• Ne dis pas ça, le gronda doucement Meredith. Tu es un type super, Jackson. Moi, je trouve qu’au contraire, ça aurait été dommage pour tout le monde que tu ne sois pas là. N’est-ce pas, Mark ? insista-t-elle lourdement.

    L’intéressé éluda prudemment la question. Il était évident que Meredith appréciait Jackson et qu’elle prendrait son parti contre lui, dans cette histoire. De toute façon, Momsy ne l’aurait jamais laissée avorter. C’était pas le genre de la maison. La vie était sacrée pour ma grand-mère et elle partait du principe que, si tu faisais une connerie, tu devais l’assumer. Elle a toujours reproché à ma mère le choix qu’elle avait fait. Il prit le whisky des mains de Derek et en but une gorgée.

    Et elle avait raison ! asséna Meredith, en se serrant un peu contre Jackson, pour permettre à Derek de se rasseoir près d’elle.

    Je n’ai jamais dit le contraire ! aboya Mark, qui n’appréciait guère de se voir donner des leçons devant son ennemi. Lui aussi aurait préféré que sa mère s’en aille avec son amant de pacotille. Momsy n’aurait pas recueilli leur rejeton de malheur et lui ne devrait pas, aujourd’hui, supporter la présence de ce frère qui n’en était pas un.

    Jackson reposa son verre sur la table. La dernière fois que ta mère est venue, c’était il y a trois, quatre ans, je pense, laissa-t-il soudain tomber en relevant la tête vers Mark. Elle était venue parler à Momsy de je ne sais quoi et ça a dégénéré comme d’habitude. Comme on entendait que ça criait pas mal, on est venu, mon frère et moi, pour voir ce qui se passait. Il se tourna vers Meredith. Elle nous a regardés, tous les deux, et j’ai vu dans ses yeux qu’elle se posait la question.

    Elle se demandait lequel de vous deux était son fils, chuchota Meredith, à la limite de l’incrédulité.

    Jackson acquiesça avec un petit rire sarcastique qui fit mal au cœur de la jeune fille. C’était dingue. C’est vrai que Nick ressemble vraiment beaucoup à notre père. Mais moi, moi…

    Jackson est le portrait craché de sa mère, expliqua Derek à l’intention de Meredith. Vraiment, il n’y a pas de doute possible. Il regarda en direction de Mark et ne fut pas surpris de le voir avec la mâchoire serrée. Entendre Jackson évoquer sa filiation et revendiquer, d’une certaine façon, son appartenance à la famille était douloureux pour lui. Cependant, Derek trouvait tout à fait légitime que Jackson le fasse. Aussi n’intervint-il pas.

    Ça a rendu Momsy folle de rage, continua Jackson. Elle s’est mise à l’insulter.

    Oh ça, je l’entends d’ici, dit Mark, soudainement attendri.

    Ouais, elle s’en est donné à cœur joie, renchérit Jackson, avec un sourire ému. D’ailleurs, elle l’a foutue à la porte à coups de canne. Il a fallu la retenir, sinon elle l’aurait tuée. Malgré la tension et le drame qui régnaient dans la pièce, Meredith se mit à rire, aussitôt imitée par les trois hommes. C’était comme si la scène était en train de se dérouler sous leurs yeux, la vieille dame pourchassant l’indésirable à grands coups de bâton. J’en ris maintenant, mais à l’époque…, reprit Jackson, une fois l’hilarité calmée. Enfin, ce n’était pas facile à vivre.

    Ça ne l’a été pour personne, laissa tomber Mark sur un ton à nouveau sec. On a tous notre croix à porter. Il commençait à regretter amèrement de s’être laissé embarquer dans ce jeu de la vérité. Que Derek éprouve le besoin de se confesser pour reconquérir Meredith, il le concevait très bien. Mais que Jackson en profite pour jouer les victimes, là, il n’était pas du tout d’accord.

