• Non, pas à son âge. On ne se remet plus de ça à son âge, répondit Mark entre deux sanglots qu’il se maudissait de ne pouvoir réfréner. Son cœur est usé, il n'y a plus rien à faire, les médecins l'ont prévenue. Et je crois qu'elle n'a plus envie de se battre.

    Meredith le prit dans ses bras. Je sais que c'est triste mais elle a eu une vie bien remplie d'après ce que tu m'as dit, murmura-t-elle. Ça ne lui plait peut-être pas de vivre comme ça, en étant diminuée, alors elle préfère partir. C'est dur pour ceux qui restent mais il faut le respecter. Elle s'en voulait de ne trouver rien d'autre à dire que des platitudes mais que pouvait-on dire à quelqu'un qui était sur le point de perdre la personne à laquelle il tenait le plus au monde ?

    Tu ne te rends pas compte, je n’ai plus qu’elle. Quand elle sera partie, je serai seul. Mark regarda la bouteille de tequila qui était sur la table. Il prit une nouvelle profonde inspiration. Tu n’as pas quelque chose de plus fort ? demanda-t-il d’une voix enfin plus posée. Meredith se leva pour aller chercher une bouteille de whisky et un verre qu’elle déposa devant lui. La main tremblante, il remplit ce dernier à ras-bord et le vida d’un coup. Je n’aurai plus personne, répéta-t-il, comme si l’évidence s’imposait à lui. Dans un effort désespéré de retrouver le contrôle de lui-même, il tenta de changer de sujet et désigna la bouteille d’alcool à Meredith. Tu en veux ? Elle secoua la tête. De la tequila alors ?

    Elle hocha à nouveau la tête avant de la poser sur l'épaule de son ami. Tu ne seras pas seul. Derek sera là et moi aussi. Elle lui déposa un baiser sur la joue. On ne va pas remplacer ta grand-mère, c'est sûr, mais on sera toujours là pour toi comme toi, tu es là pour nous.

    Mark sentit un nouveau sanglot monter dans sa gorge. Déstabilisé, il s’écarta en espérant que ce trop-plein d’émotions disparaisse. Lui, pleurnicher comme une gamine ? Non, non, ça ne lui ressemblait pas. Ce n’était pas lui, ça. Il se servit un deuxième verre de whisky et se laissa aller dans le fond du canapé, entraînant Meredith avec lui. Il ferma les yeux, essayant de faire abstraction de tout. Mais c’était plus fort que lui, Momsy était omniprésente et il avait besoin de l’évoquer. Tu vois, elle a toujours été là pour moi. Mes parents, tu sais bien… Un rictus de douleur déforma son visage. Leurs disputes résonnaient dans toute la maison. Ça hurlait, ça hurlait. Il abaissa vers Meredith un regard désespéré. Je crois que ça a été mon premier souvenir d’enfant. Leurs cris… Je me réfugiais dans les placards, je fermais les yeux et je me bouchais les oreilles en appuyant très fort mes mains dessus – il joignit le geste à la parole, comme pour mieux lui faire comprendre, avant de rouvrir les yeux – pour essayer de ne plus les entendre. Mais ils criaient tellement fort que je n’y arrivais pas. Emue, Meredith se contenta de lui serrer furtivement la main sans rien dire. Elle devinait que c’était la première fois depuis très longtemps qu’il se confiait sur les moments douloureux de son enfance et elle le savait suffisamment pudique pour ne pas prendre le risque de l’interrompre avec une parole malheureuse. Mon père aimait ma mère, poursuivit-il. Il en était fou et de savoir… Pour les jardiniers… Il eut un sourire attendri. Ce n’était pas un mauvais bougre, tu sais. Il était seulement amoureux d’une… d’une… Il cessa de parler et serra les dents avant de reprendre. Je la détestais tellement pour ce qu’elle nous faisait. Elle n’était jamais là et lui… lui, il fuyait la maison de son malheur. J’étais seul la plupart du temps, avec les nounous qui ne faisaient jamais que passer. Il se tut un instant, son regard se perdant au loin pour revoir le petit garçon solitaire et terrifié, qui errait dans la grande maison déserte. Le temps de boire une autre gorgée de whisky, il reprit son récit. Heureusement, il y avait Momsy. Elle venait me chercher pour m’emmener dans son ranch, le temps d’un week-end ou pour les vacances. Il eut un sourire attendri. C’était le paradis là-bas, pour un enfant. Les animaux, les grands espaces, pas de disputes, des pancakes au matin, des cookies ou des muffins pour le goûter, les dîners pris ensemble pendant lesquels on racontait tout ce qu'on avait fait, la maison pleine de va-et-vient… Tout ce que je n’avais pas chez moi. Sa main se perdit dans la chevelure de Meredith qu’il s’amusa à enrouler autour de son index en de grosses boucles. Et puis, ma grand-mère… Nos promenades, nos conversations…

