• Oui, mais il y a les soins médicaux à proprement parler, objecta Anne. Ça n’est pas gratuit.

    Non, bien sûr, admit Derek. Toutefois, si votre belle-sœur a une assurance-maladie, cela devrait couvrir les frais.

    Je n’en ai aucune idée, confessa Anne. Je vais devoir me renseigner. J’espère que Gloria est au courant. Derek lut la panique dans ses yeux. Il avait déjà vu cette réaction chez bon nombre de parents de patients, lorsqu’ils réalisaient que la situation était en train de leur échapper et qu’ils étaient seuls pour résoudre toute une série de problèmes. Et si jamais, elle n’a pas d’assurance ? reprit Anne. Effrayée par cette perspective, elle se mordilla la lèvre inférieure. Un jour, nous devrons sans doute la mettre en maison de retraite. Comment on va payer les frais ? Il y a bien sa maison mais je ne sais pas si on a le droit de la mettre en vente de son vivant.

    On pourrait la louer peut-être, avança timidement Meredith.

    Puisque vous évoquez les problèmes financiers, intervint Derek, je ne peux que vous conseiller de demander à votre belle-sœur, pour autant qu’elle ait encore des moments de lucidité évidemment, qu’elle vous donne procuration. Vous pourrez alors gérer ses biens. Si elle n’est plus capable de prendre ce genre de décision, vous devrez vous faire désigner comme sa tutrice légale.

    Voilà encore quelque chose à laquelle Anne n’avait pas pensé. Et pourtant, il était évident qu’Ellis n’était plus apte à s’occuper d’argent. Cette maladie est épouvantable, s’écria-t-elle, abattue par ce flux de mauvaises nouvelles.

    Derek secoua imperceptiblement la tête. Oui, et malheureusement la médecine est encore impuissante face à elle. On ne connait pas son origine. Quant à la soigner…

    Mais enfin, il n’y a pas de traitements, pas de médicaments ? s’exclama Anne, révoltée.

    Derek se laissa aller dans le fond de son fauteuil. Il y a des médicaments, mais ils ne font que ralentir l'évolution de la maladie, sans la stopper. Le malade se dégrade plus lentement, c’est tout ce qu’on peut faire. A partir d’un moment, il ne sert plus à rien de prescrire ces médicaments, ils n’ont plus aucun effet. C’était ce qui lui avait été le plus pénible, au début de sa carrière, accepter l’idée que parfois, il n’y avait plus rien à faire et qu’il fallait laisser la maladie et la mort faire leur œuvre.

    Est-ce qu’on meurt de la maladie d’Alzheimer ? demanda Meredith d’une petite voix peu assurée.

    Parce que la question était grave et importante, et qu’il avait entendu à son intonation qu’elle était inquiète, Derek cessa de faire semblant de ne pas l’entendre. Pour la première fois depuis le début de l’entretien, il la regarda en face. Oui, dans son stade avancé, ça devient une maladie mortelle, comme le cancer. Mais dans la plupart des cas, le décès est causé par des complications dues à l'inconscience du malade : chute, aggravation d'une infection qu’il n’a pas pu signaler, façon d'avaler qui provoque l'étouffement…

    Oh mon dieu ! Quelle horreur ! gémit Anne, en portant la main à sa bouche

    Je suis désolé, Madame, vraiment désolé, certifia Derek avec une sincère compassion. J’aurais aimé avoir de meilleures nouvelles à vous annoncer.

    Anne lui sourit tristement. Vous n’y êtes pour rien, Docteur. C’est déjà tellement gentil de votre part d’avoir bien voulu nous consacrer tout ce temps. D’ailleurs, nous n’allons pas vous retenir plus longtemps. Elle se leva avec l’envie pressante de quitter ce bureau où elle avait la sensation d’étouffer, pour se retrouver à l’air frais. Ce qu’elle venait d’apprendre l’avait profondément bouleversée, choquée même. Il lui faudrait du temps pour digérer tout ça.

    Derek se leva également et fit le tour de son bureau pour lui dire au revoir. Je regrette de ne pas pouvoir faire plus.

    Anne serra la main qu’il lui tendait puis fit deux pas vers la porte, avant de faire prestement demi-tour. Une horrible idée venait de la frapper. Dites-moi, Docteur, est-ce que cette maladie est héréditaire ? Je vous demande ça pour ma fille et les enfants qu’elle aura un jour.

