• La jeune fille comprit que Derek se sentait ridicule. Et si on allait s’asseoir ? proposa-t-elle en s’accrochant à son bras

    Bien sûr, approuva Anne. Allons nous installer au salon. Elle ouvrit la marche tout en parlant à Derek. Je veux vous remercier pour vos fleurs. Elles sont vraiment magnifiques. Mais vous n’auriez pas dû ! Trois heures plus tôt, un livreur avait sonné à la porte avec deux énormes bouquets, l’un composé de lys, roses, pivoines et amarantes, dans les tons roses et mauves, destiné à Anne, l’autre à dominante jaune, avec des lys, des arums et des lisianthus, pour Ellis. Anne avait été surprise autant par le présent que par la façon dont il lui avait été fait. Là d’où elle venait, on ne faisait pas livrer les fleurs avant un diner. On arrivait son bouquet à la main, et il n’était certainement jamais aussi imposant que celui qu’elle avait reçu. La façon d’agir du chirurgien l’avait mise quelque peu mal à l’aise. Elle y avait vu une preuve supplémentaire du fossé social qui le séparait de Meredith.

    Oh ce n’est rien, assura Derek. Ce ne sont que quelques fleurs.

    Maman adore les fleurs, intervint Meredith, en lâchant le bras de son petit ami pour lui prendre la main. Elle a passé au moins dix minutes le nez plongé dans ton bouquet. Elle sentait que Derek était toujours aussi anxieux et elle était prête à tout pour qu’il se détende.

    Tu exagères ! protesta mollement Anne en se tournant vers elle. Pas dix minutes ! Elle eut un petit sourire mutin qui la fit soudain ressembler à sa fille. Mais c’est vrai que j’y suis restée longtemps. Il sent tellement bon !

    Derek allait entrer dans le salon à la suite des deux femmes, lorsqu’Ellis vint lui barrer le passage, en le toisant d’un air suspicieux. Vous voulez nous acheter ? 

    Surpris autant par la question que par le ton agressif sur lequel elle était posée, il eut un léger mouvement de recul. Pardon ? Il interrogea Meredith du regard, en espérant qu’elle pourrait l’aider, ne fut-ce qu’à comprendre.  

    Tante Ellis, laisse-le passer, ordonna la jeune fille, exaspérée par les errements de sa tante qui tombaient fort mal à propos.

    Anne revint sur ses pas en tendant la main vers sa belle-sœur. Ellis… viens avec moi. Laisse entrer le docteur.

    La malade resta sourde aux requêtes. Les fleurs ? insista-t-elle en pointant son index sur le vase où se trouvait le bouquet de sa sœur. C’est pour vous faire pardonner d’avoir trompé ma nièce ? Surprise, Anne sursauta tandis que Derek jetait un furtif coup d’œil vers sa petite amie. Finalement, il semblait que la mémoire de sa tante était loin d’être aussi déficiente que ce qu’elle lui avait dit au téléphone.

    Tante ! couina Meredith, catastrophée. Ça ne te regarde pas. Tout ce qu’elle avait tellement redouté était en train de se produire. Cette soirée qu’elle avait espérée parfaite allait sans doute se transformer en procès. Elle se tourna vers sa mère dans l’attente d’un secours.

    Même quand sa belle-sœur était dans une phase de lucidité, Anne ne pouvait s’empêcher de la traiter comme une enfant fragile et irresponsable. Ellis, voyons. Laisse le Dr Shepherd tranquille. Elle regarda Derek avec un air sincèrement confus. Excusez-la. Elle ne veut pas être impolie. Elle ne se rend pas compte.

    Il la tranquillisa d’un sourire. L’accusation de la tante ne le troublait pas outre mesure, du moment que la mère ne semblait pas y adhérer. Je ne veux pas vous acheter, simplement vous remercier de me recevoir, expliqua-t-il calmement à Ellis.

    Ce que nous faisons très mal jusqu’à présent ! martela Meredith en dardant sur sa mère un regard perçant, dans l’espoir qu’elle allait rappeler à Ellis les règles élémentaires du savoir-vivre.

    Anne prit sa belle-sœur par le bras pour l’entrainer vers son fauteuil favori. Viens, Ellis, allons nous asseoir. On va boire un petit verre en attendant le diner.