    La jeune fille l’encouragea à continuer avec un doux sourire. Et tu parlais de quoi avec elle ?

    De tout. De politique, de ce qui se passait dans le monde, de musique, de cinéma… Et des études, bien sûr. La voix de Mark prit un ton presque jovial. Avec elle, pas question d'échouer ! Je pouvais faire toutes les conneries que je voulais mais les résultats scolaires devaient être au top. Si je suis devenu ce que je suis, c’est grâce à elle, tu sais. Un sourire ému apparut sur les lèvres du chirurgien. Elle m’a tout appris. Quand j’ai grandi, c’est à elle que j’ai pu demander conseil. Pour les filles. Il s’assombrit à nouveau. J’étais timide, gauche, je n’osais pas. Et j’étais complexé par rapport à Derek. Ce salaud avait un tel charme, énonça-t-il sans la moindre amertume. Elles venaient toutes vers lui sans qu’il ait rien à faire. Meredith soupira. Malheureusement, rien n’avait changé depuis. Quant à Mark, elle comprenait trop bien ce qu’il avait dû ressentir car elle avait toujours éprouvé la même chose, un énorme manque de confiance en soi et l’impression de n’être jamais à la hauteur. C’est Momsy qui m’a expliqué comment je devais m’y prendre, continua Mark. Et ça a marché ! Il repensa à sa première petite amie, la jolie Cindy qui, grâce aux conseils de Momsy, avait accepté d’aller au cinéma avec lui et qui s’était laissé embrasser à l’entracte. Cindy, la première d’une longue liste… Ensuite, j’ai pris de l’assurance et j’ai affiné la méthode, ironisa-t-il. Au début, Momsy, ça l’a amusée, toutes ces filles qui défilaient à la maison. Après, elle a moins apprécié. Il eut un petit rire. Elle voulait que je me trouve une gentille fille, qui serait sérieuse, pour me fixer, et moi, je ne pensais qu’à baiser. Tout à coup, il imita la voix éraillée de sa grand-mère. Ce n’est pas comme ça que je t’ai élevé, Mark Sloan ! Toutes ces filles ! Des Marie-couche-toi-là ! Tu veux répéter les erreurs de ton père ? Il fit tourner son verre entre ses doigts, regardant le fond de whisky en tapisser les parois, avant de le vider. Elle ne lui a jamais pardonné d’avoir épousé ma mère. Mais quand il est mort, c’est un peu d’elle qui est parti avec lui. Il abaissa son regard vers le visage de la jeune fille qui l’écoutait avec tellement d’attention. Quand elle partira, j’ai peur de ne plus être tout à fait le même, avoua-t-il dans un souffle.


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  • Mais si, bien sûr, assura Meredith. Au fond de ton cœur, tu es toujours Mark, le petit garçon qui se cachait dans les placards pour ne plus entendre ses parents crier. Mais tu n'es pas que ça. Tu es un chirurgien super doué, et aussi le meilleur ami qu'on puisse avoir. Que ta grand-mère soit là ou pas ne changera rien à la personne que tu es au fond de toi. C'est juste que tu ne la montres pas à beaucoup de personnes.

    Mark sourit tristement. Tu as sans doute raison. Je déteste parler de moi, habituellement. Remuer toutes ces vieilles histoires… Il fit une brève grimace. Mais avec toi, j’en avais envie. C’est venu naturellement et ça m’a fait du bien. Il se pencha vers Meredith et plongea le nez dans ses cheveux blonds, humant leur parfum de lavande, avant de se remettre à les enrouler autour de ses doigts. De jouer avec eux avait sur lui un effet apaisant. Il renversa la tête en arrière et ferma les yeux. Tu crois que si on reste là, comme ça, sans bouger, le temps peut s’arrêter ? lui demanda-t-il soudain, d’une voix lasse. S’ils y arrivaient, il pourrait rester là, avec elle, et il n’arriverait rien à sa chère grand-mère.