    Les enfants de Meredith ! Jamais Derek n’avait pensé à cela, si ce n’était à Aspen, et cela s’était conclu par l’achat de la pilule. Il se tourna vers la jeune fille et la regarda dans les yeux. Elle lui rendit son regard, intensément. L’espace d’un instant, le temps fut suspendu. Ils ne se souciaient plus de ce qu’Anne pourrait en penser. A peine se souvenaient-ils qu’elle était là. Avec son interrogation, elle les avait mis, sans le vouloir, face à la réalité. Une vie, un couple, des enfants, tout ce qu’ils ne vivraient jamais, du moins pas ensemble. L’image de Meredith entourée d’enfants qu’un autre lui aurait faits parut intolérable à Derek. Rassurez-vous, selon les études qui ont été réalisées jusqu’à présent, rien ne prouve que la maladie soit héréditaire, répondit-il en se détournant de son ex petite amie, avec la soudaine envie d’être seul.

    Merci, répondit sobrement Anne. Il aurait fallu qu’elle soit aveugle pour ne pas voir ce qui venait de se produire. Le regard que sa fille avait échangé avec le médecin n’avait rien d’anodin. Il était fervent, enflammé, passionné. En tout cas, il révélait que ces deux-là se connaissaient bien mieux qu’ils ne le prétendaient. En revanche, ce qu’Anne ne comprenait pas, c’était la raison du petit jeu auquel ils s’étaient livrés. Pourquoi jouer à être des étrangers l’un pour l’autre ? Lui qui l’ignorait, elle qui le provoquait par ses petites phrases assassines... Anne se promit de tirer tout cela au clair dès qu’elle se retrouverait seule avec sa fille. Au revoir, Docteur, fit-elle en avançant vers la porte.


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  • Derek se précipita pour ouvrir la porte à la mère de Meredith. Madame… Mademoiselle, dit-il à la jeune fille qui passait devant lui. L’intonation n’était plus froide mais douloureuse.

    Docteur, répondit-elle. Merci beaucoup. Elle jeta un bref coup d’œil vers sa mère qui s’était légèrement éloignée, pour vérifier qu’elle ne risquait pas de l’entendre. Merci pour ce que tu lui as dit, chuchota-t-elle. Je crois que tu as réussi à la convaincre.

    Je n’ai fait que dire la vérité, rétorqua Derek. Si cela a pu vous aider, j’en suis heureux. Heureux ? Il ne l’avait pas été souvent, si ce n’était avec elle, et maintenant qu’ils étaient séparés, il ne l’était plus du tout. Il ne le serait sans doute plus jamais.

    Derek, murmura Meredith sur un ton de reproche. Sa mère n’avait pas deviné la vraie nature de leur relation. Quant à eux, n’avaient-ils pas baissé les armes en fin de conversation ? Pourquoi s’obstinait-il donc dans cette attitude qui n’avait plus lieu d’être ? Tu n’as plus besoin de…

    Il lui coupa la parole, en évitant son regard. J’ai fait ce que tu voulais, dit-il à voix basse, pour que sa mère, dont il voyait bien qu’elle les épiait, ne les entende pas. Alors maintenant va-t’en, je t’en prie. Ne rendons pas cela plus pénible que ça ne l’est. Il referma rapidement la porte après avoir adressé un dernier signe de tête à Anne Grey.

    Interdite par les derniers mots de Derek, Meredith resta figée, les yeux fixés sur la porte qui venait de lui être fermée au nez. Plus pénible que ça ne l’était ! Pour qui ? Pour lui ? Mais à qui la faute ? Et ne croyait-il pas que ça l’était pour elle aussi ? Elle avait souvent imaginé le jour où elle le présenterait à sa mère. Cela ne devait pas se passer comme ça. Elle savait qu’il avait été blessé par le fait qu’elle avait voulu cacher les liens qui les avaient unis mais en même temps, que pouvait-elle faire d’autre ? Dire à sa mère : Maman, je te présente mon ex petit-ami. Si nous ne sommes déjà plus ensemble, c’est parce qu’il avait peur de m’aimer et qu’il m’a trompée avec tout ce qui passait. Belle entrée en matière, vraiment !

