• Oh elle m’a épatée ! avoua Derek avec une admiration non feinte. A sa place, beaucoup auraient paniqué mais elle, pas du tout ! C’est amusant parce qu’elle s’évanouit presque à chaque fois qu’elle voit une seringue, et là, il y avait tout ce sang, et le bébé qui ne respirait pas, et elle a vraiment gardé son sang-froid. Une vraie pro !

    Vous parlez de moi ? demanda Meredith en rentrant dans la pièce avec d’imposants sacs en plastique estampillés du logo de Macy’s.

    J’expliquais à ta maman comme tu avais bien tenu le coup pendant l’accouchement, lui apprit Derek.

    Pendant, oui. Après, c’était autre chose, dit-elle en faisant une grimace. Une fois que la pression est retombée… Je ne pensais pas qu’un accouchement était aussi impressionnant.

    Et éprouvant pour la maman, renchérit Anne.

    Oui, c’est clair, mais bon, ce n’est pas ça qui va me dissuader d’avoir des enfants, plaisanta Meredith.

    Alors, ces achats ! demanda aussitôt Derek afin de relancer la conversation dans une autre direction. Puisqu’il semblait ne pas pouvoir éviter le sujet des mômes, autant parler chiffons. Au moins, ce n’était pas dangereux. Tu me montres ? Enchantée qu’il fasse preuve d’autant d’intérêt, Meredith se pencha avec empressement sur le premier sac et en sortit une masse de tissu chamarré que Derek ne put identifier. Qu'est-ce que c'est ? Un édredon ?

    Meredith leva ses yeux amusés au ciel. Non, gros bêta. C’est un transat pour bébé.

    Ça ? Derek examina d’un air incrédule l’espère de gros coussin qu’elle était en train de déplier. Ça ressemble plutôt à un pouf.

    C’est exactement ça ! Alors, je t’explique. Là-dedans, tu as des microbilles grâce auxquelles tu peux modeler la position – Meredith refit la même démonstration que celle que le vendeur lui avait faite au magasin – tout à fait couché… un peu moins… et là, tu as des sangles pour caler le bébé. Et puis, quand il a environ un an, tu changes de housse – elle sortit l’objet en question du sac – et là, plus de sangles. Bébé peut s’asseoir et quand il en a assez, il se lève et il va se promener. Une fois que l’enfant est plus grand, ça peut lui servir de pouf. Elle se redressa et regarda Derek avec inquiétude. Qu’est-ce que tu en penses ? Ça te plait ?

    Il n’avait pas vraiment d’avis sur la question. Il s’en moquait un peu, à vrai dire. Du moment qu’il avait un cadeau à offrir et que les parents étaient contents… Mais il était conscient que la vérité froisserait Meredith. Je n’y connais pas grand-chose mais ça m’a l’air très bien. J’aime bien l’aspect multi usages, prétendit-il. Et le côté évolutif est assez sympa. C’est original au moins.

    C’est vrai ? Tu aimes ? Le rose monta aux joues de la jeune fille. Elle avait tellement eu peur que son achat ne rencontre pas l’adhésion de son petit ami. Bon, c’est un peu cher – Derek haussa immédiatement les épaules pour montrer que cela n’avait aucune importance – mais je trouvais ça tellement pratique. Et puis, ça va leur servir longtemps.

    En plus, il parait que les microbilles massent le bébé et que ça l’aide à s’endormir, intervint Anne avant de siroter son sherry.

    Les yeux de Derek s’arrondirent d’un étonnement exagéré. Oh ! Génial ça ! Que demander de plus ?

    Meredith revint à la charge. Et la couleur, tu aimes ? Il y avait un modèle orange et rouge mais je préférais celui-ci.

    Oui, j’aime beaucoup. En plus, bleu, c’est parfait pour un garçon, non ? Derek se tourna vers Anne en quête d’un assentiment.

    Oui et puis, c’est passe-partout, fit-elle remarquer. Ça se marie avec tout, le bleu. Quand on ne connait pas les couleurs que les parents ont choisies pour la chambre du bébé, autant prendre une couleur neutre.

