• Anna regarda sa fille avec des yeux humides. J’avais espéré qu’elle pourrait d’abord aller dans une de ces institutions de jour dont Derek m’avait parlé, mais ça n’arrangerait pas notre problème.

    Tu veux la mettre dans une maison spécialisée ? murmura Meredith pour qu’Ellis ne l’entende pas.

    Anne alla se rasseoir en hochant la tête. Je crois que malheureusement, on n’a pas d’autre solution. Moi, je vais bientôt devoir retourner à Crestwood. Toi… Elle adressa un sourire tendre à Meredith. Tu as vingt-et-un ans. Tu n’es pas de taille à assumer tout ça, dit-elle en faisant un discret signe du menton en direction d’Ellis. Et puis, il y a les études que tu vas reprendre et ta vie tout simplement. Tu n’as pas à sacrifier tout ça pour t’occuper de ta tante. Quant à Gloria, elle n’est disponible qu’en journée. Et quand bien même… Anne haussa les épaules avec lassitude. On ne peut pas lui demander de faire plus que ce qu’elle a déjà fait pour nous. Alors, voilà…

    Tu devrais peut-être encore y réfléchir, conseilla Meredith qui voyait combien cette décision coûtait à sa mère. Y a pas le feu non plus. Elle ouvrit l’armoire pour y prendre un paquet de cookies au chocolat. Moi, il me reste quelques mois avant de passer le SAT. Alors, si on trouve un centre pour la journée, je pourrais m’occuper de Tante le soir. Après avoir pris un gâteau, elle présenta le paquet à sa mère qui refusa d’un signe de tête. Il faudrait juste trouver quelqu’un pour me remplacer de temps en temps.

    Oh je suis certaine que ton Derek adorerait ça ! répliqua Anne avec un ton moqueur. Franchement, Meredith, tu crois qu’un homme comme lui va accepter de sacrifier toutes ses soirées pour jouer les garde-malades ?

    Tu sais, passer les soirées ici ou chez lui, c’est la même chose, estima Meredith en se rasseyant devant elle.

    Oui, mais ici – une fois encore, Anne fit un signe en direction d’Ellis – elle fera toute la différence. Votre couple pourrait ne pas y résister. Consciente qu’elle avait raison, Meredith baissa la tête. Bien que la solution envisagée par sa mère réponde à ses souhaits, elle avait l’impression d’abandonner sa tante à son triste sort et elle ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu coupable. Elle reposa le deuxième gâteau dans lequel elle n’avait mordu qu’une fois. Tu ne dois pas t’en vouloir, la rassura Anne qui avait deviné quelles étaient ses pensées. Tu es jeune et tu as ta vie à vivre, répéta-t-elle, en surveillant du coin de l’œil sa belle-sœur qui ouvrait toutes les armoires, à la recherche de Dieu sait quoi. Ce n’est pas à toi de t’occuper d’elle. D’ailleurs, quand tu es venue ici, si j’avais su à quel point elle était malade, je ne t’aurais jamais demandé de le faire. Elle se leva en voyant Ellis tendre le bras vers la boite à pain. Viens, Ellis, on va se laver les mains. Elle poussa doucement l’intéressée devant l’évier de la cuisine et fit couler l’eau, l’aidant à décrasser ses mains noires de terre. Une fois qu’elles furent sèches, elle lui donna une tartine. Depuis que je suis là, je n’arrête pas de penser à ce qu’il faudrait faire, reprit-elle à l’intention de sa fille, en baissant le ton pour qu’Ellis, qui était concentrée sur le beurrage de son pain, ne l’entende pas. Si ça pouvait vraiment l’aider, je quitterais Crestwood pour rester avec elle, dit-elle en venant se rasseoir. Mais souviens-toi de ce que nous a dit Derek. Bientôt, elle sera dans un monde qui sera en total décalage avec le nôtre et nous y userons notre santé. Pour rien en plus, parce que tout ce que nous pourrons faire ne changera rien pour elle. Elle va s’enfoncer de plus en plus et… Elle se releva et alla se mettre à côté d'Ellis. C’est bon, il y a assez de beurre là. Tu en as assez, insista-t-elle en lui reprenant son couteau. Par chance, la remarque ne contraria pas Ellis qui mordit dans sa tartine avec appétit avant de sortir de la pièce. Anne alla se poster à la porte et la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle la voie s’asseoir devant la télévision. Tranquillisée, elle revint à la table. On va se retrouver complètement dépassée par les évènements. Je ne voudrais pas que, par ignorance ou par maladresse, on lui fasse du mal. Elle souffre déjà assez comme ça. Alors, j’ai pris ma décision. Je vais suivre le conseil de Derek. Je vais commencer par demander à être désignée comme sa tutrice. Après, je lui chercherai une bonne institution où on lui donnera les meilleurs soins possibles. Mais je vais sûrement devoir vendre la maison, parce que les soins, ça coûte cher. Elle croisa le regard stupéfait de Meredith. Ce n’est pas de gaité de cœur, tu sais.