    Oui, mais il y a des croix qui sont plus lourdes que d’autres, répliqua Jackson. Craignant que la conversation tourne au pugilat, Meredith adressa un regard inquiet à Derek. Il la rassura d’un sourire. Il connaissait bien les deux hommes. Vifs, certes, emportés parfois, mais pas violents. Toi, tu avais ton père, et Momsy, et ta mère, quoique tu en dises, argumenta Jackson. Quand elle venait te voir pendant les vacances…

    Elle l’a fait quatre ou cinq fois, pas plus, bougonna Mark.

    C’est mieux que rien, mec, s’exclama Jackson. Moi aussi, j’étais son fils et pourtant, je n’avais droit à rien. Un jour, j’avais sept ans, je m’en souviens très bien. Elle est arrivée et elle a annoncé à Momsy qu’elle emmenait les enfants manger une glace chez Baskin Robbins. Les enfants… – il prit Meredith à témoin – j’ai cru qu’elle parlait de moi aussi. Devinant ce qui allait suivre, la jeune fille sentit quelques larmes perler à ses cils. Alors, je suis allé dans ma chambre pour mettre mes plus beaux vêtements. Je ne voulais pas lui faire honte. Jackson ricana, se moquant de lui-même, petit enfant naïf qui avait cru pouvoir entrer dans le cercle des privilégiés. Quand je suis revenu, vous étiez déjà partis, dit-il en s’adressant à Derek plus particulièrement. Atterrée, Meredith se serra contre lui, tandis que Derek et Mark se regardaient, déconcertés. Ils ne se souvenaient pas du tout de ce moment. Evidemment, pour eux, une glace chez Baskin Robbins n’avait rien d’exceptionnel. Comme je pleurais, Momsy m’a emmené au magasin de jouets et j’ai pu choisir celui que je voulais. Au moment de terminer son récit, Jackson planta son regard dans celui de son demi-frère. Mais, moi, j’aurais préféré aller manger une glace avec vous.

    C’est tellement triste, murmura Meredith, au comble de la tristesse. Elle ne devait faire aucun effort pour imaginer le sentiment que le petit garçon de sept ans avait dû éprouver en comprenant qu’il ne serait jamais considéré comme un membre de la famille.

    Je ne me rappelle pas du tout ça, se désola Derek. Si on avait su…

     


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  • Si on avait su, on n’aurait rien fait, affirma Mark. Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? dit-il vivement en réponse au regard furieux de Meredith, et à celui plein de reproches que lui lançait Derek. Je dis la vérité, c’est tout. Si elle avait décidé de l’emmener avec nous, c’est moi qui n’y serais pas allé.

    C’est dégoutant, s’indigna Meredith. Comment peux-tu di…

    Mark lui coupa la parole. Parce que j’étais jaloux ! avoua-t-il sans ambages.

    La stupéfaction se lut sur le visage de Jackson. Jaloux ? Je me demande bien pourquoi ! Tu avais tout et moi…

    Mark l’interrompit. A chaque fois que mon père venait ici, il n’en avait que pour toi. Il partageait tes jeux, il te racontait des histoires, il t’emmenait dans ses promenades à cheval, il t’a même appris à nager. Jackson sourit à l’évocation de ce souvenir. Mark, au contraire, avait un masque douloureux. Moi, je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas pourquoi il faisait tout ça. Ses yeux se perdirent dans le vague. Après, quand on repartait, il pleurait, il pleurait pendant des heures. Et puis, surtout… il buvait plus que d’habitude. Ces soirs-là, il était vraiment déchiré. A nouveau, Mark fit face à son demi-frère. Toi, tu avais tous les bons moments. Moi, je le voyais se détruire. Je trouvais ça injuste.

    Ça l’était, confirma Derek avec un soupir. Tout ce que nous avons vécu, tous les trois, était terriblement injuste. Nous n’étions que des enfants et nous avons dû gérer des situations impossibles.

    Le regard sévère de Meredith alla de Mark à Jackson. Je ne comprends pas pourquoi vous vous détestez autant. Vous avez tellement de choses en commun. Derek sourit. Tout émue qu’elle soit, elle n’oubliait pas le but qu’elle s’était manifestement promis d’atteindre : réunir les deux frères. Il couva d’un regard amoureux cette adorable jeune femme pour qui le bien-être et le bonheur des gens qu’elle appréciait comptaient plus que tout.

