• C’est le sourire aux lèvres que Derek pénétra dans la clinique. Sur la route, il avait réfléchi à la façon dont il pourrait réorganiser son planning de la journée afin de se ménager une longue pause à l’heure de midi, pendant laquelle il pourrait retrouver Meredith. Afin de convaincre celle-ci de lâcher sa mère pour quelques heures, il lui avait envoyé un texto lui faisant miroiter un pique-nique au bord de l’océan. Elle avait immédiatement accepté l’invitation. Il était donc en train de composer mentalement son menu, qu’il commanderait chez Bailey : saumon fumé et crevettes, poulet rôti et roastbeef, salades diverses et mousse au chocolat en dessert. Restait à espérer maintenant que rien ne viendrait compromettre ce projet, ni une urgence médicale, ni surtout la conversation entre mère et fille. A l’idée qu’en ce moment même, Meredith était en train de plaider leur cause, il se renfrogna. Malgré ce qu’elle lui avait dit, il restait pessimiste quant à l’issue de la discussion. Il avait le pressentiment qu’Anne Grey s’était déjà fait une opinion à son sujet – le débauché qui avait fait souffrir sa fille – et qu’elle ne se laisserait impressionner ni par sa promesse d’un changement d’attitude, ni par sa renommée, et encore moins par son statut social. La seule chose qui pouvait peut-être la faire fléchir était de réaliser à quel point sa fille était déterminée à donner une autre chance à son amoureux. Mais justement, Derek ne pouvait s’empêcher de se demander si Meredith l’aimait suffisamment pour imposer son point de vue à sa mère et, le cas échéant, passer outre son accord. Subitement inquiet, il reprit son téléphone et, tout en continuant de marcher, pianota rapidement un message sur les touches. Ça se passe bien avec ta mère ? Il n’avait pas fait trois pas que la sonnerie de son téléphone lui indiquait qu’il avait reçu une réponse. Elle n’est pas là. Elle est partie faire une course, lut-il, soulagé. Pourvu que Maman prenne son temps pour rentrer ! se dit-il. Chaque minute était une minute gagnée pour lui. Il prit l’ascenseur, pressé maintenant de retrouver son équipe, ses patients, sa salle d’opération, toutes ces choses qui pourraient le distraire un peu de ce qui était en train de se jouer dans un autre quartier de la ville. Il avait à peine posé le pied dans son service qu’il tomba nez à nez avec une infirmière.

    Ah Docteur ! s’écria celle-ci. Justement, je vous cherchais. Il y a une dame qui vous attend. Ça fait un moment, précisa-t-elle en trottinant aux côtés du chirurgien qui continuait à avancer d’un pas hâtif. Il n’y a rien dans votre agenda mais elle dit que vous avez rendez-vous.

    Je n’ai aucun rendez-vous ce matin, objecta Derek. Je pratique une craniotomie sur la petite Patterson.

    Je sais, Docteur. C’est ce que je lui ai dit, lui apprit l’infirmière, prête à subir les foudres de son ombrageux patron. Mais elle affirme que vous la connaissez et que vous l’attendez.

    Son nom ? s’enquit Derek.

    Madame Philips, répondit l’infirmière. C’est elle, là. Elle pointa son menton en direction de trois chaises qui étaient adossées au mur du couloir, et dont l’une d’elles était occupée par la dame en question.

    Derek sursauta en reconnaissant la mère de Meredith. Il n’eut pas le temps de s'interroger sur l'attitude à adopter. Anne tourna la tête vers lui et il lut dans ses yeux qu’elle n’était pas venue lui rendre une visite de courtoisie. Il avança vers elle en se demandant pour quelle raison elle avait ressenti le besoin de donner un nom d’emprunt. Madame Philips…

    Anne perçut de l’étonnement dans la voix de Derek. Philips est mon nom de jeune fille, se justifia-t-elle en négligeant la main qu’il lui tendait. C’était plus simple au cas où le nom de Grey vous aurait fait fuir.

    Derek fit signe à l’infirmière de s’en aller. Je n’ai aucune raison de vous fuir, Madame.

    Résolue à ne pas mettre de gants, Anne posa immédiatement la question qui la taraudait depuis la veille. Où est ma fille ?

