• Un instant, Derek fut tenté de demander à Meredith, une fois encore, de l'autoriser à venir la voir, ne fut-ce qu’une heure ou deux. Mais, pétri d’orgueil, il s’abstint. Si elle ne voulait pas passer un peu de temps avec lui, eh bien, tant pis, il se ferait une raison. Il n’allait pas se mettre à la supplier tout de même. Mais au moment même où il se disait cela, il sentit l’amertume l’envahir. Il ne dit plus que quelques banalités avant de prétexter du rangement, lui aussi, pour mettre fin à la conversation.

    Après avoir ruminé ses ressentiments, il décida de finalement défaire ses bagages. Tout plutôt que cette inaction. Pourtant, après avoir enlevé deux pulls et un pantalon, il laissa tout en plan, incapable de se concentrer sur autre chose que Meredith. Il commença à tourner en rond dans sa demeure, passant de pièce en pièce, laissant sa main traîner sur les meubles, les yeux perdus dans le vague, pour revenir finalement dans le salon et s’affaler dans le fauteuil, les pieds sur la table basse. Il se sentit désœuvré, triste, vide, sans but et il détesta cela. Cela ne lui ressemblait pas. Mais il y avait quelque temps qu’il ne reconnaissait plus l’homme qu’il était devenu et la cause en était évidente : Meredith. En quelques mois, cette fille avait pris une importance qu’il ne pouvait plus se cacher.

    Les évènements avaient pris une tournure à laquelle Derek ne s’attendait pas du tout lorsqu’il avait entamé cette relation. Bien sûr, dès le début, il avait eu une tendresse particulière pour Meredith, il ne fallait pas se mentir. La jeunesse de la jeune fille, sa fraîcheur, son inexpérience dans bien des domaines, sa naïveté, son désintérêt total l’avaient séduit. Mais de là à en arriver au point où il en était, il y avait un pas qu’il n’avait jamais pensé franchir. Parce que ce qui, au début, devait être une relation libre et sans contrainte, s’apparentait de plus en plus à quelque chose d’établi et de sérieux. L'envie constante qu'il avait de la voir, d’être avec elle, ce désir sans cesse renouvelé, et même, de plus en plus fort, la responsabilité qu’il pensait avoir envers elle, lui qui ne souciait jamais de rien ni de personne, cette inquiétude permanente à son sujet, toutes ces questions qu’il se posait… Non, ce n’était pas lui, ça. Encore que ce n’était pas le pire ! Le pire, c’était tous ces petits détails qui, lorsqu’il y pensait, lui faisaient froid dans le dos, à commencer par ces noms tendres qu’il lui donnait, comme bébé ou ma chérie. Ma chérie ! Cela lui était venu tellement naturellement qu’il comprenait maintenant que ce n’était que l’expression de ses sentiments. Oui, il chérissait cette fille, c’était bien là le problème ! Voilà pourquoi sans doute il s’était retrouvé, après l’agression dont elle avait été la victime, à vivre avec elle, comme un vrai couple, partageant la même maison quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l’amenant avec lui à la clinique, et surtout, surtout, renonçant aux plaisirs du sexe. Car, pour elle, il avait accepté de ne plus faire l’amour pendant quinze jours et il était conscient que, si elle le lui avait demandé, il aurait pu attendre encore plus longtemps, sans que cela lui coûte trop. Mais ce qui l’épouvantait le plus, c’était le choix qu'il avait fait délibérément et en toute connaissance de cause, de faire l'amour sans se protéger. Le désir qu’il avait pour elle était tellement fort qu’il en avait balayé tous ses principes. Faire l’amour avec elle, sans préservatif, avait été une des expériences les plus fortes de sa vie. Et depuis, il ne rêvait que d’une chose, la renouveler. Même la crainte qu’il avait éprouvée le lendemain, à l’idée qu’elle puisse être enceinte, ne suffisait pas à l’en dissuader. De toute façon, quand il y réfléchissait posément, il réalisait que si cela avait été le cas, il serait resté à ses côtés, alors que pour n'importe quelle autre fille, il n’aurait pas voulu en entendre parler et aurait fui. Jamais, il n’aurait pu abandonner Meredith à son triste sort, quelle que soit sa décision. Cette idée était effroyable parce qu'elle remettait en cause toutes les résolutions qu’il avait prises des années auparavant et sur lesquelles il n’avait jamais pensé revenir.