    Meredith, la héla Anne qui n’avait rien perdu de la scène. L’attitude des deux protagonistes n’avait fait qu’accroitre sa suspicion et elle était maintenant pratiquement certaine que ce médecin si séduisant était le petit-ami dont sa fille lui avait parlé, ce qui la contrariait énormément pour toute une série de raisons.

    Oui, Maman, on peut s’en aller. Meredith rejoignit sa mère en affichant un sourire qui était loin d’être le reflet de son état d’esprit. Elles se mirent à marcher vers les ascenseurs.

    Anne prit un air détaché. De quoi avez-vous parlé ?

    Meredith souleva un peu ses épaules. Rien d’important. Je l’ai remercié de nous avoir reçues et il m’a dit qu’il était heureux de nous avoir rendu service. Et à quel point c’était pénible de rester en ma présence quelques minutes de plus, ajouta-t-elle mentalement. C’était la première fois que Derek la repoussait de cette façon, avec autant de détermination, et elle avait eu la désagréable impression que c’était lui qui mettait un terme définitif à leur histoire.

    En tout cas, ça a été très instructif, fit Anne, en épiant les réactions de sa fille.

    Oui, il est très compétent, répondit Meredith sans entrain. Je te l’avais dit.

    Et bel homme avec ça ! insista Anne. Tu as vu ses cheveux ? Meredith hocha brièvement la tête. Et ses yeux ! Il doit avoir un succès fou avec les femmes, j’imagine.

    Sûrement ! Meredith commençait à être agacée d’entendre sa mère chanter les louanges de Derek. Y avait-il sur terre une femme qui ne soit pas sensible à son charme ?

    En tout cas, j’espère que tu ne parles pas à tous tes clients comme tu l’as fait avec lui, lui reprocha Anne. Sinon, vous n’allez pas tarder à déclarer faillite. Meredith souffla bruyamment, telle une adolescente contrariée par les remontrances de ses parents. Ne souffle pas ! lui ordonna sa mère, le regard sévère. Tu sais que j’ai horreur de ça. En plus, tu sais que j’ai raison. La façon dont tu t’es adressée à lui était grossière.

    Et lui alors ! répliqua la jeune fille, au comble de l’énervement. Pas foutu de se mettre à notre portée. Si je n’avais pas réagi, on n’aurait rien compris du tout. Elle appuya sur le bouton de l’ascenseur, en priant pour que celui-ci arrive vite et qu’il ne soit pas vide. Seule la présence de tierces personnes mettrait fin à la leçon de morale que sa mère était en train de lui infliger.

    Peut-être mais ce n’est pas une raison pour te conduire de cette façon. Surtout vis-à-vis d’une personne que tu ne connais pas vraiment. Anne posa la main sur le bras de sa fille. Parce que c’est le cas, n’est-ce pas ?

    Meredith fut aussitôt sur la défensive. Pourquoi tu me demandes ça ?

    Mer, la façon dont cet homme t’a regardée…

    Meredith ne la laissa pas aller plus loin. Dont il m’a regardée ! s’écria-t-elle d’une voix stridente. Tu veux rire ? Il m’a ignorée tout le temps.

    Justement, c’en était suspect, rétorqua Anne d’un ton qui n’admettait pas la contestation. Mais à d’autres moments… Je ne suis pas née de la dernière pluie, ma petite fille, ajouta-t-elle avec plus de douceur. Il y a des regards qui ne trompent pas. Meredith rougit violemment. Tu me l’aurais dit s’il y avait quelque chose entre vous, bien sûr ? interrogea Anne en la fixant avec intensité.

    Il n’y a rien à dire, mentit Meredith, le rouge aux joues. Rien du tout. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à point nommé sur une cabine bondée. Elle bénit le ciel de l’avoir sauvée, enfin pour le moment, car elle connaissait assez bien sa mère que pour savoir que celle-ci n’en resterait pas là. Mais au moins, cela lui laissait un peu de temps pour préparer son plan de défense.