    Jackson haussa les épaules. On ne peut pas revenir en arrière, Meredith. Il me déteste et moi, je ne l’aime pas non plus. Quand il y a trop de rancœurs accumulées…

    C’est la vie, renchérit Mark. Ce n’est ni sa faute, ni la mienne. C’est comme ça.

    Je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide ! s’emporta Meredith. Qui a dit que les choses ne pouvaient pas évoluer ? Ce n’est pas parce que vous avez été fâchés pendant vingt ans que ça doit continuer pour l’éternité. Avec du dialogue, on peut résoudre tous les conflits, leur asséna-t-elle d’un ton sans réplique.

    Et c’est toi qui nous dis ça ? ironisa Mark en faisant un signe de tête vers Derek.

    Jackson approuva d’un énergique signe de tête. Ouais, charité bien ordonnée commence par soi-même, paraît-il.

    Derek s’empêcha de sourire aussi largement qu’il en avait envie. Ils n’ont pas tort, se contenta-t-il de dire.

    Ça… ça n’a… ça n’a… ça n’a rien à voir du tout, bafouilla Meredith, rougissante. Et puis, c’est pas le sujet. Elle pointa son index vers Mark. Et toi, ne cherche pas à détourner la conversation. Jackson est ton frère et il n’est pas responsable de…

    Jackson ne la laissa pas aller plus loin. Je ne suis pas son frère, Meredith. Nous n’avons pas été élevés en tant que tel. Je suis seulement celui par qui le malheur est arrivé. Pour lui, je suis le diable et, d’une certaine façon, je peux le comprendre. Je ne savais pas pour ton père, assura-t-il à Mark. Je savais qu’il avait un problème avec l’alcool, évidemment, mais je ne savais pas que c’était à ce point. Ça n’a pas dû être facile pour toi. Et pour ce que ça vaut, je respectais énormément ton père. C’était un homme vraiment bon.

    Ouais. Trop sans doute. Dommage qu’il soit tombé sur elle, déplora Mark. Il hésita un instant avant de s’adresser à son demi-frère. Ne regrette pas de ne pas la connaitre, mec. Elle ne t’apporterait rien de bon de toute façon.

    Peut-être bien mais… elle me manque quand même. Jackson se reprit précipitamment. Enfin, pas elle spécialement, mais une mère. Je ne sais pas ce que c’est. Toi, au moins, tu en as eu une, même si elle était loin d’être parfaite. Vous avez partagé des moments. Moi, je n’ai rien.

    C’est mieux comme ça, je crois, commenta Derek, pensif. Son existence était émaillée de moments qu’il aurait aimé pouvoir oublier. C’était tous ces souvenirs qui avaient fait de lui l’homme qu’il était. Sans eux, il aurait mené sa vie différemment. Sans eux, il n’aurait pas eu peur d’aimer Meredith. Il la regarda et, une fois encore, pria pour que tout ne soit pas terminé. Avec elle, il pourrait peut-être se faire tout un tas de nouveaux souvenirs qui effaceraient les anciens, tellement horribles.

    Tu ne peux pas faire de généralités, Derek, dit-elle doucement en évitant toutefois de croiser son regard, qu’elle devinait intensément posé sur elle. Enfin, je veux dire… Elle considéra les trois hommes l’un après l’autre. Tous les parents ne sont pas comme les vôtres.

    Derek réalisa alors qu’il ne savait rien d’elle, de sa vie avant San Francisco. Certes, elle lui avait lâché quelques éléments d’information comme le fait que sa mère l’avait élevée seule ou encore son amourette avec Billy Bob, mais c’était tout. Quelle enfance avait-elle eue pour devenir cette jeune fille merveilleuse ? Raconte-nous.

    Quoi ?

    Tes parents. Ils étaient comment ?


