• Derek posa son livre sur la table de chevet. C’était peine perdue. Quels que soient ses efforts, il ne parvenait pas à se concentrer suffisamment pour comprendre ce qu’il lisait. Il avait à peine terminé une phrase qu’il en avait déjà oublié le début. Il avait bien trop de choses en tête, et la principale, c'était ses retrouvailles avec Meredith, évidemment. La revoir avait été à la fois un ravissement et une torture. Un ravissement parce qu’il avait enfin pu se retrouver près d’elle, la regarder, l’écouter, lui parler même. Une torture parce qu’il avait dû se contenir, faire attention à ses paroles et à ses gestes, pour ne pas effaroucher la jeune fille. Il avait encore en mémoire la façon dont, les yeux étincelants d’une rage soudaine, elle lui avait cloué le bec lorsqu’il avait essayé de la questionner sur la soirée à laquelle elle s’était rendue, la nuit précédente. Est-ce que je te demande, moi, de quelle manière tu as occupé ton temps ? Ce que je fais de ma vie ne te regarde plus, Derek ! avait-elle crié. Il se l’était tenu pour dit et n’avait plus insisté, tourmenté par l’horrible idée que si elle ne voulait pas lui répondre, c’était peut-être parce qu’elle avait quelque chose à lui cacher. Après cela, elle s’était arrangée pour ne plus être seule avec lui et ils n’avaient plus échangé que des banalités polies, des renseignements d’ordre pratique sur les repas, les visiteurs ou les funérailles. A chaque fois qu’il avait essayé d’aborder un sujet un peu plus personnel, elle s’était fermée comme une huître.

    Pour évacuer son trop-plein d’énergie, il s’était alors lancé dans toute une série d’activités plus diverses les unes que les autres, comme aider Jackson aux écuries, alors qu’il était loin d'avoir une passion débordante pour les chevaux – Momsy avait coutume de dire en riant qu’il préférait s’occuper des pouliches – ou accompagner Nick à l’autre bout de la propriété pour l’aider à réparer une clôture – aider étant d’ailleurs un bien grand mot, car il s’était borné à passer les outils – ou encore déposer les faire-part de décès à la poste, prendre diverses dispositions avec les pompes funèbres, accompagner Frances au supermarché et expliquer à Taylor les subtilités des racines carrées. Et bien sûr, il avait soutenu Mark, totalement dévasté par la mort de sa grand-mère. Le faire sortir de la chambre funéraire, l’obliger à manger, l’écouter égrener ses souvenirs, recevoir à ses côtés tous ceux qui, dès que la triste nouvelle s’était répandue dans les environs, étaient venus rendre hommage à la défunte. Enfin, Derek s’était chargé, lors des dîners, de relancer les conversations qui avaient tendance à s’éteindre lorsque le regard de l’un ou l’autre des convives s’arrêtait sur la chaise désormais vide de la maîtresse de maison. Bref, il avait été partout à la fois et Frances n’était pas loin de le considérer comme un super héros.

    Il jeta un coup d’œil au réveil. Il était deux heures du matin et il savait qu’il ne réussirait pas à fermer l’œil de la nuit. Il se leva du lit et alla jusqu’à la fenêtre qu’il ouvrit pour avoir un peu d’air frais. Etait-ce vraiment l’atmosphère ambiante ou son sang qui bouillonnait mais il avait l’impression d’étouffer sous l’effet de la chaleur. Il se sentait comme une bombe qui menaçait d’exploser à tout moment. Jusqu’à présent, il avait eu l’habitude de mener sa vie à toute allure et selon ses propres règles. C’était toujours lui qui décidait comment et quand les choses se faisaient, et les autres n’avaient qu’à s’y plier. Mais là, il n’était plus qu’une marionnette dont Meredith tirait les ficelles. Etre là, tout près d’elle, et ne pouvoir rien dire, rien faire… Il n’en pouvait plus. Certes, il avait été le premier à déclarer qu’il serait indécent de régler ses comptes au-dessus du cercueil de Momsy mais tout de même… Il voulait que la situation se dénoue et si cela exigeait de lui des explications, des mea culpa, des excuses, il le ferait, sans problème, pourvu que cela lui permette de sortir de cette impasse. Maintenant, il fallait que ça bouge, et vite !