    Vous avez totalement raison. Derek se pencha vers la table et, sans y être invité, prit une petite poignée de cacahouètes qu’il mastiqua une par une. Cette conversation était d’un tel ennui !

    Alors, j’ai acheté aussi… Meredith saisit le deuxième sac et en extirpa de petits vêtements. Une gigoteuse, un petit ensemble marin et encore ça… Elle exhiba un minuscule pantalon en jean accompagné d’une veste, tout aussi petite. C’est trop mignon ! s’attendrit-elle en retroussant le nez. Derek ne put s’empêcher de sourire. Elle ressemblait vraiment à l’idée qu’il se faisait d’une petite fille devant des vêtements de poupée. Oh et il y avait aussi une petite veste en cuir, s’extasia-t-elle. Je voulais la prendre mais Maman n’a pas voulu.

    Voyons, Meredith ! Du cuir pour un nouveau-né ! protesta Anne. C’est peut-être très mignon mais pas pratique du tout. Et puis, tu ne pouvais quand même pas acheter tout le magasin.

    Oui, je sais, ronchonna la jeune fille. Mais c’est tellement joli, tous ces petits vêtements. C’est trop tentant. Enfin, pas grave ! dit-elle en repliant consciencieusement ses achats. Quand j’aurai mon bébé à moi, je pourrai lui acheter tout ce que je veux.


    1 commentaire
  • Quand tu auras un bébé, tu devras te raisonner, répliqua Anne. Ce n’est pas bon de trop gâter un enfant. Il finit par penser que tout lui est dû et il devient infernal.

    Enervée par les remarques de sa mère, Meredith jeta les yeux au ciel. Y a gâter et gâter. Je veux juste que le mien soit bien habillé.

    Entre bien l’habiller et en faire une gravure de mode, il y a une nuance, estima Anne. Et puis, ça grandit tellement vite, un enfant. Ça ne sert à rien d’avoir des tonnes de vêtements. Il n’a pas le temps de les user.

    Même s’il ne le montrait pas, Derek était sidéré d’entendre ces deux femmes parler de ce bébé – le sien en l’occurrence – comme d’une évidence. Pour un peu, on aurait pu croire qu’il n’allait pas tarder à naître. De plus, elles débattaient de l’éducation de cet enfant sans même demander l’avis du père présumé, le jugeant sans doute superflu. Mais le pire, c’était que, pas une seconde, elles ne semblaient penser qu’il pourrait ne pas avoir envie de procréer, comme si dans leur esprit, tous les êtres humains ne rêvaient que d’une seule chose, se reproduire à l’infini.

    C’est pas un problème, ça ! rétorqua Meredith, très sûre d’elle. Les plus jeunes mettront les vêtements des aînés. Derek tressaillit. Les plus jeunes ? Les aînés ? Depuis quand étaient-ils plusieurs ? Il venait à peine de réaliser qu’il devrait être père un jour qu’il se retrouvait déjà à la tête d’une famille nombreuse.

    De toute façon, tu as encore tout le temps d’y penser, déclara Anne. Puisque tu as décidé d'aller à l'université, tu dois te concentrer sur tes études avant tout. Le reste, on verra après.

    Ça, c’est certain, s’écria Derek avec ferveur. Chaque chose en son temps ! On reparlera de tout ça une fois que tu auras un diplôme en main. Au moins, ça lui laissait quelques années, huit dans le meilleur des cas, pour s’habituer à l’idée de sa future paternité, pour autant que ça soit possible.

    Tandis que Meredith soufflait – qu’est-ce qu’ils pouvaient être rabat-joie ! – Anne remercia Derek d’un sourire. Elle avait craint qu’en raison de son âge, il soit pressé de fonder une famille et qu’il veuille influencer Meredith en ce sens, mais sa réaction venait de prouver le contraire. Manifestement, il semblait tenir tout autant qu’elle à ce que Meredith fasse des études. Question de standing sans doute. Compte tenu du milieu dans lequel il évoluait, il préférait certainement présenter sa compagne comme une étudiante que comme une marchande de donuts. En pour ce qui est de l'université, est-ce que tu as déjà fait ton choix ? demanda-t-elle à sa fille. Yale ou Harvard ?