    Le fait est que cette nuit-là, au bord de la piscine, il avait retrouvé des sensations qu’il croyait à jamais disparues et si, pour Meredith, cela avait été comme une renaissance, cela en avait une pour lui aussi, il s’en rendait compte maintenant. Avec elle, il avait l’impression de redevenir humain. C’était comme s’il s’était à nouveau ouvert aux sentiments, et peut-être même d'une façon totalement inédite. C’est sans doute pour cela qu’à un moment, tandis qu’il la possédait, il avait senti monter en lui des mots qu’il n’avait jamais prononcés. Mon amour, murmura-t-il soudain d’une voix presque inintelligible. Il frissonna et ferma les yeux, atterré par ce qu’il avait réussi jusqu’à maintenant à se cacher mais qui, là, lui apparaissait comme une évidence. Il était en train de tomber amoureux de cette fille ! Ou plutôt non. Inutile de se cacher la vérité plus longtemps. Amoureux, il l’était déjà depuis un moment, depuis le début même peut-être, quand pour la toute première fois il l’avait emmenée à la clinique pour l'examiner après sa chute et qu’il avait remarqué l’éclat de ses yeux sous l’effet de la colère. Ou bien, quand il l’avait vue métamorphosée, dans sa robe de bal, le soir du gala, et qu’il l’avait embrassée sur la terrasse. Ou encore à Cloverdale, dans ce motel minable où elle avait joui pour la première fois sous ses caresses… Il renonça rapidement à passer en revue les moments qui avaient pu être décisifs. Peu importe quand cela était arrivé ! Toujours est-il qu’il l’aimait. Il l’aimait vraiment. Il retira les pieds de la table et s’assit normalement, les poings serrés, la mâchoire contractée, les yeux grands ouverts où se lisait l’effroi qu’il ressentait. Non, non, je ne peux pas, chuchota-t-il, la voix chevrotante. Je ne veux pas, dit-il plus fort comme pour affirmer sa détermination. Il se leva pour se servir un grand whisky et fut choqué de voir trembler ses mains pendant qu’il versait l’alcool dans son verre. Il se détesta d’être aussi faible. Voilà pourquoi il avait décidé, des siècles auparavant, que cela ne lui arriverait plus. Il avait tout mis en œuvre pour cela, élevé des barrières, forgé une carapace, durci son caractère… Il s’était fermé à l’amour, à tout jamais et il était hors de question de revenir en arrière. Il ne laisserait plus jamais personne lui infliger les souffrances qu’il avait jadis endurées.

    Il regarda autour de lui et, soudain, cette péniche, ce calme, ce silence, et lui au milieu, comme un con empêtré dans ses sentiments, tout lui parut insupportable. Il ne pouvait pas rester là, à gémir et pleurer sur son sort. Il avait un problème, c’était certain, mais il allait le résoudre, et pas plus tard que tout de suite. Il avait laissé la jeune fille prendre trop de place dans son existence. Il allait donc reprendre celle-ci en main. Et puis, il ne pouvait pas avoir changé tant que ça. Derek Shepherd, celui qu’il s’était construit, était toujours là, au fond de ses tripes, et toutes les Meredith du monde n’y pourraient jamais rien. Il fallait mettre fin à cette guimauve. Il but son whisky en une gorgée, attrapa sa veste et ses clefs de voiture et sortit à la hâte de la péniche, pour partir en courant vers la Porsche, pressé maintenant de retrouver sa vie d'avant.


