• Au souvenir du temps passé avec Momsy, la jeune fille sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle avait largement l’âge d’être ma grand-mère et, pourtant, elle a été la meilleure amie que j’ai jamais eue. Elle me comprenait, elle m’encourageait, elle croyait en moi ! Oui, Momsy avait toute confiance en elle, bien plus que sa mère apparemment, qui imaginait elle ne savait quelle horreur.

    Mais moi aussi, je crois en toi, voyons, certifia énergiquement Anne. Je l’ai toujours fait. Je sais que tu vas faire de grandes choses.

    Pas sans argent ! s’emporta Meredith. Et vu la façon dont Cristina me paie, je pourrai envisager d’aller à l’université à l'âge de la retraite.

    Donc, tu choisis la facilité, lui reprocha sa mère. Ce n’est pas comme ça que je t’ai élevée, Meredith.

    Je sais, rétorqua cette dernière sur un ton las. C’est pour ça que j’ai hésité avant d’accepter cet argent. Comme toi, j’ai pensé que je n’avais pas le droit de le prendre, que je n’avais rien fait pour le mériter mais en même temps… Elle releva des yeux inondés de larmes sur sa mère. Je ne l’ai pas volé, maman. Je ne l’ai même pas demandé. C’est seulement un merveilleux cadeau qu’on m’a fait.

    Anne réfléchit un instant, essayant de trouver une explication plausible à cet argent tombé du ciel. L'ami dont tu m'as parlé, le petit-fils de cette dame, c'est ton ancien petit-ami ?

    Non, non, nia Meredith. C’est seulement un ami. Mon meilleur ami pour tout dire, précisa-t-elle. Mais il n’y a jamais rien eu entre nous.

    Cet héritage me met vraiment très mal à l’aise, déclara Anne. Mais je suppose que je n’arriverai pas à te faire changer d’avis, n’est-ce pas ? Meredith secoua lentement la tête. Très bien, je m'incline. J'espère simplement que tu feras un bon usage de tout cet argent, conclut Anne. Elle tapota le divan, à côté d’elle. Viens t’asseoir près de moi. Meredith obéit et posa la tête sur l’épaule de sa maman. Je trouve admirable que tu aies accompagné cette dame dans ses derniers jours, reprit cette dernière. Mais pourquoi être partie sans dire où tu allais ? Pourquoi ne plus donner de nouvelles à Gloria et à tes amies ?

    Meredith soupira. Elle ne pouvait pas dévoiler à sa mère les véritables raisons de sa fuite mais elle ne voulait pas lui mentir non plus. Elle choisit de rester vague. Je te l’ai dit, j’avais besoin de prendre du recul.

    Le ton d’Anna Grey se durcit légèrement. Tout ça, c’est bien gentil, Meredith, mais tu avais des responsabilités ici. Tu devais t’occuper de ta tante. Pourtant, tu l’as abandonnée.

    Meredith se releva d’un bond. Je ne l’ai pas abandonnée, cria-t-elle, ulcérée par l'injustice de l'accusation. Gloria était là, et Izzie, et Cristina.

    Elles ne sont pas de la famille, lui opposa sa mère. On ne peut pas leur demander de s’occuper de tante Ellis comme on le ferait, nous.

    Mais elles ont pris le même engagement que moi, souligna Meredith. On avait accepté les règles du jeu. Vivre ici gratuitement à condition de veiller sur tante Ellis. Elle réalisa soudain qu’elle était injuste avec ses camarades. Si elle voulait être totalement honnête, elle devait reconnaître qu’Izzie et Cristina avaient passé bien plus de soirées qu'elle à veiller sur Ellis, tandis qu’elle suivait Derek par monts et par vaux. Elle se mit à pleurer. Que n’avait-elle pas fait pour lui, jusqu’à trahir les promesses faites à sa mère, et tout ça pour quoi ?

    Ma chérie. Anne se leva pour prendre sa fille dans ses bras et l’entraîner à nouveau dans le divan. Il n’y a pas de quoi te mettre dans cet état !