    Ni l’un ni l’autre, répondit aussitôt Meredith. Ce sera Berkeley.

    Berkeley ? s’étonna Anne. Mais… mais tu m’as toujours dit que si tu allais à l'université un jour, ce serait à Yale ou Harvard parce que c'étaient les meilleures universités pour étudier le droit.

    Oui, c’est vrai, approuva Meredith. Excepté que maintenant, je ne veux plus faire du droit. Enfin, si mais pas en matière principale.

    Anne ouvrit de grands yeux stupéfaits. Ah bon ? Mais pourtant, tu as toujours voulu faire du droit.

    Eh bien, j'ai changé d'avis.

    Et qu'est-ce que tu veux faire maintenant ?

    De la pédopsychologie, proclama fièrement Meredith. Avec ça, je vais pouvoir aider les enfants bien plus concrètement qu’en étudiant des dossiers, derrière un bureau.

    Et donc, tu veux faire ça à Berkeley ? ânonna Anne qui allait de surprise en surprise.

    Meredith prit l’air buté que sa mère lui connaissait si bien et qui signifiait que rien ne pourrait la détourner de la décision qu’elle avait prise. Oui. Ici, j’ai Derek et j’ai des amis aussi, ajouta-t-elle en pensant à Mark, Taylor et Jackson. Je n’ai pas envie de quitter tout ça. Berkeley est juste à côté de la porte et en plus, c'est une excellente université. Et le patron de Derek connait très bien le président et il a promis de me recommander. Vu mon parcours, c'est quelque chose que je ne peux pas me permettre de refuser, et je ne pourrai le faire valoir qu’à Berkeley.

    C’est un atout, c’est certain reconnut Anne. Mais Yale, Harvard… c’était ton rêve.

    Oui, mais ça ne l’est plus, insista Meredith. J’ai d’autres rêves maintenant. Elle n’en avait plus vraiment qu’un, en fait. Réussir sa relation avec Derek, faire en sorte qu’elle devienne un peu plus forte chaque jour. Elle n’y parviendrait jamais à quelques cinq mille kilomètres de distance. Alors, il est hors de question que je m’exile à l’autre bout du pays, asséna-t-elle avant de mordre dans un petit bouquet de chou-fleur avec un air décidé.

    Moi, je pourrais le faire, laissa tomber Derek, devinant qu’il était la seule raison pour laquelle la jeune fille avait changé ses projets. En lisant l’incompréhension dans le regard des deux femmes, il sut qu’il devait être plus précis. M’exiler à l’autre bout du pays. Je pourrais le faire si c’était nécessaire. Si vraiment tu préfères étudier à Yale ou Harvard, fais-le. N’hésite pas. Je te suivrai partout.

    Les yeux de Meredith brillèrent d’émotion. C’est vrai ? Tu ferais ça ?


    votre commentaire
  • Bien sûr. Se moquant cette fois de la présence d’Anne et de ce qu’elle pourrait penser, Derek prit la main de Meredith dans la sienne. Ici ou ailleurs, ça n’a pas d’importance pour moi, du moment qu’on est ensemble.

    Mais… et ton travail ? La clinique ? balbutia la jeune fille, touchée autant qu’ébahie par cette proposition à laquelle elle ne s’attendait pas du tout. Tu quitterais tout ça pour moi ?

    Derek haussa légèrement les épaules. Pourquoi pas ? Je peux opérer n’importe où. Et je n’aurais aucun mal à trouver du travail ailleurs. Il n’y a pas un hôpital dans ce pays qui ne serait pas heureux de m’engager. Le raisonnement pouvait paraitre vaniteux mais il était réaliste. Derek savait que son talent et sa renommée lui ouvriraient toutes les portes, où qu’il aille. Je pourrais même m’offrir le luxe de poser mes conditions. Il posa sur Meredith un regard empli d’amour et lui sourit. Alors, si tu dois partir, je partirai avec toi, promit-il avant de porter la main de sa petite amie à ses lèvres pour y poser un baiser.