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  • Son manuel de biologie ouvert sur les genoux, Meredith essayait de mémoriser les différents composants de l'ADN et leurs propriétés quand Cristina et Izzie, toutes pimpantes, déboulèrent dans le salon en riant. Cristina prit un air moqueur en voyant Meredith qui était penchée sur son livre. Chut ! dit-elle à voix basse à Izzie, en mettant un doigt sur sa bouche. Notre intello étudie ! Même si elle ne pige rien de ce qu'elle lit, laissons-la croire qu'elle va devenir la prochaine Marie Curie. Ignorant le regard sombre que lui jetait l'intéressée, elle s'empara du manuel qui trainait sur le canapé. Physique. Woaw, ambitieux ! Elle releva le regard et lut le titre du livre que Meredith tenait entre les mains. Biologie. Elle eut un sourire mauvais. Fréquenter des toubibs, ça donne des idées à ce que je vois. Izzie pouffa de rire.

    Ça n’a rien à voir, se défendit Meredith tout en se reprochant de se sentir obligée de se justifier. Elle aurait aimé avoir la force de répondre aux provocations de ses amies par le mépris mais elle n'y arrivait pas, sans doute parce qu'il s'agissait de ses amies justement, pour autant qu'elles méritent encore ce nom.

    Qu'est-ce que tu comptes faire avec tous ces bouquins de science ? questionna Izzie, dont la perplexité se lisait sur son visage.

    Pour entrer à l’université, il faut passer le S.A.T., je te rappelle, répliqua Meredith, agacée. Et comme ça fait un moment qu'on a quitté le lycée, j’ai oublié pas mal de trucs. Donc, il faut que je révise.

    Cristina prit un air supérieur. Déjà que tu n’étais pas douée à l’époque… Je crains le pire.

    Meredith la fusilla du regard. N’empêche que, de nous trois, c’est moi qui avais eu le meilleur résultat au S.A.T.

    Mais tu l'avais pas passé en sciences, fit remarquer Izzie. Meredith confirma d’un hochement de tête. Alors, pourquoi maintenant ? s’enquit Izzie

    A nouveau, Meredith préféra éluder la question. Je ne sais pas encore vraiment ce que je veux faire, alors je ne me mets pas de limites. Il faut que toutes les chances soient de mon côté.

    C’est pas gagné ! persifla Cristina en lui arrachant le manuel de biologie des mains.

    Je le sais, ça, mais merci de me le rappeler ! riposta Meredith.

    Oh moi, pour ce que j’en dis… Cristina se mit à feuilleter rapidement le livre en sifflotant un air joyeux.

    Izzie écarquilla soudain les yeux, comme si elle venait d’avoir une révélation. C'est ça, le rêve que tu voulais réaliser en venant ici ? C'est l'université ? Meredith opina de la tête.

    Cristina s'esclaffa. Ah là, c’est même plus un rêve, c’est carrément un fantasme ! Mais comme on dit, il vaut parfois mieux ne pas réaliser ses fantasmes de peur d’être déçu. Elle arrêta de tourner les pages du manuel. Eh bien, voyons où tu en es dans tes études. Rappelle-nous ce qu'est une mitochondrie. Meredith haussa les épaules et Cristina ricana. T'en es pas encore arrivée là, je suppose. Elle jeta le manuel de biologie sur le canapé et prit l’autre livre. Alors, passons à la physique. Elle ouvrit le manuel au milieu. Le principe d'inertie, tu peux nous expliquer ? Meredith leva les yeux au ciel. Ah ça non plus, s'exclama Cristina avec un air triomphant. Le manuel de physique suivit le même chemin que celui de biologie. T'es mal barrée, ma pauvre fille. J'imagine que ce sont tes nouveaux amis qui t'ont bourré le crâne avec leurs idées de snobinards mais ils ne te connaissent pas comme nous. On sait bien ce que ça va donner. Tu vas perdre ton temps pour rien du tout. Tu as déjà un bon boulot, tu ferais mieux de t'investir à fond dedans et d'oublier toutes ces conneries. Notre boutique, c'est ton avenir ! Comme Meredith restait muette, Cristina se tourna vers Izzie. On y va ? Autrement, on va être en retard. Elles sortirent de la pièce en faisant des messes basses.