    Je l’ai déposée chez votre belle-sœur avant de venir ici, dit Derek sans se départir de son calme, malgré le ton très agressif avec lequel elle s’adressait à lui. Il la vit pousser un soupir de soulagement. Elle va bien, ajouta-t-il pour finir de la rassurer. A aucun moment, elle n’a été en danger.

    Je n’en suis pas si sûre, riposta Anne en le fusillant du regard. Il comprit qu’elle faisait allusion à la relation qui l’unissait à Meredith. Alors, vous et elle…

    Nous sommes ensemble, oui. D’un signe de la main, il l’invita à l’accompagner jusqu’à son bureau. Si jamais la conversation dégénérait, autant que cela se fasse à l’abri des regards et des oreilles.

    Anne le suivit sans hésitation. Je ne comprends pas, avoua-t-elle. Elle ne m’a jamais parlé de vous, jamais. Depuis qu’elle avait été mise au courant de la nature des liens qui unissaient Meredith à cet homme, elle avait tenté de se rappeler toutes les conversations téléphoniques qu’elle avait eues avec sa fille, les textos et les mails qu’elle avait reçus d’elle, et elle était sûre que jamais, d’aucune façon que ce soit, Meredith n'avait fait allusion au chirurgien. Cela lui faisait mal de penser que son enfant n’avait pas eu suffisamment confiance en elle pour lui parler de cette première relation. Et même maintenant, elle continue de me cacher la vérité. Je ne comprends pas, répéta-t-elle, abattue.

    Je crois qu’elle a peur de votre jugement, avança Derek. Il ouvrit la porte de son bureau et s’écarta pour laisser entrer Anne.

    Mon jugement ? Celle-ci planta son regard dans celui de son interlocuteur. Vous n’êtes absolument pas le genre d’homme qui lui convient. Vous n’êtes pas bien pour elle. Depuis qu’elle vous connait, ma fille a changé. Elle ment. Elle dissimule. Elle renie ses valeurs. La Meredith qui a quitté Crestwood n’aurait jamais accepté qu’un homme la trompe. Elle se jeta dans le canapé, sans se douter une seule seconde que le meuble sur lequel elle était assise avait servi maintes fois de cadre aux fredaines de celui qui lui faisait face.


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  • Derek accusa le coup sans broncher. Oh mais si ça peut vous rassurer, elle ne l’a pas accepté ! assura-t-il. Quand elle l’a appris, elle m’a immédiatement quitté. Après avoir hésité un instant, il renonça à s’installer derrière son bureau et s’assit sur une des chaises réservées à ses visiteurs. La mère de Meredith mettait suffisamment de distance entre eux pour qu’il n’en rajoute pas.

    Mais vous avez réussi à la faire changer d’avis ! tempêta-t-elle. Vous l’avez embobinée.

    C'est faux, je ne l'ai pas embobinée, protesta Derek.

    Anne ne le laissa pas poursuivre sa défense. Allons donc ! Ma fille est jeune et sans expérience. Elle est naïve. Vous, vous avez la parole facile, lança-t-elle comme une accusation. Ça n’a pas dû être compliqué pour vous d’obtenir d’elle ce que vous vouliez.

    Pas compliqué ? Derek émit un petit rire plus ironique qu’il ne l’aurait souhaité. Si vous le pensez vraiment, alors, c’est que vous connaissez très mal votre fille.

    Frappée de plein fouet par ce qui lui sembla être une évidence, Anne s’affaissa dans le canapé. C’est ce que je crains, soupira-t-elle. Comment ma petite fille a-t-elle pu accepter de vous donner une seconde chance après ce que vous lui avez fait ?

    Derek réfléchit un petit instant avant de lui donner son avis. Sans doute parce que, malgré ce que je lui avais fait, malgré tout, elle a toujours su que je l’aimais sincèrement.

    Vous l’aimez ? interrogea Anne avec une once de suspicion dans la voix. Derek opina de la tête. Alors pourquoi l’avoir trompée ? l’attaqua-t-elle.

    Parce que j’étais un imbécile, reconnut-il sans détours. Et aussi, parce que j’ai vécu des choses dans ma vie qui ont fait que je ne croyais plus en rien, et certainement pas en l’amour. Il était conscient que ses arguments étaient pitoyables et qu’ils ne suffiraient pas à convaincre Anne.