    Oooooh tu es merveilleux, s’écria-t-elle en se jetant dans ses bras. Elle pressa sa bouche contre celle de son amant et tourna ensuite la tête vers sa mère. N’est-ce pas qu’il est merveilleux ? Tu en connais beaucoup d’hommes, toi, qui quitteraient tout pour suivre leur copine ? Sa question n’en étant pas vraiment une, elle ne laissa pas le temps à Anne de répondre. Mais ce ne sera pas nécessaire. Je suis décidée. J’irai à Berkeley. La fac’ de psycho est réputée, d’après ce que j’ai lu. Derek confirma d’un signe de tête.

    La psychologie ! répéta Anne qui n’en revenait pas de la volte-face de sa fille. Est-ce que tu es vraiment sûre de ce que tu fais ? A mon avis, tu auras beaucoup de cours de sciences et ce n’est pas ta matière de prédilection.

    Je sais, mais j’aurai un prof à domicile, le meilleur qui soit en plus ! déclara Meredith avec un regard autant admiratif qu’énamouré envers l’intéressé. D’ailleurs, il a déjà commencé à me faire réviser la biologie pour le SAT. Evidemment, elle ne dit pas à sa mère qu’après un quart d’heure, la première et unique leçon s’était transformée en une séance d’anatomie qui n’avait rien de scientifique.

    Oui, c’est un énorme avantage, admit Anne. Mais tu ne dois pas oublier que Derek a un métier très exigeant et qu’il ne pourra peut-être pas être toujours aussi disponible que tu le voudrais. Et toi, je te connais, rappela-t-elle sur un ton plein d’une tendre indulgence. Au lycée, quand tu devais étudier les matières que tu n’aimais pas, tu trouvais toujours un prétexte pour faire autre chose

    Oui mais là, je suis hyper motivée. C’est vraiment ce que je veux faire, maman.

    L’entrée d’Ellis interrompit la conversation. La malade posa sur leur trio un regard vide et, comme si elle ne se rendait pas compte de leur présence, traversa la pièce pour aller s’asseoir sur une chaise, ses yeux fixant un point devant elle. Anne se leva pour lui apporter le verre de thé glacé qu’elle lui avait servi un peu plus tôt. Derek profita du fait qu’elle leur tournait le dos pour envoyer un baiser du bout des lèvres à Meredith, qui le lui rendit de la même façon. Ignorée par sa belle-sœur, Anne revint près d’eux. Tu sais à quoi tu t’exposes avec ce métier ? reprit-elle à l’intention de sa fille. Comme tu l’as dit, tu seras dans le concret. Parfois, tu vas rencontrer des enfants qui vivent des situations épouvantables. Ce sera dur, très dur, surtout pour toi qui es tellement sensible.

    Meredith hocha doucement la tête. Je sais. Derek m’a déjà mise en garde. Mais je crois que je peux y arriver.

    Et que comptes-tu faire une fois que tu auras ton diplôme ? Ouvrir ton propre cabinet ? interrogea Anne, intriguée par la toute nouvelle vocation de sa fille.

    Je ne crois pas. C’est difficile de dire ça maintenant, évidemment, mais je pense que je m’orienterais plutôt vers un travail avec les services sociaux.

    Tu pourrais aussi travailler en milieu hospitalier, intervint Derek. La perspective d’avoir un jour Meredith comme collègue n’était pas pour lui déplaire. Non seulement il pourrait être avec elle plus souvent mais en plus, il pourrait garder un œil sur elle et son entourage.

    Meredith grimaça. Non, ça, franchement, ça ne me tente pas trop. Être toute la journée avec des gosses malades…

    Ce n’est pas pire que de les écouter raconter les coups qu’ils reçoivent ou les viols qu’ils subissent, lui fit remarquer Derek.  

    Pour moi, oui. A ceux-là, tu peux donner l’espoir qu’ils s’en sortiront un jour, objecta-t-elle. Dans un hôpital, tu n’es parfois là que pour les accompagner dans la mort.

