• Si Anne remarqua que le chirurgien était contrarié par sa remarque, elle n’hésita cependant pas à lui dire le fond de sa pensée. Après tout, il n’avait pas le monopole de la franchise. Ecoutez, ne le prenez pas mal, mais par votre âge, vous êtes plus proche de moi que de ma fille. Maintenant, vous êtes encore en pleine fleur de l’âge, c’est vrai. Vous êtes un homme vigoureux. Mais ça ne va pas durer, lui asséna-t-elle sans ménagement. Dans quinze ans, Meredith sera encore une jeune femme mais vous ?

    J’aurai cinquante ans, répondit Derek à mi-voix. Il soupira. Ne croyez pas que je n’y ai jamais pensé. Certains jours, ça m’obsède même. Elle, si jeune et moi… Il se passa la main sur le visage en soufflant. Je sais qu’un jour, elle risque de rencontrer quelqu’un de son âge, qui correspondra plus à ce qu’elle attend.

    Et ce jour-là, que ferez-vous ? s’inquiéta Anne.

    Meredith sera toujours libre de faire ce qu’elle veut, lui promit Derek. Si elle veut partir, je ne la retiendrai pas.

    Anne secoua la tête. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Enfin, pas chez nous. On ne commence pas une relation en se disant qu’on y mettra fin dès qu’elle ne conviendra plus.

    Afin de mettre toutes les chances de son côté, Derek était décidé à rester calme, quoi que la mère de Meredith puisse lui dire. Mais là, elle commençait sérieusement à l’énerver. Son pied se mit à tambouriner le sol à un rythme soutenu. Ne déformez pas mes propos ! s’insurgea-t-il. Il n’y a rien que je veuille plus qu’être avec Meredith et je suis prêt à me battre pour elle si on a des problèmes mais si un jour, elle ne veut plus de moi, que pourrais-je faire si ce n’est la laisser partir ?

    Ce n’est pas une solution pour moi, s’entêta Anne. Bâtir un couple avec des problèmes tels que les vôtres, c’est l’échec assuré.

    Nous verrons bien, répliqua sèchement Derek.

    Anne riposta aussitôt. Je ne veux pas que ma fille soit malheureuse.

    Oubliant ses bonnes résolutions, Derek bondit sur ses pieds. Et qu’est-ce que vous suggérez ? Que je la quitte ? Il n’en est pas question, dit-il en haussant la voix. Il se mit à marcher à travers la pièce. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous me demandez. Je ne peux pas. De toute façon, on a déjà essayé. J’ai essayé, elle aussi, et résultat, on a été terriblement malheureux tous les deux.

    Vous croyez que vous ne le serez pas quand vous vous séparerez dans dix ou quinze ans ? lui demanda Anne avec irritation. La discussion allait bien plus loin que ce qu’elle avait envisagé en arrivant. Elle était venue seulement pour voir à qui elle avait affaire et aussi placer le chirurgien devant ses responsabilités. Mais cet homme avait un je-ne-sais-quoi qui l’horripilait et qui la poussait à oublier toute commune mesure.

    Derek en avait plus qu’assez qu’elle lui fasse la leçon. Il aurait jeté à la porte n’importe qui lui aurait parlé de cette façon mais Anne Grey n’était pas n’importe qui. Il ne voulait pas créer une situation où Meredith se retrouverait dans l’obligation de faire un choix entre sa mère et lui. Il lui devait d’essayer d’arranger les choses. Vous ne vous êtes jamais dit que nous étions peut-être faits l’un pour l’autre ? Il se laissa tomber sur sa chaise. Pendant notre séparation… Il soupira. On était deux zombies. On ne mangeait plus, on ne dormait plus. On n’avait plus envie de rien. Il plongea ses yeux dans ceux d’Anne, en espérant qu’ils sauraient se faire les interprètes de ses sentiments. Le jour où elle m’a quittée, je n’ai pas été capable d’opérer. Ça ne m’était jamais arrivé avant. Et elle… Avant-hier, je l’ai retrouvée dans un bar, tellement ivre qu’elle ne savait plus ce qu’elle faisait. Les yeux d’Anne s’arrondirent sous l’effet de la surprise et il eut l’impression d’avoir frappé un grand coup. Je sais que je ne suis pas l’homme dont vous rêviez pour elle. Moi-même, si j’avais une fille et qu’elle sortait avec un mec comme moi, je ne sauterais pas de joie. Mais j’aime Meredith et je sais que nous sommes bien ensemble. Vraiment bien. J’ai confiance en elle, ajouta-t-il avec un sourire ému. Elle me comprend et elle m’apaise. Moi, j’essaie de l’encourager dans ce qu’elle veut faire et de la rassurer. Je crois que nous nous apportons un certain équilibre.