    Tu me reproches d’avoir abandonné Tante Ellis mais… tu ne te rends pas compte, maman, geignit Meredith. Je l’aime beaucoup mais ses crises… c’est terrible. Un instant, elle est comme une petite fille et la seconde d’après, c’est une vraie harpie. Un jour, elle a même voulu me frapper parce qu’elle croyait que je voulais lui voler son mari. Elle pensa soudain à ce que Derek lui avait maintes fois répété. C’est beaucoup trop lourd pour moi.

    Oui, son état s’est aggravé, admit sa mère. Je le vois depuis que je suis ici. Elle regarda sa fille avec tristesse. Je savais que ça arriverait un jour mais je ne croyais pas que ce serait si rapide. Elle s’en voulait d’avoir mal évalué la situation et d’avoir exigé de sa fille des choses qui dépassaient de loin ses compétences. Quitter sa petite ville, son entourage, ses habitudes pour débarquer dans une métropole où on ne connaissait personne, s’y faire une place, gagner de quoi vivre sa vie… La pression était déjà bien suffisante que pour ne pas lui en rajouter d’autres. Je n’aurais pas dû t’imposer ça, reconnut-elle. Elle souffla comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules. Je ne sais pas ce que je dois faire.

    A nouveau, Meredith pensa aux conversations qu’elle avait eues avec Derek à ce sujet. Les crises qui se faisaient de plus en plus fréquentes, le malade qui devenait un danger pour lui-même, les proches qui se retrouvaient rapidement dépassés par la situation, l’hospitalisation qui s’imposait finalement comme la seule option possible… Je connais quelqu’un qui pourra nous conseiller, lâcha-t-elle soudain, sans l’avoir prémédité. Je l’appellerai demain.


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  • La main sur la clenche de la porte du vestiaire, Mark suivit du regard une infirmière qui passait dans le couloir, les bras chargés de dossiers. Les fesses de la jeune femme se balançaient de gauche à droite, dans un lent déhanchement si gracieux que les yeux du chirurgien se mirent à briller d’un éclat singulier. Il ne se rappelait pas avoir déjà vu cette fille à la clinique mais cela n’avait aucune importance. Maintenant qu’il l’avait remarquée, il allait se débrouiller pour faire sa connaissance le plus rapidement possible. Quoi de mieux qu’une petite partie de jambes en l’air dans une salle de garde pour se consoler d’un deuil éprouvant ? Fort de cette bonne résolution, il ouvrit la porte et découvrit Derek, assis sur un banc, les bras appuyés sur ses genoux et les yeux fixés sur ses poings fermés. Encore sous le charme de sa furtive rencontre, Mark n’y prêta pas vraiment attention. Mec, je viens de croiser une nana ! claironna-t-il d’emblée en pénétrant dans la pièce. Une superbe petite blonde. Elle a un de ces culs ! ajouta-t-il avec enthousiasme. Des petites fesses bien rondes qui ne demandent qu’à être croquées. Il fronça soudain les sourcils. Ils ont embauché dernièrement ? Parce que je ne l’avais encore jamais vue. Il faut absolument que je sache qui c’est. Je vais aller me renseigner à la D.R.H tout à l’heure. Il ouvrit son casier et y suspendit sa veste. Y a trop longtemps que je me suis mis quelque chose sous la dent. J’vais finir par oublier comment on fait, plaisanta-t-il avec un petit rire coquin. Non sérieusement, faut que je baise. Ça va me détendre. Franchement, je ne sais pas comment tu fais pour tenir le coup. Etonné de n’obtenir aucune réaction, il se tourna vers son ami. Celui-ci n’avait pas changé de posture et Mark comprit qu’il ne l’avait pas écouté. Peut-être n’avait-il même pas remarqué sa présence. Légèrement vexé, Mark se mit à parler d’une voix forte en faisant toutes sortes de mimiques.  Bonjour, Mark. Tu vas bien, mon pote ? T’as passé une bonne nuit ? Ça me fait plaisir de te voir. Derek resta inerte et muet. Si je t’emmerde, dis-le, bougonna Mark entre ses dents. Il se faisait l’effet d’être un ingrat, surtout après ce que Derek avait fait pour lui à Santa Rosa, mais il lui en voulait un peu de ne plus être aussi disponible qu’avant. Comme il regrettait l’époque où ils étaient tous les deux libres et sans attaches ! Les soirées télé devant un match de basket ou une course de voitures, les conversations sans fin sur la médecine, les délires à propos des femmes, les confidences sans tabou ni secret, tout cela avait pris fin le jour où Derek avait rencontré Meredith. Bien sûr, Mark était sincèrement heureux qu’il ait enfin trouvé le grand amour. Mais il fallait bien reconnaître que, depuis qu’il s’était épris de la jeune fille, il n’y en avait plus que pour elle et que, de ce fait, Derek était beaucoup moins à l’écoute de son meilleur ami. Totalement indifférent parfois aussi, comme en ce moment. Sans doute pensait-il encore à sa dulcinée. Mark soupira. Ah l’amour, quelle merde ! Ils étaient si bien avant. Mais il ne servait à rien d’être mélancolique. Les choses avaient changé et elles ne redeviendraient jamais ce qu’elles avaient été. Il fallait accepter que dorénavant, la vie de Derek se résumait à un seul prénom. Comment ça s’est passé avec Meredith ? demanda Mark en s’asseyant à côté de son camarade. Vous avez discuté ? En voyant Derek se redresser et opiner lentement de la tête, il eut l’impression d’avoir, en prononçant le nom de la jeune fille, trouvé le code, sorte de sésame ouvre-toi, qui pouvait tirer son ami de sa torpeur.