    Ne tenant plus entre ces quatre murs dont il avait l’impression qu’ils se refermaient de plus en plus sur lui, il sortit de la chambre, sans même prendre la peine d’enfiler un tee-shirt. De toute façon, qui risquait-il de croiser en pleine nuit ? Tout le monde était en train de dormir à poings fermés. Cependant, en passant devant la porte de Meredith – il n’aurait pas pu se tromper, elle occupait l’ancienne chambre de Mark – il tendit l’oreille, espérant surprendre un bruit quelconque qui lui aurait indiqué qu’elle était réveillée. Il n’entendit rien. L’aurait-il fait que cela n’aurait sans doute rien changé. On n’allait pas, à deux heures du matin, vêtu seulement d’un boxer, frapper à la porte de son ancienne petite amie pour lui expliquer comment le fait d’avoir eu des parents indignes avait eu pour conséquence de la tromper avec la première venue. C’était l’échec assuré. Autant prendre son mal en patience et attendre un moment plus propice. Derek reprit la direction de la cuisine, dans le but d’y prendre un soda bien frais – cela apaiserait peut-être cette sorte de fièvre qui montait en lui – avant de s’affaler dans le divan devant les informations de CNN. Une lumière sortant de la pièce lui apprit qu’il n’était pas le seul insomniaque de la maison. Il fut presque rassuré de découvrir Mark, assis à la grande table, le regard perdu dans une tasse de thé.

    Tiens, tu es là, constata Derek. En passant derrière son ami, il posa brièvement une main sur son épaule, en y exerçant une légère pression, pour lui manifester son réconfort. Tu ne dors pas, toi non plus ? Il continua jusqu’au frigo qu’il ouvrit pour en examiner l’intérieur. Il crevait d’envie de boire quelque chose de frais et, maintenant qu’il était là, il se rendait compte qu’il avait aussi un peu faim.

    Je n’y arrive pas, soupira Mark en regardant son ami ouvrir une canette de Coca puis en boire une longue gorgée. Pas avec elle à côté. Je ne peux pas. L’idée que sa chère grand-mère n’était plus qu’un tas de chairs froides ayant déjà entamé le processus de décomposition, le hantait, l’empêchant de penser à tout autre chose. Cette maison, qui avait été celle du bonheur, était devenue en une nuit celle des horreurs. Il n’avait qu’une envie, la fuir.

    Elle ? demanda distraitement Derek, en sortant les restes des poulets qui avaient été mangés à midi. Il vint s’installer face à son ami et glissa l’assiette devant lui. Mark secoua la tête, avec un air écœuré. Qui donc ? poursuivit Derek en attaquant un pilon, tout en regardant son compère. La mine de ce dernier lui apporta sa réponse. Oh désolé, vieux ! s’excusa-t-il, confus. J’ai pas réfléchi à ce que je disais. Momsy, bien sûr. Je sais que ce n’est pas facile pour toi.


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  • Mark leva la main droite en l’air. C’est bon, laisse tomber, grogna-t-il. Epargne-moi les banalités d’usage. Toute la journée, il avait dû subir les avis et conseils de ceux qui croyaient savoir ce qu’il ressentait et qui se sentaient autorisés à lui conseiller d’accepter l’inacceptable. Comme si on pouvait admettre l’absence, le vide, le néant ! Là, je ne peux plus. Alors, s’il te plait, parle-moi de tout, sauf de ma grand-mère. Dis-moi plutôt pourquoi tu ne dors pas, toi aussi. Ses yeux se teintèrent d’un éclat moqueur en regardant Derek dévorer la chair blanche de la volaille. La faim ? Ou la jolie petite blonde qui squatte ma chambre ?