    Ça arrive, oui, concéda Derek. Mais ce ne sont pas les cas les plus fréquents, dieu merci. Il y a tous les autres, qu’il faut simplement aider à comprendre leur maladie, à l’accepter aussi.

    Mais vous côtoyez tout de même la mort tous les jours. Ça doit être terriblement éprouvant, déclara Anne. 

    L’intonation de Derek se fit plus grave. Ce n’est pas la côtoyer qui est le plus éprouvant mais ne pas arriver à la vaincre.

    Et vous vous y êtes fait ? l’interrogea la mère de Meredith.


    votre commentaire
  • A ne pas pouvoir sauver tout le monde ? Non, et je ne le veux pas d’ailleurs, lui confia Derek. C’est justement parce que je ne supporte pas ça que je me bats autant pour garder mes patients en vie. Le jour où leur mort ne me touchera plus, je changerai de métier.

    Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, Anne regarda Derek avec une certaine admiration. Si elle n’appréciait pas particulièrement l’homme, elle aimait la façon dont le médecin parlait de son métier et l’investissement dont il semblait faire preuve. Je peux vous demander ce qui vous a poussé à devenir chirurgien ?

    Oh ! La légère moue de Derek traduisit sa perplexité. Je ne sais pas vraiment. Ça allait de soi pour moi. C’était comme si c’était écrit, vous voyez ? Les deux femmes opinèrent lentement de la tête avec un petit sourire et Derek fut frappé par leur ressemblance, chose qu'il n'avait pas perçue jusqu'à présent. En même temps, c’était difficile d’y échapper, poursuivit-il. Mon grand-père était chirurgien, mon père aussi. On ne parlait que de ça à la maison. Je n’ai jamais imaginé faire autre chose en fait.

    Pourquoi avoir choisi la neurochirurgie ? insista Anne à qui il semblait que de toutes les spécialités chirurgicales, celle-ci était de loin la plus pointue. Dans son esprit, la neurochirurgie était reliée aux seules fonctions cérébrales, ce qui signifiait que l’homme qu’elle avait devant elle pouvait, d’un malheureux coup de scalpel, réduire tout être humain à l’état de légume. Un tel choix de carrière ne pouvait dénoter, selon elle, qu’un goût exacerbé, pour ne pas dire insensé, pour le risque.

    Derek but un peu de whisky, prenant ainsi le temps de réfléchir au fait que, pour répondre sincèrement, il allait devoir aborder un sujet délicat. Mon père et moi… Il hésita encore un instant. On ne s’est jamais entendu. Je suppose que Meredith vous a parlé de la dynamique familiale chez les Shepherd, ironisa-t-il.

    Anne acquiesça d’un léger signe de la tête. Oui, elle m’en a parlé. Un peu, répondit-elle prudemment, sans trop savoir si sa fille ne lui avait pas révélé plus qu’elle n’était autorisée à le faire.

    Meredith regarda Derek avec un peu d’appréhension. Tu m’avais dit que je pouvais, lui rappela-t-elle timidement.

    Oui, oui, bien sûr. Tu as bien fait, la rassura-t-il promptement. Ce n’est pas un problème. Il s’adressa à nouveau à Anne. Mon père m’a toujours dit que je ne lui arriverais jamais à la cheville, dans quelque domaine que ce soit, et certainement pas en chirurgie J’ai voulu lui prouver qu’il avait tort et c’est pour ça que j’ai choisi la neuro, énonça-t-il d’un ton posé dont il fut le premier étonné. C’était la première fois qu’il parvenait à parler de son père sans s’énerver. Je voulais le battre sur son propre terrain.

    Vous y avez réussi ?

    Il haussa les épaules. Je n’en sais rien. Il fixa soudain son regard sur le peu d’alcool qui subsistait dans son verre. Mère et fille se turent pour respecter son besoin de réflexion. A vrai dire, ça m’est devenu égal, reprit-il en relevant la tête, après quelques secondes. Mon père, prendre ma revanche… Discrètement, il reprit la main de Meredith et noua ses doigts aux siens. Cette histoire est derrière moi maintenant. Supplanter mon père n’est plus ma motivation.