    Ouais, on a discuté, répondit Derek sans expression particulière. Mark fronça les sourcils. A voir son manque d’enthousiasme, ses traits tirés et son regard absent, le pire était à craindre. L’intéressé desserra un poing, faisant apparaitre les clés du Hummer. Je peux les garder ? Ses bagages sont toujours dans ta voiture. Elle doit passer les prendre en journée.

    Ho ho, s’exclama Mark avec un air coquin. Tu as toujours ses bagages ! Ce qui signifiait donc que Derek n’avait pas raccompagné la jeune fille chez elle et qu’ils avaient passé la nuit ensemble. Finalement, les traits tirés n’étaient peut-être pas un si mauvais signe et la situation loin d’être aussi catastrophique qu’il y paraissait. Je savais que tu y arriverais. Je suis fier de toi, mon vieux !

    Y a pas de quoi pavoiser, tempéra Derek. Ce n’est pas du tout ce que tu crois.

    Oh mais je ne crois rien du tout, moi, affirma Mark, avec un sourire grivois. Je me fie seulement à ce que je vois et ce que je vois, c’est un mec qui a l’air de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit.

    Derek haussa légèrement les épaules. Effectivement je n’ai pas dormi mais cela ne signifie pas pour autant que… Désabusé, il baissa à nouveau la tête.

    En le voyant ainsi, Mark se dit que finalement, sa première impression était sans doute la bonne. La réconciliation n’avait pas été au programme de la soirée. Tu veux en parler ?

    Derek laissa échapper un long soupir sonore. C’est fini. On a discuté mais ça n’a servi à rien. C’est fini, répéta-t-il, la mine défaite.

    Comment ça, fini ? dit Mark, incrédule. Mais comment est-ce possible ? Quand elle a décidé de revenir ici avec toi, c’est tout de même parce qu’elle était prête à vous donner une seconde chance, non ?

    Derek approuva en secouant lentement la tête de bas en haut. C’est ce que je croyais aussi.

    Mais qu’est-ce qui s’est passé, alors ? interrogea Mark. Il était curieux de savoir ce qui avait dérapé entre le moment où il avait quitté le couple, qui semblait alors tout disposé à arranger les choses, et ce matin, où il retrouvait son ami ravagé. 

    Elle est au courant pour Callie et moi, lui apprit Derek.