    Je sais, Maman, je sais, s’empressa de répondre Meredith, en pensant à ce que cette décision allait signifier pour elle, à savoir recherche d’un nouveau logement, déménagement et ameublement. Flute ! Si je ne récupère pas l’argent de la boutique, je vais devoir puiser dans l’héritage de Momsy, se dit-elle. Faut que je demande à Derek où ça en est.

    Tu crois que Derek voudra bien me conseiller ? se renseigna Anne, avec une pointe d’angoisse dans l'intonation. Elle se rendait compte de l’ampleur de ce qui l’attendait et elle avait peur de commettre une faute dont pâtirait Ellis. Je veux lui trouver une bonne maison, adaptée à ses besoins. Elle soupira. Si on avait l’argent, ce ne serait pas compliqué, mais voilà, on ne l’a pas, ou du moins pas assez. Donc, j’ai besoin de quelqu’un qui puisse me renseigner un établissement digne de confiance qui soit à la portée de notre bourse. Et à part Derek, je ne vois personne qui puisse le faire.

    Je lui demanderai, promit Meredith. Elle reprit le cookie qu’elle avait abandonné un peu plus tôt. Au bout du compte, sa mère semblait accepter relativement bien sa relation avec Derek. Le moment sembla opportun à la jeune fille pour pousser son avantage. Je pourrais peut-être lui dire de venir diner. Ce serait plus sympa pour discuter, ajouta-t-elle sur un ton détaché avant de mordre dans son gâteau.

    Diner ? Carrément ? se moqua sa mère. Comme tu y vas ! Ton père et moi, on sortait ensemble depuis plus d'un an quand ton grand-père a accepté pour la première fois qu’il vienne diner à la maison.

    Les yeux de Meredith se levèrent en même temps que ses épaules. On n’est plus dans les années ’80 ! Et tu n’es pas grand-père, dieu merci ! Elle planta son regard franc dans celui de sa mère. Je suppose que tu n’as pas envie d’attendre encore un an avant de faire un peu mieux la connaissance de ton futur beau-fils, ironisa-t-elle.


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  • Hou, on n’en est pas encore là ! s’exclama Anne. Attends d’abord qu’il te demande en mariage ! La mine boudeuse, Meredith haussa à nouveau les épaules. Mais je veux bien qu’il vienne diner, poursuivit Anne. Tu as raison. On sera plus à notre aise ici que dans son bureau pour discuter et puis… Elle regarda sa fille avec tendresse. Puisque ça semble sérieux entre vous, il est temps que nous fassions un peu mieux connaissance. Et comme ça, je pourrai mieux voir à qui j'ai affaire.

    Ces derniers mots furent ressentis par la Meredith comme une nouvelle critique. A un homme merveilleux dont je suis follement amoureuse ! riposta-t-elle, agacée. Alors, tu n’as pas d’autre choix que de l’apprécier parce que, de toute façon, quoi que tu penses, quoique tu dises, je ne le quitterai pas. Je l’ai fait une fois et j’ai cru que j'allais en mourir, grommela-t-elle. Enervée, elle porta ses doigts à sa bouche et commença à les mordiller. Pourquoi sa mère ne parvenait-elle pas à se défaire de ses aprioris ?

    Je n’ai rien à voir avec ça ! protesta Anne. C'est toi qui avais décidé de rompre, pour les raisons que tu connais. Alors, ne t’en prends pas à moi. Et je te ferai remarquer que je ne t’ai pas demandé de le quitter. Juste de ne pas être aveugle !