    Et vous n’avez jamais regretté votre choix ? s’enquit Anne. Vous ne vous êtes jamais dit que vous auriez pu faire autre chose ?

    Le regard de Derek s’illumina. Non, jamais. J’aime vraiment ce que je fais. C’est passionnant. Je crois que j’étais fait pour ça, en définitive.

    Ellis qui n’avait pas semblé prêter attention à leur conversation, se tourna tout à coup vers eux. Shepherd, c’est votre nom ? se renseigna-t-elle auprès de l’intéressé.

    Oui, Madame.

    J’ai déjà entendu c’nom-là quelque part, grommela la malade, les sourcils froncés. Ça m’dit quelque chose.

    C’est normal, Tante Ellis. Derek est déjà venu à la maison. C’est pour ça que tu connais son nom, dit Meredith avec un calme qu’elle ne ressentait pas vraiment. Elle aurait préféré que sa tante ne vienne pas perturber la conversation avec ses questions sans queue ni tête.

    Ellis hocha la tête dans un mouvement rapide et nerveux, comme si elle refusait de toutes ses forces l’explication donnée par sa nièce. Le regard virevoltant dans tous les sens, elle marmonna encore quelques mots que personne ne comprit. Derek, est-ce que je peux encore vous servir un whisky ? proposa Anne pour détourner l’attention.

    Je veux bien, mais un petit, répondit-il. L’alcool commençant à faire son effet, il se sentait de plus en plus détendu. Un petit verre supplémentaire le ferait sans doute se sentir tout à fait à l’aise mais il n’était pas question non plus de terminer la soirée complètement bourré.  

    Pendant que sa belle-sœur faisait le service et que Meredith présentait à nouveau le plat de beignets à son petit ami, Ellis se leva d’un bond et vint se mettre devant ce dernier, le scrutant de ses yeux perçants. Ne sachant trop quelle contenance prendre, il lui sourit gentiment, se demandant ce qui allait encore lui tomber sur la tête. J’ai connu une Martha Shepherd il y a quelques années, lâcha-t-elle enfin. Elle est de votre famille ?


    votre commentaire
  • Pas à ma connaissance, répondit Derek sur un ton qui pouvait laisser penser qu’il regrettait de ne pas pouvoir lui répondre positivement.

    Tant pis. Ellis alla s’asseoir à côté d'Anne et s’absorba à nouveau dans la contemplation du bouquet de fleurs offert par Derek.

    En même temps, Shepherd est un nom très courant, fit remarquer Meredith, qui regardait sa tante avec méfiance. Qui savait ce qu’elle allait trouver pour plomber l’ambiance, cette fois ?

    Anne lui fit signe de ne pas insister. Dis-moi, comment ça va se passer pour le SAT ? lui demanda-t-elle. Tu comptes continuer à réviser par toi-même ou bien tu vas t’inscrire au cours de préparation ?

    Je vais sûrement suivre les cours, répondit Meredith tout en cherchant du regard ce qu'elle allait manger parmi les crackers bio qu'elle avait achetés chez Whole Foods lequel, entre parenthèses, avait étonné Anne par la diversité et la qualité de ses produits. Après avoir hésité entre un petit biscuit japonais à base de riz et un petit biscuit sec à l'huile d'olive et au romarin, Meredith en prit un de chaque.

    Ah bon ? s’exclama Derek au comble de l’étonnement. Tu veux aller au cours ? Il eut l’impression d’être mis devant le fait accompli et se sentit un peu mortifié que Meredith ne lui ait pas réservé la primeur de sa décision, à défaut de lui demander son avis. Je ne te conviens plus comme prof ? Même si la première leçon n’avait pas été, il en convenait, des plus enrichissantes d’un point de vue purement scolaire, il ne comprenait pas vraiment ce qui pouvait motiver sa petite amie à refuser son enseignement qui serait à coup sûr supérieur à celui qu’elle pourrait recevoir dans ces écoles de rattrapage.