    C’est toi qui le lui as dit ? interrogea Mark, déconcerté. Derek fit signe que non. Mark leva les deux mains en l’air. Hé, je te jure que c’est pas moi qui ai lâché le morceau. Et c’est pas ma grand-mère non plus, elle n’était pas au courant.


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  • Derek rassura son ami avec un petit sourire triste. Je sais. C’est la gamine qui a vendu la mèche.

    La gamine ? Taylor ? Comment peut-elle être au courant de ça ? s’étonna Mark, les yeux écarquillés.

    Je crois qu’elle l’a deviné, quand elle nous a vus à l’enterrement de ta grand-mère.

    C’est vraiment une fine mouche, cette gamine, constata fièrement Mark, comme s’il avait eu une quelconque influence sur le développement intellectuel de la lycéenne. Il l’avait quittée la veille mais son aplomb et son esprit lui manquaient déjà, sans parler de sa beauté. Il maudit une fois encore les principes moraux qui se mettaient entre eux. Certes, il n’éprouvait pas pour elle ce qu’il avait ressenti pour Meredith – il s’agissait plutôt d’une forte affection – mais il sentait qu’il aurait pu avoir avec elle une relation autre que celle qu’il avait d’habitude avec ses conquêtes. Une complicité à la fois intellectuelle et sexuelle qui, peut-être, avec le temps, aurait pu déboucher sur des sentiments plus forts.

    Ouais, une putain de fine mouche. Derek se leva pesamment, comme si toute énergie l’avait déserté. Et effectivement, il se sentait vide et sans force. En tout cas, elle est hyper douée pour foutre la merde ! Quel besoin Taylor avait-elle eu de faire part de ses soupçons à Meredith ? En quelques mots, elle avait anéanti tous les efforts qu’il avait faits pour regagner le cœur de son amie. Néanmoins, s’il éprouvait une certaine rancœur à son égard, il en voulait nettement plus à Meredith. Il n’admettait pas qu’elle accorde plus de crédit aux propos d’une fille qu’elle connaissait depuis à peine trois semaines, qu’à ceux de son petit ami qu’elle disait aimer. Et dire que c’était elle qui osait parler de confiance !

    Mark le regarder marcher d’un pas lourd vers son casier. Mais pourquoi Meredith t’en veut-elle pour un truc qui s’est passé avant votre histoire ?

    J’imagine que ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ah non, pardon, persifla Derek. Une des gouttes d’eau. L’autre, ça a été Abigail. Depuis la veille, il n’avait cessé de se remémorer seconde par seconde la conversation qu’il avait eue avec Meredith et il n’arrivait pas à comprendre pourquoi c’était précisément à cause d'Abigail qu’elle avait pété les plombs car, même s’il n’était pas friand de ces nouvelles expressions à la mode, il ne voyait pas comment le dire autrement. 

    Abigail ? s’écria Mark, au comble de la stupéfaction. De quelle façon cette histoire vieille de douze ans avait-elle pu intervenir dans la rupture ?