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  • Pour mon père, je ne sais pas, répondit Meredith en secouant doucement la tête. J’avais un peu plus de trois ans quand il est mort. Je ne me souviens pas de lui. Tout ce que je sais, c’est ma mère qui me l’a dit.

    Eh bien, dis-nous ce qu’elle t’a dit, insista Derek. Je suis sûr que ce ne sont que des beaux souvenirs pleins d’amour. Il ne pouvait en être autrement. Sinon d’où Meredith aurait-elle tiré toute sa capacité à aimer ?

    Les yeux de la jeune fille se mirent à briller. Sa mère avait passé des heures à lui parler de celui qui avait été son seul amour. Elle avait coutume de dire que tant qu’il y aurait quelqu’un pour se souvenir de lui, il ne serait pas tout à fait mort. Meredith était heureuse de pouvoir, à son tour, faire revivre un peu ce père qui lui avait parfois manqué. Il était très beau, blond avec des yeux verts.

    Comme toi, fit remarquer Derek.

    Meredith rosit de plaisir. Oui, on m’a toujours dit que je lui ressemblais beaucoup. D’après Maman, il était assez intelligent. Bon élève quoiqu’un peu trop rêveur. Je suis un peu comme ça aussi. En revanche, là où je suis très différente, c’est en sport. Elle sourit en se rappelant ses notes exécrables en la matière. Il a fait de l’athlétisme et de la natation. A la maison, il y a ses coupes dans toutes les pièces. Il adorait la musique aussi. Il faisait partie d’un groupe, c’était le batteur, révéla-t-elle, fière de ce père qui avait tant de talents. Mais ce que j’aime le plus chez lui, c’est qu’il s’occupait des gens. Il avait adhéré à certaines associations et il s’impliquait vraiment. Il faisait tout ce qu’il pouvait pour aider ceux qui en avaient besoin. Elle réalisa soudain ce que ce portrait avait de parfait et sourit presque timidement, comme si elle était gênée. Enfin, c’est ce que Maman m’a dit. Elle l’a sans doute un peu idéalisé.

    Je ne crois pas, non. Derek l’enveloppa d’un regard tendre. Sans s’en rendre compte, elle venait de brosser son propre portrait, à quelques détails près.

    En tout cas, peu importe. Ça me plait de penser qu’il était vraiment comme ça, reconnut Meredith. Et puis, il y a leurs photos. Ça se voit qu’ils s’aimaient et qu’ils étaient heureux.

    Comment ils se sont connus ? s’enquit Mark.

    Au collège. Ils avaient quinze ans et ils ont su immédiatement qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Ils ont eu de mauvais moments, bien sûr, comme tout le monde, mais ça n’a jamais remis en cause leur amour. Ils se sont mariés juste après leur diplôme. Et je suis arrivée dans la foulée. Meredith émit un petit rire qui s’éteignit aussi rapidement qu’il était né. Ils ont tout fait très vite, comme s’ils savaient qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps devant eux. Une ombre passa dans ses yeux. Sa mort est tellement stupide. Il est tombé du toit qu’il était en train de réparer, expliqua-t-elle à l’intention de ses camarades qui semblaient suspendus à ses lèvres. Elle se tut avant de laisser échapper un gros soupir. C’est dingue quand on y pense. Un jour, on se lève, on part travailler et trois heures plus tard, tout est terminé.

    Et ta maman ? la questionna Jackson.

    Elle ne s’est jamais consolée. Elle va souvent le voir, au cimetière. Elle lui apporte des fleurs pour son anniversaire et la Saint Valentin. Elle lui parle de moi, de ce que je fais. Elle lui donne des nouvelles des gens qu’il aimait. Une certaine gêne s’inscrivit sur le visage de Meredith. Il y a beaucoup de gens qui la critiquent pour ça. Certains pensent qu’elle est un peu folle. D’autres trouvent ça morbide.

    Non, pas du tout, protesta Derek. Je trouve ça très beau. Pour lui, dont les parents n’avaient jamais été capables de s’aimer, cette histoire tenait du conte de fées. Comme cela devait être agréable pour Meredith de savoir qu’elle était l’enfant d’un tel amour !