    Oh mais je ne suis pas aveugle, Maman ! martela Meredith. Je sais depuis le premier jour qui il est et j’ai vu aussi à quel point il avait changé. Pour moi. Alors… Elle souffla d’exaspération.

    Est-ce que tu peux me dire pourquoi tu te mets dans des états pareils ? lui demanda Anne, qui commençait à être irritée par le comportement de sa fille. J’ai accepté qu’il vienne diner, à ce que je sache !

    Si c’est pour lui faire sentir qu’il n’est pas le bienvenu, maugréa Meredith. 

    Ah oui, c’est vrai que c’est mon genre ! Anne la regarda d’un air sévère. Et tu me vas me faire le plaisir d’être un peu moins agressive. Parce que je ne sais pas si tu t’en rends compte, ma petite fille, mais vu les circonstances, je trouve que je suis plutôt cool. Mets-toi un peu à ma place aussi, s’exclama-t-elle d’une voix soudain plus aigüe. Je débarque et j’apprends que tu sors avec un homme qui a quinze ans de plus que toi et qui est un noceur patenté, pour ne pas dire un libertin. Meredith ouvrit la bouche pour défendre son amoureux mais sa mère ne la laissa pas faire. Tout n’était sans doute pas vrai dans ce que m’ont dit Izzie et Cristina mais tout n’était pas faux non plus ! Et il n’est pas le genre d'homme que j’espérais pour toi.

    Oui, je sais, toi, tu aurais préféré George O’Malley. C’est vrai qu’un violeur, c’est mieux ! lança Meredith avec un esprit de provocation.

    Tu es injuste ! s’écria Anne, outrée. Je ne savais pas qu'il t'agresserait. Qui aurait pu penser qu’il ferait ça un jour, et surtout à toi ? Quand il était à Crestwood, c’était le plus gentil des garçons. Jamais un geste déplacé ou un mot de travers. Je ne l'ai jamais vu manquer de respect à qui que ce soit. Elle secoua la tête avec désolation. C’est cette ville qui a dû le changer.

    J’y vis aussi, Maman, et ça ne m’a pas transformée en monstre ! protesta Meredith avec sécheresse. C’est fou, ça ! Tu lui trouves encore des excuses. Par contre, Derek, lui, tu ne lui passes rien.

    Mais non, c’est faux ! s’indigna Anne. George n’a aucune excuse pour ce qu’il t'a fait. Quant à Derek….

    Meredith lui coupa la parole. Il a été le seul sur qui j’ai pu compter à l’époque, avec Mark, dit-elle avec force. Ils se sont occupés de moi comme personne d’autre ne l’a fait. Et Derek, que tu juges indigne de ta fille, parce que deux pétasses t’ont raconté n’importe quoi, ajouta-t-elle avec autant de hargne que d’amertume, a mis sa vie et sa carrière entre parenthèses pour rester avec moi et me soutenir. Il s’est passé de sexe pendant des semaines, en attendant que je sois prête. Et tant qu’on y est, il faut que tu saches qu'au début de notre relation, j’ai dû insister pour que ce libertin, comme tu l’appelles, accepte de me faire l’amour, asséna-t-elle encore, avec des yeux flamboyants de colère. Je le voulais mais lui pas, parce que j’étais vierge, et parce qu’il me respectait et parce qu’il pensait que je méritais mieux que lui. Ce n’est pas lui qui m’a attirée dans son lit, c’est moi qui m’y suis jetée. Anne regarda sa fille avec étonnement. Elle ne savait pas ce qui la surprenait le plus, le comportement ou le discours. Parce que rien dans ce qu’elle venait de voir ou d’entendre ne ressemblait à la Meredith qu’elle avait élevée. Ce qui était sans doute le plus perturbant, c’était de l’entendre parler sans aucune pudeur du désir qu’elle éprouvait pour cet homme, désir tellement fort qu’elle en avait renié certains des principes qui l’avaient guidée jusque-là. Jamais Anne n’aurait pu imaginer qu’un jour sa fille, à qui elle avait appris qu’une femme se devait d’être réservée, supplierait un homme de lui faire l’amour. Le choc était rude. Meredith le devina à son silence persistant. Oh Maman, ce n’est pas un drame ! dit-elle d’un ton nettement plus doux. Si j’ai agi comme ça, c’est parce que je savais qu’il était l’homme de ma vie. Je l’ai toujours su. Ça a été comme pour toi avec papa.