    Meredith sourit de sa candeur qui contrastait tellement avec l’image qu'il donnait de de lui. On peut toujours essayer, chuchota-t-elle en se lovant contre lui. Elle sentit la main de Mark cesser progressivement de lui caresser les cheveux et son bras qui s’alourdissait. Quand elle leva les yeux vers lui, elle le vit qui dormait, la tête posée contre le dossier du canapé. Attendrie, elle le contempla quelques instants avant de se lever tout doucement pour aller chercher une couverture qu’elle revint poser sur lui. Elle n’avait pas le cœur à le réveiller pour le renvoyer chez lui. Elle se rassit à côté de lui et lui reprit la main. Quelle soirée pourrie ! se dit-elle. Cristina qui s’était moquée de ses ambitions, Derek qui s’était inscrit aux abonnés absents, Mark l’ami fidèle qui venait de recevoir un coup de massue… Elle finit par s’endormir en pensant que, oui, décidément, les choses n’étaient jamais ce qu’on voulait qu’elles soient.

    Lorsque Mark se réveilla quelques heures plus tard, il faisait nuit noire. Le corps endolori, il ouvrit lentement les yeux et ses lèvres s’étirèrent en un tendre sourire lorsqu’il réalisa que Meredith dormait à ses côtés, la tête au creux de son bras. Tout lui revint en mémoire d’un coup : le coup de fil de la jeune fille, leur conversation sur ses études qui avait très rapidement débouché sur ses problèmes avec Derek, la vieille tante qui était venue hurler dans le couloir, Frances et ses mauvaises nouvelles… Mark eut la gorge serrée à la pensée de sa grand-mère qui menait son dernier combat contre la mort, attendant de le revoir pour rendre les armes. Lors de sa dernière conversation avec elle, il avait bien senti que la vieille dame était lasse de la vie et que seule l’idée de le laisser la retenait encore. Bien sûr, il savait que cette fin était inéluctable mais il aurait aimé pouvoir la reculer. Etre chirurgien de classe mondiale et ne rien pouvoir faire pour sauver la seule personne de sa famille qui comptait encore pour lui, quelle ironie ! Sentant les larmes lui monter aux yeux, il s’absorba dans la contemplation de la jeune fille qui dormait toujours profondément. Finalement, c’était une chance qu’il ait reçu ce terrible appel ici, quand il était avec elle. Cette douleur qu’il avait ressentie, il n’aurait voulu la partager avec personne d’autre, même pas Derek qui, pourtant, avait toujours été l'unique confident de ses faiblesses. Et lui, l’homme tellement orgueilleux, tellement fier de prétendre qu’il n’éprouvait aucun sentiment, ne regrettait pas une seconde de s’être laissé aller à pleurer devant cette fille. Il aurait aimé rester là, avec elle, jusqu’à la fin de la nuit, mais ce n’était pas possible. Il fallait qu’il quitte cette maison rapidement, avant le retour des deux autres locataires. Inutile d’alimenter leurs commérages. Prenant garde de ne pas bousculer Meredith, il dégagea son bras de dessous sa tête. Une fois debout, il grimaça. Sa tête était en train de lui rappeler que tequila et whisky ne faisaient pas bon ménage. Il se pencha et, après avoir soigneusement enveloppé son amie dans la couverture pour qu’elle ne prenne pas froid, il la souleva délicatement, avec précaution, la prenant contre lui pour que sa tête repose contre son torse. Il sortit de la pièce et emprunta lentement les escaliers qui menaient à l’étage, faisant attention à ne pas faire de mouvements brusques. Par chance, la porte de la chambre de Meredith n’était pas totalement fermée. Il n’eut qu’à la pousser légèrement du pied pour qu’elle s’ouvre. Il déposa son amie sur le lit, en soutenant sa tête jusqu’à ce qu’elle repose sur l’oreiller, dégageant ses cheveux vers l’arrière, avant de remonter la couette sur elle en la passant un peu sous ses bras pour qu’elle ne bouge pas, et finalement s’asseoir au bord du lit pour s’offrir l’infime plaisir de la regarder dormir. Il s’était toujours cru à l’abri de tout sentiment amoureux mais elle était arrivée et maintenant, il n’avait plus d’autre certitude que son amour pour elle. Mais elle en aimait un autre, il ne pouvait plus en douter. Alors, elle ne saurait jamais rien de ce qu’il éprouvait pour elle. Il resterait son ami dévoué. Après quelques minutes d’une fervente contemplation, il redescendit au rez-de-chaussée pour trouver de quoi écrire. Après avoir pris un stylo dans la poche de sa veste et un morceau de papier qui traînait sur la table, il s’assit et, l’oreille tendue pour écouter les bruits extérieurs, commença à rédiger. Mer, je te remercie d’avoir été là pour moi, ce soir. Je n’ai pas l’habitude de jouer les chochottes et pour une fois que ça m’arrive, il faut que ce soit avec toi. Pour Derek, ne t’en fais pas. Il n’est pas très fort pour exprimer ses sentiments, ça ne signifie pas qu’il n’en éprouve pas. Il faut juste que tu lui laisses un peu de temps. Sois patiente et ça se passera bien, je te le promets. Et puis, n’oublie pas, je serai toujours là pour toi. Je t’embrasse, ma Mer. A tout à l'heure. Il remonta à la hâte et pénétra une fois encore dans la chambre, s’avançant vers le lit où la jeune fille n’avait pas bougé d’un pouce. Après l’avoir encore regardée un moment, le cœur gonflé d’une tendresse infinie, il déposa son message sur la table de chevet et se pencha pour poser un baiser sur le front de Meredith. Au rez-de-chaussée, il repassa par le living pour réveiller le chien et reprendre les plats chinois auxquels ils n’avaient même pas touché. C’est le cœur lourd qu’il quitta la maison, suivi par Murphy qui remuait frénétiquement la queue.