    Ouais, grogna Derek en reposant le pilon sur l’assiette, comme si l’évocation de Meredith venait de lui couper l’appétit. Etre là, si près, et ne pas pouvoir être avec elle, la toucher, dit-il, découragé. Il soupira puis, soudain, réalisa à quel point ce qu’il venait de dire pouvait être interprété de façon ambiguë et paraître indécent, vu le contexte. Enfin, la toucher… Je ne veux pas dire que je veux faire l’amour avec elle.

    Oui, bien sûr, ironisa Mark. Je vais te croire.

    Hé ! Ta grand-mère morte est ici ! s’indigna Derek. Alors même si j’en avais la possibilité, je ne le ferais pas. Bien sûr qu’il avait envie de Meredith, plus que jamais, mais, indépendamment du respect qu’il voulait manifester à Momsy, faire l’amour dans une maison qui venait d’être visitée par la mort, n’était pas l’idée qu’il se faisait de leur réconciliation.

    Mais tu voudrais, insista Mark.

    Ce que je voudrais, c’est être près d’elle, répliqua Derek, énervé. La tenir dans mes bras, me serrer contre elle, sentir la chaleur de sa peau et…

    Mark l’interrompit. Te fatigue pas, j’ai compris. Il n’était pas vraiment d’humeur à supporter le récit des fantasmes de son ami. Ça se passe comment, vous deux ? se renseigna-t-il. Ces dernières heures, il n’avait pas été attentif aux faits et gestes des amants maudits.

    Elle me tolère, déplora Derek. Ce qui n’est pas si mal au fond, vu le coup de pute que je lui ai fait. Il but une autre gorgée de son soda. Elle me répond poliment quand je lui parle, à condition que je me borne à parler de la pluie et du beau temps. Sinon, je me fais jeter.

    Oh ! Mark se leva pour aller verser dans l’évier le thé qui était devenu froid. Faut dire aussi que ce n’est sans doute pas le meilleur moment pour démêler tout votre bazar.

    Je n'voulais rien démêler du tout, grommela Derek. Elle m’a dit qu’elle était allée à une soirée. Je lui ai demandé comment ça s’était passé et…

    Je vois ça d’ici, s’amusa Mark. Derek n’était pas vraiment réputé pour son tact et sa subtilité. Elle a compris que ça te déplaisait et qu’elle allait subir un véritable interrogatoire, alors elle t’a envoyé au diable ! conclut-il, en prenant une bière dans le frigo, avant de revenir s’asseoir. Il déboucha la bouteille et but directement au goulot.

    Ouais. Peu convaincu, Derek fit la moue. Depuis, elle évite de se retrouver seule avec moi – il s’arrêta de parler quelques secondes, pour réfléchir – ce qui est peut-être bon signe après tout. Ça veut peut-être dire qu’elle cherche à se protéger, je ne sais pas. Il haussa légèrement les épaules. Je me dis que, si elle n’en avait plus rien à faire de moi, elle n’agirait pas comme ça. Mais d’un autre côté – légèrement égaré, il regarda Mark, espérant que ce dernier pourrait l’aider à y voir plus clair - elle est allée à cette foutue soirée, ce qui me pousse à penser que peut-être, elle veut aller de l’avant. Il commença à s’agiter. Si c’est rien qu’une soirée normale, genre tu danses et tu bois un verre, pourquoi elle ne veut pas en parler ? C’est peut-être parce qu’il s’est passé quelque chose. Si elle a quelqu’un, j’aimerais le savoir, merde ! jura-t-il.

    Mark tapota le bout de son index sur sa tempe gauche. Eh ben, ça cogite là-dedans ! Et ça fait beaucoup de peut-être, railla-t-il. A mon avis, tu devrais arrêter de réfléchir, ça ne te réussit pas. Il souffla d’agacement. Meredith n’a personne, elle est juste sortie avec Taylor, et Avery leur a servi de chaperon. L’étonnement se lut sur le visage de Derek. C’était une soirée, genre fête au village, ambiance bon enfant, lui expliqua Mark. Elles ont dansé et bu quelques verres comme tu dis et c’est tout. Ne va pas encore t’imaginer des trucs insensés.

    Comment tu le sais ? l’interrogea Derek, toujours suspicieux. Est-ce que Mark ne voulait pas tout simplement le rassurer ? Ou le faire taire ?