    J’ai eu tort de te mettre toutes ces histoires en tête, se reprocha Anne dans un murmure. Parce que tu as fini par voir l’amour comme un conte de fées et…

    Meredith l'interrompit encore une fois. Mais c’en est un ! D’accord, il n’est pas parfait, admit-elle sous le poids du regard critique de sa mère. Le prince a fait des erreurs, mais la princesse l’aime et elle n’en veut pas d’autre parce que malgré tout, il la rend heureuse. Les larmes lui montèrent soudain aux yeux et sa voix s’étrangla. Ce n’est peut-être pas un conte de fées traditionnel mais c’est le mien et, même si je le pouvais, je n’en changerais pas une seule ligne.

    Anne regarda sa fille avec émotion. Comme elle ressemble à son père ! se dit-elle. Aussi passionnée et déterminée que lui ! Elle lui tendit une main ouverte au-dessus de la table. Tu ne crois pas qu’il serait temps que tu me le racontes, ton fameux conte de fées ?  


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  • Après avoir enfourné le crumble à la myrtille qu’elle avait confectionné pour le dessert, Meredith se tourna vers sa mère qui était en train de mettre la dernière main à l’entrée. La jeune fille sourit en voyant avec quelle application Anne façonnait ses cakes au crabe. Qu’elle ait voulu, pour ce premier diner avec Derek, mettre les petits plats dans les grands prouvait à Meredith qu’elle avait réussi sa campagne de réhabilitation. En effet, depuis la veille, elle avait opéré un réel travail de sape sur sa mère, en lui relatant dans le détail toute son histoire avec le chirurgien. Elle n’avait rien caché, même en évoquant les moments les plus intimes, depuis la première vision, à travers les vitres sales de la boutique, de ce bel inconnu sautant au-dessus de la portière de sa voiture de sport, en passant par leur première rencontre – à la suite de cette stupide chute de l’escabeau, où elle avait bien cru mourir de honte en découvrant ledit inconnu penché sur elle – ensuite le gala, où elle s’était révélée sous un autre jour – larve devenue papillon - et leur jeu du chat et de la souris jusqu’à cette nuit à Cloverdale, au cours de laquelle elle avait découvert avec émerveillement le plaisir physique ; le désenchantement qui avait suivi lorsque Derek, motivé par on ne sait quel stupide scrupule tardif, l’avait repoussée ; le week-end à l’Auberge du Soleil, qui avait fait d’elle une femme, et ébranlé le chirurgien au point de l’amener à fuir pendant une semaine ; leurs retrouvailles et cette décision d’avoir une relation libre dont elle n’avait pas compris le véritable sens ; l’amour qui petit à petit avait grandi de part et d’autre sans qu’ils réalisent vraiment à quel point ; les réactions hostiles de ses soi-disant amis avec comme point d’orgue la pathétique agression de George ; Derek l’emmenant en convalescence à Aspen, avec cet instant magique au bord de la piscine où elle avait senti que leur relation prenait un autre tour ; le changement d’humeur inexplicable de Derek au retour ; son voyage à Miami d’où il était revenu plus amoureux que jamais ; la relation mise à mal avec l’horrible divulgation de son infidélité ; la fuite à Santa Rosa, la rencontre avec Momsy et son décès ;; le retour à San Francisco et pour finir, la révélation de la dramatique saga familiale des Shepherd et les merveilleuses déclarations d’amour qui avaient suivi. Au fil du récit qui, s’il n’était pas un conte de fées, ressemblait à un roman des plus passionnants, Anne avait réalisé que sa petite fille timide était devenue une jeune femme déterminée, prête à tout pour obtenir ce qu’elle désirait et à se battre pour le garder. Une jeune femme qui risquait de devenir richissime également, puisque Derek s'avérait être multimillionnaire, ce qui, aux yeux d'Anne, la projetait dans un monde très différent du sien. De plus, en l’écoutant, avec autant de stupéfaction que de gêne, se livrer sans pudeur sur sa vie intime, Anne avait eu la confirmation de ce qu’elle avait pressenti le soir où elle avait espionné Meredith et le chirurgien dans le hall d’entrée, à savoir que celle en qui malgré tout elle ne verrait jamais qu’un bébé, avait désormais une vie sexuelle intense et épanouie. Elle avait surtout compris que, pour ne pas perdre tout à fait son enfant, elle allait devoir faire taire ses préjugés, qui restaient nombreux, et accepter Derek tel qu'il était.