    Il ne se trompait pas. La mère de Meredith ouvrit de grands yeux scandalisés. Donc, parce que vous avez souffert dans votre passé, vous avez voulu vous venger sur ma fille ? C’était à dessein qu’elle précisait à chaque phrase que Meredith était sa fille. Premièrement, cela lui donnait l’impression qu’elle avait encore une influence à exercer. Ensuite, c’était sa façon de dire à Derek qu’il allait devoir compter avec elle.

    Me venger, non, jamais. Je n’ai jamais voulu lui faire du mal sciemment, soutint-il avec fermeté. Mais elle a payé les pots cassés de mon passé, c’est vrai, et je m’en voudrai jusqu'à la fin de mes jours pour ça.

    Anne le regarda au fond des yeux, comme si elle voulait sonder son âme et savoir à quel point il était sincère. Qu’est-ce qui vous plait chez elle ?

    Un tendre sourire adoucit soudain les traits jusqu’alors tendus de Derek. Tout ! Elle est merveilleuse.

    En quoi ? insista Anne. Quand vous l’avez vue pour la première fois, qu’est-ce qui vous a plu chez elle ?

    Derek se demanda quel effet aurait son franc-parler sur la mère de Meredith. Pourtant, bien que n’ayant pas la réponse, il n'envisagea absolument pas de contourner le problème en déguisant la vérité. Pour être honnête, la première fois, pas grand-chose. Je n’étais pas là pour elle mais pour Izzie. Meredith était… enfin, je l'ai trouvée gentille mais ce n’était pas mon genre.

    Et c’était quoi, votre genre ? se renseigna Anne avec défiance.

    Derek avait l’impression qu’il risquait de ruiner sa vie à chaque phrase et, pourtant, une fois encore, il ne se défila pas. Le genre de fille avec laquelle on aime s’afficher le temps d’une soirée et qu’on largue après l’avoir sautée à l’arrière de la voiture.

    L’homme était un goujat mais Anne devait admettre qu’on ne pouvait pas prendre sa franchise en défaut. Elle sentait qu’il n’éluderait aucune question et qu’elle en apprendrait bien plus sur sa relation avec Meredith, que si elle s’était adressée à cette dernière. Alors, si elle ne vous plaisait pas, qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à elle ?

    Derek se leva pour prendre une bouteille d’eau dans son frigo. Mon meilleur ami m’a mis au défi de sortir avec elle. Un pari stupide. Il versa l’eau dans deux verres.

    Horrifiée, Anne le regarda revenir vers elle. Sortir avec ma fille pour de l’argent ? Cet homme était bien pire que ce qu’elle croyait. Meredith n’était sûrement pas au courant de l’existence de ce pari. Si elle l’avait été, jamais elle ne l’aurait toléré.

    Derek lui tendit un verre. Pas pour de l’argent, la corrigea-t-il. Juste pour le défi. C’était stupide, je vous l’ai dit. De toute façon, je ne l’ai pas fait. Il devança la prochaine question. Parce que quand je l’ai vue, ce soir-là… Il revit Meredith telle qu’elle lui était apparue, en haut des escaliers, magnifique princesse dans sa robe de bal. Il n’a plus été question de pari. Je n’ai pas voulu la séduire pour battre mon ami, mais pour moi. Je la voulais pour moi ! Il alla reprendre sa place sur sa chaise et posa son verre sur son bureau, sans avoir touché à son contenu.

    Vous vous êtes dit qu’elle ferait l’affaire à l’arrière de votre voiture, ironisa Anne avant de boire une gorgée d’eau.

    Oui. Oui, c’est ce que j’ai pensé, admit Derek. Mais il ne s’est rien passé ce jour-là, ni les suivants. Nous avons mis un certain temps pour… Il voulait convaincre la mère de Meredith que le sexe n’était pas l’élément moteur de leur relation mais, en croisant son regard furieux, il comprit qu’il valait mieux ne pas s’étendre sur le sujet.