    Meredith resta immobile, le regard embué de larmes. En quelques phrases, tous les efforts qu’elle avait faits ces derniers temps pour avoir confiance en elle et croire qu’elle avait un avenir venaient d’être saccagés. Elle s’en voulait de se laisser encore influencer par Cristina mais celle-ci savait où appuyer pour que cela fasse mal. Et maintenant, Meredith se sentait à nouveau totalement dépassée. Elle avait tellement de lacunes en sciences, comment surmonter ça ? Elle regarda avec découragement les manuels qui gisaient dans le canapé en regrettant de ne pas avoir accepté l’invitation de Derek. Elle eut soudain envie d’entendre sa voix. Elle saisit son téléphone et composa en tremblant le numéro de son petit ami, sachant déjà qu’elle ne lui raconterait pas la scène qui venait d’avoir lieu pour éviter qu’il ne lui reproche, à juste titre d’ailleurs, de ne toujours pas être capable de faire abstraction des méchancetés gratuites proférées par ses soi-disant amies. Elle tomba directement sur la boite vocale de Derek. Désappointée, elle ne prit pas la peine de laisser un message. Elle s’affala dans le canapé, se blâmant encore une fois d’avoir repoussé l’offre de son amant. Et tout ça pour quoi ? Pour s’occuper de sa tante qu’au final, elle avait à peine vue parce qu’Ellis s’était retirée dans sa chambre après le départ de Gloria et qu’elle n’en était plus sortie depuis. Quant à essayer de renouer les liens avec les filles, il était désormais évident que c’était peine perdue. Meredith avait maintenant la certitude que leur amitié d’antan était morte. Tout s’était bien passé tant qu’elle était restée à leur niveau mais une fois qu’elle avait manifesté la volonté de prendre son envol, Cristina et Izzie lui avaient révélé certains aspects de leur personnalité qui l’avaient énormément déçue et sur lesquels, elle le savait, elle ne pourrait pas passer. L’idée qu’elles allaient devoir continuer à cohabiter dans cette maison la démoralisa un peu plus. Son regard tomba sur la desserte qui faisait office de bar. Sans trop savoir pourquoi, elle alla se camper devant et prit la bouteille de tequila qui était au milieu des autres bouteilles d’alcool. Après s’être servi un verre qu’elle vida d’un trait, elle emmena la bouteille dans le canapé avec l’intention de recommencer à étudier. Cependant, elle ne parvint pas à se concentrer sur la matière parce qu’elle ne faisait que penser à Derek et au fait qu’il n’était pas disponible alors qu’elle avait besoin de lui. N’y tenant plus, elle le rappela mais comme la première fois, elle tomba directement sur la messagerie. Frustrée, en colère – elle aurait dû accepter de sortir avec lui au lieu d’avoir des états d’âme stupides – elle se resservit un deuxième verre de tequila qu’elle but cul-sec avant de reprendre son téléphone. 


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  • Derek arrêta sa voiture devant l’entrée de l’hôtel Sir Francis Drake, dans un crissement de pneus qui firent se retourner vers lui toutes les personnes présentes dans la rue. Vous n’avez jamais entendu une Porsche, bande de connards, grogna-t-il en coupant le moteur. Il sortit de son bolide et leva les yeux vers l’établissement. Il y avait une éternité qu’il n’était plus venu ici. Il était temps de renouer avec les anciennes habitudes. Dans le hall, il se dirigea tout droit vers le bar et alla s’installer au comptoir, où le barman, qui l’avait reconnu, lui servit d’emblée un double scotch single malt. Avant même de l'avoir pris en main, Derek en commanda un autre. Il était là pour tout oublier et l'alcool allait l'y aider. Après avoir bu ses deux verres coup sur coup, Derek regarda autour de lui, constatant que l’endroit n’avait pas changé. Il avait toujours apprécié ce décor des années ’20 où le San Francisco chic aimait se retrouver. Outre que l’endroit était élégant et discret, il était également idéal pour faire des rencontres. Beaucoup de femmes seules y venaient dans l’espoir d’y trouver l’âme sœur ou l’amant d’un soir. Cela avait été longtemps le terrain de chasse du chirurgien et ce soir, il revenait sur ses terres.