    Tout est prêt pour l’apéritif ? demanda-t-elle tout en examinant d’un regard critique les dix cakes au crabe qu’elle avait préparés en guise d'entrée.

    Meredith jeta un coup d’œil au plat sur lequel elle avait joliment disposé, autour d'un ravier contenant de la sauce cocktail, des bâtonnets de carotte et de concombre ainsi que de petits bouquets de chou-fleur. Un autre plat offrait un large choix de chips et de cacahuètes, tandis qu'un troisième attendait les mini-beignets de crevettes, de poulet et de fromage faits maison qui devaient encore passer à la friture. Oui, mais tu sais, je crois que tu n’aurais pas dû acheter les chips et tout ça. Derek ne mange pas ce genre de trucs. Il fait gaffe aux acides gras, ajouta Meredith sur un ton moqueur avant de prendre un chips au paprika. A mon avis, il va se contenter des légumes.

    Pas grave, rétorqua Anne en refaçonnant un cake dont la forme ne lui plaisait pas. Au moins, il ne pourra pas dire que je l’ai mal reçu. 

    Oh ne t’en fais pas pour ça ! clama Meredith avec un grand sourire. Il est déjà très heureux que tu le reçoives. Je crois que tu pourrais juste lui donner une tartine au beurre de cacahuètes qu’il trouverait ça génial.

    Anne sourit aussi. C’est vrai ? Il est si heureux que ça ?

    Hmm. Meredith avança ses lèvres en cul de poule et inclina légèrement la tête en arrière vers le plafond, avec un air pensif. En fait, je dirais plutôt… partagé. Ça lui a fait plaisir que tu l’invites mais ça lui fait un peu peur aussi, je crois. Lorsqu’elle avait téléphoné à Derek pour lui transmettre l’invitation de sa mère, elle l’avait senti aussi agréablement surpris qu’inquiet, comme s’il se demandait ce que cela cachait.

    Anne haussa les sourcils. Peur ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que je vais le torturer ?

    Non, pas ça, mais, à mon avis, il s’attend à passer une sorte d’examen lui expliqua sa fille. A ce que tu l’interroges sur lui, sur sa famille…

    Oh alors, pas du tout, s’exclama Anne. Déjà, vu ce que tu m’as dit sur ses parents, je vais éviter le sujet. Meredith opina doucement de la tête en souriant. Et pour le reste… Rassure-toi, je ne vais pas lui demander quelles sont ses intentions, promit-elle, ce qui fit pouffer sa fille. Je ne vais rien lui demander du tout, en fait. Je vais me contenter de voir comment il se comporte avec toi. Anne se releva pour regarder Meredith droit dans les yeux. Mais de toute façon, tu as décidé que c’était lui et tout ce que je pourrais dire n’y changerait rien, n’est-ce pas ? Mon avis ne compte plus, je crois.

    Non, c’est faux, ton avis compte mais… Meredith soupira. Je l’aime, Maman. Je sais bien qu’il n’a pas toujours été honnête avec moi mais je veux lui donner une autre chance. Elle regarda sa mère avec un air presque suppliant. Je voudrais que tu la lui donnes aussi.

    Et qu’est-ce que tu crois que je suis en train de faire ? demanda posément Anne. Tu penses que j’aurais fait tout ça – sa main gauche fit un mouvement circulaire pour montrer les différents plats qui ornaient la table – pour quelqu’un que je croirais incapable de se racheter ? Elle alla laver ses mains sous un jet d’eau froide. Le jour où je suis allée lui parler de toi, je suis sortie de son bureau avec une seule certitude, c’est qu’il t’aimait et qu’il regrettait ce qu’il avait fait. C’est pour ça que j’ai accepté de le recevoir ce soir – elle se tourna vers sa fille avec un air malicieux – et que je vais lui donner autre chose qu’une tartine au beurre de cacahouète.  