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  • Au début, ce n’était qu’un jeu pour moi, poursuivit Derek. En plus, elle me résistait, alors… Et petit à petit, sans m’en rendre compte… Il planta son regard perçant dans celui d’Anne. Pendant des années, je me suis conduit comme un véritable salaud et ça ne m’a posé aucun problème. Je n’ai jamais pensé à ce que ces femmes ressentaient. Mais avec Meredith… – ses yeux se firent rêveurs tandis que le ton de sa voix devenait suave – je n’en ai plus été capable. Ce qu’elle ressentait a commencé à avoir de l’importance pour moi.

    C’est classique, déclara Anne. Vous vous êtes attaché à elle parce qu’elle vous résistait. Elle but encore un peu d’eau avant de déposer le verre par terre, à ses pieds.

    Un sourire énigmatique sur les lèvres, Derek hocha lentement la tête. Il y a de ça, oui, mais pas seulement. Elle est tellement différente de toutes les femmes que j’ai rencontrées. Elle est… elle est pure.

    Anne fronça les sourcils. Que voulez-vous dire ?

    Il n’y a aucun calcul chez Meredith, lui expliqua Derek dont le visage s’imprégna de douceur, au fil des mots. Elle se montre telle qu’elle est. Quand elle aime, elle le dit. Quand elle n’aime pas, ça se voit. C’est tout nouveau pour moi, qui vient d’un milieu où il est de bon ton de ne jamais montrer ce qu’on ressent. Elle est sincère et c’est ce que je j’aime chez elle. Il commença à s’emballer un peu. Elle a des principes et elle s’y tient. On ne lui fera jamais faire ce dont elle n’a pas envie. Et puis, elle a des idéaux. C’est tellement rare de nos jours, des gens, surtout des jeunes, qui ont des convictions et qui les défendent. Anne nota, non sans plaisir, que les qualités qu’il énumérait ne concernaient en rien le physique de sa fille. Vous disiez tout à l’heure qu’elle était naïve, lui rappela-t-il en relevant vers elle des yeux inondés de tendresse. Peut-être un peu. Mais je crois qu’en fait, elle arrive toujours à déceler ce que les gens ont de bon en eux. Quand elle m’a connu… Il fit une grimace. J’étais vraiment un sale type, vous savez. Je n’avais plus grand-chose d’humain, je crois. Mais elle… Le bleu des yeux de Derek devint tellement clair qu’Anne se demanda si son imagination ne lui jouait pas des tours. Elle a réussi à voir le peu de bonté qu’il y avait encore en moi et elle l’a fait ressortir. Elle est la première à croire en moi de cette façon, argua Derek sans réaliser que la moindre de ses émotions transparaissait sur son visage, permettant ainsi à la mère de Meredith de lire en lui comme dans un livre ouvert. Elle m’a fait confiance. Je n’avais plus beaucoup d’estime pour moi mais j’ai commencé à me voir à travers ses yeux et ce que j’y ai vu m’a plu. Elle m’a réconcilié avec moi-même. La gorge de Derek se serra. Je crois même que je suis devenu quelqu’un de meilleur parce que c’est l’effet que Meredith a sur les gens. Elle les rend meilleurs. Sa voix se cassa et il ne put en dire plus.

    Jusqu’à présent, malgré les regards qu’elle avait observés entre sa fille et le chirurgien, Anne doutait de la sincérité des sentiments de ce dernier. Maintenant, cela ne lui était plus permis. Vous l’aimez vraiment, murmura-t-elle, ébahie.

    Plus que tout ! réussit à ânonner Derek.

    Et pourtant, vous l’avez trompée, lui reprocha Anne sans ambages.

