• CHAPITRE 1127

    A ne pas pouvoir sauver tout le monde ? Non, et je ne le veux pas d’ailleurs, lui confia Derek. C’est justement parce que je ne supporte pas ça que je me bats autant pour garder mes patients en vie. Le jour où leur mort ne me touchera plus, je changerai de métier.

    Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, Anne regarda Derek avec une certaine admiration. Si elle n’appréciait pas particulièrement l’homme, elle aimait la façon dont le médecin parlait de son métier et l’investissement dont il semblait faire preuve. Je peux vous demander ce qui vous a poussé à devenir chirurgien ?

    Oh ! La légère moue de Derek traduisit sa perplexité. Je ne sais pas vraiment. Ça allait de soi pour moi. C’était comme si c’était écrit, vous voyez ? Les deux femmes opinèrent lentement de la tête avec un petit sourire et Derek fut frappé par leur ressemblance, chose qu'il n'avait pas perçue jusqu'à présent. En même temps, c’était difficile d’y échapper, poursuivit-il. Mon grand-père était chirurgien, mon père aussi. On ne parlait que de ça à la maison. Je n’ai jamais imaginé faire autre chose en fait.

    Pourquoi avoir choisi la neurochirurgie ? insista Anne à qui il semblait que de toutes les spécialités chirurgicales, celle-ci était de loin la plus pointue. Dans son esprit, la neurochirurgie était reliée aux seules fonctions cérébrales, ce qui signifiait que l’homme qu’elle avait devant elle pouvait, d’un malheureux coup de scalpel, réduire tout être humain à l’état de légume. Un tel choix de carrière ne pouvait dénoter, selon elle, qu’un goût exacerbé, pour ne pas dire insensé, pour le risque.

    Derek but un peu de whisky, prenant ainsi le temps de réfléchir au fait que, pour répondre sincèrement, il allait devoir aborder un sujet délicat. Mon père et moi… Il hésita encore un instant. On ne s’est jamais entendu. Je suppose que Meredith vous a parlé de la dynamique familiale chez les Shepherd, ironisa-t-il.

    Anne acquiesça d’un léger signe de la tête. Oui, elle m’en a parlé. Un peu, répondit-elle prudemment, sans trop savoir si sa fille ne lui avait pas révélé plus qu’elle n’était autorisée à le faire.

    Meredith regarda Derek avec un peu d’appréhension. Tu m’avais dit que je pouvais, lui rappela-t-elle timidement.

    Oui, oui, bien sûr. Tu as bien fait, la rassura-t-il promptement. Ce n’est pas un problème. Il s’adressa à nouveau à Anne. Mon père m’a toujours dit que je ne lui arriverais jamais à la cheville, dans quelque domaine que ce soit, et certainement pas en chirurgie J’ai voulu lui prouver qu’il avait tort et c’est pour ça que j’ai choisi la neuro, énonça-t-il d’un ton posé dont il fut le premier étonné. C’était la première fois qu’il parvenait à parler de son père sans s’énerver. Je voulais le battre sur son propre terrain.

    Vous y avez réussi ?

    Il haussa les épaules. Je n’en sais rien. Il fixa soudain son regard sur le peu d’alcool qui subsistait dans son verre. Mère et fille se turent pour respecter son besoin de réflexion. A vrai dire, ça m’est devenu égal, reprit-il en relevant la tête, après quelques secondes. Mon père, prendre ma revanche… Discrètement, il reprit la main de Meredith et noua ses doigts aux siens. Cette histoire est derrière moi maintenant. Supplanter mon père n’est plus ma motivation.

    Et vous n’avez jamais regretté votre choix ? s’enquit Anne. Vous ne vous êtes jamais dit que vous auriez pu faire autre chose ?

    Le regard de Derek s’illumina. Non, jamais. J’aime vraiment ce que je fais. C’est passionnant. Je crois que j’étais fait pour ça, en définitive.

    Ellis qui n’avait pas semblé prêter attention à leur conversation, se tourna tout à coup vers eux. Shepherd, c’est votre nom ? se renseigna-t-elle auprès de l’intéressé.

    Oui, Madame.

    J’ai déjà entendu c’nom-là quelque part, grommela la malade, les sourcils froncés. Ça m’dit quelque chose.

    C’est normal, Tante Ellis. Derek est déjà venu à la maison. C’est pour ça que tu connais son nom, dit Meredith avec un calme qu’elle ne ressentait pas vraiment. Elle aurait préféré que sa tante ne vienne pas perturber la conversation avec ses questions sans queue ni tête.

    Ellis hocha la tête dans un mouvement rapide et nerveux, comme si elle refusait de toutes ses forces l’explication donnée par sa nièce. Le regard virevoltant dans tous les sens, elle marmonna encore quelques mots que personne ne comprit. Derek, est-ce que je peux encore vous servir un whisky ? proposa Anne pour détourner l’attention.

    Je veux bien, mais un petit, répondit-il. L’alcool commençant à faire son effet, il se sentait de plus en plus détendu. Un petit verre supplémentaire le ferait sans doute se sentir tout à fait à l’aise mais il n’était pas question non plus de terminer la soirée complètement bourré.  

    Pendant que sa belle-sœur faisait le service et que Meredith présentait à nouveau le plat de beignets à son petit ami, Ellis se leva d’un bond et vint se mettre devant ce dernier, le scrutant de ses yeux perçants. Ne sachant trop quelle contenance prendre, il lui sourit gentiment, se demandant ce qui allait encore lui tomber sur la tête. J’ai connu une Martha Shepherd il y a quelques années, lâcha-t-elle enfin. Elle est de votre famille ?


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