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  • Ellis poussa la porte de la cuisine et s’arrêta net en voyant le désordre qui régnait dans la pièce. Eh bien, dis donc, quel bazar ici ! Qu’est-ce qui se passe ? Elle vint se camper devant la table et regarda avec intérêt les différents mets. C'est pour quoi, ce banquet ?

    Le petit ami de Meredith vient diner ce soir, lui rappela Anne pour la troisième fois de la journée. Elle retint la main de sa belle-sœur qui s’apprêtait à tâter le rôti de bœuf d’un beau rouge saignant, et s’empressa de remettre celui-ci à l’abri dans le frigidaire.

    Tu sais, Derek, crut bon de préciser Meredith en réalignant toutes les bouteilles – whisky, de la même marque que celui qu’elle avait vu chez son amant, rhum, martini et sherry – qu’elle avait achetées pour le diner.

    Les deux femmes avaient pu remarquer, tout au long de la journée, que leur parente avait été plutôt calme et que même, à plusieurs reprises, elle avait été capable de se souvenir de certains faits de sa vie. On pouvait donc dire qu’Ellis était plutôt dans un bon jour. Derek ? dit-elle en se retournant, les sourcils froncés, vers sa nièce. C’est le chirurgien ? Celui qui a les beaux cheveux et les yeux bleus ? Tout sourire, Meredith approuva d’un signe de tête. Les yeux d’Ellis s’écarquillèrent. Mais il ne t’avait pas trompée ? demanda-t-elle d’une voix aiguë. Je croyais que tu l’avais quitté.

    Le sourire de Meredith s’effaça. Oui mais on est de nouveau ensemble, grommela-t-elle en jetant un regard désespéré à sa mère. Elle aimait beaucoup sa tante et elle regrettait vraiment qu’elle soit atteinte de la maladie d’Alzheimer. Mais il y avait des moments où cela pouvait s’avérer très pratique et le diner qui s’annonçait était un de ces moments-là. Elle n’avait guère envie qu’Ellis gâche la soirée en mettant Derek mal à l’aise par l’évocation de sujets délicats. Elle se surprit à espérer, sans vraiment en éprouver de honte, que sa tante replonge rapidement dans les ténèbres qui lui étaient de plus en plus coutumiers.

    Et ton père ? Qu’est-ce qu’il en pense ? s’inquiéta Ellis en se dandinant d’un pied sur l’autre. Il est d’accord avec ça ?

    Euh… mais, bafouilla la jeune fille, surprise que sa tante fasse référence à son père disparu dix-sept ans plus tôt. Mais… papa, il… il est...

    Anne répondit à sa place, d’une voix douce et tendre, comme à chaque fois qu’elle évoquait son défunt mari. Oui, il est d’accord. Il voit qu’elle est heureuse, alors il est content pour elle, affirma-t-elle sans aucune certitude pourtant. Mon dieu ! Est-ce que Brad aurait approuvé la relation de sa fille avec ce don juan de quinze ans son aîné, qui l'avait trompée de surcroit ? Non, sans aucun doute. Mais il n’était plus là pour y mettre bon ordre et elle, elle n’avait pas le cœur de se fâcher avec la seule personne qui lui restait. De toute façon, ça ne regarde que Meredith et Derek. Elle tapota légèrement le dessus de la main de sa belle-sœur. Alors, on ne va pas parler de ça, Ellis.

    Et surtout pas quand Derek sera là ! recommanda Meredith d’un ton sec. Il vient pour diner et aussi pour que Maman fasse mieux sa connaissance. Pas pour qu’on lui fasse son procès.

    Il faut que je parle de tout ça à mon Thatcher. La mine soucieuse, Ellis quitta la cuisine d'un pas décidé.

    C’est ça ! Et restes-y, grommela Meredith, l’air contrarié. Elle va me pourrir la soirée ! se plaignit-elle en geignant, pour répondre au regard sévère de sa mère. 

    Elle est malade ! répliqua sèchement celle-ci. Ce n’est pas sa faute si elle dit n’importe quoi. Et s’il y a bien quelqu’un qui est à même de le comprendre, c’est ton copain, il me semble.

    Je sais, murmura Meredith, un peu honteuse de sa réaction. C’est juste que je voudrais que ça se passe bien. Il est déjà tellement stressé. Il n’a pas l’habitude de ce genre de choses, tu vois.