    Il prit une grande inspiration pour tenter de reprendre le contrôle. C’était une énorme erreur, admit-il. Cette emprise qu’elle avait sur moi, tous ces sentiments que je ressentais et auxquels je n’étais pas habitué… Il se tut à nouveau, un long moment, et lorsqu’il recommença à parler, Anne eut l’impression qu’il ne s’adressait plus à elle, mais qu’il se parlait à lui-même, comme s’il se livrait à une sorte d’introspection. Nous ne savons pas aimer dans ma famille. Chez nous, soit c’est rien, soit c’est tout et dans ce dernier cas… Ma mère est morte d’avoir trop et mal aimé. Anne eut un petit sursaut mais elle ne releva pas, pour ne pas l’interrompre. On m’a toujours dit que je lui ressemblais beaucoup. Aussi excessif qu’elle… Il y a de quoi avoir peur. Comme à chaque fois qu’il pensait à sa mère, il la revit avec ses yeux qui lui lançaient ce dernier regard de haine, et son corps gisant dans le sang sur le pavement de la terrasse. Il détourna rapidement la tête, afin de chasser cette horrible vision. Pour se donner une contenance, il prit son verre et le vida d’un trait, regrettant qu’il ne s’agisse que d’eau. Il aurait bien eu besoin de quelque chose de plus fort. Quand j’ai commencé à sortir avec Meredith, je ne voulais rien de sérieux, reprit-il en regardant Anne dans les yeux. Je ne voulais surtout pas tomber amoureux. Je voulais seulement une petite relation sympa, sans engagement, sans contraintes. Pendant longtemps, je me suis convaincu que ce n’était rien de plus. Il sourit de sa propre crédulité. Il avait cru qu’en imposant ses règles, il allait pouvoir rester maître de son destin, mais l’amour avait tout balayé sur son passage et l’avait réduit à sa merci. Et puis, un jour, j’ai compris. J’ai compris que je m’étais menti, que notre relation était bien plus que sympa, que Meredith comptait énormément pour moi. J’ai réalisé que je l’aimais et que je ne pouvais plus vivre sans elle. Ça m’a fait peur et j’ai réagi de la façon la plus imbécile qui soit. Il repensa à ce qu’il avait éprouvé en prenant conscience de ses sentiments et à l’horrible impression de n’être plus rien, lorsque Meredith l’avait quitté. Vous savez, je regretterai toute ma vie d’avoir trompé Meredith, parce que ça l’a blessée au-delà de tout ce que j'avais imaginé, mais, en même temps, c’est ce qui m’a remis les idées en place. Ça m’a permis de comprendre que je ne voulais plus de mon ancienne vie, mais que je voulais prendre un nouveau départ avec elle. Il se tut enfin, attendant maintenant le verdict de sa juge. 

    Anne ne réagit pas tout de suite, prenant d’abord le temps de digérer toutes les informations qu’elle avait reçues. Elle ne remettait plus en cause l’amour que Derek portait à Meredith. Mais pour autant, elle ne croyait pas que sa fille serait heureuse avec lui. Il était sombre, torturé, manifestement traumatisé par un passé douloureux. Il avait derrière lui tout un vécu que la jeune fille était loin d’avoir. Il semblait déjà blasé par la vie alors que Meredith avait encore tout à découvrir. Le déséquilibre était trop grand aux yeux d’Anne. De plus, il y avait cette différence d’âge qui lui paraissait être un obstacle supplémentaire, et non le moindre. Je crois que vous aimez vraiment ma fille et que vous êtes sincère, se décida-t-elle enfin à dire. Mais ça ne suffit pas.

    Ah bon ? dit Derek, un rien acerbe. Qu’est-ce qui, dans un couple, pouvait être plus important que l’amour ?


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  • Si Anne remarqua que le chirurgien était contrarié par sa remarque, elle n’hésita cependant pas à lui dire le fond de sa pensée. Après tout, il n’avait pas le monopole de la franchise. Ecoutez, ne le prenez pas mal, mais par votre âge, vous êtes plus proche de moi que de ma fille. Maintenant, vous êtes encore en pleine fleur de l’âge, c’est vrai. Vous êtes un homme vigoureux. Mais ça ne va pas durer, lui asséna-t-elle sans ménagement. Dans quinze ans, Meredith sera encore une jeune femme mais vous ?

    J’aurai cinquante ans, répondit Derek à mi-voix. Il soupira. Ne croyez pas que je n’y ai jamais pensé. Certains jours, ça m’obsède même. Elle, si jeune et moi… Il se passa la main sur le visage en soufflant. Je sais qu’un jour, elle risque de rencontrer quelqu’un de son âge, qui correspondra plus à ce qu’elle attend.

    Et ce jour-là, que ferez-vous ? s’inquiéta Anne.

    Meredith sera toujours libre de faire ce qu’elle veut, lui promit Derek. Si elle veut partir, je ne la retiendrai pas.