    Anne ne cacha pas qu’elle était choquée. Ma fille était équilibrée déjà avant de vous connaitre.

    Derek fit une moue dubitative. Vraiment ? Quand je l’ai rencontrée, elle portait des vêtement informes pour cacher son corps, parce qu’elle ne voulait pas attirer les regards. Elle n'avait aucune confiance en elle et passait son temps à se dévaloriser. Ça lui arrive encore, d’ailleurs. C'est ce manque de confiance qui l'a amenée à ne pas oser aller à l'université alors qu'elle avait terminé brillamment le lycée. C’est aussi à cause de ça qu’elle a toléré que George la maltraite, parce qu’elle pensait que d’une certaine façon, c’était justifié. Je sais que c’est grâce à moi, grâce à notre relation, qu’elle a trouvé le courage de se rebeller. Il se redressa et défia Anne du regard. Je suis navré que vous n’appréciez pas que je sorte avec votre fille mais au bout du compte, ça ne regarde qu’elle et moi. Je ne joue pas avec elle. Je n’abuse pas de sa confiance. Elle me connait. Sous l’effet de la colère, le bleu océan de ses yeux vira au violet et quiconque avait connu sa mère y aurait retrouvé l’éclat de son regard. Elle sait qui je suis et j’ai la faiblesse de croire que si elle m’accepte tel quel, ça veut dire que je suis quelqu’un de bien. J’ai fait des erreurs, c’est vrai, de grosses erreurs que rien ne pourra effacer. J’ai commis des fautes mais je suis tout de même quelqu’un de bien, martela-t-il.

    Anne saisit le sac qu’elle avait posé à côté d’elle, sur le canapé. Quand elle se leva, Derek fit de même, devinant que cela signifiait la fin de leur entretien. Vous êtes un homme bien ? laissa-t-elle enfin tomber. Son ton froid apprit au chirurgien que son discours n’avait pas atteint ses objectifs. Il va me falloir plus que quelques belles paroles pour m’en convaincre, Docteur, lui confirma-t-elle en se dirigeant vers la porte. Si vous êtes aussi bien que vous le dites, vous désirerez ce qu’il y a de mieux pour ma fille et en ce qui me concerne, ce qu’il y a de mieux, ce n’est pas vous. Elle sortit sans attendre et referma la porte derrière elle, laissant Derek assommé par cette condamnation sans appel.