    Ouais, mec, comme j’te l’dis ! Je suis sûre qu’elle n’est sur terre que pour foutre ma vie en l’air, celle-là, dit Derek en levant des yeux pleins de dépit vers le plafond, comme s’il espérait obtenir une confirmation d’une autorité suprême. Ça doit être mon karma. Il prit un air tellement dégoûté que Mark ne put que sourire. Non, je suis injuste, rectifia Derek, en levant l’index en l’air. Cette fois, Abigail n’est pas dans le coup. C’est Meredith, seulement Meredith. Au souvenir de la mauvaise foi dont elle avait fait preuve la veille, il commença à s’énerver. Je l’amène à la péniche, pour marquer le coup, tu vois, dit-il en prenant son ami à témoin. Je lui offre quelques trucs que j’avais achetés pour elle. Je lui parle de moi, de ce que je ressens pour elle. Je lui dis que je l’aime comme un fou, que je regrette toutes les conneries que j’ai faites, enfin tout ça. Je n’avais jamais dit ça à personne avant. Sa mâchoire se contracta sous l’effet de la rage qui montait en lui. Elle est la première que je fais entrer chez moi, bon sang ! Tu sais ce que ça représente pour moi. Mark fit signe que oui. Il pensait bien être le seul à avoir jamais été admis, jusqu’à ce jour, dans l’intimité de Derek. Elle le savait aussi, je le lui ai dit, continua celui-ci en déboutonnant son jean. Mais elle, tout ce qu’elle retient, c’est Callie et Abigail. Eh bien, tu veux savoir ? Il retira son pantalon d’un geste rageur et le jeta, roulé en boule, dans un coin de la pièce. C’est bon, j’en ai marre ! Si elle n’est pas capable d’admettre qu’à mon âge, j’ai vécu avant elle, alors… Il ouvrit les boutons de sa chemise avec tellement de colère que Mark s’attendit à les voir rouler par terre. Elle n’a qu’à se trouver un puceau, fulmina Derek. Là, au moins, elle sera contente. Et encore, pas sûr !

    Je ne comprends pas, insista Mark. Elle était au courant pour Abigail. Momsy lui en avait parlé. Et Callie… c’était avant elle. Alors, qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? Derek fit une grimace indiquant qu’il ne connaissait pas la réponse à cette question. Ou alors elle râle parce que tu ne lui en as pas parlé toi-même, avança Mark, après y avoir réfléchi un instant.

    Elle a dit que j’avais abusé de sa confiance ! enragea Derek. Tu imagines ? Et elle, elle n’abuse pas ?

    Elle était en colère, alors elle a dit des trucs qu’elle ne pensait pas, supposa Mark.

    A nouveau, Derek haussa les épaules. Je ne sais pas. Je ne cherche même plus à comprendre. Ça n’a plus d’importance de toute façon. J’en ai ras-le-bol. Il sortit de son casier sa tenue de chirurgien et commença par enfiler le pantalon.

    Mark fut frappé par sa sveltesse, à la limite de la maigreur – conséquence du stress des dernières semaines, sans aucun doute – et il ne put s’empêcher de faire la comparaison avec lui que les années et l’excès de bonne chair commençaient déjà à marquer : une silhouette un peu plus lourde, un début de ventre, de petites poignées d’amour, alors que Derek avait toujours le corps mince et sec de ses vingt ans. Voilà l’avantage de mener une vie ascétique ! Faut vraiment que j’arrête de bouffer toutes ces saletés, se raisonna Mark en pensant aux hamburgers-frites qu’il aimait dévorer et aux cacahuètes et paquets de chips qui agrémentaient les soirées qu’il passait devant la télévision. Il se releva et entreprit, lui aussi, de se changer.


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  • Loin de toutes ces considérations diététiques, Derek poursuivait son monologue. Ça fait des semaines que je m’aplatis devant elle, que je rampe à ses pieds, juste pour qu’elle comprenne à quel point je l’aime, pour qu’elle sache que je suis vraiment sincère. Elle est la seule pour qui j’ai fait ça. La seule, tu m’entends ! Sa tête émergea de la blouse qu’il venait de passer et Mark put lire dans ses yeux qu’il était scandalisé. Et tout ce que je me ramasse dans la gueule, ce sont des reproches injustifiés sur des relations qui datent de Mathusalem. J’aurais pu comprendre qu’elle continue de m’en vouloir pour la nana de l’hôtel mais Callie… Derek ricana de plus belle. Et Abigail, bon sang ! Abigail ! Pfft. C’est la meilleure de l’année, celle-là. Il claqua la porte de son vestiaire si brutalement qu’elle se rouvrit immédiatement. Mais pour qui est-ce qu’elle se prend, nom de dieu ! cria-t-il, hors de lui.

    Mark tenta de justifier la réaction de Meredith. Elle a été blessée, alors…

    Derek ne le laissa pas continuer. Alors, elle va pouvoir aller de l’avant parce que je vais lui foutre une paix royale ! Je vais reprendre mes bonnes vieilles habitudes et l’oublier vite fait.