    Je suis désolée, murmura Meredith, ses doigts étroitement noués à ceux de Derek. C’est vraiment pas de chance qu’elle se soit souvenue de ça maintenant.

    Non, c’est pas de chance, lui répondit-il sur le même ton. Parce qu’elle était visiblement tendue, il lui fit un clin d’œil. Ne t’en fais pas pour moi. J’ai vécu pire, bien pire. Un peu rassurée, elle lui sourit et il se sentit prêt à endurer toutes les attaques dont il ferait l’objet durant la soirée. Qu’importe ce que les autres pouvaient penser, du moment qu’elle croyait en lui ?

    Pendant ce temps, Anne aidait Ellis à s’installer. Maintenant, tu dois laisser le docteur tranquille, lui dit-elle à voix basse, de sorte que le couple ne puisse pas l’entendre. J’ai promis à Meredith qu’on ne l’embêterait pas avec cette histoire. Et puis, on ne peut pas inviter quelqu’un à diner et en profiter pour lui faire son procès, ajouta-t-elle en reprenant à son compte l’expression que sa fille avait utilisée un peu plus tôt.

    Mais il l’a trompée, lui rappela Ellis avec indignation.

    Anne hocha doucement la tête. Je sais et ça ne me plait pas non plus, mais elle lui a pardonné. C’est sa décision, alors on ne peut rien faire. Sauf prier pour qu’il ait vraiment changé.


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  • Viens, on va s’asseoir. Meredith tira doucement Derek par la main pour l’amener jusqu’au canapé. A peine fut-il assis qu’elle se colla à lui, ce qui le fit se sentir terriblement mal à l’aise. S’il avait été chez lui, il lui aurait passé le bras autour des épaules ou posé la main sur son genou. Il aurait aussi joué avec ses cheveux et l’aurait couverte de baisers alors que là, il était assis, bien droit, très raide, en faisant attention au moindre de ses gestes. C’est à peine s’il osait la regarder quand ils se parlaient, de peur de choquer la mère ou de s’attirer les foudres de la tante.

    Cependant, celle-ci paraissait s’être calmée. Assise dans son fauteuil, un peu à l’écart, elle fixait du regard le bouquet de fleurs que Derek avait offert à sa belle-sœur. Tu veux boire quelque chose ? proposa cette dernière. Ellis accepta d’un signe de tête. J’ai fait du thé glacé. Tu en veux ? A nouveau, Ellis hocha la tête. Anne se tourna alors vers Derek. Et vous, Docteur ? Que désirez-vous boire en attendant que le diner soit prêt ?

    On a du whisky, indiqua Meredith.

    Alors, un whisky, ce sera très bien, répondit Derek. Et mets le double de la dose, fut-il tenté d’ajouter. Il avait bien besoin de quelque chose de fort pour se donner du courage.

    Tu peux venir m’aider ? demanda Anne à sa fille.

    Bien sûr ! Et je vais en profiter pour mettre ma rose dans un vase. Avant de se lever, Meredith passa tendrement la main dans les cheveux de son amoureux. Ne t’en fais pas. Je reviens.  

    Il la regarda partir avec un sentiment d'appréhension parce que son départ signifiait qu’il allait se retrouver seul avec la tante. Heureusement, celle-ci semblait avoir complètement oublié sa présence, tout absorbée qu’elle était par la contemplation des fleurs. Derek resta assis, toujours aussi raide, se faisant le plus discret possible, osant même à peine bouger la tête pour regarder autour de lui, de crainte de se faire accuser de crime de lèse-curiosité.

    Tout à coup, Ellis se tourna vers lui, l’air extasié. Elles sont belles, ces fleurs, n’est-ce pas ? C’est Thatcher qui me les a offertes.

    C’est un beau bouquet, se contenta-t-il de répondre. Il savait par Meredith que le dénommé Thatcher était le mari d’Ellis, mort depuis une dizaine d’années. En tant que médecin, il savait aussi qu’il était inutile de vouloir ramener un malade Alzheimer à la réalité. Désormais, Ellis avait sa propre réalité et la contredire, ou essayer de la convaincre, ne ferait que la frustrer et déclencher une autre crise. D’autant plus que, dans le cas présent, il risquait d’en être la victime une fois de plus, ce qui ne le tentait pas du tout.