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  • Meredith ajusta une dernière fois son corsage avant de s’examiner dans le miroir de sa chambre. Ce qu’elle y vit lui plut. Une bonne heure lui avait été nécessaire pour choisir sa tenue. Elle avait quasiment essayé toute sa garde-robe avant d’opter pour ce jean taille basse et ce tee-shirt rose fuchsia qui dévoilait son ventre plat jusqu’à son nombril. Décontractée tout en étant sexy, cette tenue était idéale pour un pique-nique sur la plage en amoureux. Pour la dix-millième fois, Meredith consulta sa montre. Elle était tellement impatiente de retrouver Derek qu’il lui semblait que le temps ne passait pas. En tout cas, il ne passait pas assez vite à son goût. Et sa mère qui ne rentrait pas ! Selon Gloria, Anne était partie faire une petite course et Meredith se demandait ce qui pouvait la retenir si longtemps. Cependant, l’absence de sa mère lui convenait parfaitement. Elle n’avait pas envie de se lancer, juste avant son rendez-vous avec Derek, dans une discussion sur le sens de la vie et de l’amour. Elle sortit de sa chambre et passa dans la salle de bains, où elle se maquilla légèrement, juste de quoi avoir bonne mine. Sitôt après s’être donné un dernier coup de peigne dans les cheveux, elle dévala les escaliers. Après avoir vidé le lave-vaisselle, rangé le tout dans les armoires et mis un peu d’ordre dans le salon, elle commença à tourner en rond. Après dix minutes, elle ne supporta plus l’inaction et décida de se rendre à la clinique. Ainsi, quand Derek aurait terminé son intervention, elle serait déjà sur place, ce qui leur permettrait de gagner au moins une demi-heure. Elle était en train de s’auto-congratuler mentalement d’avoir eu une aussi bonne idée lorsqu’elle entendit le bruit d’une clef dans la serrure. Elle fut contrariée de voir apparaitre sa mère dans l’entrebâillement de la porte. Mais son agacement fit immédiatement place à l’étonnement en constatant qu’après avoir passé plus de deux heures en ville, Anne rentrait les mains vides.

    Il n’échappa pas non plus à cette dernière que sa fille avait apporté un soin tout particulier à sa tenue. Te voilà toute jolie, fit remarquer Anne. Tu allais sortir ?

    Subitement méfiante, Meredith opina sèchement de la tête. Oui, une course à faire.

    Anne sourit légèrement tant le prétexte – le même que le sien – était cousu de fil blanc. Pourtant, elle ne fit aucun commentaire. Gloria n’est pas là ? demanda-t-elle en regardant autour d’elle.

    Non, elle est partie se promener avec tante Ellis, répondit sa fille.

    Anne la regarda prendre son sac et l’ouvrir pour en vérifier le contenu. J'ai rendu une petite visite au Dr Shepherd, lâcha-t-elle après un petit moment.

    Meredith releva la tête si rapidement qu’elle sentit les os de son cou craquer. Derek ? s’écria-t-elle.

    A nouveau, Anne fit un petit sourire amusé. Evidemment. Je ne connais pas d’autre Dr Shepherd, ma petite fille. Très calme, elle retira son manteau.

    Pourquoi ? aboya Meredith. Sa question était superflue. Elle savait pertinemment pour quelle raison sa mère était allée voir Derek.

    Anne accrocha son manteau à la patère. Pour lui parler de toi. Enfin, de vous deux, de votre relation.

    Qu’est-ce que tu lui as dit ? La voix de Meredith était métallique, pleine d’une colère difficilement contenue. Elle avait l’impression qu'on venait de la poignarder dans le dos et cette idée lui était plus que désagréable. Elle n’admettait pas que sa mère se soit ainsi ingérée dans sa vie privée. Elle avait peur aussi. Derek ne lui avait pas caché qu’il ne voulait pas être une source de discorde entre elle et sa mère. Qui pouvait dire quelle serait sa réaction s’il avait l’impression que c’était ce qui était en train d’arriver ?

    Anne ne se départit pas de son calme. La même chose qu’à toi, Meredith, qu’il n’était pas fait pour toi. Elle continua à parler tout en avançant vers le living. Trop vieux, trop compliqué, trop tourmenté… Ça ne peut pas marcher entre vous.

    Qu’est-ce qui te permet de dire ça ? glapit Meredith en la suivant. Tu ne sais rien de lui, ni de nous.

    J’en sais suffisamment pour me rendre compte qu’il n’est pas fait pour toi, répéta Anne en prenant place dans le fauteuil, près de la fenêtre.

    Meredith s’assit dans le canapé pour se relever aussitôt. C’est n’importe quoi ! se plaignit-elle. Comme si tu pouvais vraiment le connaitre parce que tu lui as parlé pendant quelques minutes ! Elle était consciente que se disputer avec sa mère ne ferait pas avancer sa cause et c’était pour cela qu’elle tentait de maîtriser la rage qui montait en elle. Mais cela lui donnait l’impression d’être une cocotte-minute dont la soupape n’allait pas tarder à sauter.