    Anne secoua la tête. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Enfin, pas chez nous. On ne commence pas une relation en se disant qu’on y mettra fin dès qu’elle ne conviendra plus.

    Afin de mettre toutes les chances de son côté, Derek était décidé à rester calme, quoi que la mère de Meredith puisse lui dire. Mais là, elle commençait sérieusement à l’énerver. Son pied se mit à tambouriner le sol à un rythme soutenu. Ne déformez pas mes propos ! s’insurgea-t-il. Il n’y a rien que je veuille plus qu’être avec Meredith et je suis prêt à me battre pour elle si on a des problèmes mais si un jour, elle ne veut plus de moi, que pourrais-je faire si ce n’est la laisser partir ?

    Ce n’est pas une solution pour moi, s’entêta Anne. Bâtir un couple avec des problèmes tels que les vôtres, c’est l’échec assuré.

    Nous verrons bien, répliqua sèchement Derek.

    Anne riposta aussitôt. Je ne veux pas que ma fille soit malheureuse.

    Oubliant ses bonnes résolutions, Derek bondit sur ses pieds. Et qu’est-ce que vous suggérez ? Que je la quitte ? Il n’en est pas question, dit-il en haussant la voix. Il se mit à marcher à travers la pièce. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous me demandez. Je ne peux pas. De toute façon, on a déjà essayé. J’ai essayé, elle aussi, et résultat, on a été terriblement malheureux tous les deux.

    Vous croyez que vous ne le serez pas quand vous vous séparerez dans dix ou quinze ans ? lui demanda Anne avec irritation. La discussion allait bien plus loin que ce qu’elle avait envisagé en arrivant. Elle était venue seulement pour voir à qui elle avait affaire et aussi placer le chirurgien devant ses responsabilités. Mais cet homme avait un je-ne-sais-quoi qui l’horripilait et qui la poussait à oublier toute commune mesure.

    Derek en avait plus qu’assez qu’elle lui fasse la leçon. Il aurait jeté à la porte n’importe qui lui aurait parlé de cette façon mais Anne Grey n’était pas n’importe qui. Il ne voulait pas créer une situation où Meredith se retrouverait dans l’obligation de faire un choix entre sa mère et lui. Il lui devait d’essayer d’arranger les choses. Vous ne vous êtes jamais dit que nous étions peut-être faits l’un pour l’autre ? Il se laissa tomber sur sa chaise. Pendant notre séparation… Il soupira. On était deux zombies. On ne mangeait plus, on ne dormait plus. On n’avait plus envie de rien. Il plongea ses yeux dans ceux d’Anne, en espérant qu’ils sauraient se faire les interprètes de ses sentiments. Le jour où elle m’a quittée, je n’ai pas été capable d’opérer. Ça ne m’était jamais arrivé avant. Et elle… Avant-hier, je l’ai retrouvée dans un bar, tellement ivre qu’elle ne savait plus ce qu’elle faisait. Les yeux d’Anne s’arrondirent sous l’effet de la surprise et il eut l’impression d’avoir frappé un grand coup. Je sais que je ne suis pas l’homme dont vous rêviez pour elle. Moi-même, si j’avais une fille et qu’elle sortait avec un mec comme moi, je ne sauterais pas de joie. Mais j’aime Meredith et je sais que nous sommes bien ensemble. Vraiment bien. J’ai confiance en elle, ajouta-t-il avec un sourire ému. Elle me comprend et elle m’apaise. Moi, j’essaie de l’encourager dans ce qu’elle veut faire et de la rassurer. Je crois que nous nous apportons un certain équilibre.

    Anne ne cacha pas qu’elle était choquée. Ma fille était équilibrée déjà avant de vous connaitre.