    Meredith n’allait plus lui prendre la tête très longtemps. Certes il l’aimait, plus qu'il n'avait jamais aimé personne, mais il était résolu à ne plus laisser ses sentiments prendre le pas, et pour cela, il allait appliquer une méthode qui avait déjà fait ses preuves. Son verre à la main, il fit pivoter son tabouret vers la salle, retrouvant déjà ses automatismes de prédateur. L’allure nonchalante, l’air dédaigneux et le regard froid qui faisait le tour de la salle, il observa discrètement toutes les femmes qui étaient là. C’est ainsi qu’il aperçut qu’une jeune femme blonde le dévisageait avec intérêt. Lorsqu’elle vit qu’il l’avait remarquée, elle leva son cocktail coloré dans sa direction avec un sourire engageant. Voilà une proie qui était déjà consentante et, pourtant, Derek se détourna aussitôt. Pas de blonde, non ! Ce soir, il ne voulait rien qui puisse lui rappeler Meredith. Son inspection n’ayant pas été concluante, il se retourna vers le bar et recommanda un troisième verre, de quoi patienter en attendant les prochaines arrivées. Cet endroit faisait l’objet d’un va-et-vient permanent. Bien échu s’il ne trouvait pas de quoi conclure la soirée et puis, au point où il en était, la première venue ferait l’affaire du moment qu'elle n'avait rien de commun avec celle qu'il voulait oublier. Il n’était pas là pour partager un tendre moment, ni même pour prendre son pied. Il ne se faisait aucune illusion, il n’éprouverait pas plus de plaisir qu’avec Meredith. Il voulait seulement reprendre sa vie en main, retrouver le contrôle, redevenir celui qu’il était avant, avant elle…

    En relevant la tête, il vit qu’une jeune femme s’était installée à l’autre bout du comptoir. Brune aux cheveux courts, la trentaine, des lunettes qui lui donnait un petit air intello… Aux antipodes de… Mais bordel, arrête de penser à elle ! se fustigea-t-il. Tu es venu ici pour l’oublier et tu vas le faire, je te le garantis. Il fit signe au barman d’approcher. La dame là… Il désigna discrètement sa cible. Je lui offre sa consommation.

    Le garçon sourit, complice. Il se souvenait parfaitement bien des habitudes de ce client. Tout de suite, monsieur ! Il alla trouver la cliente et, après avoir échangé avec elle quelques mots, lui servit une coupe de champagne. La jeune femme remercia Derek d’un sourire et but une gorgée.

    C’est parti ! se dit-il en se levant pour aller la retrouver.

    Elle le regarda venir, s’étonnant d’avoir suscité, à peine entrée, l’intérêt d’un homme tel que celui-là. Merci pour le verre, lui dit-elle quand il s’assit sur le tabouret voisin. C’est très gentil de votre part.

    Non, ce n’est pas gentil, c’est égoïste. En fait, je déteste boire seul, répondit Derek avec un sourire désabusé.

    L'inconnue hocha la tête. Oui, je vois ce que vous voulez dire. J’étais dans ma chambre, devant le minibar, et je me suis dit que boire seule, c’était trop triste. Pathétique même. Alors, je suis venue ici. Elle lui tendit la main. Je me présente. Madelina.

    Le chirurgien prit la main qui lui était tendue. Et moi, Derek. Si vous séjournez à l’hôtel, c’est donc que vous n’êtes pas de San Francisco ?

    Exactement ! Je viens d’Atlanta. Je suis là pour mon boulot. L’esthétique, précisa Madelina, en dégustant son champagne à petites gorgées. Je participe à un salon sur les produits de beauté. Et vous ? Enfin, si je ne suis pas indiscrète…

    La médecine, se borna à dire Derek. Il était évident que cette femme-là, il n’allait pas l’avoir sans faire quelques efforts de conversation. Oh et après tout pourquoi pas ! Il était venu là pour se changer les idées. Quelles que soient les méthodes, il était partant, pourvu qu’il atteigne le but qu’il s’était fixé. Donc, vous vous embêtiez dans votre chambre et c’est pour ça que vous êtes venue dans ce bar.

    Oui. J’ai pensé me promener dans le quartier mais San Francisco, le soir… Madelina plissa légèrement le nez. J’ai un peu peur de faire de mauvaises rencontres.

    Et vous n’avez pas peur d'en faire ici ? répliqua Derek avec un sourire amusé.

    Comme vous ? Madelina secoua la tête. Je ne crois pas. Vous ne me faites pas peur.