    Anne la couva d’un regard tendre. Ma petite fille, tu es amoureuse, et pour la première fois. Alors tu ne vois que ce que tu as envie de voir. Meredith leva les yeux au ciel avec, sur le visage, une expression traduisant son exaspération. Elle en avait plus qu’assez que sa mère la considère encore comme une petite fille naïve et sans expérience. Moi, je vois les choses telles qu’elles sont. Et je sais que tu ne seras jamais heureuse avec lui. Il y a trop de choses qui vous séparent. Si ce n’est pas maintenant, ce sera dans quelques années. Alors, crois-moi, il vaut mieux que ça s’arrête avant que les choses ne deviennent trop sérieuses. Anne passa outre le regard scandalisé de sa fille. Ton Derek m’a assuré qu’il était un homme bien. Si c’est le cas, il admettra que j’ai raison et il te rendra ta liberté, comme je le lui ai demandé.

    Meredith eut l’impression que sa mère venait de lui décocher un uppercut en pleine poitrine. Elle vacilla. Tu… tu n’as… pas… osé faire ça ? bafouilla-t-elle. Les yeux d’Anne lui apportèrent la réponse qu’elle redoutait. Elle se mit à crier. Mon dieu, qu’est-ce que tu as fait ? Qu’est-ce que tu as fait ? Elle repartit dans l’entrée et en un clin d’œil, ramassa son sac et sa veste. Tu n’avais pas le droit ! hurla-t-elle en claquant la porte de la maison. Stupéfaite, Anne se précipita à la fenêtre pour la rappeler, mais comprit que ses cris seraient vains en voyant Meredith courir à toutes jambes dans la rue.


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  • Ce fut dans un état proche de l’hystérie que Meredith pénétra dans la clinique. Durant le trajet, qui lui avait paru interminable – elle s’était retenue de hurler à chaque fois que le tramway s’était arrêté pour prendre ou débarquer des passagers – elle avait eu tout le loisir de penser à la désastreuse initiative de sa mère et à l’effet qu’elle avait pu avoir sur Derek. Elle avait essayé à plusieurs reprises de joindre ce dernier par téléphone, pour lui dire qu’il ne devait pas tenir compte de ce qu'Anne lui avait dit, que cette dernière l’avait jugé sans savoir, qu’elle ne pouvait pas comprendre leur amour, que seuls eux avaient le droit de décider ce que serait leur vie. Mais elle était à chaque fois tombée sur sa messagerie, ce qui l’avait mise dans un état indescriptible. Même si Derek l’avait prévenue qu’il serait injoignable durant la matinée, à cause de l’importante intervention qu’il devait effectuer, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il filtrait ses appels, parce qu’il avait déjà pris la décision de la quitter. Cette idée la rendait folle. C’était pour cela qu’elle devait le voir, à tout prix, pour se rassurer et, le cas échéant, le faire changer d’avis. Maintenant qu’elle l’avait retrouvé, il n’était pas question qu’elle le perde à nouveau, uniquement parce qu’il ne correspondait pas à l’idée que sa mère s’était faite du gendre idéal.

    Elle s’arrêta au milieu du grand hall et, légèrement égarée, regarda autour d’elle. La vue des quelques personnes qui faisaient la file devant les ascenseurs la dissuada d’attendre avec eux. Elle n’avait pas une minute à perdre. Elle fonça vers les escaliers qu’elle grimpa à toute allure pour débouler à l’étage où se trouvaient les salles d’opération. Au sol, il y avait des flèches bleues qu’elle suivit jusqu’à arriver devant une double porte qu’elle poussa, sans se poser plus de questions. Les murs carrelés de blanc, l’éclairage plus cru lui indiquèrent qu’elle était sur la bonne voie. A aucun moment, il ne lui vint à l’esprit qu’elle n’avait pas le droit d’être là. Elle ne pensait même pas au fait que, si Derek était déjà au bloc, il ne pourrait pas interrompre son intervention pour lui parler. C’était comme si la perspective d’une nouvelle rupture lui avait fait perdre le sens des réalités. Sa seule inquiétude était de retrouver Derek au plus vite pour s’assurer que rien n’avait changé entre eux.