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  • Un bruit de portes qui claquent réveilla Meredith. Elle mit quelques secondes à réaliser qu'elle était dans sa chambre, ce qui l'étonna parce que dans son dernier souvenir, elle était au salon, veillant sur le sommeil de son ami Mark. Elle en déduisit qu'elle s'était endormie, elle aussi, et que Mark l’avait portée jusqu'à son lit avant de rentrer chez lui. Curieusement, elle se sentit un peu désappointée qu’il ne soit plus là. Elle aurait aimé poursuivre leur conversation. Outre le fait qu’elle avait eu l'impression que parler de sa grand-mère avait fait du bien à Mark, comme si évoquer tous les bons moments qu’il avait vécus avec elle la retenait encore un peu sur cette terre, elle appréciait énormément ces moments de complicité où il se confiait à elle. Compte tenu du goût qu'il avait habituellement pour le secret quand il s'agissait de sa vie privée, elle considérait ces rares confidences comme un réel privilège. Mais surtout – et vu le contexte, elle avait un peu honte de se l’avouer – en l’écoutant parler de son enfance, elle avait eu le sentiment de découvrir un peu celle de Derek. Bien sûr, ce n’était pas parce que les deux hommes étaient amis qu’ils avaient vécu les mêmes expériences, mais tout de même, ils avaient grandi ensemble et sur certains points, leurs caractères n’étaient pas si différents, de ce qu’elle pouvait en juger. Alors, de là à imaginer que leur enfance avait été similaire, il y avait un pas qu’elle franchissait allègrement. Pourquoi Derek était-il aussi secret sur tout ce qui le concernait ? Qu’avait-il vécu qui l’avait fait autant souffrir pour que, des années plus tard, il refuse encore d’en parler ? Des quelques rares confidences auxquelles il s’était laissé aller, Meredith en avait conclu qu’il avait vécu des moments difficiles au sein de sa famille. Un drame même probablement, qui l'avait probablement amené à couper tous les ponts avec les siens. Mais quel drame ? Qu’est-ce qui pouvait conduire un homme à prendre une telle décision et, surtout, à ne jamais la regretter ou la remettre en question ? Elle aurait tant aimé en savoir plus. Lui vint soudain l’idée que peut-être, si Derek se retrouvait dans la même situation que Mark, sur le point de perdre l’un des siens, il laisserait tomber sa garde et se confierait à elle. Elle rougit d’avoir eu une si vilaine pensée. Depuis quand souhaitait-elle le malheur des gens pour satisfaire sa curiosité ?