    Les lèvres de Mark s’étirèrent en un sourire moqueur. Mais oui, bien sûr ! Il regarda son ami avec un air taquin. Tu es fou de cette fille, ne dis pas le contraire.

    Et alors ? C’est une raison pour continuer à me ridiculiser ? objecta énergiquement Derek. C’est vrai, je l’ai trompée et c’était vraiment dégueulasse de ma part, je suis le premier à le reconnaitre, mais il n’y a pas eu que ça tout de même ! Il se laissa tomber sur le banc et parla d’une voix éteinte, comme si toute la colère qui était en lui venait de s’évanouir en une seconde. Pour elle, j’ai changé. J’ai fait des trucs que je n’avais jamais faits pour personne d’autre. J’ai renoncé à beaucoup de choses. Mais c’est comme si tout ça ne comptait absolument pas. Découragé, il secoua lentement la tête. Quoi que je fasse, quoi que je dise, ce n’est jamais assez pour elle. 

    Et donc, tu baisses les bras ? Tu abandonnes ? s’étonna Mark qui avait connu son camarade bien plus tenace que ça.

    Le regard que Derek leva sur lui n’était plus que lassitude. Elle ne veut plus de moi, Mark. Qu’est-ce que je peux y faire ?

    Te battre, pardi ! s’écria Mark. Te battre pour elle, pour lui prouver que ce n’est pas que des mots.

    Ça fait trois semaines que je me bats, soupira Derek. Pour rien. Il lança un regard résigné à son ami. Sans doute qu’on n’était pas fait pour être ensemble.

    Mark hocha la tête, en même temps qu’il revêtait sa blouse blanche. Je ne suis pas sûr de grand-chose dans la vie mais ça, en revanche… Vous deux, c’est… c’est une évidence, lâcha-t-il enfin, après avoir réfléchi au terme le plus approprié.

    Derek quitta son banc pour passer, lui aussi, la blouse blanche au-dessus de sa tenue bleue. Tu dois être le seul à être de cet avis, je crois. Il ouvrit la porte qui donnait sur le couloir et les deux hommes sortirent du vestiaire.

    Laisse passer un peu de temps, lui conseilla Mark, et réattaque dans quelques jours.

    Ça ne servira à rien, s’entêta Derek. Plus je lui cours après, plus elle me repousse. Il salua d’un bref signe de tête un confrère, le chef du service de la chirurgie obstétrique qui marchait au milieu d’un groupe de jeunes médecins qui buvaient ses paroles.

    Putain, ce n’est tout de même pas à toi que je vais apprendre que si tu veux avoir une fille, il ne faut jamais, jamais lui courir après, plaisanta Mark, en faisant au passage un clin d’œil à une jeune femme qui sortait du secrétariat et avec qui il avait couché une ou deux fois le mois précédent. A partir d’aujourd’hui, ignore-la et elle viendra te manger dans la main. 

    Pas Meredith, répondit Derek. De toute façon, je n’ai plus envie de jouer à ces jeux-là. Je suis fatigué de tout ça. C’est bon, je jette l’éponge.

    A ta place, j’attendrais encore un peu pour ça, lui conseilla Mark. Regarde qui est venu nous rendre visite. Derek se tourna dans la direction que son ami lui indiquait d’un léger mouvement de la tête. Il aperçut, assise sur une chaise, Meredith qui, tout en croisant et décroisant nerveusement les jambes, faisait aller sa tête dans tous les sens en mordillant le bout de ses doigts. Elle semblait attendre quelqu’un. Elle remarqua immédiatement les deux hommes et se leva d’un bond. Elle leva légèrement la main droite, les doigts écartés, en guise de bonjour. Malgré sa colère, Derek dut se retenir de courir vers elle. Le désir et l’amour restaient plus forts que le ressentiment et il eut la confirmation de ce dont il était déjà parfaitement conscient, à savoir qu’il ne réussirait jamais à tirer un trait sur elle. Mark remarqua son trouble et sourit. L’oublier hein ! murmura-t-il, en prenant garde de ne pas trop remuer les lèvres, pour que Meredith ne puisse pas comprendre ce qu’il disait. Allez, va la retrouver et essaie d’arranger les choses. Elle en vaut la peine.