    Mon Thatch me gâte tellement, minauda la malade. Elle jeta un regard du côté de l’imposante horloge en chêne massif qui ornait un coin de la pièce. Oh mon dieu, il est déjà cette heure-là ? s’affola-t-elle en bondissant hors de son fauteuil. Il va rentrer et je ne suis même pas prête. Elle courut jusqu’à la porte et faillit bousculer Meredith qui revenait avec, dans une main, le vase contenant sa rose et dans l'autre, un plat d'amuse-bouche.   

    La jeune fille regarda son petit ami d’un air intrigué. Où elle va ? Elle posa le vase à côté des autres bouquets.

    La bouche de Derek s’avança en une moue un peu moqueuse. Se faire belle… pour Thatcher qui lui a offert ces fleurs. Il désigna le bouquet qu’il avait fait livrer. En imaginant ce qu’avait pu être la discussion entre le chirurgien et sa tante, Meredith ne put s’empêcher de s’esclaffer.

    Anne arriva derrière sa fille, en poussant la desserte sur laquelle elle avait posé les autres amuse-bouche, ainsi que les bouteilles et les verres. Qu’est-ce qui se passe ? J’ai entendu ta tante qui montait les escaliers en courant.

    Manifestement, elle pense qu’Oncle Thatcher va bientôt arriver, lui indiqua Meredith. Alors, elle est partie se préparer pour l’accueillir.

    Anne soupira. Elle risque de faire une crise quand elle va voir qu’il ne vient pas. Elle prit la bouteille de whisky et versa l’alcool dans un verre. Ça fait onze ans qu’il est mort et elle en parle comme si elle l’avait vu hier. Et le plus étonnant, c’est que parfois ses souvenirs sont vraiment précis. Elle se rappelle exactement les endroits où ils sont allés, ce qu’ils ont fait, ce qu’il lui a dit. Elle contourna la table pour apporter le verre à Derek.

    Galamment, ce dernier se leva légèrement pour prendre son verre. Merci, Madame. Vous savez, le comportement de votre belle-sœur n’est pas vraiment étonnant, déclara-t-il en se rasseyant. Dans la maladie d’Alzheimer, c'est la mémoire immédiate, celle des événements récents qui est atteinte en premier. Petit à petit, les souvenirs disparaissent à rebours, expliqua-t-il. C'est pour ça que les personnes malades peuvent se souvenir parfaitement d'un événement qui s'est déroulé quinze ans avant, mais pas de ce qu’ils ont mangé au petit-déjeuner.

    Après avoir consulté sa fille du regard, Anne lui servit un verre de sherry, tout en continuant d’évoquer le cas de sa belle-sœur. Ce ne sont pas les problèmes de mémoire qui sont les plus durs à vivre, je trouve. Oh bien sûr – elle haussa très légèrement les épaules – ce n’est pas gai quand elle oublie qui je suis et qu’elle me prend pour la secrétaire de son mari ou pour l’infirmière, mais je peux faire avec. Tandis que ses crises… cette colère, cette rage !


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  • Si ça peut vous tranquilliser, cette colère n’est pas dirigée contre vous, assura Derek. Ce n’est que l’expression de sa frustration, de son angoisse aussi. Il prit un beignet de poulet sur le plateau que lui présentait Meredith. Merci, lui dit-il avec un sourire tendre. Il attendit que les deux femmes soient assises pour poursuivre. C’est comme si vous étiez en pleine nuit, perdue dans un endroit totalement inconnu, et sans aucun repère. Eh bien, c’est ce que votre belle-sœur vit au quotidien. Anne hocha lentement la tête avec un air méditatif.

    En voyant Derek, son verre dans une main, l’amuse-bouche dans l’autre, Meredith comprit qu’il ne toucherait ni à l’un ni à l’autre sans y avoir été invité. Que ça ne nous empêche pas de prendre l’apéritif, tout de même, dit-elle en levant légèrement son verre. A votre santé.

    A votre santé, répondirent en chœur sa mère et Derek.