    Et elle ne s’est jamais remariée ? s’étonna Mark. Elle était très jeune quand ton père est décédé.

    Non, elle n’a même jamais connu personne après lui. Mon grand-père le lui a souvent reproché, d’ailleurs, ajouta Meredith, un brin amère. Elle se souvenait parfaitement de ces discussions animées qui opposait son impétueux aïeul à sa mère si douce, mais non moins déterminée. Il trouvait qu’elle se sacrifiait pour moi et qu’elle gâchait sa vie. Un jour, je devais avoir dix ans, j’ai dit à ma mère qu’il fallait qu’elle se trouve un nouveau mari, que je ne voulais pas qu’elle soit malheureuse par ma faute. Elle leva des yeux emplis de larmes sur ses amis mais ces derniers n’y virent aucune tristesse, uniquement une infinie émotion. Elle m’a répondu qu’elle avait tellement aimé mon père qu’elle ne pouvait pas le remplacer et que, même si cela n’avait pas duré longtemps, elle avait fait une telle provision de bonheur en étant avec lui, qu’elle en avait assez pour tenir jusqu’à sa mort. Elle baissa la tête et se tut, attendant le verdict des trois hommes qu’elle n’osait plus regarder, de peur de lire la désapprobation dans leurs yeux.

    C’est une belle histoire, conclut Mark sans trop d’enthousiasme pourtant. Belle histoire, certes, néanmoins il trouvait dommage qu’une femme aussi jeune se soit condamnée à la solitude et à la chasteté. Pas un instant, il ne s’imaginait vivre un jour la même chose. Aimer un fantôme, très peu pour lui !

    Ouais, c’est clair, approuva sobrement Jackson. Tout cela était un peu trop romantique à son goût. Amants éternels, oui, bien sûr, mais tant qu’à faire, autant s’aimer vivant. Il était sincèrement amoureux de Jonas, vraiment, et pourtant, s’il devait arriver quelque chose à ce dernier, il ne jouerait pas les veufs éternels. Pour lui, vivre dans le culte d’un mort n’était pas la vraie vie.

    Derek, lui, resta silencieux. Mais ses yeux parlaient pour lui. Voilà, c’était cela qu’il voulait connaître, la mort en moins bien entendu. Lui, ce qu’il voulait, c’était vivre, vivre longtemps, vivre heureux, et surtout vivre avec Meredith. Et aussi partager le même amour que celui qui avait uni ses parents. Un amour absolu qui se suffirait à lui-même et qui pourrait défier le temps !


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  • Derek resserra le nœud de sa cravate et, après avoir jeté un dernier coup d’œil à son reflet dans le miroir, sortit de sa chambre pour rejoindre le grand salon où la dépouille de Momsy reposait dans un cercueil capitonné de blanc. Sur le seuil de la pièce, il chercha Meredith des yeux et l’aperçut en train de discuter avec Taylor. Il la trouva magnifique, vêtue d’une robe noire toute simple qui faisait ressortir sa minceur. Si les circonstances avaient été autres, il ne se serait pas gêné pour le lui faire savoir. Il traversa la pièce, saluant au passage des personnes qui lui souriaient et dont le visage lui semblait vaguement familier, des relations de Momsy qui l’avaient connu plus jeune, très certainement. Après avoir échangé un regard amical avec Mark qui recevait les condoléances des invités, il arriva enfin près de Meredith et lui signala sa présence en lui passant furtivement une main dans le dos, juste au-dessus de la chute de reins. Elle se retourna et le gratifia d’un faible sourire. Il la sentit fragile, sur la corde, prête à craquer au moindre incident. Meredith, ça va ? lui demanda-t-il, sans chercher à cacher son inquiétude.

