se préparer, lui indiqua Mark en prenant place à côté d’elle. Il jeta un coup d’œil distrait à ceux qui étaient en bas. Tout cela n’était que routine pour lui.

    Meredith observa l’endroit dans lequel ils se trouvaient. Je ne savais pas que vous aviez ça ici. A quoi ça vous sert ?

    A accueillir la presse pour les grandes occasions, mais le plus souvent à regarder les interventions des collègues quand elles sont intéressantes, lui expliqua Mark.  

    Elle regarda autour d’elle. Ça n’a pas l’air très intéressant aujourd’hui, déduisit-elle, légèrement ironique.

    Il arrive qu’on travaille aussi quelquefois, lui fit remarquer Mark sur le même ton.

    Hum, je vois ça, riposta Meredith en le fixant d’un air moqueur avant de se concentrer à nouveau sur ce qui se passait en bas. La petite fille, elle a une tumeur au cerveau, c’est ça ?

    Ouais. Une saloperie très mal placée, mentionna Mark en observant avec désolation l’enfant qui discutait avec l’équipe médicale, la faisant parfois éclater de rire. Il côtoyait quotidiennement des patients très gravement atteints sans que cela le touche vraiment. C’était la loi de la vie, il y était habitué. Mais, lorsque la maladie touchait des enfants aussi cruellement que celle-ci, il éprouvait un sentiment de révolte qui ne diminuait pas avec les années. Tous les médecins qui l’ont examinée avant ont refusé de l’opérer.

    Et Derek pas, présuma Meredith en continuant de guetter l’entrée de son héros.

    Oh lui… Mark leva légèrement les yeux au ciel. Il va toujours là où les autres ne veulent pas aller. Il aime prendre des risques. C'est son truc.

    Meredith se tourna vers lui avec un air soudain préoccupé. Mais il va réussir, n’est-ce pas ? Elle connaissait l’orgueil de Derek, qui confinait trop souvent à l’arrogance, et elle craignait que cela ne l’ait amené à prendre une décision inconsidérée. Pour la première et sans doute la seule fois où elle assistait à une de ses interventions, elle ne voulait pas que cela tourne au drame, d’autant plus que la vie d’un enfant était en jeu.


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  • C’est Derek, dit simplement Mark. Il ne savait pas, du talent ou de la chance, ce qui avait jusqu'à présent permis à son ami de pouvoir réaliser l’impossible. Les deux très certainement.

    Oui, il est exceptionnel, c’est vrai, se rengorgea Meredith, les yeux brillants de fierté. En la voyant ainsi, Mark eut mal au cœur. Rencontrerait-il un jour une femme qui éprouverait pour lui l’amour inconditionnel qui, en ce moment, transfigurait Meredith ? Ah il est là ! s’écria-t-elle en pointant son doigt vers le bas. Derek, qui portait maintenant une tenue bleu foncé, venait d’entrer dans la salle, les deux mains en l’air. Cela intrigua Meredith. Pourquoi il fait ça ? 

    Pour des raisons d’asepsie, lui apprit Mark. Il vient de se laver les mains. Elles doivent rester stériles. Regarde l’infirmière, là. Elle va l’aider à mettre ses gants. Mais Meredith ne l’écoutait déjà plus. Derek avait levé la tête vers elle et, bien qu’elle ne puisse voir sa bouche, camouflée derrière un masque, elle devina à l’éclat de ses yeux qu’il lui souriait. Transportée, elle sautilla sur son siège et agita vivement la main pour le saluer. Mark ne put s’empêcher de sourire. Il avait l’impression d’être en compagnie d’une adolescente qui allait assister pour la première fois au concert de son chanteur préféré. Il alla allumer le haut-parleur afin qu’elle puisse entendre ce qui se disait en bas.  

    Derek passa les mains dans les gants que l’infirmière lui présentait avant de s’approcher de sa jeune patiente. Oh, je vois que nous avons un nouveau chirurgien aujourd’hui. La petite fille porta la main à son calot avec un immense sourire. Ça vous va très bien, Dr Tiffany, la complimenta Derek. Mais il va falloir l’enlever maintenant.