    Après avoir bu une gorgée de son whisky, celui-ci mordit dans son beignet de poulet. Mmm ! C’est délicieux, dit-il d’un ton qui était tout sauf naturel. Lui qui était d’habitude très à l’aise en toutes circonstances, se faisait soudain l’effet d’être l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Dans les soirées mondaines, il ne perdait pas de temps à féliciter les serveurs qui, de toute façon, se moquaient bien de la succulence des plats qu’ils présentaient. Dans les restaurants, le montant de son pourboire parlait pour lui. Quand il était invité chez Callie ou Naomi, un "c’est super bon, ce truc-là" satisfaisait pleinement ses hôtesses. Ici, chez la mère de Meredith, il devait mettre les formes et il détestait cela.

    Anne le remercia d’un sourire avant d’en revenir au sujet qui la préoccupait. Je suppose que Meredith vous a dit que j’avais pris une décision pour ma belle-sœur. Derek acquiesça d'un signe de la tête. Je m’excuse, ajouta-t-elle aussitôt avec une mine confuse. Vous venez à peine d’arriver et je vous ennuie déjà avec cette histoire. Mais je préfère en parler tant qu’Ellis n’est pas avec nous.

    Je comprends très bien, la rassura-t-il. Maintenant que la conversation allait aborder son domaine, il se sentait un peu plus à l’aise.

    Anne fit tourner lentement son verre entre ses doigts. Vous savez, ça ne me réjouit pas de placer ma belle-sœur dans une institution mais…

    Mais vous n’avez pas le choix. Derek posa son verre sur la table basse et refusa d’un signe de tête le plateau de biscuits apéritifs que Meredith lui proposait. Ecoutez, je sais que vous vous sentez coupable. C’est normal. C’est ce qu’éprouvent toutes les familles quand elles décident l’internement. Mais ça ne sert à rien. Vous n’avez pas le choix, Madame, répéta-t-il avec douceur. 

    Je sais. Anne prit une profonde inspiration. Ce que je veux maintenant, c’est lui trouver le meilleur établissement possible, une maison où on s’occupera bien d’elle. Jusqu’à la fin.

    Tu pourras nous aider à la trouver ? demanda Meredith à son petit ami.

    A nouveau, il lui sourit tendrement. Bien sûr. Tu sais bien. Vous pouvez compter sur moi, ajouta-t-il à l’intention d’Anne.

    Pour les frais… Anne se mordilla les lèvres. Je sais que ça va coûter cher. J’avais pensé vendre la maison mais finalement, je me demande si ce ne serait pas mieux de la louer. Peut-être que je pourrais en faire une sorte de colocation pour des étudiants.

    Derek tourna la tête vers Meredith. Alors, ça voudrait dire que tu devrais trouver un autre logement.

    Elle fit une moue dubitative. J’en sais rien. Si ça devient une maison d’étudiants, je pourrais peut-être garder une chambre pour moi.

    Le front de Derek se barra immédiatement d’un pli soucieux. Ça, ça ne me plait pas beaucoup. Savoir que tu vis au milieu d’inconnus… Pour dénouer le problème, il envisagea, l'espace d'un instant, de proposer de prendre à sa charge tous les frais relatifs au placement d'Ellis en institution. De ce fait, Anne ne serait pas obligée de transformer la maison en auberge de jeunesse et Meredith pourrait y rester sans devoir la partager. Cependant, il garda son idée pour lui, de crainte d'offusquer la mère de Meredith. Il était sans doute préférable de demander l'avis de cette dernière avant de faire quoi que ce soit et surtout, de commencer par lui apprendre que l'infirmière qui s'occupait de sa tante était rémunérée non pas par une association mais par lui.

    Meredith émit un petit rire. Qu’est-ce que tu veux qu’il m’arrive ? Il n’y aura que des étudiants, Derek, lui rappela-t-elle. Des jeunes gens inoffensifs.

    Tu m’as dit exactement la même chose à propos d’O’Malley et on a vu ce qui s’est passé, répliqua-t-il sur un ton qui indiqua à Anne que l’homme ne devait pas être toujours aussi commode qu’il le paraissait ce soir. Cependant, la sollicitude qu’il manifestait envers Meredith avait quelque chose de rassurant. Anne rentrerait chez elle en sachant qu’il y avait quelqu’un pour veiller sur sa fille.