    Hé vous là-bas ! L’infirmière qui venait de pénétrer dans la zone n’en croyait pas ses yeux. Qui était cette énergumène qui se promenait dans un bloc opératoire comme elle l’aurait fait dans un grand magasin ? Elle eut un petit mouvement de recul quand l’intéressée se retourna vers elle. Merde, la tuile ! se dit-elle en reconnaissant la blonde qui s’était affichée quelque temps plus tôt au bras du Dr Shepherd. La rumeur les disait séparés et c'était certainement vrai, vu l’humeur massacrante dont le chirurgien avait fait preuve ces dernières semaines. Toutefois, la présence de la jeune femme annonçait peut-être du changement et, dans ce cas, il valait mieux être prudente. Je suis désolée, Mademoiselle, mais vous n’avez pas le droit d’être ici, dit l'infirmière d’une voix plus douce, en venant à la rencontre de l’intruse.

    Je dois voir le Dr Shepherd, grogna Meredith, contrariée par cette rencontre qui risquait bien de compromettre son projet.

    Je ne crois pas que ça va être possible tout de suite, répliqua calmement l’infirmière. Il doit déjà être en salle d’op’ maintenant.

    Vous voulez bien vérifier ?

    Je veux bien vérifier mais vous devez tout de même partir. Vous n'avez pas le droit de rester ici, insista l'infirmière.

    Meredith secoua la tête. Il faut absolument que je le voie, s’entêta-t-elle. Je dois lui parler. C’est urgent. Elle fit un pas en avant.

    L’infirmière posa la main sur son bras pour l’arrêter. Mademoiselle, je vous en prie… Vous verrez le Dr Shepherd plus tard.

    Lâchez-moi, cria Meredith en se dégageant d’un geste sec. Je dois le voir tout de suite.

    Une grosse voix résonna dans le couloir. Qu’est-ce qui se passe, nom de dieu ? Les deux femmes se retournèrent dans un même mouvement pour découvrir Mark qui sortait d’une salle d’opération, suivi par deux infirmières qui poussaient une civière sur laquelle gisait une patiente dont la tête totalement enveloppée laissait penser qu’elle venait de subir un lifting. Meredith ? s’exclama le chirurgien en reconnaissant son amie.

    Mark ! s’écria-t-elle, soulagée de voir enfin un visage ami. Elle courut vers lui.

    Qu’est-ce que tu fais ici, bon sang ? marmonna-t-il, tout en faisant signe à l’infirmière de s’en aller. La jeune femme ne se fit pas prier. Trop heureuse de s’en sortir à si bon compte, elle partit d’un pas vif, pressée de raconter à ses collègues ce qui venait de se passer.

    Il faut absolument que je voie Derek, implora Meredith, les yeux soudain au bord des larmes.

    Mer, soupira Mark. Il avait bêtement cru que puisque Meredith et Derek étaient à nouveau ensemble – juste avant d'entrer au bloc, son ami lui avait annoncé la bonne nouvelle avec un sourire circonspect, en raison vraisemblablement de la visite impromptue d’Anne Grey – l’ère des problèmes était révolue et qu’il allait être enfin tranquille. Et voilà que Meredith était devant lui, désespérée et sollicitant encore une fois son aide.

    Il faut absolument que je le voie, Mark, répéta-t-elle d’une voix pressante.

    Ce n’est pas possible, Mer, répondit-il calmement en la prenant par le bras, pour la faire sortir. En plus, tu n’as pas le droit d’être ici.