    Indécis, Derek se détourna de Meredith pour regarder Mark. Celui-ci l’encouragea d’une légère poussée de la main dans le dos. Derek prit une grande inspiration et rejoignit la jeune fille. Bonjour, dit-il sans trop savoir s’il devait s’avancer pour l’embrasser ou garder ses distances. Où en étaient-ils après la discussion de la veille ? Etait-elle venue pour faire la paix ou le torturer un peu plus ?

    Salut, marmonna-t-elle. J’te dérange pas ?


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  • Le visage de Meredith était fermé et son regard était fuyant. Derek pressentit qu’elle n’était pas là pour se réconcilier avec lui. Tu es venue chercher tes bagages, je suppose ? demanda-t-il en espérant malgré tout qu’il se trompait sur les intentions de la jeune fille.

    Non. Enfin, oui… aussi, bafouilla Meredith en rougissant. En fait, je… ma mère est à San Francisco pour quelques jours et on… Elle s’arrêta, fébrile, et commença à se tordre les mains. Pourquoi éprouvait-elle toujours ce besoin de tout lui expliquer, comme si elle avait à se justifier ? Maintenant qu’ils n’étaient plus ensemble, il était hors de question qu’elle lui raconte encore quoi que ce soit de sa vie. J’aimerais bien que tu la rencontres, lâcha-t-elle soudain, sans réaliser ce que sa formulation pouvait avoir d’équivoque.

    Ta mère ? ânonna Derek, perplexe. La veille, Meredith l’avait quitté en criant que tout était fini entre eux et ce matin, elle se tenait devant lui, rouge de confusion et la tête baissée, pour lui annoncer qu’elle voulait lui présenter sa mère. Certes, ces derniers jours, elle l’avait habitué à des sautes d’humeur et à des attitudes déconcertantes, mais pas à ce point. Tu veux que je la rencontre ? répéta-t-il pour s’assurer qu’il avait bien compris. 

    Oui, enfin, si tu as le temps. Meredith releva la tête et comprit, en voyant le regard de Derek à la fois surpris et heureux, qu’il se méprenait sur ses intentions. Pourtant, elle ne le détrompa pas. Elle éprouvait une telle colère qu’elle n’était plus capable de prendre du recul sur rien. Elle sentait bien qu’elle était en train de perdre le contrôle et elle ne se reconnaissait plus dans cette fille en état de rage permanent. C’était plus fort qu’elle, elle aimait Derek mais elle lui en voulait tellement qu’elle ressentait le besoin de lui faire du mal. Elle voulait toujours qu’il souffre autant qu’elle-même était en train de souffrir. Il fallait qu’il sache ce qu’elle éprouvait et pour cela, il devait endurer les mêmes douleurs. Ce fut pour cette raison qu’elle le laissa s’enferrer.

    Oui, oui, bien sûr, bafouilla-t-il. Je… je ne pensais pas… mais oui, je serais très content de faire sa connaissance. Depuis le jour où il avait rompu avec Abigail dont les parents l’avaient soumis à un véritable interrogatoire sur sa famille, sa fortune, ses projets et ses ambitions, il s’était juré de ne plus jamais se livrer à de telles simagrées. Et pourtant, aujourd’hui, il désirait sincèrement que Meredith le présente à sa mère parce que cela signifiait qu’elle lui accordait une deuxième chance. Il tendit la main vers elle avec un sourire tendre. Bébé, je…

    Elle fit précipitamment un pas en arrière, comme si elle ne supportait pas l’idée qu’il la touche. On s’est mal compris, je pense, l’interrompit-elle avec un petit sourire presque cruel. Il ne s’agit pas de présentation aux familles. Je n’ai pas dit à ma mère que j’étais sortie avec toi et je n’ai absolument pas l’intention de le faire. Elle sut qu’elle avait atteint son but en voyant Derek blêmir et sa mâchoire se contracter. Pourtant, elle ne ressentit pas la satisfaction à laquelle elle s’attendait. Mais il était hors de question de faire marche arrière. Je m’adresse à toi en tant que médecin, parce qu’on a besoin de conseils pour ma tante. Mais évidemment, je comprendrais que tu refuses de nous aider.