    Vous avez peut-être tort. Je pourrais être un dangereux pervers, suggéra Derek en plongeant son regard dans le sien. Finalement, elle n’était pas désagréable, cette fille. Pas trop moche, pas trop conne… Elle ferait très bien l’affaire.

    Madelina se troubla sous le regard bleu océan de ce médecin qui, elle le regrettait, n'avait pas de confrère du même genre que lui à Atlanta. De quoi vous donner envie d’être malade ! Vous n’êtes pas un pervers, dit-elle enfin. Elle le regarda plus attentivement. Je crois que vous êtes tout simplement un homme malheureux. Je le vois dans vos yeux. Ils sont tristes, même quand vous souriez. Elle finit sa coupe de champagne. Peine de cœur ?


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  • Derek éluda la question. Ou pas de cœur du tout. Il fit signe au barman de renouveler leurs consommations.

    Hum ! Ça, je n'y crois pas. Sinon, vous ne seriez pas médecin, affirma Madelina. Elle attendit une réaction qui ne vint pas. Vous n’aimez pas parlez de vous, n’est-ce pas ?

    Derek sourit encore. Effectivement. Vous êtes perspicace comme fille.

    Et vous, vous êtes assez facile à cerner, riposta Madelina.

    Derek la dévisagea avec étonnement. Vraiment ? Vous êtes bien la première qui me dit ça.

    Vous voulez que je vous le prouve ? lui demanda Madelina avec un air malicieux. Comme il lui donnait son accord par un hochement de tête, elle se lança. Comme je vous l’ai dit, je pense que vous détestez parler de vous. Vous êtes quelqu’un de plutôt secret et ombrageux aussi. Elle le scruta. Vous n’avez pas très bon caractère et on vous craint. Vous faites peur à beaucoup de monde.

    Pas à vous en tout cas ! s’exclama-t-il.

    Je vous avais prévenu ! Madelina fut heureuse de lui arracher le premier vrai sourire qu’il ait eu depuis qu’il l’avait rejointe.

    Et après ? Qu’avez-vous encore deviné à mon sujet ? C’était étrange. Derek n'avait pas espéré trouver un quelconque attrait à cette conversation qu’il avait entamée uniquement par intérêt, et pourtant c’était ce qui était en train de se produire.

    Vous êtes malheureux. Vous êtes amoureux et…  - Madelina hésita un instant avant de continuer, craignant d’aller trop loin – et ça ne marche pas très fort. Alors, vous êtes venu dans ce bar pour trouver quelqu’un qui vous aidera à oublier. Elle le vit qui se renfrognait en s’absorbant dans la contemplation de son verre vide. Je suis forte, hein ?

    Il la regarda et lui adressa un sourire triste. Pas mal ! Décidément, cette femme était pleine de surprises.

    Elle comprit qu’il ne lui en dirait pas plus et tenta une autre approche. Et vous croyez que ça va marcher ? Que coucher avec une inconnue vous permettra d’oublier cette personne ?

    Derek haussa les épaules avec un brin de désabusement. Disons que c’est un pari que je fais. Même si cette femme semblait à même de les comprendre, il n’avait aucune envie de s’étendre sur ses motivations. Il baissa à nouveau la tête vers son verre.

    Et vous pensez que je pourrais être celle-là ? Madelina sourit de voir l’étonnement dans les yeux de son compagnon. C’est bien pour ça que vous m’avez payé ce verre, non ?

    Ou tu as perdu la main ou elle est vraiment très maligne, pensa Derek. Dans tous les cas, elle t’a démasqué et inutile de jouer au plus fin. Et puis, elle mérite que tu sois honnête avec elle. Il décida de jouer franc jeu, pressentant que de toute façon, elle ne s’en offusquerait pas. Oui, c’est pour ça. Vous avez raison, vous êtes très forte.

    Merci. Madelina repensa à ce qu’il venait de lui dire et eut un petit rire mutin. En tout cas, on ne peut pas vous reprocher de ne pas être franc.

    Il fit une petite grimace. Non. On me reproche plutôt de l’être trop. Désolé si je vous ai choquée.