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  • Derek appuya sur le bouton de la télécommande qui actionnait le déverrouillage des portes de la Porsche. Il était presque une heure du matin et il était crevé. Après avoir passé la journée au bloc, où les interventions s’étaient succédé à un rythme infernal, avec pour seule pause sa confrontation avec Meredith qui l’avait laissé sans forces, comme s’il avait livré un match de boxe, il aurait aimé pouvoir rentrer chez lui plus tôt, mais une urgence l’avait retenu à la clinique jusque maintenant. Il n’aspirait désormais plus qu’à une chose, retrouver le calme de sa péniche. Il n’avait pas encore mis la clé dans le contact que son téléphone sonnait. Il le retira de sa poche en soupirant et leva les yeux au ciel en voyant le nom de Callie clignoter sur l’écran. En rallumant son téléphone, il avait remarqué qu’elle lui avait laissé de nombreux messages mais il ne les avait pas lus. Quoi qu’elle ait à lui proposer, il n’était pas intéressé. Ce soir, il n’avait envie de parler à personne. Il laissa sonner jusqu’à ce que l’appel soit dévié sur sa boite vocale. Il appuyait sur l’accélérateur lorsqu’il reçut le deuxième appel. Il souffla longuement. Connaissant Callie, il était clair qu’elle allait insister jusqu’à ce qu’il décroche. Autant s’en débarrasser directement. Oui, Cal, dit-il d’un ton extrêmement las.

    Ah tout de même ! s’écria son amie. Où étais-tu passé ?

    Je bossais, tiens ! répondit-il avec irritation. Il entendit un brouhaha, un bruit de portes qui s’ouvraient et se refermaient, des rires et des éclats de voix. Bon sang, quel boucan ! Où es-tu ?

    Dans les toilettes du Cellar, lui apprit Callie avec entrain, comme s’il s’agissait d’une chose particulièrement plaisante. C’est plus pratique pour t’appeler. Y a moins de bruit. Elle s’écarta pour laisser le passage à une jeune femme qui désirait se repoudrer le visage. Devine qui est là ?

    Aucune idée. Derek ferma les yeux et se laissa aller contre le dossier de son siège. Ecoute, Callie, j’ai eu une journée vraiment épouvantable, alors je n’ai pas envie de jouer aux devinettes.

    OK, alors j’te dis… C'est Meredith, claironna Callie, tout heureuse d’avoir un scoop à révéler. Et quel scoop ! Elle attendit la réaction de Derek avec impatience.

    Il rouvrit immédiatement les yeux. Qu’est-ce qu’elle fout au Cellar ? maugréa-t-il. Il n’avait jamais emmené Meredith dans ce night-club que, d’ailleurs, il ne fréquentait plus depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Soit elle y avait atterri par hasard, ce qui était peu probable, soit on l’y avait conduite. Un coup des sœurs Muffins très certainement !

    Le sourire de Callie s’étala d’une oreille à l’autre. Elle savait que son information intéresserait Derek. Ben manifestement, elle s’amuse. Comme une folle même.

    La première pensée du chirurgien fut que Meredith était en train de fêter leur rupture. Pour une fille qui disait être folle de moi, elle se console vite, pensa-t-il avec amertume. Tant mieux pour elle ! fut sa réponse à Callie. Ce qu’elle fait ne me concerne plus. On a vraiment rompu cette fois.

    Je sais, Mark me l’a dit. Callie appuya ses fesses contre le lavabo. Quelques semaines plus tôt, la nouvelle de cette séparation l’aurait comblée de joie. Maintenant, elle était seulement désolée pour son ami. Les derniers évènements lui avaient fait comprendre que, Meredith ou pas, elle n’aurait jamais aucune chance de gagner le cœur de Derek. Quoiqu’elle fasse, il ne l’aimerait jamais. Après avoir longtemps été une amie avec faveurs, elle ne pouvait plus prétendre désormais qu’au statut d’amie ce qui, finalement, compte tenu de la personnalité du bonhomme, n’était déjà pas si mal. Ce fut à ce titre qu’elle se permit un conseil. Je crois que tu devrais quand même venir, Derek.

    Il n’avait vraiment pas envie de sortir, et certainement pas dans le même endroit que Meredith. Il avait suffisamment donné dans le masochisme pour la journée. Il ne voulait rien d’autre que rentrer chez lui, prendre une douche et se jeter sur son lit, même s’il savait déjà qu’il ne trouverait pas le sommeil, surtout en sachant que Meredith s’éclatait en boite. Cal, je t’ai dit, j’ai eu une journée éreintante. Je n’ai franchement pas le cœur à m’amuser. 