    Derek ne put cacher qu’il était blessé par ce qu’elle venait de faire. Jamais il ne l’aurait crue capable de commettre une telle bassesse. Il avait tellement de peine à y croire qu’il se plongea dans ses yeux, espérant y trouver du regret, de la tristesse, de la tendresse, un reste d’amour, n’importe quoi qui lui prouve qu’elle était toujours celle dont il était fou. Il n’y vit que de la froideur. Stupéfait, il ouvrit la bouche. Il fallut un petit moment avant qu’il ne reprenne ses esprits. Un bref ricanement sortit du fond de sa gorge tandis qu’il hochait la tête avec un air dégoûté. Il avait l’impression d’être face à une inconnue et cela lui faisait mal, mais tellement mal qu’il crut que son cœur allait se briser en mille morceaux. Il était cependant impossible qu’il s’effondre devant elle. Il ne lui restait plus rien, sauf un petit reste d’honneur, et il n’était pas question qu’il y renonce pour elle. C’était déjà bien assez de s’être fait avoir une deuxième fois. Je pourrais vous recevoir vers 17 heures, si cela arrange ta mère, dit-il avec une extrême sécheresse avant de fouiller dans la poche de sa blouse pour en retirer les clefs du Hummer. Tu n’auras qu’à les remettre à Mark quand tu auras repris tes bagages, ajouta-t-il en les tendant à la jeune fille. Maintenant, excuse-moi, j’ai du travail.

    Elle avait à peine saisi les clefs qu’il tournait les talons. Elle sut qu’elle avait été trop loin mais son orgueil l’empêcha de le rappeler pour s’en expliquer. Et puis, de toute façon, ce n’était pas à elle de présenter des excuses. Ce n’était pas elle qui avait commis la première erreur, celle qui avait tout foutu en l’air. Mais être dans son bon droit ne l’aidait pas à se sentir mieux, parce qu’elle venait de perdre celui qui avait été le centre de son univers. Maintenant qu’il n’était plus là, elle ne ressentait plus rien d’autre que le vide. Elle allait s’en aller quand elle remarqua la présence de Mark, debout derrière un bureau de réception. A la façon dont il la regardait, il était clair qu’il avait assisté à toute la scène et qu’il la désapprouvait. Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? aboya-t-elle.

    Il referma d’un claquement sec le registre qu’il avait fait semblant de consulter pendant toute la conversation qu’elle avait eue avec Derek et il vint vers elle. Ça va ? Tu es contente ? Tu as eu ce que tu voulais ? Mal à l’aise, pleine de remords, elle haussa vaguement les épaules mais il en fallait plus pour qu’il taise ce qu’il pensait de ses agissements. Ce que tu viens de faire, c’est dégueulasse. Je sais qu’il t’a fait du mal mais lui au moins, il ne l’a pas fait intentionnellement. Le front buté, Meredith resta silencieuse mais sa bouderie qui, d’habitude, attendrissait le chirurgien, ne fit que le contrarier un peu plus. Il secoua la tête avec ce qu’elle ressentit comme du mépris. Ce que tu viens de me montrer de toi aujourd’hui ne me plait vraiment pas. C’est comme si j’avais devant moi une personne que je ne connais pas du tout. Mais tu sais le plus grave ? Cette personne, je n’ai vraiment pas envie de la connaitre, lui asséna-t-il avant de partir dans la direction que Derek avait prise. Meredith le regarda s’éloigner avec au cœur le sentiment que cette fois, elle était seule au monde, sans plus amour ni ami. 


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