    Derek fit une moue dubitative. Vraiment ? Quand je l’ai rencontrée, elle portait des vêtement informes pour cacher son corps, parce qu’elle ne voulait pas attirer les regards. Elle n'avait aucune confiance en elle et passait son temps à se dévaloriser. Ça lui arrive encore, d’ailleurs. C'est ce manque de confiance qui l'a amenée à ne pas oser aller à l'université alors qu'elle avait terminé brillamment le lycée. C’est aussi à cause de ça qu’elle a toléré que George la maltraite, parce qu’elle pensait que d’une certaine façon, c’était justifié. Je sais que c’est grâce à moi, grâce à notre relation, qu’elle a trouvé le courage de se rebeller. Il se redressa et défia Anne du regard. Je suis navré que vous n’appréciez pas que je sorte avec votre fille mais au bout du compte, ça ne regarde qu’elle et moi. Je ne joue pas avec elle. Je n’abuse pas de sa confiance. Elle me connait. Sous l’effet de la colère, le bleu océan de ses yeux vira au violet et quiconque avait connu sa mère y aurait retrouvé l’éclat de son regard. Elle sait qui je suis et j’ai la faiblesse de croire que si elle m’accepte tel quel, ça veut dire que je suis quelqu’un de bien. J’ai fait des erreurs, c’est vrai, de grosses erreurs que rien ne pourra effacer. J’ai commis des fautes mais je suis tout de même quelqu’un de bien, martela-t-il.

    Anne saisit le sac qu’elle avait posé à côté d’elle, sur le canapé. Quand elle se leva, Derek fit de même, devinant que cela signifiait la fin de leur entretien. Vous êtes un homme bien ? laissa-t-elle enfin tomber. Son ton froid apprit au chirurgien que son discours n’avait pas atteint ses objectifs. Il va me falloir plus que quelques belles paroles pour m’en convaincre, Docteur, lui confirma-t-elle en se dirigeant vers la porte. Si vous êtes aussi bien que vous le dites, vous désirerez ce qu’il y a de mieux pour ma fille et en ce qui me concerne, ce qu’il y a de mieux, ce n’est pas vous. Elle sortit sans attendre et referma la porte derrière elle, laissant Derek assommé par cette condamnation sans appel.


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  • Meredith ajusta une dernière fois son corsage avant de s’examiner dans le miroir de sa chambre. Ce qu’elle y vit lui plut. Une bonne heure lui avait été nécessaire pour choisir sa tenue. Elle avait quasiment essayé toute sa garde-robe avant d’opter pour ce jean taille basse et ce tee-shirt rose fuchsia qui dévoilait son ventre plat jusqu’à son nombril. Décontractée tout en étant sexy, cette tenue était idéale pour un pique-nique sur la plage en amoureux. Pour la dix-millième fois, Meredith consulta sa montre. Elle était tellement impatiente de retrouver Derek qu’il lui semblait que le temps ne passait pas. En tout cas, il ne passait pas assez vite à son goût. Et sa mère qui ne rentrait pas ! Selon Gloria, Anne était partie faire une petite course et Meredith se demandait ce qui pouvait la retenir si longtemps. Cependant, l’absence de sa mère lui convenait parfaitement. Elle n’avait pas envie de se lancer, juste avant son rendez-vous avec Derek, dans une discussion sur le sens de la vie et de l’amour. Elle sortit de sa chambre et passa dans la salle de bains, où elle se maquilla légèrement, juste de quoi avoir bonne mine. Sitôt après s’être donné un dernier coup de peigne dans les cheveux, elle dévala les escaliers. Après avoir vidé le lave-vaisselle, rangé le tout dans les armoires et mis un peu d’ordre dans le salon, elle commença à tourner en rond. Après dix minutes, elle ne supporta plus l’inaction et décida de se rendre à la clinique. Ainsi, quand Derek aurait terminé son intervention, elle serait déjà sur place, ce qui leur permettrait de gagner au moins une demi-heure. Elle était en train de s’auto-congratuler mentalement d’avoir eu une aussi bonne idée lorsqu’elle entendit le bruit d’une clef dans la serrure. Elle fut contrariée de voir apparaitre sa mère dans l’entrebâillement de la porte. Mais son agacement fit immédiatement place à l’étonnement en constatant qu’après avoir passé plus de deux heures en ville, Anne rentrait les mains vides.

    Il n’échappa pas non plus à cette dernière que sa fille avait apporté un soin tout particulier à sa tenue. Te voilà toute jolie, fit remarquer Anne. Tu allais sortir ?

    Subitement méfiante, Meredith opina sèchement de la tête. Oui, une course à faire.

    Anne sourit légèrement tant le prétexte – le même que le sien – était cousu de fil blanc. Pourtant, elle ne fit aucun commentaire. Gloria n’est pas là ? demanda-t-elle en regardant autour d’elle.