    Elle repoussa sa couette d’un geste brusque et s'assit au bord du lit. C’est alors qu’elle remarqua le bout de papier griffonné que Mark avait déposé sur la table de chevet. Au fur et à mesure qu'elle le lisait, ses lèvres s'étirèrent en un doux sourire. Mark, l’ami fidèle qui, malgré ses problèmes personnels, pensait à elle et ses petites angoisses somme toute assez futiles. Evidemment, sa relation avec Derek n’était pas parfaite mais aucune relation ne l’était. Elle pouvait déjà s'estimer heureuse de ne pas être seule. Elle relut le message de son ami et eut l’impression que ce dernier cherchait à lui faire passer un message. Il lui avait souvent répété qu’il se refusait à parler au nom de Derek. Mais tout de même, pour affirmer avec autant d'assurance que tout se passerait bien avec lui si elle savait attendre, c’est qu’il devait être au courant de certaines choses. Peut-être que Derek avait été plus franc avec Mark qu’avec elle. Elle plia soigneusement le papier et le glissa dans le tiroir de sa table de chevet avant de filer sous la douche où elle resta un long moment comme si l’eau qui coulait sur elle avait le pouvoir d’effacer ses doutes et ses peurs.

    Quand elle fut prête, elle descendit au salon où elle récupéra son téléphone. Elle vérifia immédiatement que Derek n'avait pas cherché à la joindre. Constater qu'il n'y avait aucun message, même pas un texto, angoissa la jeune fille. Se pouvait-il qu'il lui en veuille autant seulement parce qu'elle avait refusé de passer la soirée avec lui ? Va falloir qu'on discute sérieusement, mon coco ! se dit-elle en prenant le chemin de la cuisine où elle retrouva les filles attablées devant leur petit-déjeuner. Le souvenir des moqueries de la veille accentua sa mauvaise humeur et c'est du bout des lèvres qu'elle répondit au salut de ses camarades. Elle sirota son jus d'orange debout, adossée à une armoire, les yeux dans le vide. Le silence était tellement pesant que son estomac se noua à l’idée du voyage en voiture jusqu’à la boutique, qui s’annonçait tout aussi morose. Elle eut envie d'en finir au plus vite parce qu'une fois sur place, elle aurait de quoi s'occuper. Allez, on y va, lança-t-elle sur un ton péremptoire. On a du boulot qui nous attend.

    Cristina et Izzie échangèrent un regard étonné mais la suivirent sans rechigner. Elle a l'air de mauvais poil, chuchota Izzie à sa complice. A mon avis, elle s'est disputée avec Derek.

    Ou avec l'autre, objecta Cristina. C’est que madame se partage maintenant.

    Izzie pouffa de rire. T'es bête ! En tout cas, elle tire une de ces tronches !

    Tant qu’elle ne m’emmerde pas, ni ses toutous non plus, je m’en moque totalement, déclara Cristina en prenant les clés de voiture qui gisaient sur le guéridon du hall.

    Alors, tes études, ça avance ? lança Izzie à l'intention de Meredith qui les attendait déjà à côté de la vieille Ford.

    Ça va, répondit simplement la jeune fille. Elle s'installa sur la banquette arrière en espérant s'y faire oublier jusqu'à ce qu'elles arrivent à destination. Cependant, elle ne put s'empêcher de faire une remarque lorsque Cristina, en manœuvrant pour sortir de son emplacement, percuta légèrement l'arrière de la voiture qui était garée devant la leur. Hé ! Fais attention ! N'oublie pas que c'est la voiture de ma tante, lança-t-elle sur un ton acerbe. En réalité, elle ne s'inquiétait nullement pour l'état du véhicule d'autant que la faiblesse du choc n'avait pas pu causer de grands dégâts. Elle était simplement contente d'avoir une occasion de faire la leçon à Cristina qui ne manquait jamais de la rabaisser quand elle le pouvait.

    Cristina se retourna vivement vers elle. Si t'es pas contente, t'as qu'à conduire toi-même. Elle se frappa la tempe avec le plat de sa main. Ah mais que je suis bête ! C'est pas possible parce que tu ne sais pas conduire. Ça veut aller à l'université et ça n'a même pas été foutue de passer son permis, marmonna-t-elle en faisant marche arrière.