    Celle-ci jeta les yeux au ciel en soufflant. Derek ne lui laisserait-il jamais oublier cet horrible moment ? Tous les hommes ne sont pas des violeurs en puissance !

    Oubliant la présence d’Anne Grey, Derek prit la main de Meredith dans la sienne. Je sais, bébé, je sais, dit-il sans faire attention qu’il employait ce petit nom pour s’adresser à elle. Ce n’est pas ce que je veux dire. Mais je serais plus tranquille de te savoir dans un endroit bien à toi.


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  • La voix suave de son petit ami et la tendresse de son regard calmèrent aussitôt Meredith. Moi aussi, je préférerais, mais pour ça, il faut de l’argent et tant que je ne suis pas sûre de récupérer l’argent de la boutique…

    Rasséréné parce qu’elle semblait avoir déjà renoncé à son projet, Derek se laissa aller contre le dossier du canapé. Voyons, ne t’inquiète pas pour ça. C’est quasiment réglé, tu le sais bien.

    Les yeux qu’il posa sur Meredith étaient chargés de tellement d’amour et aussi de tellement de… oui, de désir, qu’Anne en éprouva de la gêne. Elle ressentit le besoin de mettre fin à ce moment embarrassant. Un morceau de légume, Docteur ? proposa-t-elle en tendant le plat à Derek.

    Il se redressa. Avec plaisir ! Il prit un bâtonnet de carotte qu’il passa légèrement à la surface du ravier de sauce cocktail. Il allait le porter à sa bouche lorsqu’il se ravisa. Si j’osais… vous savez, même si je vous donne quelques conseils, je ne suis pas ici en tant que médecin. Alors, docteur, je trouve ça trop solennel, vu les circonstances. Derek me semble plus indiqué, si ça ne vous dérange pas.

    En voyant son regard, charmeur et en même temps tellement candide, presque enfantin, Anne sut de quelle façon il obtenait tout ce qu’il voulait. Elle ne ferait pas exception. D’accord, je vous appellerai Derek, mais à condition que vous m’appeliez Anne. Le solennel n’est effectivement plus de mise puisque notre relation va être d’ordre… comment dirais-je, familial ?

    Derek n’avait encore jamais pensé qu’en ayant une relation sérieuse avec Meredith, il hériterait en quelque sorte d’une nouvelle famille. Il n’en éprouvait pas le besoin mais, maintenant qu’Anne le mettait d’une certaine façon devant le fait accompli, il réalisait que cela ne le dérangeait pas. Au moins, cette famille ci, il l’avait choisie. Je crois qu’on peut dire ça, oui, approuva-t-il en souriant à sa petite amie dont l’expression prouvait qu’elle était enchantée de la tournure que prenaient les évènements. Soulagé lui aussi que les choses se passent bien mieux que ce qu’il avait prévu, il mordit dans la carotte avec appétit. C’est vraiment très bon, toutes ces petites choses-là, déclara-t-il d’un ton jovial.

    Eh bien, ne vous privez pas ! Anne se leva de son fauteuil. Moi, je vais voir si ma belle-sœur n’est pas en train de faire une bêtise.

    Elle était à peine sortie de la pièce que Meredith se collait à son amant. Tu vois que ça se passe bien, lui chuchota-t-elle.

    J’avoue. Il prit une serviette pour s’essuyer la bouche avant de boire une gorgée de whisky.

    Alors, tu vas pouvoir te détendre un peu, maintenant. Elle passa une de ses mains le long du bras de Derek. Je te sens tout raide, là.

    Hum ! D’habitude, tu aimes bien ça, quand je suis raide, plaisanta-t-il avec un regard coquin.

    Derek ! Meredith lui donna une tape sur la cuisse avant de pouffer de rire. Continue comme ça et je le dis à ma mère !

    Tu n’oserais pas, rétorqua-t-il, sûr de lui.

    Ho ho ho. Meredith le toisa avec un air ironique. De nous deux, ce ne serait pas moi la plus ennuyée !