    Juste une minute, Mark, une toute petite minute, le supplia-t-elle avant de se mettre à pleurer. Ma mère, elle lui a dit…


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  • Le bruit de la double porte qui s’ouvrait bruyamment les fit se retourner. Une civière sur laquelle était installée une fillette s’avança vers eux, poussée par deux infirmières. Derek suivait, en grande conversation avec un autre médecin. L’étonnement qui s’imprima sur le visage de ce dernier alerta Derek. Il tourna la tête et découvrit Meredith. Le regard qu’ils échangèrent fut intense. Ils y lurent leurs peurs et leurs doutes. Meredith courut se jeter dans les bras de son amoureux, sans se soucier un instant des personnes qui les entouraient. J’arrive, promit Derek à son collègue, tout en serrant sa petite amie contre lui. Attends-moi pour l’anesthésie. J’ai promis à la petite d’être là quand elle s’endormira. Il attendit que son équipe ait disparu pour baisser le regard vers Meredith. Mais qu’est-ce que tu fais là, toi ? demanda-t-il avec une intonation infiniment tendre. Afin de les laisser en tête-à-tête, Mark s’éloigna de quelques pas. Il alla se poster derrière la double porte, surveillant ce qui se passait à l’extérieur du bloc et prêt à donner l’alarme au cas où un importun se manifesterait.

    Meredith agrippa la blouse du chirurgien. Il fallait que je te voie. Ma mère… ce qu’elle t’a dit… il ne faut pas en tenir compte, haleta-t-elle, ses yeux pleins d’inquiétude plantés dans ceux de Derek.

    OK, se contenta de répondre celui-ci, en lui caressant la joue du bout des doigts.

    Légèrement rassérénée, Meredith l’enlaça étroitement par la taille et posa la tête contre son torse. Il n’y a que ce que je veux qui compte, et ce qu’elle t’a demandé, ce n’est pas du tout ce que je veux.

    Derek referma ses bras sur elle. OK.

    Je ne veux pas que tu me rendes ma liberté, insista-t-elle, fébrile, en relevant les yeux vers lui.

    Tant mieux parce que ce n'est pas ce que je comptais faire. Il lui sourit avant de l'embrasser sur le front.

    Elle entendait tous les mots qu’il prononçait et qui se voulaient rassurants, mais c’était comme si elle n’arrivait pas à y croire totalement. Il y avait toujours au fond d’elle cet horrible sentiment de peur qui la faisait douter Je sais… je sais que ma mère a dit que – les larmes lui montèrent aux yeux – si tu étais… un homme bien – elle renifla un peu – tu me quitterais, mais si… si tu fais ça, je… je… j’en mourrai et ça, ça, ce… ce ne… sera pas… pas bien du tout, bredouilla-t-elle, la gorge nouée.

    Derek la sentit fragile et prête à craquer, et il maudit Anne Grey d’avoir réussi à la déstabiliser. Chuuuut ! murmura-t-il en mettant un doigt sur la bouche de la jeune fille. Personne ne va mourir, et certainement pas toi. Il lui passa une main dans les cheveux, pour arranger quelques mèches qui lui mangeaient le visage. Tu n’as pas à t’en faire, bébé. Je ne suis pas un homme bien. Je suis un salaud qui ne respecte rien ni personne. Tu as oublié ?

    Non, c’est faux, s’écria Meredith en secouant énergiquement la tête. Je sais que tu es un homme bien mais je ne veux pas que tu le prouves de cette façon. C'est en restant avec moi que tu le feras.

    Derek lui enserra le visage dans ses mains et essuya avec son pouce une larme qui coulait de son œil droit. Mon amour, tu ne dois pas avoir peur. Il n’y a qu’une personne sur cette terre qui peut mettre fin à notre relation et ce n’est pas ta mère. Ce n’est même pas moi, confessa-t-il avec un sourire un peu penaud, comme s’il voulait qu'elle lui pardonne sa faiblesse. C’est toi. Seulement toi. Il n’y a que toi qui peux décider que ça s’arrête.

    Il se penchait vers elle pour l’embrasser lorsque la porte d’une des salles d’opération s’ouvrit dans un grincement. Le médecin avec lequel il était arrivé passa sa tête dans l’entrebâillement. Shep’, la petite est prête. On t’attend.