    Effectivement, Meredith n'avait jamais appris à conduire, bien que son grand-père lui ait proposé d’être son moniteur le jour même de ses seize ans. Son manque de confiance en elle et sa peur de l'échec l'avaient amenée à repousser cette offre et toutes celles qui avaient suivi pendant presque cinq ans, déclenchant à chaque fois des disputes homériques entre elle et son aïeul. Oh mais ne t'en fais pas, ça fait partie de mes projets, très bientôt même, répliqua-t-elle sans réfléchir, juste pour le plaisir de damner le pion à sa camarade, avant de réaliser que maintenant, elle allait devoir tenir sa promesse sous peine de passer encore une fois pour une dégonflée.


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  • Après avoir jeté un dernier coup d’œil au reflet de son visage dans le rétroviseur intérieur, Derek sortit de la Porsche. Il se dirigeait vers l’entrée de la clinique lorsqu’un klaxon retentit derrière lui. Il poussa un profond soupir en reconnaissant le son caractéristique de l'avertisseur du Hummer. Mark faisait partie des deux personnes qu’il n’avait pas du tout envie de voir ce matin-là mais il ne put faire autrement que de l’attendre, espérant être suffisamment retors pour que son meilleur ami ne devine rien de ses coupables activités nocturnes. S’il y avait bien une chose qui ne le tentait pas, c’était de se perdre dans des discussions et justifications sans fin et si Mark devinait quoi que ce soit, vu la relation d’amitié qu’il avait développée récemment avec Meredith, il ne lui épargnerait pas ses commentaires désobligeants, c’était plus que certain.

    Alors que Mark marchait vers lui, Derek remarqua sa mine abattue et son regard où ne brillait pas la moindre parcelle d'énergie. Eh ben ! T’en fais une tête ! Ça ne va pas ? s’inquiéta-t-il, se disant dans le même temps que faire parler Mark de lui l’empêcherait peut-être de prêter attention à autre chose. Tu as des ennuis ou c’est une fille qui te donne du fil à retordre ?

    Les deux, pensa Mark en serrant la main que lui tendait Derek. Il avait passé une nuit vraiment épouvantable, écartelé entre sa tristesse pour Momsy, la peur qu’il ne lui arrive quelque chose avant qu’il ait pu la revoir, et des rêves où il s’était vu embrassant et faisant l'amour à Meredith. Non, ce n’est pas ça, répondit-il. C’est ma grand-mère. Sa dame de compagnie m’a téléphoné hier soir pour me dire qu’elle avait fait un nouvel infarctus et… La voix de Mark se cassa. On dirait bien que c’est la fin, cette fois.

    Oh merde ! Je suis désolé, mon vieux, compatit Derek en posant une main sur l’épaule de son ami. Je sais à quel point toi et ta grand-mère vous êtes proches. Il eut un sourire attendri. Momsy ! On lui en a fait voir tous les deux, hein ? Il me semble que c’était hier qu’on allait passer nos vacances à l’hacienda. Il vit la mine dévastée de Mark et cessa d’évoquer ses souvenirs. On a encore un peu de temps devant nous, constata-t-il en regardant sa montre. Ça te dirait un petit café ?

    Mark acquiesça d'un signe de tête. Ouais, ça ne peut pas me faire de tort. Depuis son réveil, il était pressé de revoir Meredith, pour la remercier d’avoir été l’oreille compatissante dont il avait eu besoin la veille. Il l’avait déjà fait par l’intermédiaire de son message, certes, mais cela ne lui semblait pas suffisant. Il voulait le faire de vive voix et s’était promis de se rendre à la boutique dès qu’il en aurait l’occasion. Et voilà que c’était Derek qui la lui donnait. C’était bien là le hic. Mark connaissait assez son ami pour savoir quelle serait sa réaction quand il apprendrait qu’après avoir refusé de le voir, Meredith avait passé la soirée avec un autre. Et invoquer leur amitié ou prétexter qu’il n’avait été qu’une roue de secours n’aiderait en rien. La jeune fille en prendrait pour son grade de toute façon. Mark décida donc de ne pas rajouter aux problèmes de son amie et de garder le silence sur sa visite improvisée de la veille. Dans ce cas, il devait trouver un moyen de la prévenir avant qu’elle ne commette une gaffe.