    Vaincu, Derek passa le bout de ses doigts sur la joue de sa petite amie. Tu viens dormir chez moi demain soir ? quémanda-t-il. Elle lui fit un signe de tête affirmatif et il la remercia d’un sourire. Alors tu promets ? Si cette maison se transforme en fraternité, tu ne vivras pas ici ?

    Elle lui sourit. Promis.

    Je t’aime, murmura Derek avant de se pencher vers elle pour l’embrasser. L’effleurement de leurs lèvres le galvanisa. Il oublia les circonstances, l’endroit où ils se trouvaient, la proximité de la mère et de la tante. Ne compta plus que ce baiser. C’était comme s’il n’avait plus embrassé Meredith depuis des siècles. Une main dans la chevelure de la jeune fille, l’autre sur sa cuisse, il prit possession de sa bouche avec fougue, la fouillant avidement de sa langue, s’interrompant de temps en temps pour pincer les lèvres de sa belle entre les siennes, ou les mordiller tendrement. C’était un moment de bonheur absolu et il n’avait pas envie qu’il prenne fin.

    Elle était en train de… En découvrant la scène, Anne s’arrêta de parler, se demandant quelle contenance elle devait prendre.

    En entendant sa voix, Derek et Meredith se séparèrent en se rejetant vivement en arrière. Bien que plus maitre de ses émotions que sa petite amie, qui était rouge pivoine, le chirurgien n’en était pas moins aussi gêné qu’elle. Ce n’était pas tellement le baiser en lui-même qui lui posait problème, mais la fougue qu’il y avait mise. Déjà qu’Anne ne l’appréciait pas beaucoup, ce n’était pas cela qui allait faire remonter sa cote de popularité. Même s’il estimait n’avoir commis aucune faute – après tout, il aimait Meredith et ce baiser n’était rien d’autre qu’une démonstration des sentiments qu’il lui portait – il se sentit obligé de présenter des excuses. Je suis désolé, marmonna-t-il, comme un adolescent pris en faute. On ne vous a pas entendue arriver. Il avait à peine terminé sa phrase qu’il s’en voulut de l’avoir dite. Epouvantable comme justification. Cela le faisait paraitre pour un hypocrite qui faisait ses coups en douce. Je ne voudrais pas que vous pensiez… Il se tut, ne sachant que dire de plus. Décidément, ce n’était pas son truc, les excuses.


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  • Partant du principe que la meilleure défense était l’attaque, Meredith défia sa mère du regard. Désolée si on t’a choquée mais je ne vais pas m'excuser d'avoir embrassé mon copain. On n’a rien fait de mal. C'était juste un baiser.

    Oh mais je ne te demande pas de t'excuser. Et je ne suis pas choquée, assura Anne en venant se rasseoir. Juste un peu mal à l’aise. Tu comprends, pour moi, tu es toujours ma petite fille. Alors te voir en train de… Elle laissa sa phrase en suspension. Comment pouvait-elle mettre des mots sur ce qu’elle venait de voir ? Parce que c’était bien plus qu’un baiser à ses yeux. C’était l’expression d’un désir profond, intense, presque violent même, qu’elle sentait partagé autant par l’un que par l’autre. Cela lui laissait aussi entrevoir ce qui se passait désormais dans le lit de sa fille et c'était une réalité à laquelle elle n'avait pas envie d'être confrontée. Elle ne connaissait pas cette Meredith là et elle avait encore beaucoup de mal à accepter cet aspect de la métamorphose. En outre, elle avait l’impression que, pour cet homme, la jeune fille était capable des pires excès et cela lui faisait peur.

    Va pourtant falloir te faire à l’idée que je ne suis plus un bébé, répliqua Meredith avec une certaine brusquerie.

    Oh, je vois ça, ne put s’empêcher de dire sa mère. Mais tu sais, ce n’est pas grave, s’empressa-t-elle de préciser pour ne pas rajouter au malaise qui planait. Vous êtes amoureux, alors vous vous embrassez, c’est normal. Je sais tout ça. J’ai été amoureuse moi aussi, rappela-t-elle avec un petit rire très peu naturel. Oui, elle avait été amoureuse, éperdument même, au point de braver son père pour épouser l’homme qu’elle aimait et de sacrifier sa vie de femme une fois que son mari avait disparu. Mais elle ne se souvenait pas avoir éprouvé cette passion qui semblait consumer sa fille. Encore un beignet, Doc… Elle se corrigea précipitamment. Derek ?