    Ça ira mieux quand on en aura fini avec tout ça, répondit-elle en soufflant. Le défilé constant des gens qui venaient s’incliner une dernière fois devant la défunte, le fait que celle-ci soit encore exposée aux yeux de tous, la cérémonie qui allait suivre, tout la rendait nerveuse. Elle aurait tellement voulu oublier que Momsy n’était plus là. Depuis le matin, elle s’était arrangée pour ne pas venir au salon. Et maintenant qu’elle était obligée d’y être, elle évitait soigneusement de regarder dans la direction du cercueil. Elle ne voulait pas garder de la vieille dame l’image d’un cadavre outrageusement maquillé pour camoufler les premiers outrages de la mort. Et ce temps qui ne passe pas ! se plaignit-elle en se tordant les mains. Elle repoussa Derek qui voulait lui en prendre une pour la forcer à arrêter. Laisse-moi.

    Elle est énervée parce que l’avocat est venu lui parler de l’héritage, expliqua Taylor au chirurgien. Vous auriez vu de quelle manière elle l’a jeté !

    Il n’a eu que ce qu’il méritait, déclara Meredith. C’était indécent de venir me parler de ça, ici et maintenant. Elle lança un regard noir à l’homme de loi qui conversait un peu plus loin avec le médecin de Momsy.

    Il faudra bien te décider un jour, objecta Derek.

    Je ne veux pas parler de ça maintenant, répliqua sèchement Meredith. Cette histoire d’héritage lui posait toujours un réel problème de conscience. Quels que soient les angles par lesquels elle l’examinait, elle restait convaincue qu’on n’acceptait pas une telle somme quand on n’avait rien fait pour la mériter. Ce n’était pas la première fois, depuis la lecture du testament, que Derek, ainsi que Mark, tentait de la convaincre d’accepter le généreux cadeau que lui avait fait Momsy. A chaque fois, sa réponse était du même acabit : pas maintenant, plus tard, un autre jour… Elle ne faisait que reculer l’échéance, elle en était consciente, mais elle avait tellement de problèmes qu’elle n’arrivait plus à établir une priorité. Alors, elle les repoussait comme si cela allait lui permettre de les faire disparaître. Et puis, ça ne te regarde pas ! asséna-t-elle en voyant que Derek ouvrait la bouche.

    Comme tu voudras, dit simplement ce dernier, blessé par cette nouvelle rebuffade. Mais tu ne pourras pas éviter éternellement le sujet, que ce soit avec moi ou un autre. Meredith avança les lèvres en une moue boudeuse, se détournant légèrement pour lui faire comprendre qu’elle n’était plus disposée à l’écouter.

    Qui est-ce ? se renseigna Taylor, le regard fixé sur la porte. 

    Meredith et Derek se retournèrent en même temps pour découvrir Callie qui se tenait timidement à l’entrée de la pièce. Elle est là, celle-là ? s’étonna Meredith avec du dépit dans la voix, et même un brin d’agressivité. Malgré tous ses efforts, le courant n’était jamais vraiment bien passé entre elles et ce n’était pas les derniers évènements qui allaient arranger les choses. La complaisance avec laquelle Callie avait écouté Derek lui confesser son infidélité avait profondément choqué Meredith. Bien sûr, elle était consciente que leur amitié durait depuis longtemps et que Callie aurait toujours une certaine indulgence envers Derek. Mais elle aurait aimé que, dans cette histoire en particulier, Callie joue la carte de la solidarité féminine en prenant son parti tout comme elle-même l’avait fait quand Mark s’était mal comporté. Depuis l’épisode de la clinique, elle avait catalogué la chirurgienne dans la catégorie des garces et décidé qu’elle ne ferait plus jamais aucun effort pour s’entendre avec elle. Je ne savais pas qu’elle devait venir, ajouta-t-elle, énervée.

    Derek la regarda, surpris par cette aigreur qui ne lui ressemblait pas. Il se demanda un instant si elle était au courant pour lui et Callie, pour aussitôt repousser cette éventualité, peu probable, préférant attribuer la mauvaise humeur de Meredith au fait que l’arrivée de Callie lui avait rappelé les conditions de leur rupture. C’est normal qu’elle soit là. Mark est son meilleur ami, souligna-t-il calmement.