    Je ne te parle pas de faire la java mais plutôt du sauvetage, riposta Callie. Ta copine…

    Ex copine ! rectifia Derek.

    Si tu veux ! Callie reprit sur un ton plus calme. Elle est complètement bourrée et… elle est avec des gars…

    Des gars ? Quels gars ? l’interrogea Derek, soudain fou d’inquiétude.

    Des gars. Plus ou moins de son âge, lui expliqua Callie. Il y en a un qui n’est pas mal foutu d’ailleurs. Elle avait passé quelques minutes très agréables, le regard fixé sur les fesses du garçon aux courts cheveux bruns qui se dandinait devant Meredith. 

    Derek l’interrompit avec un ton rageur. Callie ! Je ne te demande pas de me les décrire mais seulement si tu les connais.

    Jamais vus ! Et elle ne les connait pas non plus. Callie se pencha au-dessus du lavabo pour se regarder dans le miroir. Elle était déjà là quand je suis arrivée. Seule. Et déjà bien entamée. D’après ce que j’ai pu voir, elle carbure au Mojito, précisa-t-elle tout en essuyant du bout de l’index son mascara qui avait légèrement coulé sous l’œil droit. Et évidemment, ils ne lui laissent pas le temps d’avoir soif, si tu vois ce que je veux dire. Elle hésita une seconde avant de faire part de ses sentiments à Derek. Enfin, je ne sais pas mais j’ai l’impression que ça pourrait mal tourner pour elle. J’ai essayé de lui parler, seulement je me suis fait jeter, alors… Vaudrait mieux que tu viennes, répéta-t-elle avec un peu plus de conviction. Et vite !

    Callie n’était pas une mijaurée. Derek était conscient que, si elle avait pris la peine de le prévenir, c’était parce que la situation risquait fort de dégénérer. Putain ! Est-ce qu’elle va arrêter un jour de me faire chier ? cria-t-il dans le téléphone sans toutefois penser une seule seconde à ne pas venir au secours de Meredith. J’arrive.

    J’t’attends au bar principal, eut le temps de lui dire Callie, juste avant qu’il ne mette fin à la communication.


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  • Derek jura. Cela faisait trois fois qu’il faisait le tour du pâté de maisons, roulant au pas, dans l’espoir de trouver une place pour se garer. Il commençait à envisager de se mettre en double file, juste le temps d’entrer dans le club et d’en faire sortir Meredith manu militari, lorsqu’il vit au loin une voiture qui sortait de son emplacement. Énervé, il appuya lourdement sur l’accélérateur, au point que la Porsche fit un bond en avant dans un impressionnant bruit de moteur. Il se gara en deux coups de volant, sauta hors du véhicule en claquant sa portière et marcha d’un pas décidé vers le Cellar, bien résolu à régler le problème en quelques minutes. En le voyant arriver, le portier, un malabar d’1,90m à la mine patibulaire, sourit de toutes ses dents. La soirée promettait d'être lucrative. Il était en effet de notoriété publique que Derek Shepherd et son ami, Mark Sloan, étaient d’excellents clients. Avec eux, l’alcool, whisky ou champagne, coulait à flots et les pourboires étaient conséquents. Il se précipita pour ouvrir la porte au chirurgien. Heureux de vous revoir, Docteur. Passez une bonne soirée. Derek le salua d’un bref signe de tête.

    Sans prendre la peine de déposer sa veste au vestiaire, comme il le faisait d’habitude, il entra directement dans la salle où les baffles déversaient une musique assourdissante (ICI), tandis que les clubbeurs s’agitaient plus qu’ils ne dansaient réellement, serrés les uns contre les autres. Il se fraya un chemin vers le bar, ne craignant pas de bousculer ceux qui ne s’écartaient pas assez vite à son gré et restant totalement sourd aux protestations que sa rudesse déclenchait. Enfin, il vit Callie qui se dandinait sur son tabouret tout en sirotant à la paille un cocktail multicolore. Il découvrit aussi, à côté d’elle, un jeune infirmier qu’il avait déjà aperçu dans le service de Mark. Il en fut fort contrarié. Il n’était pas question qu’il divulgue la moindre parcelle de sa vie privée devant le personnel de la clinique. Va voir plus loin si je n’y suis pas, aboya Derek, en arrivant près d’eux, à l’intention du jeune homme qui s’enfuit aussitôt à l’autre bout de la salle, sans demander son reste.

    Hé ! Mon rendez-vous ! couina Callie en regardant sa proie s’éloigner.

    Tu le récupéreras quand je serai parti, répliqua Derek, sa joue effleurant celle de son amie. Où est-elle ? La bouche arrondie autour de sa paille pour aspirer le contenu de son verre, Callie tendit le bras vers la piste de danse, l’index pointé en avant. Effectivement, Meredith était là, à quelques mètres d’eux, dans une robe bustier à smocks qui faisait ressortir les rondeurs de sa poitrine et dont le léger tissu – un ravissant imprimé fleuri – était devenu quasiment translucide sous la lumière des spots, ne cachant plus rien de la finesse des jambes de la jeune fille. Manifestement ivre, celle-ci ondulait, les yeux à moitié clos, sur un rythme qui ne suivait en rien celui de la musique. Elle était entourée par quatre jeunes hommes qui se trémoussaient en la serrant de fort près, ce qui ne semblait pas la déranger outre mesure. Se rendait-elle seulement compte de leur présence ? Soudain, sans que rien ne le justifie, elle se mit à sauter en l’air, sur place, les bras tendus vers le ciel, en braillant sans retenue "Boom Boom Boom". Nom de dieu, murmura Derek avec un air profondément accablé.

    Le bruit était tel que Callie n’entendit pas ce qu’il disait mais elle le lut sur ses lèvres. Elle se pencha pour lui parler à l’oreille. Ouais, c’est ce que je me suis dit aussi, persifla-t-elle, un air dédaigneux sur le visage. Elle n’est vraiment pas douée en danse.

    Arrête de dire n’importe quoi, s’époumona Derek pour se faire comprendre. Elle danse très bien d’habitude, insista-t-il comme si cela avait une quelconque importance. Mais là, elle est complètement bourrée. Elle ne sait plus ce qu’elle fait, c'est évident.

    Callie secoua lentement la tête en le regardant avec commisération. Comment peux-tu encore la défendre, après ce qu’elle t’a fait ? s’indigna-t-elle.

    Il la fusilla du regard. Ce qu’elle m’a fait ? répondit-il sur le même ton. Mais elle ne m’a rien fait. Elle m’aimait, elle croyait en moi et je l’ai trompée. C’est moi qui lui ai fait du mal, pas le contraire. Si elle est comme ça – il désigna la jeune fille par un geste vague de la main – c’est à cause de moi. Elle est malheureuse et elle essaie seulement de l’oublier. Qui mieux que lui aurait pu comprendre ce que ressentait Meredith ? Douze ans plus tôt, c’était lui qui, après avoir été trahi par la femme dont il était amoureux, avec toutes les conséquences qui avaient suivi, avait essayé par tous les moyens de se débarrasser de cette douleur qui le rongeait. Ses yeux se portèrent une fois encore sur Meredith qui avait mis fin à ses gesticulations frénétiques pour adopter des mouvements plus lents. Elle semblait tellement fragile qu’il s’attendait à ce qu’elle s’écroule à tout instant.

    Callie posa sa main sur le bras de Derek pour attirer à nouveau son attention. Elle est au courant pour nous, hurla-t-elle pour qu’il l’entende. Tout à l’heure, avant que tu n’arrives, j’ai voulu aller lui parler et… enfin, elle est au courant. Il était inutile d’entrer dans les détails et de rapporter à son camarade tous les noms d’oiseaux dont Meredith l’avait affublée.  

    Le regard tourné vers la piste de danse, Derek hocha la tête. Je sais.

    Un peu étonnée, Callie haussa les sourcils. C’est toi qui le lui as dit ?

    Elle m’a posé la question et je lui ai dit la vérité. Derek vit à la lueur de son regard que Callie voulait en savoir plus. Il se résigna à lui donner de brèves explications. Elle aurait aimé que je lui en parle avant. Le fait qu’on travaille ensemble, qu’on se voie tous les jours, que tu sois venue à Aspen avec nous, ça la dérange. Elle aurait aimé être au courant.

    Callie fit la moue. Hmm… ça se défend comme point de vue, estima-t-elle après un petit temps de réflexion. Derek ne lui répondit pas. Il avait déjà oublié sa présence, totalement absorbé par la vision de Meredith qui avait recommencé à sautiller, en secouant ses bras dans tous les sens. Callie ressentit une profonde compassion à le voir ainsi, si malheureux, si désemparé. Il méritait tellement mieux que cette fille qui s’agitait comme une possédée. Elle regarda Meredith pendant un moment, avec à la fois de la pitié et de l’exaspération, avant de se pencher vers Derek. Tu ferais mieux d’aller la chercher avant qu’elle ne tue quelqu’un.


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  • Meredith avait eu raison de croire que sa mère n’en resterait pas là. A peine sortie de la clinique, Anne l’avait assaillie de questions sur Derek, la façon dont elle l’avait connu, la raison pour laquelle elle s’était conduite de façon aussi impertinente avec lui, et pour laquelle lui l’avait ignorée à un point que ça en était suspect. Meredith avait éludé tant que possible, restant très vague dans ses réponses, assurant à sa mère qu’elle se faisait des idées, qu’il fallait qu’elle comprenne qu'à San Francisco, les gens, et encore moins un célèbre chirurgien, ne se comportaient pas comme les habitants de Crestwood, que ce qu’elle avait pris pour de l’agressivité et du mépris n’était en fait qu’un comportement tout à fait normal à la ville. Mais elle avait bien vu que, malgré tous ses efforts, elle n’avait pas réussi à convaincre sa mère. C’est avec soulagement qu’elle était arrivée à la maison, où la présence de Gloria et d’Ellis, particulièrement survoltée, avait mis fin à cette conversation embarrassante. La journée s’était alors déroulée plus ou moins sans encombre, Meredith restant la plupart du temps confinée dans sa chambre pour remettre de l’ordre dans ses affaires ou pour lire. Malheureusement, à peine Gloria avait-elle franchi le seuil pour rentrer chez elle qu’Anne repassait à l’attaque. Cette fois, poussée dans ses retranchements, Meredith n’avait eu d’autre choix que de fuir. Elle avait quitté la maison en claquant la porte et hurlant, telle une adolescente en pleine crise, qu’elle en avait marre de ce climat de suspicion qui régnait autour d’elle, du peu de confiance qu’on lui témoignait et des fausses accusations dont elle était l’objet. Pour ne plus entendre sa mère qui, sortie sur le pas de la porte, lui ordonnait de revenir immédiatement pour continuer la discussion, elle avait couru jusqu’à ce que la maison de sa tante soit hors de sa vue. Ensuite, elle avait erré longtemps dans les rues et les jardins de la ville, ressassant ses rancœurs et ses idées noires. Parce qu’elle ne voulait pas rentrer chez elle, pas tout de suite du moins – subir encore une fois l’interrogatoire made in FBI de sa mère, non merci ! – ni faire appel à Mark – il serait toujours du côté de l’ennemi – elle avait téléphoné à Izzie. Après un début de conversation un peu malaisé et limité aux banalités d’usage, les deux jeunes femmes avaient convenu de se retrouver, avec la bande, avait précisé Izzie, sur Sutter Street, dans une boite appelée "The Cellar".

    Voilà ce qui avait amené Meredith dans cet endroit où, lasse d’attendre des amis qui ne venaient pas et dégoutée par ce nouveau coup bas, elle avait fini par accepter le verre que tenait tant à lui offrir ce garçon aux longs cheveux blonds qui n’avait pas arrêté de lui sourire, depuis l’autre bout du comptoir, avant de se décider à la rejoindre. Brett, originaire de Phoenix, Arizona, étudiant en sciences politiques à Berkeley. Un Mojito, puis un second. Meredith avait commencé à se détendre. Brett était de bonne compagnie, un peu trop bavard certes, surtout quand il s’agissait de parler de lui. En quelques minutes, il avait passé toute sa vie en revue, de la naissance à son entrée à l’université. Mais il avait une énorme qualité : il ne ressemblait en rien à Derek. C’est presque avec enthousiasme que Meredith avait suivi le jeune homme aux allures de Viking sur la piste de danse. Un troisième verre, un autre et encore un autre… Ses dernières réserves s’étaient rapidement évanouies. Elle s’était totalement abandonnée à la musique. A Brett s’étaient rajoutés Gary, Ben et… elle ne savait plus. De toute façon, cela n’avait aucune importance. Elle se moquait bien de leur prénom et de leur vie. Tout ce qu’elle attendait d’eux, c’était qu’ils lui tiennent compagnie, sans être trop envahissants, et qu’ils lui paient à boire.

    Et maintenant, elle était là, à danser au milieu de tous ces inconnus, virevoltant sur elle-même, sa tête se balançant de gauche à droite, espérant que cette sorte de vertige qu’elle commençait à ressentir lui ferait trouver l’oubli. Toutefois, comment aurait-elle pu oublier qu’elle avait perdu celui qui avait donné un sens à sa vie ? Elle se concentra sur la musique pour tenter, malgré tout, de faire le vide. Tout à coup, à l’instar de tous ceux qui étaient autour d’elle, elle se mit à chanter à tue-tête "Love is gone". Oui, ce putain d’amour était parti, la laissant seule et misérable. Qu’est-ce qu’on était supposé faire quand cela vous tombait dessus ? Elle ne le savait vraiment pas. Où allait-elle pouvoir trouver une raison de continuer à avancer ? Désespérée de ne pas avoir la réponse, elle cessa de chanter et s’immobilisa, les yeux fermés, de grosses larmes coulant sur ses joues. Elle rouvrit les yeux en sentant une main se poser sur son bras et tituba en découvrant Derek qui la regardait avec tellement de tendresse et d’amour, oui d’amour, qu’elle eut envie de se jeter dans ses bras. Elle allait le faire quand elle aperçut, au-dessus de l’épaule de son ex, Callie qui les observait avec un sourire goguenard. Elle se sentit trahie une fois de plus et se raidit. C’est elle qui t’a prévenu que j’étais là ? cria-t-elle avec une certaine agressivité.

    Mered..., commença Derek mais il n'eut pas le temps d'en dire plus.

    Est-ce que c’est elle qui t’a prévenu ? répéta Meredith en s’égosillant.

    Ecoute, elle a seulement voulu te protéger, argumenta Derek, plus pour éviter un scandale en public que pour réellement plaider la cause de Callie.

    Meredith ricana. Ouais, j’en suis sûre, dit-elle d'une voix déjà pâteuse. Toujours prête à rendre service, bien sûr. Elle darda sur celle qu’elle prenait pour sa rivale un regard dur et sans pitié avant de revenir sur Derek. Cette bonne Callie. Si gentille ! Tu devrais penser à sortir avec elle. Elle fronça soudain les sourcils, comme si elle venait d’être frappée par une idée, et se tapa le front avec le plat de sa main. Mais que je suis bête ! C’est déjà fait.

    Derek ne releva pas. Elle était trop ivre que pour entendre la voix de la raison. On ferait mieux de s’en aller, se contenta-t-il de dire.

    Elle ouvrit de grands yeux étonnés. Mais pourquoi je m’en irais ? Je m’amuse bien ici, moi. Je me suis fait plein de nouveaux amis. Et plus si affinités, ajouta-t-elle cruellement. Elle se retourna vers Brett et compagnie. Les garçons, voilà Derek, le plus bel enfant de salaud qu’il m’ait été donné de rencontrer. Dites bonjour. Mal à l’aise, ses cavaliers se contentèrent d’un léger signe de tête. Elle refit volte-face et lança à Derek un regard tout en provocation. Ils sont sympas, non ? Elle passa la main dans les cheveux de Ben pour les ébouriffer. Et tellement mignons ! En plus, ils sont jeunes. Elle attendit quelques secondes avant de porter l’estocade finale. Ça me change.

    Derek avait beau être conscient qu’elle ne cherchait qu’à lui faire du mal, il encaissa durement cet affront public qui, de plus, le renvoyait à son plus grand complexe depuis qu’il était avec elle. Mais il était hors de question qu’il le lui montre. Viens, je vais te raccompagner chez toi, dit-il avec un calme qu’il ne ressentait vraiment pas. Il y avait des moments où cette gamine méritait une bonne correction.


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