    J’arrive, certifia encore une fois Derek. L’anesthésiste fit un signe de tête avant de retourner dans la salle. Il faut que j’y aille, dit Derek à Meredith, un soupçon de regret dans la voix. Il n’avait aucune envie de la laisser, surtout pas en la sachant encore bouleversée.

    Elle opina de la tête sans toutefois le lâcher. J’espère que tu ne vas pas avoir de problèmes à cause de moi, déclara-t-elle en regardant en direction de la salle où avait disparu l’homme qui venait de rappeler le chirurgien à l’ordre. L’initiative de sa mère l’avait plongée dans un tel état de panique et de rage aussi, qu’elle n’avait pas du tout réfléchi à ce qu’elle faisait. La seule chose à laquelle elle avait pensé, c’était à voir Derek pour mettre les choses au point et surtout se rassurer. Maintenant, elle se rendait compte à quel point sa présence dans cette partie de la clinique était déplacée, tout comme son comportement avec l'infirmière avait été inapproprié, et elle craignait que cela ne nuise à son petit ami.

    Il sourit devant tant de naïveté. Qui oserait s’en prendre à lui qui faisait la pluie et le beau temps dans cet établissement ? Non, je n’aurai pas de problèmes, la tranquillisa-t-il. Ne t’inquiète pas pour ça.

    Mark, qui s’était rapproché du couple pour emmener Meredith, tapota du doigt sur sa montre. Derek…

    Ce dernier se pencha vers son amie et l’embrassa légèrement. On se voit après, pour notre pique-nique ? Elle fit signe que oui. Il lui étreignit la main avant de s’éloigner. Il allait arriver à la porte de la salle d’opération lorsqu’il se retourna vers la jeune fille. Ça te dirait d’assister à l’intervention ?


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  • Mark regarda son ami avec un air incrédule. C’est une plaisanterie ?

    Derek se tourna vers lui avec un regard presque étonné. Non, pourquoi ?

    Bon sang, Derek ! tempêta Mark. Tu deviens fou ? ajouta-t-il en baissant un peu le ton, pour ne pas risquer d’attirer l’attention sur eux. Elle n’a déjà pas le droit d’être dans ce couloir et toi, tu veux l’amener en salle d’op’. En plus, elle s’évanouit à la seule vue d’une seringue et tu lui proposes d’assister à une craniotomie ? C’est du grand n’importe quoi !

    C’est à elle de décider, estima Derek en revenant vers Meredith. Qu’est-ce que tu en penses ? lui demanda-t-il, avec un regard charmeur auquel, il le savait, il était difficile de résister.

    Je ne veux pas que tu aies des problèmes à cause de moi, redit encore une fois la jeune fille.

    Je ne risque rien, bébé, lui assura Derek en ignorant le regard outré de Mark. Des années auparavant, ils s’étaient surnommés les rois du monde. Bien sûr, il y avait une part d’arrogance dans cette attitude, mais il y avait aussi beaucoup de lucidité. Dans ce monde qui était le leur, la clinique, ils étaient effectivement les rois. Surtout Derek qui, grâce à son talent et sa renommée dans le domaine de la neurochirurgie, avait attiré une toute nouvelle clientèle au Golden Health Center. Richard Webber avait bien trop peur de le voir s’en aller, avec dans son sillage tous ses patients, que pour le contrarier de quelque façon que ce soit.

    C’est vrai que j’aimerais bien te voir travailler, dit timidement Meredith. Pour être tout à fait honnête, assister à l’intervention ne l’enthousiasmait pas vraiment. Elle n’éprouvait aucun intérêt pour la médecine. C’était un domaine qui lui faisait peur, pour lequel elle éprouvait même une sorte de répugnance. Le sang surtout ! Tout ce qu’elle détestait ! Mais elle était prête à faire un gros effort parce qu’assister à cette opération signifiait qu’elle pouvait rester avec Derek.