    Non, t’es viré, répliqua-t-elle sur le ton de la blague. Le rictus de Derek lui indiqua qu’il ne goûtait pas vraiment la plaisanterie. Sérieusement, je sais que je ne pourrais pas avoir de meilleur professeur que toi mais on n’a déjà pas beaucoup de temps à passer ensemble, se justifia-t-elle. Je n’ai pas envie de gâcher ces moments-là avec de la physique ou de la chimie.

    C’est pas faux, dit Derek, plus ou moins convaincu par l’argument.

    Et puis, là-bas, au moins, il n’y aura rien pour me détourner de mes chères études, ajouta Meredith avec un petit sourire, en faisant référence à la façon dont s’était terminée leur première leçon. Derek comprit ce qu’elle voulait dire et sourit aussi. En plus, ça va me remettre dans un rythme scolaire, insista-t-elle. Après deux ans et demi de pause, ce ne sera pas du luxe.

    C’est certain que ça a ses avantages, concéda Derek. De toute façon, je serai toujours là si tu as besoin de cours particuliers. Meredith approuva d’un signe de tête tout en mettant un cracker dans sa bouche

    J’ai eu une amie qui travaillait à Berkeley, laissa tomber Ellis sur un ton détaché. A la bibliothèque des sciences. Elle s’appelait Maureen. Maureen Shand. Anne et Meredith échangèrent un regard intrigué en se demandant où elle voulait en venir. Son mari s’appelait Gary… Elle fronça les sourcils. Ou Garrett ? Ses yeux roulèrent en direction du plafond, de droite à gauche, comme si elle allait y trouver la réponse à son interrogation. Elle est morte maintenant. Après avoir poussé un long geignement plaintif, elle se tourna à nouveau vers Derek avec un regard incisif. Dans un accident de voiture.

    Je suis vraiment désolé, prétendit-il, tout en s’attendant à ce qu’elle l’accuse d’avoir provoqué l’accident en question.

    Ellis, je ne crois pas que cette histoire intéresse Derek, dit Anne de sa voix douce et apaisante. Il n'a pas connu ton amie.

    Cependant, sa belle-sœur ne sembla pas l’entendre. Les yeux maintenant rivés à ses mains qu’elle nouait et dénouait nerveusement, elle poursuivit son récit. Elle a eu une liaison avec un type qui enseignait la médecine à Berkeley. Un vrai salopard, à ce qu’il parait. Elle releva vivement la tête pour s’adresser à Derek. Il s’appelait Shepherd. Ça vous dit quelque chose ? 

    Meredith et sa mère s’apprêtaient à gronder l’indélicate lorsque Derek émit un petit rire. Il y avait une certaine ironie dans le fait que ce jour-là, cette brave dame à qui habituellement, la mémoire faisait si cruellement défaut, se souvienne aussi bien de faits le concernant de près ou de loin, faisant ainsi de lui une cible privilégiée en quelque sorte. Oh oui ! Il s’agit de mon père, très certainement, répondit-il.

    Son père, son père, marmonna Ellis en se tordant les mains. Me souviens de c’t’histoire ! Un salopard !

    Maintenant, tu vas laisser Derek tranquille, exigea Anne avec sévérité. Tu l’ennuies avec tes questions. Prends plutôt un petit biscuit, ajouta-t-elle en faisant glisser le plateau de biscuits apéritifs devant sa belle-sœur, dans l’espoir que manger la calmerait ou du moins la réduirait au silence.

    Sans se soucier de la présence de sa mère – qui de toute façon ne se formaliserait plus pour si peu, après les avoir vus s’embrasser à pleine bouche – Meredith se pelotonna contre Derek, en nouant ses bras autour de sa taille. Tu étais au courant pour ton père et cette Maureen ? demanda-t-elle à mi-voix.

    Il fit signe que non. Jamais entendu parler. Mais bon, je suis loin de tout savoir sur ses aventures. Des maitresses, il en a eu un paquet. Je n’ai pas perdu mon temps à les recenser, persifla-t-il. La jeune fille n’insista pas, comprenant que, bien qu’il assurât le contraire, le sujet était encore sensible.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique