• Ça a été un choc très certainement, mais pas un drame, s’entêta Meredith. Ta naissance a contrarié ses projets mais un bébé, surtout aussi mignon que toi, n’est jamais un malheur ! Et je suis sûre que pour tes parents aussi, ça a été un moment très heureux. Elle n’avait aucune certitude, bien sûr – ces gens étaient tellement bizarres, si différents de tout ce qu’elle avait connu – mais elle trouvait insupportable que Derek puisse penser que, jamais, il n’avait été désiré et aimé. L’idée qu’il avait grandi avec cette vision des choses la faisait frémir.

    Ah pour mon père, c’est certain, persifla Derek. Avec moi, il a remporté le jackpot. Je lui ai ouvert toutes les portes, à commencer par celles de l’église. Ils se sont mariés à la va-vite. Ma mère a encore vaguement suivi les cours à la fac jusqu’à son accouchement. Quand je suis né, il l’a convaincue de mettre ses études entre parenthèses parce que, bien sûr, un bébé a besoin de sa maman.

    Et pourquoi elle ne les a pas reprises après ?

    Il laissa échapper un ricanement nerveux. Parce qu’il lui a bourré le crâne avec ses boniments sur la famille idéale, les enfants qui se suivent de près pour créer des liens étroits entre eux et la maman dévouée et aimante qui se consacre à leur éducation, tandis que papa travaille pour le bien-être de tous. Sa bouche se déforma en un rictus de dégoût. Il pouvait se montrer tellement persuasif. Elle l'a écouté. Elle a eu ma première sœur, et puis la deuxième. C’était fini, elle était foutue.

    Et ton grand-père, il a réagi comment ? se renseigna Meredith.

    Ce mariage, ce que sa fille était devenue, tout ce qu’elle acceptait… Derek secoua la tête avec un air affligé. Bien sûr, il savait que mon père la trompait. Tout le monde le savait d’ailleurs. Ça l’a dévasté. Il est mort d’une crise cardiaque un peu avant la naissance de ma première sœur. J’avais environ trois ans. Émue, Meredith se serra contre lui, en nouant ses mains autour de son bras. Il posa les lèvres sur les cheveux de la jeune fille, au sommet de son crâne. Je ne me souviens pas du tout de lui. C’est dommage. Il paraît que c’était quelqu’un d’exceptionnel. Et lui, il n’aurait pas permis que mon père nous traite comme il l’a fait. 

    Meredith se redressa pour prendre le verre d’eau et but le reste de son contenu. Ton père… Momsy m’a dit que c’était terrible entre vous. Les disputes…

    Hmm… Les lèvres de Derek s’étirèrent en un sourire insolent. Je lui ai donné du fil à retordre, c’est vrai. Mais pas encore assez. Si c’était à refaire, je le ferais crever, ce salaud, gronda-t-il, à nouveau sérieux.

    A cause de ce qui s’est passé avec Abigail ? demanda Meredith. Elle mourait d’envie que ce chapitre de l’histoire, qui était de loin celui qui l’intéressait le plus, soit enfin abordé.

    Ouais, répondit Derek sans trop de conviction. Ça et tout le reste.

    Oui mais Abigail ? insista Meredith, n’arrivant plus à brider son impatience.

    Derek eut un petit rire moqueur. Ça te tracasse, cette histoire, hein !

    Meredith haussa les épaules mais ne le contredit pas. Il haussa les sourcils, avec un air un peu supérieur. Oh ça va, ronchonna-t-elle. Bien sûr que ça me tracasse !

    Il s’esclaffa. Petite sotte ! Il passa son bras autour du cou de la jeune fille et l’attira à lui. Je t’assure qu’il n’y a pas de quoi. Tu es bien plus importante pour moi qu’elle ne l’a jamais été. Cette fois, il s’enhardit à essayer de lui voler un baiser.

    Elle se déroba en tournant la tête. Ne va pas trop vite en besogne, toi. Elle lui lança une œillade coquine. Je n’ai pas encore décidé de ton sort.

    Son attitude, ses paroles apportèrent à Derek la quasi-certitude qu’il avait remporté, si pas la guerre, du moins une victoire très importante. Il s’en sentit tout ragaillardi. Alors, Abigail ! commença-t-il de façon détachée, un peu trop pour être totalement sincère. Quoi qu’il en dise, le sujet restait délicat et douloureux. Eh bien, on s’est rencontré à la fac…

    Les lèvres pincées, Meredith lui coupa directement la parole sur un ton un peu acide. Un vrai canon, bien sûr.

    Il nota avec plaisir qu’elle était jalouse mais ne le lui fit pas remarquer. Un canon, non, mais elle était plutôt jolie, c'est vrai. Il se leva et rejoignit la cuisine pour préparer du café.

    Fébrile, Meredith poursuivit son interrogatoire. Et elle, tu as une photo ?

    Derek secoua la tête. Non. Tu sais, je ne suis pas vraiment le genre de gars qui prend des photos de ses copines. Je l’ai regretté d’ailleurs. Quand on était séparé, j’aurais aimé en avoir de toi. Ça me manquait tellement de ne plus te voir. Touchée, Meredith lui adressa un tendre sourire et il dut résister à l’envie de courir vers elle pour la renverser sur le divan et lui faire l’amour. Et concernant Abigail, reprit-il, elle était sur quelques photos de groupe qu’on avait fait avec notre bande de copains mais j’ai tout jeté. Elle n’a rien fait qui, au bout du compte, m’ait donné envie de garder des souvenirs. Il rit doucement en voyant la mine déconfite de son amie. Bébé, tu verrais ta tête !

    Meredith comprit qu’il se moquait un peu d’elle. Quoi ? riposta-t-elle. J’ai envie de savoir à quoi elle ressemble. C’est normal, non ?

    Il ne la contredit pas. A quoi elle ressemble… Pas très grande, à peu près comme toi, un peu plus ronde, presque pas de poitrine, ce qui est un bon point pour toi. Meredith le fusilla du regard.


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  • A l’époque, aussi brune que tu es blonde, enchaina Derek tout en plaçant la capsule de café dans la machine qu’il avait achetée après avoir vu George Clooney en vanter les louanges à la télévision. Elle était très différente de toi et pas seulement physiquement. Elle était aussi sournoise que tu es franche. Ce n’était pas une bonne personne. Toi, oui, et c’est très important pour moi. Meredith rougit. Il lui montra une petite tasse. Tu en veux ?

    Elle fit signe que oui. Qu’est-ce qui t’avait plu chez elle ?

    Derek fit une petite moue, comme s’il n’arrivait plus vraiment à se rappeler ce qui avait pu l’attirer en Abigail. Aujourd’hui, je dirais que c’était surtout parce qu’elle était un peu comme moi, elle ne prenait pas grand-chose au sérieux, sauf la médecine. On avait la même passion pour ce qu’on faisait et on voulait réussir à n’importe quel prix. Encore que, il semble qu’au bout du compte, elle était prête à payer bien plus cher que moi, conclut-il avec ironie.

    Meredith comprit l’allusion. Cela rejoignait ce que Momsy lui avait dit, à savoir que Abigail avait certainement séduit Shepherd père par ambition. Comment c’est arrivé ? Avec ton père ? Derek ne répondit pas mais revint près d’elle avec deux tasses remplies du breuvage fumant. Elle prit celle qu’il lui tendait et posa ses lèvres sur le rebord pour aspirer un peu de café. Il est bon, murmura-t-elle avant d’en prendre une autre gorgée.

    Derek sourit. Nespresso. Quoi d’autre ? Il commença à siroter sa boisson.

    Meredith pouffa de rire. Rien ! Elle sentait qu’il rechignait à aborder le fond du problème et décida de lui accorder une pause. Elle éleva légèrement sa tasse avant de la déposer sur la table. C’est parce que tu es fan de Clooney ?

    Non, plutôt parce que j’aime bien ce café tout simplement. Derek la dévora du regard. Qu’elle soit là, dans son salon, c’était presque insensé et en même temps, il avait l’impression que le désastre qu’avait été sa vie jusqu’à présent avait pris fin lorsqu’à peine entrée, elle lui avait dit qu’elle l’aimait et qu'elle voulait être avec lui. Pourquoi as-tu parlé de nous à ta mère ? lui demanda-t-il soudain. Hier, tu ne voulais pas qu’elle sache et finalement, tu lui dis. Pourquoi aujourd’hui ?

    Meredith pencha sa tête sur le côté en soulevant un peu les épaules. Ce matin, quand je suis rentrée chez moi, Cristina et Izzie étaient là. C’est Izzie qui a parlé de toi. Le regard de Derek s’assombrit un peu. Ainsi donc, ce n’était pas elle qui avait révélé la vérité à sa mère. Meredith vit qu’il était déçu. J’étais tellement mal, tenta-t-elle de se justifier. Tu avais été si dur. Et moi aussi, c’est vrai, ajouta-t-elle rapidement en réponse au regard indigné qu’il venait de lui lancer. Je n’avais qu’une envie, aller dans mon lit et pleurer un bon coup. Mais j’arrive et Izzie qui raconte que tu m’as trompée et que je me console avec Mark. Il fronça les sourcils. Elle et Cristina sont persuadées que je me partage entre toi et Mark, lui expliqua-t-elle. Cette idée saugrenue ramena le sourire sur le visage de Derek. Meredith se détendit un peu. Je sais, c’est ridicule. Mais ma mère… Alors, je lui ai dit que c’était faux, qu’il n’y avait rien entre Mark et moi, que c’était toi que j’aimais et… Elle s’arrêta net. Il était encore trop tôt pour lui répéter le reste de sa conversation avec sa mère. Voilà.

    Derek se douta qu’elle avait omis quelques détails mais il ne posa aucune question. Il n’avait pas besoin de tout savoir pour le moment. Meredith était venue pour avoir des explications, pas pour en donner. Il reprit là où il en était resté. J’ai fait la connaissance d’Abigail en milieu de troisième année, pendant un cours de dissection anatomique. On est sorti ensemble assez rapidement. Il posa sa tasse de café sur la table.

    Meredith fronça les sourcils. Tu veux dire dissection de…

    De cadavres, oui.

    Elle prit un air dégouté. L’amour à la morgue ! Très romantique !

    Là ou ailleurs ! plaisanta Derek. Il imagina sa réaction s’il lui rapportait tout ce qui se passait dans les hôpitaux. Quand on fréquentait la mort tous les jours, le sexe était le meilleur moyen de se sentir vivant.

    Donc, tu l’as draguée au-dessus du corps d’un pauvre malheureux qui était en train de se faire découper ! persifla Meredith. C’est sordide. Elle avait beau se raisonner – après tout, c’était elle qui avait exigé qu’il lui révèle tout sur son passé – mais elle détestait l’entendre parler de ce premier amour qu’il avait vécu. 

    S’il remarqua avec plaisir qu'elle était agacée, Derek ne voulut pas en abuser et décida de ne pas la torturer davantage en gardant pour lui certains détails de l’histoire, ce qui lui convenait parfaitement par ailleurs. Il n’avait pas envie de se souvenir outre mesure d’Abigail. Mon père était un de nos profs. Il a très vite été au courant pour nous. C’est normal, il était aux premières loges. En même temps, on ne cherchait pas à se cacher. Il a commencé à en parler à la maison, surtout pour se foutre de moi d’ailleurs. Il me surnommait Valentin ou Romeo, selon les jours. Enfin, des conneries de ce genre, ajouta-t-il en levant légèrement les yeux au ciel. Jusqu’au jour où il a décrété qu’il était temps que je la présente à la famille. C’est ce que j’ai fait. Et dans la foulée, elle m'a présenté ses parents. Il sourit tendrement à Meredith. Elle était magnifiquement belle et il mourait d’envie de la prendre dans ses bras pour l’emmener à l’étage du dessous, tout en sachant qu’il ne le ferait pas. Il n’était plus question de brûler les étapes.

    Vous étiez ensemble depuis combien de temps ?

    Environ six mois.

    C’était sérieux alors ? Le sentiment de jalousie qu’éprouvait la jeune fille commençait à s'atténuer, surtout parce que le détachement avec lequel Derek lui narrait son histoire semblait démontrer qu’il l’avait digérée et était capable de passer à autre chose.


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  • Derek haussa les épaules. Disons plutôt que ça commençait à le devenir, mais pas au point de déjà faire les présentations officielles. Si mon père ne l'avait pas exigé, je ne l'aurais pas fait. C'était un peu rapide pour moi. Mais j’étais amoureux, oui. Je croyais que tout allait bien, on avait des projets. Qui de lui ou d’Abigail avait parlé en premier de s’associer pour ouvrir un cabinet, une fois leur diplôme obtenu ? Il ne s’en souvenait plus vraiment mais il savait qu’ils en parlaient souvent. Comment avait-il pu être aussi bête ? Je n’ai rien vu venir, reconnut-il

    C’est Mark qui a découvert la vérité ? demanda Meredith.

    Hmm hmm… Il l’a détestée dès le premier jour, lui apprit Derek. Et c’était réciproque. Ils ne se supportaient pas. Ils n’arrêtaient pas de se chamailler et moi, j’étais toujours entre les deux. Il me disait de me méfier mais… Il prit la main de Meredith et, après en avoir embrassé doucement la paume, plaça celle-ci contre sa joue. Il ferma les yeux tout en continuant de bécoter l’intérieur du poignet de la jeune fille, heureux qu’elle le laisse faire. Quand il était avec elle, il ne ressentait ni peur ni haine, mais seulement de la sérénité. On a raison de dire que l’amour rend aveugle, dit-il en rouvrant les yeux. Il la laissa retirer la main de son visage mais la lui reprit, à peine posée sur le fauteuil.

    Et Mark, comment il l’a su ? Meredith commençait à s’en vouloir vraiment d’obliger Derek à se remémorer ces mauvais souvenirs, mais son envie de savoir et de comprendre était la plus forte.

    Comme il allait arriver au moment le plus glauque de son récit, Derek se sentit devenir un peu plus nerveux et se dit qu’un petit verre ne lui ferait pas de mal. Il se leva et repartit une fois encore à la cuisine. Un de nos copains lui a dit qu’il avait surpris une conversation entre deux filles, dont l’une était la colocataire d’Abigail. Elle la soupçonnait de coucher avec mon père. Il retira de son sachet la bouteille avec laquelle il était revenu et la montra à Meredith. Elle secoua la tête avec une grimace. Après ses excès de la veille, elle n’était pas prête à boire à nouveau de l’alcool. Il revint près d’elle avec la bouteille et un verre. Au début, Mark n’y a pas cru. Il n’aimait pas Abigail et il savait ce dont mon père était capable, mais ça… c’était vraiment difficile à avaler. Il remplit son verre à moitié. Mais le copain était digne de confiance et il avait l’air sûr de lui, alors Mark a mené son enquête. Il avala le bourbon cul-sec. Et quelques jours plus tard, il m’a annoncé que ça faisait un bon moment que mon père baisait ma copine et que pas mal de monde sur le campus était déjà au courant. Il se resservit un autre verre.

    Tu l’as cru immédiatement ? Meredith essayait de se mettre à sa place et elle se disait que, si quelqu’un, fût-ce son meilleur ami, lui avait fait une telle révélation, elle aurait eu au moins un moment de doute.

    Derek but le deuxième verre aussi vite que le premier. C’était Mark, et il était question de mon père. J’ai tout de suite su que c’était la vérité. Il se penchait en avant pour reprendre la bouteille lorsque Meredith lui posa la main sur le bras. Il se retourna et vit la petite lueur de reproche qui dansait dans ses yeux. Il s’excusa avec un sourire et renonça au bourbon. Il avait espionné Abigail et il avait remarqué qu’elle se rendait au bureau de mon père, tous les jours, à la même heure. Donc, je me suis invité. Ses jambes se mirent soudain à fourmiller. Il se mit debout et alla coller son nez à la fenêtre, pour suivre les lumières des quelques embarcations qui rentraient au port de plaisance. Je suis entré et… Il soupira. Elle avait le sexe de mon père en bouche. J’ai été tellement… – il ne trouva pas de mot pour qualifier son état d’esprit à ce moment – je n’ai rien dit, je n’ai pas bougé. Ses souvenirs étaient tellement précis qu’il avait l’impression, alors que douze années s'étaient écoulées, de vivre la scène comme si elle était en train de se dérouler sous ses yeux. La porte qui s’ouvre avec un léger grincement, Abigail à genoux en train d’avaler goulument la verge de son professeur lequel, alerté par le bruit, se tourne vers la porte avec un regard où brille une lueur de panique, aussitôt remplacée par un intense soulagement lorsqu’il reconnait son fils, sa main sur la tête d’Abigail pour la maintenir en place pendant qu’il jouit dans sa bouche avec ce râle de plaisir que Derek pouvait encore entendre. Ne désirant pas s’étendre sur le sujet, il passa directement à l’épilogue. Mon père a tourné la tête vers moi et il a joui. Epouvantée, Meredith porta la main à sa bouche. Comme si le fait que je sois là avait déclenché son orgasme, supposa Derek dont la voix était devenue plus grave. Il se tourna vers la jeune fille. Et tu sais ce que j’ai pensé en cet instant précis ? lui demanda-t-il avec un petit rire cynique. Elle secoua la tête, incapable de prononcer un mot. Qu’elle faisait avec lui ce qu’elle n’avait jamais fait avec moi. C’est ridicule, non ? Penser à ça dans un tel moment. Comme si c’était ça qui était important.

    Meredith se tut, ne sachant que lui répondre. Elle avait beaucoup de mal à imaginer ce qu’on pouvait ressentir en de telles circonstances, à part un immense dégout et un sentiment d’horreur. Que Derek ait alors eu des pensées hors de propos ne l’étonnait pas. Qui n’aurait pas été chamboulé en découvrant une telle trahison ? Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?

    Mon père, ça a été un truc du genre, désolé que tu l’aies appris comme ça. Elle ? Rien. Logique, elle avait encore la bouche pleine, railla Derek avec une intonation caustique. Je suis sorti et, à peine dehors, j’ai vomi.

    Meredith se leva d’un bond et courut le prendre dans ses bras. C’est horrible. Je n’imaginais pas à quel point… Il l’enlaça et, les yeux fermés, nicha son visage dans son cou en humant le parfum de sa peau. Elle lui passa tendrement les doigts dans les cheveux, retrouvant avec plaisir des sensations du passé. Je suis désolée de t’avoir obligé à revivre tout ça, lui murmura-t-elle à l’oreille. Je comprends un peu mieux maintenant pourquoi tu avais tellement peur de retomber amoureux. Mais je te jure, Derek, que jamais, jamais, je ne ferais…

    Il se redressa et lui prit le visage entre ses mains. Je sais. Je sais, mon amour. J’ai toujours su que tu n’étais pas comme elle. Il rêvait de l’embrasser mais se retint. Il savait que s’il se laissait aller à son désir, il n’aurait plus ni l’envie ni la force d’aller au bout de sa confession.


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  • Derek entraina Meredith à nouveau vers le canapé et s’assit face à elle, en lui serrant les mains dans les siennes. Quand je suis sorti du bureau de mon père, j’étais dégouté et j’étais en colère, parce que j’avais été humilié bien sûr, mais surtout à cause de ma mère. Meredith sentit qu’il commençait à bouillonner de rage. Elle avait fait tout ce que ce salaud avait voulu. Elle lui avait tout sacrifié, même ses enfants, et… Il serra les dents. Elle chercha les mots qui pourraient le réconforter mais elle ne trouva rien d’autre que des banalités. Elle préféra donc se taire. Après ça, je suis allé chez Mark, reprit-il d’une voix d’où avait disparu toute agressivité. Je ne voulais pas revoir mon père et je n’avais pas le courage de regarder ma mère en face, en sachant que… Il baissa le regard et le fixa sur ses mains qui étaient toujours accrochées à celles de Meredith. Ce soir-là, je me suis demandé ce que je devais faire, si je devais tout lui dire ou le garder pour moi. Ce soir-là, répéta-t-il, la mine défaite, j’ai décidé de tout lui dire.

    J’aurais fait la même chose, certifia immédiatement Meredith. Tu ne pouvais pas lui cacher ça.

    Je voulais la sauver, tu comprends ? se justifia Derek en relevant le regard vers elle, soulagé qu’elle l’approuve. Elle avait déjà tellement souffert par sa faute. Je me suis dit que cette histoire lui ouvrirait les yeux, qu’elle prendrait enfin conscience que ce type qu’elle adorait n’était qu’une ordure et surtout – sa voix se brisa tout à coup - qu’elle comprendrait que je n’étais pas le méchant dans l’histoire. Les larmes montèrent aussitôt aux yeux de Meredith. Depuis mon enfance, j’avais affronté mon père pour qu’il cesse de l’humilier, continua-t-il sur un ton las. J’avais essuyé ses insultes, j’avais enduré ses coups, je m’étais battu pour elle, en espérant qu’un jour elle cesserait d’accepter l’inacceptable. Et malgré ça, c’était lui qu’elle aimait toujours, envers et contre tout. Et moi… Il regarda Meredith avec des yeux éperdus de tristesse. Tu sais, je ne me souviens pas d’un moment où elle m’a pris dans ses bras pour me faire un câlin. Elle ne m’a jamais dit qu’elle m’aimait, ni qu’elle était fière de moi. C’était ma mère et la seule chose dont je sois sûr, c’est qu’elle est morte en me haïssant.

    Non, Derek, non, je suis certaine que non, s’écria Meredith, bouleversée par le désespoir qu’elle entendait poindre dans sa voix. Tu ne dois pas te mettre ce genre d'idées en tête, ajouta-t-elle en lui caressant la joue.

    Elle me l’a dit. Elle me l’a dit, juste avant de mourir, lui révéla-t-il tout de go.

    Meredith fulmina intérieurement. Elle ne le lui dirait pas mais elle avait une bien piètre opinion de cette mère qui avait torturé son fils jusqu’au dernier moment. De son point de vue, puisque cette femme avait pris la décision de se donner la mort, elle aurait pu essayer de faire la paix avec son enfant plutôt que de l’accabler. Pas étonnant, après cela, qu’il se sente coupable ! Comment est-ce possible qu’une mère déteste son propre enfant ? s’interrogea-t-elle à voix haute.

    A cause de mon père, toujours ! affirma Derek. La façon dont il la traitait, ce qu’il lui faisait vivre, et à nous aussi forcément, je ne pouvais pas le supporter et je ne m’en cachais pas. Lui et moi, on se heurtait souvent. C’était parfois violent. Mais quoi qu’il fasse, je n’ai jamais baissé les yeux, je n’ai jamais plié. Une intense lueur de fierté brilla dans ses yeux, mais elle s’effaça aussitôt pour laisser place à la culpabilité. Alors, il s’en prenait à ma mère, en l’accusant de n’avoir pas su m’élever comme il aurait fallu. Il lui disait qu’elle n’était qu’une bonne à rien. Il la menaçait de partir. Elle m’en a beaucoup voulu d’être à l’origine de ces scènes. Meredith entendit à sa voix qu’il s’en voulait aussi. Tu vois, elle avait terriblement peur qu’il la quitte. C’est pour ça qu’elle acceptait tout. Elle s’arrangeait pour que tout soit parfait autour de lui, et moi, à chaque fois, je ruinais tous ses efforts. J’étais le grain de sable qui enrayait sa belle mécanique. Je suis devenu son ennemi.

    Malgré toute sa bonne volonté, Meredith ne comprenait pas comment une femme, tout aussi amoureuse qu’elle soit, pouvait conditionner toute sa vie à un homme, jusqu’à oublier tout le reste et même elle-même. Et perdre son bon sens aussi ! Madame Shepherd n’avait sans doute jamais eu de plus ardent défenseur que son fils et pourtant, c’était lui qu’elle avait rendu responsable de tout. Ecoute, tu devais lui dire la vérité, insista-t-elle. Tu ne pouvais pas lui cacher ça. Ce qui s’est passé ensuite, ce n’est pas ta faute.

    Si, bien sûr que si. C’est ma faute. Derek était tellement tendu et raide que ses jambes étaient complètement engourdies. Il les étendit devant lui en espérant que cela les décontracterait un peu. J’ai mal géré les choses. J’étais trop en colère, je voulais me venger de mon père, je voulais réduire à néant tout ce qu’il avait construit. J’aurais dû prendre le temps de réfléchir. Douze ans plus tard, il s’en voulait encore pour la façon dont il avait jeté cette bombe sur sa mère, plutôt que d’essayer de la désamorcer. Au lieu de ça, je suis parti en virée avec Mark. Je voulais sortir, me saouler, me taper une fille, n’importe laquelle. Il sourit tristement. Quand tu as vingt ans et que tu découvres que ta petite amie te trompe avec ton père qui en a plus de cinquante, tu te poses pas mal de questions. Tu doutes de toi-même. Bref, j’avais des choses à me prouver.

    Je comprends. Tu voulais te rassurer.

    Derek le confirma en hochant la tête. Oui, c’est ça. J’ai beaucoup bu ce soir-là. J’étais complètement déchiré, je crois que je ne savais plus trop ce que je faisais. Il prit la main de Meredith et la serra tellement fort qu’elle crut qu’il allait lui briser les phalanges. Et j’ai eu la mauvaise idée de téléphoner à ma mère dans cet état-là, en pleine nuit, pour lui dire ce que j’avais découvert. Je ne sais pas trop comment ça s’est passé, ni ce que je lui ai dit exactement. Mais j’ai dû être convaincant parce qu’apparemment, elle m’a cru tout de suite. Peut-être qu’elle s’en doutait, je ne sais pas. Il se tut un instant pour penser à la façon inexorable dont les faits s’étaient enchainés. D’après ma sœur, ils ont eu une terrible dispute, reprit-il. La pire de toutes. C’est bizarre, il l’avait trompée des dizaines et des dizaines de fois, elle avait toujours tout accepté et là…

    Peut-être que le fait que c’était avec ta petite amie, c’était trop pour elle, avança Meredith.

    Derek manifesta son ignorance par une petite moue. Peut-être. Toujours est-il qu’il a décidé de partir.


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  • Pour vivre avec Abigail, présuma Meredith.

    Derek ricana légèrement. Mais non, jamais de la vie. Tu imagines le scandale ? Un prof qui décide de quitter sa famille pour vivre avec une de ses étudiantes qui en plus, se trouve être la copine de son fils. Ça aurait foutu sa carrière en l’air. Je suis sûr qu’il ne l’a même jamais envisagé. Avec le recul, je crois qu’il voulait simplement que ma mère lui fiche la paix. Il est sûrement parti avec l’intention de revenir le lendemain, ou quelques jours plus tard, histoire de lui donner une bonne leçon. Mais elle, elle a cru qu’il la quittait pour de bon et elle a paniqué. Ma sœur m'a raconté qu’elle l’avait supplié tout le temps qu’il faisait son bagage. Elle lui a présenté des excuses, elle lui a dit qu’elle accepterait tout, même Abigail, pourvu qu’il reste. Elle s’est même mise à genoux. Il souffla de dépit. Toutes ces années plus tard, cela lui faisait encore mal de penser à sa mère comme à une personne qui avait abdiqué toute fierté, au point de ramper aux pieds de l’homme qui n’avait fait que la bafouer durant toute leur vie commune. Le lendemain matin, quand je suis rentré… Il renversa la tête contre le dossier du canapé et fixa le plafond du regard. Ses cris emplissaient toute la maison. Je les entends encore. Les hurlements d’un animal blessé qui va mourir, murmura-t-il. Cela faisait des heures qu’il était parti et elle hurlait encore. Il se redressa et se plongea dans le regard de son amie. Quand elle m’a vu… Il déglutit péniblement. Je n’oublierai jamais la façon dont elle m’a regardé ce jour-là. Il y avait tellement de haine. Les accents douloureux de sa voix firent frémir Meredith. Cette fois, c’est elle qui lui étreignit la main. Elle m'a accusé d'être le responsable, elle m'a traité de tous les noms. Elle a hurlé que tout était ma faute. Elle répétait tout le temps la même chose, c’est ta faute, tu as introduit le loup dans la bergerie. Comme une litanie, tu vois ? Meredith acquiesça. Elle était vraiment hystérique. J’aurais peut-être dû laisser tomber, ne pas discuter mais je ne sais pas me taire, avoua Derek avec un sourire attristé. Je lui ai dit qu’il était temps de voir la vérité en face, que mon père était un immonde salaud et qu’il ne valait pas la peine qu’elle continue à gâcher sa vie pour lui, qu’il ne fallait pas demander qu'il revienne, que son départ, c’était sa chance, notre chance, qu'on devait la saisir. On allait enfin pouvoir être une famille normale, dit-il avec un calme dont il était le premier étonné. Il était en train d’évoquer le drame de sa vie et, pourtant, il arrivait à en parler comme si cela ne le concernait pas vraiment, comme s’il s’agissait de l’histoire d’une autre personne. Et pourtant, Dieu sait à quel point la colère grondait encore en lui lorsqu’il pensait à cette journée. Elle m’a répondu qu’elle ne voulait pas d’une famille, et surtout pas de moi, qu’elle ne voulait que mon père, qu’il était son dieu.