    Volontiers, répondit-il en prenant un beignet au hasard. Merci. Il mâcha lentement l'amuse-bouche aux crevettes. Au moins pendant qu’il mangeait n’était-il pas tenu de parler.

    Et toi, chérie ? demanda Anne à sa fille.

    Contrariée, celle-ci secoua la tête. Pourquoi avait-il fallu que sa mère revienne justement au moment où Derek et elle s’embrassaient ? Maintenant, Anne était gênée, Derek sur la défensive et ils étaient là à ne plus savoir que se dire. La jeune fille comprit que si elle ne voulait pas que le silence s’installe, elle devait prendre les choses en main. Elle se tourna vers son amoureux. Tu ne m’as pas encore donné de nouvelles de Naomi. C’est la voisine que Derek a aidée à accoucher, expliqua-t-elle à sa mère pour la mêler à la discussion.

    Anne comprit que sa fille cherchait à rompre la glace qui était en train de se former. Ah oui ! fit-elle avec un intérêt qu’elle était pourtant loin de ressentir réellement. Le bébé va bien ? Comment s’appelle-t-il encore ?

    Jason, répondit Derek avec un sourire de reconnaissance à l’intention de Meredith qui avait ramené la conversation sur un terrain neutre et sans danger. Il va très bien, et sa maman aussi. Elle a encore quelques petits problèmes de tension, mais normalement, elle devrait pouvoir sortir après-demain.

    Oh génial ! J’ai hâte de revoir le bébé. Meredith prit aussitôt un air penaud. La maman aussi, bien sûr. Tu crois que je pourrais lui rendre visite demain ? s’enquit-elle. Ou bien je ferais mieux d'attendre qu’elle soit revenue chez elle ? Je ne la connais pas vraiment, alors…

    Tu l’as aidée à mettre son bébé au monde, lui rappela Derek en souriant. Ça crée des liens, je crois. Peu importe l’endroit, elle sera ravie d’avoir ta visite. Ne t’en fais pas pour ça.

    L’air ravi de la jeune fille amusa sa mère. Ah Meredith et les bébés ! Elle devient complètement gaga quand il y en a un dans les parages. Derek sentit son sourire se figer lentement en une sorte de rictus. La discussion reprenait un tournant qui ne lui plaisait pas du tout. A parler de l’amour que Meredith portait aux bébés en général, on pouvait en arriver à évoquer celui qu’elle avait déjà pour le fameux Nathan, ou peu importe quel serait son nom. Dans l’immédiat, Derek ne tenait pas à ce qu’Anne l’interroge sur ses envies de paternité et la façon dont il concevait la vie de famille, étant donné qu’il ne s’était pas encore fait à l’idée qu’il en aurait une un jour. Malheureusement, il n’était pas au bout de ses peines. Pourquoi ne montrerais-tu pas à Derek les achats que tu as faits pour le petit ? proposa Anne, tout heureuse d’avoir trouvé un sujet léger qui ferait peut-être oublier sa réaction face au baiser.

    Ah mais oui ! s’écria Derek avec un air faussement réjoui. Il prit son verre et le vida à moitié. L’alcool qui coula dans sa gorge ne lui apporta pas le réconfort qu’il espérait. Maudit mouflet ! pesta-t-il intérieurement.  

    Meredith sauta sur ses pieds. J’arrive ! Elle sortit de la pièce en courant.

    Voilà ! Nous y sommes ! se dit Derek en voyant Anne se tourner vers lui.

    Et cela vous arrive souvent de pratiquer des accouchements à l’improviste comme celui-là ?

    Dieu merci non ! s’exclama-t-il, vaguement soulagé mais toujours méfiant. En fait, je n’en avais plus fait depuis environ dix ans. Et jamais dans des conditions comme celles-ci, je l’avoue.

    Oui, cela devait être terriblement stressant, reconnut Anne. Le fait que ce soient vos amis… et Meredith qui était là, en prime.


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