    Mais nous non plus, lui fit remarquer sa mère. Alors, on fera tous du mieux qu’on peut. Et puis, c’est un grand garçon. Il devrait s’en sortir. Elle jeta un coup d’œil à l’horloge. Et toi, tu ferais mieux d’aller t’habiller. Ça m’étonnerait que tu veuilles le recevoir comme ça, ajouta-t-elle en considérant d’un air critique le legging et le tee-shirt informe que portait sa fille.

    Tu as raison ! A la porte, la jeune fille se retourna sur sa mère. M’man… je voudrais te dire, merci pour tout ce que tu as fait.

    Oh ce n’est pas grand-chose, assura Anne. C’est juste un diner tout simple.

    Je n’parlais pas que du diner. Je voulais dire… Meredith enveloppa sa mère d’un regard tout en tendresse et en admiration. Tout ce que tu as fait pour moi jusqu’à maintenant… Tu m’as élevée. Tu m’as toujours soutenue dans tout ce que je voulais faire et tu m’as laissée venir ici, même si ça te faisait peur. Et puis, ce soir, Derek… L’expression de son visage exprima soudain le regret qu’elle avait d’imposer à sa mère ce qui était tout de même une épreuve pour elle. Je sais que ce n’est pas très facile pour toi. Alors, voilà, merci.

    Emue par ces mots auxquels elle ne s’attendait pas, Anne détourna rapidement le regard, pour que Meredith ne voie pas les larmes qui envahissaient ses yeux. Sans le savoir, sa fille venait de la récompenser de vingt-et-un ans de sacrifices, librement consentis par ailleurs. Tu sais, moi, du moment que tu es heureuse, dit-elle d’une voix étranglée. Allez, file te préparer, ma chérie. Il ne faudrait pas le faire attendre.


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  • Meredith se rua dans les escaliers. Elle n’avait plus vu Derek depuis la veille, quand il l’avait déposée chez elle, et elle était plus qu’impatiente de le retrouver. Arrivée dans sa chambre, elle retira immédiatement ses vêtements, les jetant à terre sans prendre la peine de les ramasser, et enfila un peignoir pour se rendre à la salle de bains. Quinze minutes plus tard, elle sortit de la douche, essora sommairement ses cheveux avant de revenir dans sa chambre où elle enfila la tenue qu’elle s’était offerte spécialement pour l’occasion, une superbe petite robe rouge à fines bretelles qui s’arrêtait à mi-cuisses, à la fois sexy et classe, comme l’aimait Derek. Elle repartit ensuite dans la salle de bains pour se sécher les cheveux et se maquiller. Elle finissait d’enduire ses cils de mascara noir lorsque son téléphone lui signala qu’elle avait reçu un texto. Je viens d’entrer dans la rue. Je t’en prie, viens m’ouvrir, lut-elle. Elle pouffa de rire. Manifestement, le chirurgien redoutait de se retrouver seul avec sa belle-mère. Elle referma son tube de rimmel et se mit une légère couche de gloss sur les lèvres avant de redescendre au rez-de-chaussée. Elle ouvrit la porte d’entrée au moment même où Derek sortait de sa voiture. Il regarda dans sa direction et elle eut le sentiment qu’il était soulagé de la voir. Elle lui décocha un large sourire et agita la main pour le saluer. Lorsqu’il lui rendit son sourire, elle se sentit fondre. Quelques secondes plus tard, il était devant elle, tenant à la main une longue boite étroite. Tu ne peux pas savoir comme je suis content de te voir, dit-il à voix basse. Il l'embrassa furtivement sur les lèvres tout en regardant au-dessus de son épaule, comme s’il s’attendait à voir surgir quelqu’un. J’avais peur que tu n’aies pas lu mon message à temps. 

    Tu as cru qu’on ne viendrait pas t’ouvrir ? plaisanta-t-elle.

    Non, mais je préférais que ce soit toi qui le fasses. Putain, je crois que je n’ai jamais été aussi stressé de ma vie, grogna Derek. Il était dans cet état depuis le moment où Meredith lui avait téléphoné pour lui faire part de l’invitation de sa mère. Même si elle avait prétendu qu’il ne s’agissait que de discuter des mesures à prendre pour sa tante, il savait que ce diner serait une sorte d’examen de passage pour lui. Ça va, ma tenue ? demanda-t-il à la jeune fille. C’est pas trop décontracté ? Je… je ne savais pas quoi mettre, en fait.