    En retirant son calot, l’enfant fit apparaître un crâne complètement chauve. Meredith en eut le cœur brisé. Comment la vie pouvait-elle être aussi abominable envers des êtres aussi jeunes ? Elle posa des yeux pleins de larmes sur Mark et il sut que ses craintes étaient fondées. La charge émotionnelle d’une telle intervention risquait d’être lourde à gérer pour elle. Il lui sourit en guise de réconfort, tout en pestant mentalement contre Derek qui, une fois de plus, n’avait pensé qu’à lui. Je pourrai le récupérer après ? demanda Tiffany en remettant son calot à une infirmière.

    Bien sûr, promit Derek. Je t’offrirai même une tenue complète de chirurgien. La fillette regarda les membres de l’équipe avec un sourire ravi, comme pour leur faire ressentir l’honneur dont elle venait d’être gratifiée. Alors, tu es prête ? s’enquit Derek. Tiffany fit signe que oui. Le Dr Milton t’a bien expliqué ce qu’il allait faire ? se renseigna le chirurgien.

    Oui. Il va me donner des médicaments qui vont m’endormir et, quand je me réveillerai, la tumeur sera partie, répondit Tiffany avec une sérénité qui stupéfia Meredith.

    Je l’espère, dit sobrement Derek. Je vais vraiment faire tout mon possible, mais je ne peux rien te promettre, tu le sais. On en a déjà parlé. Tiffany acquiesça d'un signe de tête.

    En voyant les sourcils de Meredith se froncer, Mark comprit que l’attitude de Derek lui posait un problème. Il a raison, Mer. Il ne peut rien lui promettre. On ne sait jamais ce qui peut se passer.

    Mais ce n’est qu’une petite fille, s’indigna-t-elle. Comment parvenait-on à dire aussi franchement à une enfant qu’elle n’allait peut-être jamais se réveiller ou bien que, si cela arrivait, elle serait immanquablement condamnée ? Pourquoi ne pas lui donner une version édulcorée qui de toute façon, si elle s’avérait fausse, ne serait jamais qu’un pieux mensonge ?

    Il ne peut pas lui mentir, rétorqua Mark qui avait deviné le point de vue de son amie. Imagine ce qu’elle ressentirait s’il lui promettait de la sauver et, qu’au réveil, elle apprenne qu’il ne l’a pas fait. Une promesse est une promesse, Mer, surtout pour un enfant. Ce serait cruel de lui donner de faux espoirs. 

    Mais la vérité est cruelle aussi ! s’exclama-t-elle, révoltée.

    Oui mais c’est la vérité, objecta Mark avec calme. Tu ne crois pas que ça fait moins de mal que le mensonge ou les non-dits ? 

    En se basant sur sa propre et récente expérience, Meredith ne pouvait que lui donner raison. Oui, c'est vrai mais c’est dur. Elle soupira.

    Oui, ce n’est pas évident, reconnut Mark. Surtout lorsqu’il s’agit d’enfants.

    Dans la salle, Derek terminait d’expliquer à sa patiente, dans des mots simples, la façon dont il comptait procéder. Mais mes cheveux vont repousser après ? s’inquiéta Tiffany. Meredith esquissa un sourire. Quel que soit l’âge ou la situation, l’apparence physique restait primordiale pour une fille.

    Le chirurgien se montra rassurant. Bien sûr ! Ne t’en fais pas pour ça. Et je vais te faire une très jolie cicatrice. Ton petit copain sera vraiment impressionné. Byron, c’est bien ça ?

    Tiffany pouffa de rire en se cachant la bouche derrière sa main. Damon ! Et c’est pas mon petit copain, c’est mon fiancé. Quand on sera grand, on va se marier. A nouveau, Meredith sentit son cœur se serrer devant ce petit bout de chou qui parlait d’avenir alors que la mort rôdait autour d’elle. Elle se mit à prier silencieusement pour que Derek réussisse ce qu’il allait entreprendre. S’il n'y avait qu'un patient à sauver ce jour-là, c’était cette adorable petite fille. 


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  • Derek jeta un coup d’œil à l’horloge murale, ce qui lui permit de constater qu’il avait pris un sacré retard sur le planning. Tu n’as plus de questions à poser ? Tiffany fit signe que non. Très bien, alors, on va commencer.

    Une infirmière aida l’enfant à s’allonger sur la table. Tiffany pointa alors le doigt en direction de la galerie. C’est qui, là-haut ?

    Ce sont des amis, l'informa Derek en regardant vers eux. Ça ne te dérange pas qu’ils restent là ?

    Non. Dans un geste spontané, Tiffany fit aller sa main de droite à gauche pour saluer les deux personnes dont elle ne voyait que le visage. Bonjour, leur cria-t-elle. Vous allez bien ?

    Meredith dut faire un effort surhumain pour ne pas éclater en sanglots, mais au contraire afficher un sourire qu’elle espéra resplendissant. Coucou, peina-t-elle à articuler en rendant son salut à l’enfant. Elle jeta un coup d’œil à Mark qui, tout sourire, levait son pouce en l’air avec un grand clin d’œil. C’est horrible, chuchota-t-elle en remuant à peine les lèvres pour que Tiffany ne puisse pas comprendre ce qu’elle disait.

    Tu veux t’en aller ? lui proposa son ami.

    Pour qu’elle se demande pourquoi on s’en va ? Certainement pas !

    Ils restèrent silencieux pendant que l’anesthésiste endormait Tiffany. Après que son assistant lui eut donné les constantes de la petite patiente, Derek vint se placer face au crâne de celle-ci. Il lui passa la main sur le front. Ne trouvez-vous pas que c’est une magnifique journée pour sauver la vie de cet enfant ? Il leva la tête vers la galerie et se plongea dans le regard de Meredith pour y puiser de l’inspiration. Après quelques secondes d’un intense échange, il abaissa la tête et ferma les yeux. Quand il les rouvrit, il avait fait le vide. Il n’y avait plus que lui et Tiffany dans la salle. Ils n’étaient plus que deux pour se battre contre la mort. Il tendit la main vers la droite. Sa voix résonna, froide et métallique. Scalpel ! 

    Les doigts agrippés au petit rebord de la vitre, Meredith colla son front à cette dernière pour mieux observer son amoureux. Qu’est-ce qu’il fait ?  

    Eh bien là, il va inciser le cuir chevelu pour pouvoir le décoller et…

    Elle fit une grimace. C’est bon. J’ai pas vraiment besoin de savoir.

    Mark secoua légèrement la tête en haussant les sourcils. Ah je t’avais prévenue !

    Meredith le regarda en coin, toute penaude. J’ai pété un plomb, je crois.

    Ouais, j'en ai bien l'impression.

    Je ne sais pas ce qui m’a pris, avoua-t-elle. Je n’aurais pas dû venir, je sais, mais quand j’ai appris que ma mère avait demandé à Derek de me quitter, j’ai eu tellement peur. Il fallait que je le voie, tu comprends ?

    Et si tu lui faisais un peu confiance ? lui conseilla Mark sur un ton un peu bourru. Il me semble que ces derniers temps, il a suffisamment prouvé qu’il tenait vraiment à toi, non ?

    Ça n’a rien à voir avec ça, se défendit Meredith. Il m’a dit qu’il ne voulait pas être un sujet de dispute entre ma mère et moi. Quand j’ai su ce qu’elle lui avait demandé, j’ai eu peur, répéta-t-elle, énervée. Il aurait pu décider de se sacrifier.

    Les lèvres de Mark s’étirèrent en un grand sourire. C’est pas trop son truc, le sacrifice, si tu veux mon avis.

    Meredith fit la moue. J’sais pas. Il aurait pu vouloir prouver à ma mère qu’il n’est pas celui qu’elle croit. Et elle ! s’emporta-t-elle soudain. Pourquoi est-ce qu’elle croit tout ce qu’Izzie lui a raconté ?

    Mark devina le portrait peu flatteur que la blonde devait avoir fait de son ami et l’impact que cela avait eu sur la mère de Meredith. Elle l’a connue toute petite, c’est normal qu’elle lui fasse confiance. Il posa sa main sur le genou de sa camarade et l’étreignit légèrement. Mets-toi un peu à sa place, Mer. N’importe quel parent se méfierait de voir sa fille sortir avec Derek.

    Qu’elle se méfie, oui, mais ça ne lui donne pas le droit d’exiger qu’il me quitte ! asséna Meredith sur un ton péremptoire.

    La peur fait faire bien des choses parfois. Regarde, lui. D’un mouvement de la tête, Mark désigna Derek.

    Meredith soupira. Oui, tu as raison. Si un homme tel que Derek pouvait faire n’importe quoi sous l’effet de la peur, ce n’était pas étonnant qu’Anne Grey commette des erreurs, elle aussi. La jeune fille couva d’un regard tendre le chirurgien qui se concentrait sur son intervention, ne brisant le silence que pour demander un instrument. Heureusement, la disposition de la table ne permettait pas à Meredith de réaliser pleinement ce qu’il était en train de faire. Cela lui convenait très bien. Elle n’avait besoin de rien d’autre que de le voir, lui. Il était tellement mignon dans sa blouse bleue, avec ses petites boucles brunes qui débordaient un peu de son calot. C’était un peu futile de penser à cela, compte tenu de la gravité de la situation, mais elle ne pouvait s’en empêcher. Quelles que soient les circonstances, la beauté de Derek la remuait au plus profond d’elle-même.


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  • Et quand Meredith voyait son petit ami se démener comme un beau diable pour sauver la vie d’une petite fille, elle ne pouvait que se féliciter d’avoir rencontré un homme aussi exceptionnel. Quant aux erreurs qu’il avait commises, elle en connaissait maintenant la raison, ce qui les rendait bien plus faciles à pardonner. Il m’a parlé de sa mère, laissa-t-elle tomber sans cesser d’observer ce qui se passait en bas.

    Je sais. Il me l’a dit ce matin, lui révéla Mark. En effet, Derek avait confié à son ami, entre deux portes, qu’il s’était enfin décidé à évoquer son passé avec Meredith. Il avait été peu disert, se bornant à dire qu’il lui avait parlé d'Abigail et de sa mère. Cela avait suffi à Mark. Point besoin d’entrer dans les détails. Il savait tout ce que cela impliquait.

    Meredith se tourna vers lui avec une expression désapprobatrice. Pourquoi tu ne m’as rien dit ? J’aurais sans doute réagi différemment si j’avais été au courant de tout ce qu'il avait subi.

    Mark ouvrit de grands yeux, étonné qu’elle puisse le blâmer pour ce qui lui semblait une évidence. Il m’avait fait jurer de ne jamais en parler à personne. Et puis, ce n’était pas mon histoire, Mer, mais la sienne. Il n’y avait que lui qui pouvait te la raconter. Avec moi, ça n’aurait pas eu le même impact.

    Meredith l’approuva d’un signe de tête. Il avait raison. Lorsque Momsy lui avait raconté ce qu’elle savait de l’histoire de Derek, elle avait été touchée, bien sûr, mais cela n’avait pas suffi à la ramener vers lui. Ce n’était qu’en écoutant Derek, en voyant son émotion, qu’elle avait perçu toute l’étendue du drame qu’il avait vécu. Je peux te poser une question ?

    Dis toujours…

    Comment il a fait pour s’en sortir sans sa famille ? Mark ouvrit la bouche mais Meredith enchaîna directement avec une autre interrogation. Il a fait comment pour ses études ? L’argent, je veux dire. Et il a vécu où ?

    Tu as dit une question, se moqua gentiment Mark avant de lui répondre. Quand son grand-père est décédé, il lui a laissé de l’argent. Un joli petit pactole, précisa-t-il en guettant la réaction de Meredith. Celle-ci resta impassible. Il poursuivit donc. Derek en avait hérité à sa majorité. Quand il a rompu les ponts avec son père, ça lui a permis de se débrouiller sans rien devoir demander à personne.

    Quelle chance ! s’écria Meredith. 

    L’argent est vraiment le seul avantage qu’il ait retiré de sa famille, lui fit remarquer Mark, un brin amer qu’elle les considère encore comme des fils de riches pour qui la vie avait été facile. Je crois qu’il pouvait avoir au moins ça.

    Elle prit immédiatement conscience du manque de tact dont elle venait de faire preuve. Oui, oui, bien sûr. Je suis désolée, ce n’est pas ce que je voulais dire. Elle semblait tellement navrée que Mark s’en voulut d’avoir été aussi sec avec elle. Il s’excusa d’un sourire et elle se sentit autorisée à continuer son interrogatoire. Tu connaissais bien ses parents, je suppose. Il fit signe que oui. Son père, il était comment ?

    Un neurochirurgien très brillant, vraiment, mais en tant qu’homme… Le dégoût s’inscrivit sur le visage de Mark. Un mari infâme, un père exécrable et vraiment un sale type. Il se tut un instant et jeta un œil distrait à l’opération qui semblait se dérouler sans encombre. Il a couché avec ma mère, lâcha-t-il soudain. Il se redressa et planta ses yeux dans ceux de Meredith. Le père de Derek, il a couché avec ma mère.

    Tu es au courant ? balbutia-t-elle, totalement médusée.

    Le regard de Mark traduisit sa stupéfaction. Toi aussi manifestement !

    Ta grand-mère me l’a dit mais elle m’a fait promettre de ne pas vous en parler, lui avoua Meredith, un peu contrariée de ne pas avoir réussi à donner le change. Elle croyait que vous n'étiez pas au courant.

    On l’a toujours été. On les a aperçus en ville un jour et… Mark haussa légèrement les épaules.

    Je suis vraiment désolée. Meredith se rapprocha de lui et s’agrippa à son bras tout en posant la tête contre son épaule.

    Oh tu sais… Il embrassa légèrement la chevelure de son amie. Lui ou un autre, ça ne changeait rien pour moi et ça ne changeait rien pour Derek. Ma mère, son père, ils étaient pareils. Ils ne respectaient rien. Il se souvenait parfaitement de cet après-midi de printemps où, alors qu'ils se promenaient en ville, ils avaient vu leurs parents sortir d’un hôtel. Cela ne les avait pas particulièrement choqués. Au contraire, ils en avaient plaisanté, se demandant avec cynisme s’il s’agissait d’une première fois ou d’une répétition. On n’a pas fait de vagues. On s’est tu, pour épargner Momsy. Il se sentit subitement tout attendri. Mais donc, elle le savait.

    Meredith se redressa. Oui. Elle les avait surpris un jour, chez toi

    Oh alors, elle a dû leur faire connaitre sa façon de penser, supposa Mark avec un sourire moqueur.  

    Oui, à grands coups de canne, sûrement ! Mark se mit à rire et Meredith l’imita, heureuse de constater que le temps semblait faire son œuvre. Le souvenir de Momsy devenait moins douloureux.  


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  • Elle me manque, confessa Mark d’une voix qui s'était brusquement étranglée.

    A moi aussi, murmura Meredith sans oser regarder son complice, de peur de fondre en sanglots.

    Il se racla légèrement la gorge pour dissiper le trop-plein d’émotion qui l’avait submergé. Alors, plus d’autre question ?

    Ça ne te dérange pas ? s'informa la jeune fille. Mark hocha la tête. Parle-moi de sa mère, le pria-t-elle alors. A ce moment, le haut-parleur crachota le bruit que faisait la fraise coupante avec laquelle Derek allait commencer à disséquer les os du crâne de Tiffany. Meredith sursauta. Sa conversation avec Mark lui avait fait perdre le fil de l’intervention mais le son du moteur venait de la ramener à l’horrible réalité. Ce fut comme si les vibrations de la machine se répercutaient dans son corps. Elle referma les bras sur son buste et serra les dents. Mark s’en aperçut. Il se leva et alla éteindre le haut-parleur. Elle le remercia d’un sourire.

    Il vint se rasseoir. Sa mère, tu disais ?

    Est-ce qu’elle le détestait vraiment autant qu’il le dit ? Meredith se sentait un peu mal à l’aise, coupable même, d’interroger Mark sur des sujets dont Derek lui avait déjà parlés. Elle avait peur de donner l’impression de vouloir vérifier ses dires. Pourtant, ce n’était pas du tout le cas. Elle ne mettait aucunement en doute ce que Derek lui avait confié. Elle voulait seulement en savoir plus. Il paraît qu’elle avait spécifié qu’il ne pouvait pas assister à son enterrement.

    Ouais, c’était écrit noir sur blanc. Le regard de Mark se porta sur Derek qui continuait à découper calmement le crâne de sa jeune patiente. Après sa mort, il a trouvé une lettre que sa mère avait écrite pour son mari. Elle lui criait son amour sur deux pages et, à la fin, il y avait dix lignes assassines où elle reniait son fils. C’est peut-être ce qui a été le plus dur pour lui.

    Cette femme n’avait vraiment pas de cœur, constata Meredith avec rage.

    Tu sais, ce n’était pas vraiment sa faute. Mark étendit sa jambe droite qui commençait à s’engourdir et la massa du plat de la main.

    Qu’est-ce que tu veux dire ?

    Elle était cinglée, déclara-t-il sans ambages. Elle imaginait des trucs. Et elle avait de ces sautes d’humeur ! C’était impressionnant. Il se souvenait parfaitement de ces scènes auxquelles le gamin qu’il était alors avait souvent assisté avec stupéfaction et un peu de frayeur. Avec le temps, il s'était habitué et il ne s'était plus étonné que Carolyn Shepherd se montre charmante et pleine d’humour pour, la seconde d’après, avoir un accès de colère totalement inexpliqué. Elle pouvait rire et pleurer dans la même minute, sans que rien ne le justifie, expliqua-t-il à l'intention de Meredith.

    Elle était dépressive, présuma cette dernière. C’est ce que j’avais pensé aussi quand Derek m’a raconté ce qui s’était passé.

    Non, c’était bien pire que ça. Pour moi, c’était ce qu’on appelle une personnalité borderline.

    Ah oui, j’ai lu un livre là-dessus, un jour, se souvint Meredith. Incapacité à gérer ses émotions, sentiment d’être une victime, peur de l’abandon, tentatives de suicides. C’est vrai que ça se tient. Elle réfléchit un instant. Et ça expliquerait le fait qu’elle ait idéalisé son mari et diabolisé son fils, avança-t-elle. Amour inconditionnel envers le premier et haine totale pour le second. Elle croisa le regard mi-étonné mi-railleur de Mark. Quoi ?

    Tu as appris le bouquin par cœur ? plaisanta ce dernier.

    Non, mais j’ai une très bonne mémoire pour les choses qui m’intéressent.

    Je vois ça, dit-il avec un petit sourire. Finalement, ça ne s'annonce pas trop mal, tes études de psy.  

    Meredith fit une petite moue dubitative. Je te trouve très optimiste. N’oublie pas qu’il y a tous les cours de sciences, lui rappela-t-elle avant de revenir au sujet qui la préoccupait. Tu en as parlé avec Derek ?

    Quoi ? De tes études ?

    Non ! De sa mère, gros bêta.

    Hé, je ne te permets pas ! Mark bascula vers la jeune fille, la heurtant d'un léger coup d'épaule, avant de redevenir sérieux. J’ai essayé à l’époque mais il n’était pas prêt à l’entendre. Et si tu veux mon avis, je ne suis pas sûr qu'il le soit maintenant. Les quelques fois où, bien des années auparavant, Mark avait tenté d’aborder le sujet, Derek avait réagi d’une façon qui avait dissuadé son ami de recommencer. Et pourtant, Mark était persuadé que, tout au fond de lui, Derek était conscient du déséquilibre de sa mère. Mais il avait une telle dévotion pour elle qu’il n’était pas capable de faire face à la réalité, du moins pas encore.

    Pourtant, ce serait plus simple pour lui, estima Meredith. Là, il est persuadé que sa mère le détestait à cause de ce qu’il était, alors que ce n’était que l’effet d’une maladie mentale. Pour elle, cela ne faisait aucun doute. La prise de conscience de Derek, quant à la vraie nature de sa mère, serait une véritable délivrance pour lui.


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