    Non, elle est partie se promener avec tante Ellis, répondit sa fille.

    Anne la regarda prendre son sac et l’ouvrir pour en vérifier le contenu. J'ai rendu une petite visite au Dr Shepherd, lâcha-t-elle après un petit moment.

    Meredith releva la tête si rapidement qu’elle sentit les os de son cou craquer. Derek ? s’écria-t-elle.

    A nouveau, Anne fit un petit sourire amusé. Evidemment. Je ne connais pas d’autre Dr Shepherd, ma petite fille. Très calme, elle retira son manteau.

    Pourquoi ? aboya Meredith. Sa question était superflue. Elle savait pertinemment pour quelle raison sa mère était allée voir Derek.

    Anne accrocha son manteau à la patère. Pour lui parler de toi. Enfin, de vous deux, de votre relation.

    Qu’est-ce que tu lui as dit ? La voix de Meredith était métallique, pleine d’une colère difficilement contenue. Elle avait l’impression qu'on venait de la poignarder dans le dos et cette idée lui était plus que désagréable. Elle n’admettait pas que sa mère se soit ainsi ingérée dans sa vie privée. Elle avait peur aussi. Derek ne lui avait pas caché qu’il ne voulait pas être une source de discorde entre elle et sa mère. Qui pouvait dire quelle serait sa réaction s’il avait l’impression que c’était ce qui était en train d’arriver ?

    Anne ne se départit pas de son calme. La même chose qu’à toi, Meredith, qu’il n’était pas fait pour toi. Elle continua à parler tout en avançant vers le living. Trop vieux, trop compliqué, trop tourmenté… Ça ne peut pas marcher entre vous.

    Qu’est-ce qui te permet de dire ça ? glapit Meredith en la suivant. Tu ne sais rien de lui, ni de nous.

    J’en sais suffisamment pour me rendre compte qu’il n’est pas fait pour toi, répéta Anne en prenant place dans le fauteuil, près de la fenêtre.

    Meredith s’assit dans le canapé pour se relever aussitôt. C’est n’importe quoi ! se plaignit-elle. Comme si tu pouvais vraiment le connaitre parce que tu lui as parlé pendant quelques minutes ! Elle était consciente que se disputer avec sa mère ne ferait pas avancer sa cause et c’était pour cela qu’elle tentait de maîtriser la rage qui montait en elle. Mais cela lui donnait l’impression d’être une cocotte-minute dont la soupape n’allait pas tarder à sauter.

    Anne la couva d’un regard tendre. Ma petite fille, tu es amoureuse, et pour la première fois. Alors tu ne vois que ce que tu as envie de voir. Meredith leva les yeux au ciel avec, sur le visage, une expression traduisant son exaspération. Elle en avait plus qu’assez que sa mère la considère encore comme une petite fille naïve et sans expérience. Moi, je vois les choses telles qu’elles sont. Et je sais que tu ne seras jamais heureuse avec lui. Il y a trop de choses qui vous séparent. Si ce n’est pas maintenant, ce sera dans quelques années. Alors, crois-moi, il vaut mieux que ça s’arrête avant que les choses ne deviennent trop sérieuses. Anne passa outre le regard scandalisé de sa fille. Ton Derek m’a assuré qu’il était un homme bien. Si c’est le cas, il admettra que j’ai raison et il te rendra ta liberté, comme je le lui ai demandé.

    Meredith eut l’impression que sa mère venait de lui décocher un uppercut en pleine poitrine. Elle vacilla. Tu… tu n’as… pas… osé faire ça ? bafouilla-t-elle. Les yeux d’Anne lui apportèrent la réponse qu’elle redoutait. Elle se mit à crier. Mon dieu, qu’est-ce que tu as fait ? Qu’est-ce que tu as fait ? Elle repartit dans l’entrée et en un clin d’œil, ramassa son sac et sa veste. Tu n’avais pas le droit ! hurla-t-elle en claquant la porte de la maison. Stupéfaite, Anne se précipita à la fenêtre pour la rappeler, mais comprit que ses cris seraient vains en voyant Meredith courir à toutes jambes dans la rue.


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