    Excédée par ce qu’elle entendait, Meredith leva les yeux au ciel. La mère de Derek devait avoir un sacré problème pour sortir de telles imbécilités, parce que c’était bien d’être folle amoureuse mais, à ce point, cela relevait de la psychiatrie. Cette femme avait vécu entourée de médecins, et pas un n’avait jugé bon, à un moment ou à un autre, de la faire soigner ? Quel gâchis ! On a raison de dire qu’il n’y a pas plus mal chaussé que le cordonnier, pensa Meredith. Pourtant, elle garda ses impressions pour elle. Connaissant Derek, elle savait qu'il s’en voulait déjà suffisamment de n’avoir pas été capable d’empêcher le suicide de sa mère. Elle n’allait pas en rajouter en lui suggérant qu’il n’avait peut-être pas fait tout ce qu’il fallait. Cette femme aurait dû être internée mais ce n’était pas à son fils de prendre l’initiative. Quand bien même l’aurait-il proposé que personne n’en aurait probablement tenu compte !

    Totalement pris par ses souvenirs, Derek continua sur sa lancée sans se rendre compte que son amie commençait à être sérieusement agacée. Ça a dégénéré. Je l’ai accusée de n’avoir aucune fierté. Je lui ai dit que je ne comprenais pas comment elle pouvait encore aimer un homme qui avait volé la petite amie de son propre fils. Elle m’a répondu que c’était normal qu'Abigail ait préféré mon père, parce qu’il était tellement mieux que moi, que si j’avais été à la hauteur, elle ne m’aurait pas trompée, que je n’étais qu’un raté, enfin, ce genre d’amabilités. Il n’avait pas cru ce que sa mère lui avait dit ce jour-là. Il savait exactement qui il était et ce qu’il valait. Rien ne justifierait jamais ce que son père et Abigail lui avaient fait. Que sa mère ne l’admette pas avait été sans conteste, avec sa mort, un des aspects le plus douloureux dans toute cette histoire.

    Meredith passa la main sur la joue du chirurgien. Elle ne pensait pas ce qu’elle disait. Mets-toi à sa place. Elle avait reçu un choc, elle était perturbée, plaida-t-elle. Ça lui faisait mal au ventre de feindre de comprendre la mère de Derek et de prendre sa défense, alors qu’elle la jugeait indigne. Si elle jouait cette comédie, c’était uniquement pour lui. Elle devinait combien c'était dur pour lui de vivre avec l’idée que sa mère, qu’il semblait avoir adorée, l’avait toujours méprisé et détesté. Elle ne voulait pas que cela continue. Je suis sûre qu’au fond d’elle-même, elle savait que tu étais quelqu’un de bien et qu’elle t’aimait.

    Il soupira. Eh bien, moi, je ne crois pas. Elle me détestait et elle a tout fait pour que je n’en doute pas. Sa mort….

    Meredith lui coupa la parole. Non, Derek, arrête. Tu ne dois pas… Elle ne voulait plus qu’il aborde ce chapitre de son histoire. Bien sûr, elle était curieuse mais pas au point de remuer cruellement le couteau dans la plaie. De toute façon, elle l’aimait, envers et contre tout, et déjà, en venant chez lui, elle savait qu’elle lui donnerait une autre chance. Ce n’étaient pas quelques détails sur son passé qui y changeraient quoi que ce soit. Tu n’as pas besoin d’en dire plus. Je comprends. Je ne veux pas que…

    Il la fit taire en lui posant ses doigts sur les lèvres. Mais moi, je veux. Sa main abandonna la bouche de la jeune fille, descendit jusqu’à son cou pour le contourner et venir enserrer délicatement sa nuque. Ce que je suis devenu, c’est à cause de ce qui s’est passé ce jour-là. Et je crois… je crois qu’une partie de mes problèmes vient du fait que je n’en ai jamais parlé, confessa-t-il soudain. Je ne veux plus avoir de problèmes, Meredith, et certainement pas avec toi. Alors, même si ce n’est pas facile, je veux tout te dire maintenant.

    Si tu crois que ça peut te faire du bien, d’accord, mais ne le fais pas pour moi, le pria-t-elle. Que Derek veuille enfin se confier à elle lui importait plus maintenant que ce qu’il avait à lui dire. Au cas où, elle saurait se contenter de l’intention.


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