    Oh ne vous en faites pas pour moi ! le rassura Madelina avec un geste de la main. J’en ai entendu d’autres. Vous êtes plutôt soft dans le genre.

    Maintenant qu’il était découvert, Derek n’avait plus envie de perdre de temps et voulait en finir. Alors, c’est oui ?

    Madelina ne répondit pas tout de suite, réfléchissant à cette proposition que certaines auraient trouvée sordide mais qui ne la choquait aucunement. Pour commencer, l’homme était beau, très beau, comme on n’en voyait pas souvent. Si ses prouesses étaient proportionnelles à son physique, la nuit s’annonçait prometteuse. Mais plus que la beauté de Derek, ce qui remuait la jeune femme, c’était ce désespoir qui transparaissait dans son attitude et dans chacun de ses mots. Il éveillait chez elle quelque chose qui ressemblait étrangement à de la tendresse. Et puis, elle avait apprécié sa sincérité. Il ne lui avait pas sorti le grand jeu, pas promis monts et merveilles, pas menti. Il n’attendait rien d’autre d’elle qu’un moment sans lendemain à n'en pas douter. De toute façon, à trente-deux ans, il y avait bien longtemps qu’elle avait cessé de croire aux contes de fées. Elle espérait simplement passer un bon moment. Elle se tourna vers Derek et, après l’avoir à nouveau regardé droit dans les yeux, lui sourit, pleine d’assurance. Je suis prête à relever le défi.

    Derek fut soulagé de ne pas devoir insister plus que ça. L’affaire avait même été conclue beaucoup plus facilement que ce à quoi il s’attendait. Je vous offre encore une coupe ? proposa-t-il plus par correction que par réelle envie.

    Non, merci. Je préfère garder les idées claires, déclara Madelina sur un ton moqueur, en se levant de son tabouret. Tandis qu'elle s’éloignait, il régla la note de leurs consommations avant de la rejoindre à la sortie du bar, essayant de ne pas prêter attention au goût amer qui lui montait dans la gorge.


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  • Mark rentrait chez lui, avec les plats chinois qu’il avait pris chez le traiteur après avoir quitté la clinique. Il était éreinté, n’ayant pas eu une minute à lui durant tout l’après-midi, et il était plus qu’heureux de retrouver le calme et le confort de son appartement. Quoique que le calme habituel était désormais troublé par les aboiements de Murphy saluant son retour. Silence ! ordonna Mark. Sinon, tu vas passer la nuit sur la terrasse. Murphy fit le tour de son nouveau maitre en remuant la queue. Mark avança dans la salle de séjour avec le chien sur ses talons. Il venait à peine de déposer son diner sur la table de la salle à manger que son téléphone sonnait. Mais bordel, c’est pas vrai ! s'écria-t-il, fortement contrarié. On peut jamais être tranquille. Allo ! aboya-t-il en portant l'appareil à son oreille.

    C’est… c’est moi, lui dit une petite voix timide qu'il reconnut immédiatement.

    Un sourire tendre étira les lèvres du chirurgien. Ah c'est toi ! Je n'avais pas fait attention.

    Je te dérange ? demanda Meredith, inquiète à l’idée qu'il ne serait peut-être pas disponible pour elle. Je peux rappeler plus tard si tu veux.

    Non, non, pas du tout. Tu ne me déranges jamais, tu sais bien, assura Mark en s’asseyant.

    Tu es sûr ? insista Meredith.

    Certain ! Alors, pourquoi tu m’appelles ? Pour papoter entre vieilles copines ou parce que tu ne peux plus te passer de moi ?

    Satisfaite d'avoir trouvé quelqu'un avec qui elle allait pouvoir essayer de se changer les idées, Meredith esquissa un sourire. Les deux, répondit-elle avant de lui dire la vérité. En fait, j'ai besoin qu'on me remonte le moral. Je suis toute seule et en plus, je viens encore de me faire traiter comme une moins que rien par les filles, alors j'en ai marre. Elle poussa un gros soupir.