    Taylor tiqua. D’après sa propre expérience, elle avait quelques difficultés à croire en l’amitié entre un homme et une femme, à moins que l’un des deux ne soit gay. Avec défiance, elle suivit l’intruse du regard jusqu’à ce que celle-ci arrive près de Mark et le prenne dans ses bras pour l’embrasser. Elle comprit aussitôt qu’elle avait eu raison de douter. Il y avait quelque chose, dans l’expression de leurs corps, qui n’était pas du registre de l’amitié. Je n’aime pas ça, murmura-t-elle si bas que personne ne l’entendit. Mais alors là, pas du tout.

    Derek fit un geste en direction de ses amis. Il faudrait que j’aille lui…, commença-t-il à l’intention de Meredith.

    Elle lui coupa la parole avec brusquerie. Mais tu fais ce que tu veux, Derek. Je te l’ai déjà dit, tu n’as pas de comptes à me rendre. Elle lui tourna ostensiblement le dos pour lui signifier que la conversation était close. Il n’insista pas, pour éviter un esclandre, et s’éloigna en soupirant. Il n’en pouvait plus de cette ambiance à couteaux tirés qui régnait entre eux.

    Cette fois, ce fut lui que Taylor observa tandis qu’il rejoignait ses amis. En voyant le trio réuni, la façon dont Callie regardait les deux hommes, leur connivence évidente, elle fronça les sourcils. Mais c’est qui, cette nana ?


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  • C’est Callie, une chirurgienne qui travaille à la clinique avec eux, lui apprit Meredith qui mourait d’envie de regarder ce qui se passait derrière elle. Toutefois, elle serait morte plutôt que de montrer à Derek qu’elle s’intéressait à ce qu’il faisait. C’est surtout leur meilleure amie, leur confidente.

    Et plus si affinités, grogna Taylor qui, sans la connaître, détestait déjà cette nouvelle venue.

    Ouais, tu as raison, reconnut Meredith. Elle couche avec Mark, à l’occasion.

    Oh si tu veux mon avis, pas qu’avec lui, répliqua Taylor.

    Heureuse que Taylor soit à nouveau son alliée dans cette campagne de dénigrement, Meredith eut un petit rire satisfait. Tu as vraiment du flair. Elle écarte les cuisses avec tous ceux qui le lui demandent gentiment. Je l’ai vue à l’œuvre quand on était à Aspen. Un homme marié, un moniteur de ski qui avait mon âge, tout est bon pour elle, conclut-elle avec mépris. Elle éprouva aussitôt une pointe de remords pour ce qu’elle venait de dire, mais la chassa bien vite. Après tout, pourquoi vouloir rester correcte envers une personne qui ne l’était pas ? 

    Et Derek ? se renseigna Taylor avec curiosité.

    Meredith haussa légèrement les épaules. Je suppose que s’il le lui demandait, elle ne dirait pas non. Cette idée ne la choquait pas outre mesure. Callie n’était qu’une femme après tout. Et quelle femme aurait pu refuser quoi que ce soit à Derek Shepherd ? 

    Si tu veux mon avis, il le lui a déjà demandé, lâcha Taylor, avec un brin d’ironie. Et tu as raison, elle n’a pas dit non.

    Derek et Callie ? dit Meredith, abasourdie. Tu crois qu’ils ont couché ensemble ?

    Taylor entrevit le regard à la fois étonné et effrayé de son amie et sentit que le sujet pouvait s’avérer délicat. C’est possible, répondit-elle prudemment. Tu m’as dit qu’avant, il se tapait n’importe qui. Alors, pourquoi pas elle ?

    Meredith fit d’énergiques signes de dénégation. Non, c’est impossible. C’est sa meilleure amie. Et en plus, elle couche avec Mark, rappela-t-elle à sa camarade.

    L’un n’empêche pas l’autre, se gaussa cette dernière. Meredith pouvait se montrer tellement naïve, parfois.