    Mais réfléchissez un peu tous les deux, s’emporta Mark, bien décidé à ne pas laisser cette folie se produire. Tu sais ce que c’est une craniotomie ? demanda-t-il sèchement à Meredith. Tu as une idée de ce qui t’attend ? L’incision du cuir chevelu, le décollement de la peau, le sang qui coule….

    Derek vit que Meredith blêmissait. Mark ! lança-t-il en guise d'avertissement. Il passa un bras autour des épaules de sa petite amie pour la ramener contre lui.

    La menace sous-jacente n'eut aucun effet sur Mark. Le bruit que font les os quand on les sectionne, la vision du cerveau, poursuivit-il. Et je ne te parle pas de l’odeur. Parce que ça pue dans un bloc, fifille !

    Ça va, Mark, le fustigea Derek. T’es pas obligé d’être désagréable !

    Mark le connaissait trop bien pour être impressionné par ses sourcils froncés et son ton acerbe. Et toi ? aboya-t-il à son intention. Qu’est-ce que tu feras quand elle va commencer à vomir ? A mon avis, faudra pas plus de cinq minutes. Tu vas faire comment pour gérer en même temps la gamine et ta copine qui tourne de l’œil ? Comme Derek haussait les épaules, il s'adressa à nouveau à Meredith. La patiente est une petite fille de six ans qui a une énorme tumeur cérébrale. On ne joue pas là, Mer. C’est sérieux ! Si tu as un problème, il n’aura pas le temps de s’occuper de toi.

    Meredith leva un regard plein de doute vers Derek. Je crois qu’il a raison. Je ne pense pas que je vais supporter tout ça et je vais te gêner.

    Mark leva les deux bras au ciel. Enfin ! Il s’approcha de Meredith pour la prendre par le bras. Il était pressé de l’emmener loin de cet endroit, avant que la nouvelle de sa présence ne se soit répandue et que tout le personnel ne défile devant eux pour en faire des gorges chaudes.

    Derek l’arrêta d’un geste. Et si tu l’emmenais dans la galerie ? Quoi ? s’exclama-t-il pour répondre au regard furieux de son ami. Là, il n’y aura pas de bruit, pas d’odeur. Avec la façon dont la table est placée, elle ne verra rien… sauf moi, précisa-t-il avec un petit sourire à l’intention de son amie. Jusqu’à présent, elle ne connaissait de lui que le côté superficiel. Il se disait que, si elle le voyait en train d’opérer, défier la mort et la vaincre, elle découvrirait un autre aspect de lui-même, qui ne manquerait pas de l’impressionner, il en était certain. Et puis quel meilleur moyen de redorer son image auprès de la femme qu'il aimait que de sauver, sous ses yeux, la vie d’une enfant condamnée à mort par une énorme tumeur au cerveau ?

    Oui, ça, ce serait bien, estima Meredith en regardant Mark comme si elle attendait sa permission. Assister à une intervention sans le côté sanglant, en se concentrant uniquement sur le beau chirurgien, lui semblait être une occasion à ne pas rater.

    Mark enveloppa ses deux amis d’un regard à la fois critique et dédaigneux. Vous êtes grotesques.

    On s’en fout ! répliqua Derek. Alors, la galerie ? Tu veux bien faire ça pour nous ?

    Je n’ai pas le choix, je crois, ronchonna Mark. Comment aurait-il pu refuser lorsque Meredith le regardait avec ses beaux yeux implorants ? Mais si jamais elle flanche, je la fais sortir directement. Et je te préviens, si jamais le vieux….

    Derek l’interrompit. Tu n’as pas à t’en faire pour ça. J’en prends la totale responsabilité. Il enlaça Meredith par la taille pour l’attirer à lui. Allez, file. Va avec lui. Ne t’en fais pas, tout va bien se passer, lui promit-il en faisant allusion à sa mère plutôt qu’à l’opération qui l’attendait. On s’aime. Rien ni personne ne pourra plus nous séparer. Il pressa fougueusement ses lèvres contre les siennes avant de partir à grandes enjambées.


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