    Agacé, Mark l'imita. Mer…

    Elle ne le laissa pas poursuivre. Je sais, je suis stupide. Je ne devrais plus accorder de l’importance à tout ce qu’elles disent mais c’est comme ça, je n'y arrive pas. J’ai voulu appeler Derek mais il ne répond pas. Je tombe à chaque fois directement sur sa messagerie. Alors, je t’ai appelé. Je n’ai personne d’autre à qui parler. Un scrupule la saisit subitement. Mais tu es sûr que je ne te dérange pas ? Tu n’es peut-être pas seul.

    T’arrête avec tes conneries, oui ? grogna Mark. Je ne suis avec personne. J’allais partager un tête-à-tête avec un poulet chop-suey et du porc sauté aux nouilles. Il consulta l’écran de sa montre. Quant à Derek, il est sûrement encore occupé à la clinique.

    Ou bien il m'en veut parce que tout à l'heure, il m'a proposé qu'on se voit ce soir et j'ai refusé. Il n'a rien dit mais j'ai bien senti qu'il était mécontent, expliqua Meredith.  

    Mark ne put s’empêcher de sourire. Voilà Derek qui, au début, ne voulait pas d’une relation suivie et maintenant, il ne supportait plus d’être seul une soirée. Mais ce n’était pas surprenant. C’était ce qu’on pouvait appeler l’effet Meredith. Cette fille était une vraie drogue et Mark ne voyait pas comment on pouvait s’en désintoxiquer. Ah tu m’étonnes qu’il était mécontent, plaisanta-t-il, tout guilleret. Le beau Dr Shepherd qui se fait jeter ! Ça ne lui arrive pas souvent.

    Mais je ne l'ai pas jeté, protesta Meredith. Je lui ai simplement dit que je ne pouvais pas le voir ce soir parce que je voulais passer un peu de temps avec ma tante. Mais elle s'est enfermée dans sa chambre et finalement, je suis restée ici pour rien. Sauf que maintenant, c'est lui qui n'est pas disponible. Alors voilà, je me retrouve ici à me morfondre.

    Et en prime, tu te disputes avec tes super copines, ironisa Mark.  

    Oui mais elles sont sorties maintenant. Alors, c'est déjà ça. 

    Donc tu es toute seule, conclut Mark. La jeune fille le confirma par un grognement. Tu veux que je vienne ? lui proposa Mark.

    Oh tu voudrais bien ? s'exclama Meredith avec une intonation qui trahissait son émotion.

    Le temps de faire la route et je suis là, fut la seule réponse de Mark. Et j’apporte le diner, on partagera. Mais il faut que tu me donnes ton adresse d'abord. Après que Meredith lui ait donné l'information, il reprit ses clés et les plats chinois et sortit de chez lui en compagnie de Murphy. On va rendre visite à ta copine, annonça-t-il à ce dernier. Moins de dix minutes plus tard, ils étaient devant la porte de Meredith. Mark supposa qu'elle guettait son arrivée car elle lui ouvrit avant même qu'il n'ait eu le temps de sonner. Il brandit le paquet du traiteur à bout de bras. Livraison à domicile. Et je ne suis pas venu seul. Il se pencha sur la jeune fille et l'embrassa sur la joue.

    Mais oui, je vois ça ! Meredith s'accroupit pour caresser Murphy qui frétillait à ses pieds. Comment tu vas, mon chien ? Tu es encore ici ? Je croyais que tu étais déjà à la campagne, moi. Elle déposa un baiser sur le sommet de la tête de l'animal

    Penses-tu ! Je n'ai pas encore eu le temps de le conduire chez ma grand-mère, lui apprit Mark. Attendri, il sourit en voyant la jeune fille frotter son nez contre la truffe de Murphy. Dis donc, tu ne m'as pas accueilli comme ça, moi, feignit-il de s'indigner.

    Oh s'il n'y a que ça pour te faire plaisir ! D'un bond, Meredith fut debout et frotta son nez contre celui de son ami. Tu es heureux maintenant ?

    Si t’as rien de mieux à m’offrir, je vais bien devoir m’en contenter, bougonna-t-il avant de la prendre par les épaules pour pénétrer dans la maison. Alors, qu’est-ce qui s’est passé avec les filles pour que ça te mine autant le moral ? demanda-t-il en la suivant dans le salon.


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