    Callie ? Elle se serait partagée entre Derek et Mark ? Oui, c’était de l’ordre du possible, Meredith en convenait. Elle savait, de l’aveu même de Derek, que lui et Mark avait eu des aventures communes. Elle se retourna pour observer les intéressés mais, contrairement à Taylor, elle ne remarqua rien de particulier. Callie regardait Mark avec compassion, une main posée sur son bras, tandis que Derek leur parlait, la mine grave. Meredith n’y vit rien d’autre qu’une conversation entre trois amis unis dans le chagrin. Elle jeta un regard furieux à l’adolescente. Tu racontes n’importe quoi.

    Si tu le dis, répliqua Taylor, vexée.

    Il ne m’aurait pas caché ça, murmura Meredith, décontenancée par l’assurance de la lycéenne.

    Ben, il t’a bien caché le reste, fit justement remarquer celle-ci. Et puis, il n’est pas fou. Il n’allait pas te parler de sa relation avec une fille qu’il voit encore tous les jours.

    Sa relation ? Meredith jeta un regard éperdu à son amie. Tu crois qu’ils ont eu une vraie relation ? Taylor, qui commençait à regretter amèrement de s’être embarquée dans cette discussion, fit une grimace pour exprimer qu’elle n’en savait rien. Je m’en serais rendu compte, non ? insista Meredith. Elle se remémora tous les moments où elle avait été en présence de Callie et Derek, à Aspen notamment, et elle ne se souvint de rien qui aurait pu donner raison à Taylor. Le comportement de Derek avait été tout ce qu’il y a de plus normal. Il ne s’était pas montré moins empressé avec elle, moins amoureux parce que Callie était là. Il y avait bien eu cette journée qu’il avait préféré consacrer au ski avec son amie, plutôt que de rester au chalet avec elle, mais ça, c’était parce qu’ils s’étaient disputés au sujet de cette satanée pilule. Pourtant, peu à peu, le doute s’insinua dans son esprit. Il y avait tant de petites choses qui pouvaient appuyer la théorie de Taylor, comme l’animosité à peine déguisée de Callie à son égard, ou le fait que Derek l’ait dissuadée à plusieurs reprises de vouloir faire de Mark et Callie un couple. Et que dire de son comportement agressif, à Aspen, vis-à-vis de Donnie et Brian ? Jusqu’à aujourd’hui, Meredith avait pensé qu’il était jaloux de l’intérêt que ces deux hommes lui avaient manifesté. Maintenant, elle n’en était plus aussi sûre. Pourtant, elle se raccrocha à sa logique. Il ne m’aurait pas emmenée en vacances avec une de ses ex, tout de même !

    Pourquoi pas, si c’est de l’histoire ancienne ? rétorqua Taylor, qui commençait à trouver que Meredith faisait tout un foin pour pas grand-chose.

    Non, ce n’est pas possible, balbutia la jeune fille, désarçonnée. Il ne peut pas avoir couché avec elle, c’est sa meilleure amie, redit-elle, en se raccrochant à cette idée comme à une bouée.

    De toute façon, même s’il l’a baisée, qu’est-ce que ça peut te faire ? s’emporta Taylor, irritée par la réaction de son amie qu’elle jugeait démesurée. Le passé, c’est le passé. Il s’en fout de cette nana, c’est clair. C’est toi qu’il aime maintenant, Mer. Ça se voit. Alors, arrête de te torturer avec ça.

    Les yeux embués de larmes, Meredith secoua doucement la tête. Tu ne comprends pas. Quand on s’est rencontré, il m’a dit qu’il ne couchait jamais deux fois avec la même femme, qu’il en faisait un principe parce qu’il ne voulait pas avoir de relation. Ne voyant pas où elle voulait en venir, Taylor fronça les sourcils. Il m’a dit qu’il avait changé pour moi, poursuivit Meredith d’une voix cassée par les pleurs qui menaçaient de déborder. Il m’a dit qu’avec moi, c’était différent. Mais s’il a eu une relation avec elle… – elle étouffa difficilement un sanglot – alors, je me demande s’il y a eu une seule chose de vrai dans tout ce qu’il m’a dit.


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