    Derek poussa doucement Mark pour le faire avancer. Allez, viens, on va aller se prendre un petit-déjeuner et tu me raconteras ta vie. Ça fait longtemps qu’on ne s’est plus vraiment parlé, nous deux. Tant que Mark lui confierait ses malheurs, il ne penserait pas à autre chose et ils éviteraient ainsi d’évoquer le sujet favori de ces dernières semaines. Meredith ! Qu’est-ce que tu dirais d’une bonne omelette à la Miranda ? proposa-t-il sur un ton faussement guilleret.

    Mark pila net et regarda son ami avec étonnement. Miranda ? Pourquoi Miranda ? On ne va pas au Sweet Dream ?

    Eh bien, j’avais pensé… Derek chercha ses mots pour ne pas éveiller les soupçons de son ami. On pourrait peut-être changer pour une fois. L’omelette me fait vraiment envie.

    Ben, il y a des omelettes chez Meredith, aussi, fit remarquer Mark. Il ne comprenait pas ce revirement soudain de Derek qui, depuis des semaines, ne voulait plus aller déjeuner ailleurs que chez sa petite amie.

    Oui, bien sûr mais chez Meredith, il y aura aussi les autres, la blonde, la mégère. Et maintenant Alex en plus. Derek fit une moue. Pas franchement idéal pour discuter tranquillement.

    Depuis quand tu te préoccupes de ça, toi ? s’étonna Mark. Je m’en fous, moi, de ces gens-là. Et puis, t’imagines, Meredith ? Qu’est-ce qu’elle va penser si elle nous voit passer devant sa boutique pour aller bouffer chez la concurrence ? Elle va penser que c’est moi qui veux l’éviter, se dit-il. Parce que je suis gêné d’avoir pleuré devant elle, ou que sais-je. Super comme remerciement ! Il hocha la tête. On ne peut pas ne pas aller chez elle, Derek, reprit-il à voix haute. Il n’y a aucune omelette au monde qui vaille qu'on lui fasse de la peine.

    A court d’arguments, Derek renonça à insister pour ne pas éveiller les soupçons de son ami. Oui, tu as raison. Je ne sais pas où j’avais la tête. Allons chez Meredith. Ce fut avec des pieds de plomb qu’il recommença à marcher, sentant déjà le malaise l’envahir. La perspective de revoir Meredith, après ce qu’il avait fait cette nuit avec une autre, ne le réjouissait pas et il ne savait pas du tout quel comportement adopter pour que la jeune fille ne se doute de rien, devinant que de toute façon, quel que soit son choix, il serait dans l’excès.


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  • Meredith était sur la terrasse en train de prendre une commande lorsqu’elle aperçut Derek et Mark qui se dirigeaient vers la boutique. L'expression fermée du premier la frappa et elle pensa qu’il était au courant de la visite de Mark chez elle la veille. Il n’avait certainement pas apprécié d'apprendre qu’elle avait passé la soirée avec leur ami, alors qu’elle avait refusé de le voir, lui. Elle n’avait rien fait de mal, pourtant elle s’en voulut de ne pas avoir pensé à demander à Mark de rester discret à ce sujet. Elle ne se sentait pas de taille à subir une scène de jalousie, et encore moins en public. Feignant de ne pas les avoir vus, elle leur tourna le dos, comme si cela suffirait à retarder le moment où elle devrait faire face à la colère de son amant.

    Derek écoutait distraitement Mark lui raconter ce que la dame de compagnie de sa grand-mère lui avait dit. Il était en fait tout entier tourné vers Meredith avec laquelle le moment de la confrontation était imminent. Il aurait donné n’importe quoi pour se trouver ailleurs. Quelle idée avait-il eue de proposer un petit-déjeuner à Mark ! Comme s’il n’était pas évident que ce dernier insisterait pour venir le prendre au Sweet Dream !

    Tout en parlant, Mark ne quittait pas la jeune fille des yeux, l’observant en train de parler à ses clients avant de passer à la table voisine pour la desservir. Il fallait absolument qu’il arrive à la prévenir que Derek n’était au courant de rien avant qu’elle ne fasse une quelconque allusion à leur entrevue de la veille. Il ne voulait certainement pas être à l’origine d’une dispute entre eux. Salut, ma belle ! lança-t-il alors qu’il se trouvait à quelques pas d’elle.