    Elle embrassa en un coup d’œil le jean noir et la chemise rose poudre qui habillaient la silhouette élancée de son petit ami. C’est parfait. Le fait que Derek se soucie autant de sa tenue et qu’il soit aussi nerveux l’enchantait. Cela voulait dire qu’il accordait vraiment de l’importance à ce diner et qu’il voulait se montrer sous son meilleur jour. Tu n’as aucune raison d’être stressé. Ce n’est qu’un diner tout simple, entre nous. Ça va bien se passer, tu vas voir. 

    Il se détendit un peu et lui sourit, avant de la regarder des pieds à la tête. Tu es très belle. J’aime beaucoup cette petite robe. Ravie du compliment, elle se colla à lui avec un large sourire. Il se pencha sur elle. Tu m’as manqué, chuchota-t-il à son oreille. Tiens… Il lui tendit son paquet. C’est pour toi.

    Le visage de Meredith s’illumina. Pour moi ? Elle ouvrit la boite et y trouva une magnifique rose d’un rouge éclatant. Bien qu’elle ne s’y connaisse guère en langage des fleurs, elle comprit parfaitement le sens de ce charmant cadeau. Oh, elle est magnifique, murmura-t-elle. Merci, mon chéri. Elle se haussa sur la pointe des pieds pour embrasser son amoureux avec un peu plus d’insistance qu’il ne l’avait fait en arrivant.

    Il rejeta légèrement la tête en arrière. Bébé, gronda-t-il en jetant un regard inquiet vers l'arrière de la maison. Pas ici. La mère de Meredith était peut-être revenue à de meilleurs sentiments à son égard mais sans doute pas au point d’accepter de le voir rouler une pelle à sa fille. Celle-ci s’esclaffa. C’était trop amusant de le voir, lui qui habituellement était tellement sûr de lui, et parfois même arrogant, se conduire comme un adolescent timoré. 

    Ah vous voilà, vilain garnement ! Surgie de nulle part, Ellis se tenait devant eux et visait Derek d’un œil impitoyable.

    L’accueil quelque peu agressif n’étonna pas Derek. Au téléphone, Meredith l’avait prévenu de la détérioration rapide de l’état de sa tante. Sans doute celle-ci le prenait-elle pour quelqu’un d’autre. Bonsoir, Madame, répondit-il comme si de rien n’était. Je suis heureux de vous revoir.

    J’aimerais pouvoir en dire autant, aboya Ellis avant de se tourner vers Meredith. Qu’est-ce qu’il vient faire ici ?

    J’ai invité le Dr Shepherd à diner, répondit la voix douce et calme d’Anne depuis le fond du hall. Et ce n’est pas une façon de l’accueillir, Ellis. Contrariée, celle-ci disparut dans le salon. La mère de Meredith avança en souriant vers Derek. Bonsoir, Docteur. Veuillez excuser ma belle-sœur. Elle est parfois un peu… Elle ne termina pas sa phrase.

    Derek fit deux pas dans sa direction, la main déjà tendue. Bonsoir, Mad… Tout à coup, il butta dans le fin tapis qui ornait l’entrée, ce qui faillit lui faire perdre l’équilibre. Ce n’était pas la première fois qu’il venait dans cette maison et jamais il n’avait trébuché sur ce foutu tapis. Manque de bol, cela lui arrivait le jour où il essayait de faire bonne impression. C’est mal parti, pensa-t-il.

    Attention ! Il y a un tapis, lui signala Meredith avec une intonation moqueuse.

    La mâchoire contractée, il se contint pour ne pas se retourner vers elle, la fusiller du regard et crier qu’il le savait. Il serra la main d’Anne. Madame… c’est un plaisir de vous revoir. Il avait à peine terminé sa phrase qu’il se rendit compte qu’il avait utilisé pour la mère quasiment les mêmes mots convenus que ceux qu’il avait employés pour la tante. Il se sentit emprunté, maladroit, idiot pour tout dire. Si cela n’avait pas été pour Meredith, jamais il ne se serait imposé une telle épreuve.


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