    Meredith se retourna et fit semblant de les découvrir. Oh, vous êtes là ! Elle se jeta aussitôt dans les bras de Derek. Par-dessus son épaule, elle vit Mark agiter rapidement une main de droite à gauche, l’index levé en l’air, tout en remuant les lèvres. Je n’ai rien dit pour hier, réussit-elle à y lire, juste avant qu’il ne mette son index devant la bouche pour lui faire comprendre qu’il valait mieux garder le silence à ce sujet. Soulagée, elle lui sourit.

    Derek l'avait prise maladroitement par la taille pour lui déposer un baiser sur la tempe. Il se sentait gauche et encore plus mal à l'aise que quelques minutes auparavant. Il aurait aimé pouvoir la serrer contre lui, l’embrasser fougueusement comme il le faisait d’habitude, mais il n’osait pas de crainte qu’une trop grande proximité ne permette à la jeune fille de deviner ce dont il était coupable. Les femmes avaient de ces instincts parfois ! De la sentir tout contre lui lui confirma, si besoin était, que ce qui s'était passé, la veille, dans cette chambre d’hôtel, n’avait rien changé. Il était toujours ce même imbécile en proie aux affres de l’amour. Enervé par cette faiblesse, il s’écarta rapidement de son amie en lui désignant Mark. Je te l’ai amené parce qu’il a besoin de réconfort. Les nouvelles de sa grand-mère ne sont pas très bonnes. Elle a eu une nouvelle alerte, assez sérieuse. Enfin, voilà…

    Evidemment, Meredith fit celle qui ignorait tout. Elle s’avança vers Mark et le serra dans ses bras. Je suis tellement désolée, murmura-t-elle en l’embrassant sur la joue. Mark l’enlaça étroitement pour lui rendre son baiser et la maintint quelques minutes contre lui. Malgré la tristesse qui noyait son cœur, il se sentit plus léger, comme si le simple fait d’être avec elle soulageait sa peine. Merci, chuchota-t-elle à son oreille, de telle manière qu’il n’y ait que lui qui l’entende. Je savais que je pouvais compter sur toi. Craignant que leur enlacement prolongé ne paraisse suspect, il la lâcha et lui sourit tendrement, préférant se taire que de dire une banalité qui aurait gâché le moment.

    Tu peux t’occuper de nous ? demanda Derek, toujours aussi nerveux.

    Bien sûr ! Meredith leur désigna la table qu'elle venait de débarrasser. Installez-vous ici. Qu'est-ce que vous avez envie de manger ?

    Ton mec a envie d'une omelette, signala Mark. Et pour moi, n'importe quel truc sucré fera l'affaire.

    Non, pas d'omelette, finalement, déclara Derek dont le peu d'appétit avait maintenant totalement disparu. Je vais prendre la même chose que toi. Et du café. 

    Très bien, je vais vous chercher ça. Meredith rentra dans la boutique en bénissant Mark d'avoir gardé le silence sur leur soirée. Il lui avait sans doute évité le pire. A la façon dont Derek venait de l’embrasser, pas aussi chaleureuse que d’habitude, elle avait compris qu’il lui en voulait encore. Elle n'osait pas imaginer sa réaction s’il avait appris qu’elle avait passé la soirée avec Mark !

    Assis à la table qu’elle leur avait choisie, Derek regarda sa montre. Malheureusement, je n’ai pas beaucoup de temps ce matin, annonça-t-il à Mark. Ça va être une journée d’enfer. Il aurait donné n’importe quoi pour être à des milles d’ici. Il détestait le mensonge et se sentait mal d’y être obligé. Pour se donner une contenance, il prit le set de table en papier à l’enseigne de la boutique et commença à le rouler entre ses doigts, à le déplier, pour finalement entreprendre de le déchirer en petits morceaux. Dans une heure, j’ai la tournée des patients et puis, une craniotomie. Après, j’ai une réunion avec Richard. Et je crains que cet après-midi ne soit guère plus calme.

    Pendant que son ami monologuait, Mark observait, à travers la vitre, Meredith qui préparait leur plateau. Elle semblait tellement lasse qu’il s’en inquiéta. Il se tourna vers Derek. Tu ne trouves pas qu’elle a une petite mine ?

    Qui ?

    Mark haussa les yeux vers le ciel. Ben, Meredith, bien sûr ! Qui veux-tu ?

    Derek ne leva même pas la tête des détritus de papier qui commençaient à encombrer la table. Non, elle m’a semblé très bien. Comme d’habitude, quoi !


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