    C’est Taylor qui me l’a dit, cet après-midi, lui révéla Mark. Derek eut un léger sursaut et Mark se sentit obligé de lui donner une explication. Pendant que tu faisais les courses avec sa mère, on est allé se promener. A cheval, ajouta-t-il devant le regard inquisiteur de son ami.

    Une promenade à cheval, tiens, tiens, persifla Derek.

    Ben quoi, y a rien de mal à ça, ronchonna Mark. Pour cacher son malaise, il reprit sa Budweiser et inclina la tête en arrière, pour la vider à grandes gorgées.

    S’il n’y a eu que ça, non, répliqua Derek. Mais te connaissant…

    Ma grand-mère vient de mourir. Si tu crois que je pense à la gaudriole ! s’offusqua Mark.

    Derek ricana. Vu la façon dont tu regardais la fille pendant le diner, un peu quand même. Il n’avait pas pu faire sans entrevoir les échanges de regards, les petits sourires, le frôlement des mains qui se passaient le sel ou le poivre. Et, compte tenu de la tête que faisait Frances, il était plus que probable qu’elle s’en soit rendu compte, elle aussi.


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  • J’essayais juste de me changer les idées, se défendit Mark.

    Allume plutôt la télé ou prends un bouquin, conseilla Derek. C’est aussi efficace, si pas plus.

    Mark fit une moue dubitative. En trente-cinq d’existence, il n’avait encore rien trouvé de mieux que le sexe pour chasser les sombres pensées et il avait la nette impression qu’en la matière, Taylor pouvait se révéler être une bombe, pour peu qu’on sache la guider. Taylor… comment tu la trouves ? se hasarda-t-il à demander à Derek.

    Celui-ci le considéra d’un air plus que réprobateur. Jeune ! Beaucoup trop jeune ! martela-t-il.

    Mais encore ? insista Mark.

    Rien, mon vieux ! s’emporta Derek. Tu déconnes ou quoi ? Elle est mineure, je te rappelle, au cas où tu aurais oublié ce détail.

    Mark ne cacha pas qu’il était contrarié. Dans quelques mois, ce ne sera plus un problème. Meredith est beaucoup plus jeune que toi, elle aussi.

    Oui, justement, maugréa Derek. Et tu sais le problème que ça me pose. Ce n’est pas évident d’être amoureux d’une fille dont on pourrait presque être le père. Alors évite. Il vit que son camarade était pensif. Evite ! répéta-t-il avec insistance.

    Oui, oui, j’ai compris, bougonna Mark. Qui parle de tomber amoureux aussi ?

    Ne prends pas de risque ! recommanda Derek. Cette fille est de la graine de gonzesse qui rend fou. Il avait immédiatement jaugé la jeune fille. Faussement ingénue, séductrice, provocante, intelligente sous ses dehors d’adolescente écervelée, peut-être même un brin manipulatrice, elle était du genre à ne reculer devant rien pour arriver à ses fins. Et en même temps, elle semblait réellement attirée par Mark. Toujours à le dévorer des yeux, à épier ses moindres faits et gestes, à boire ses paroles. Derek avait même surpris quelques regards attendris qui lui avaient laissé peu de doute. Et puis, à son âge, on s’enflamme facilement, poursuivit-il. Et si elle tombe vraiment amoureuse de toi… C’est pas le genre de fille avec lequel on s’amuse, mon vieux. Elle risquerait de ne pas s’en remettre.

    Ouais, je sais. Un petit sourire apparut sur le visage de Mark. Tu sais, c’est marrant, ça fait huit ans que sa mère est au service de Momsy. Je l’ai rencontrée à chaque fois que je suis venu. Et Taylor, j’ai dû la voir aussi, forcément. Pourtant, je ne m’en souviens pas du tout. Il regarda son ami avec de grands yeux ébahis.

    Et ? demanda Derek, qui ne comprenait pas où son ami voulait en venir. Quand tu venais, elle devait être à l’école ou en train de jouer avec ses Barbie. Je ne vois pas ce qu’il y a d’extraordinaire.

    Mark secoua vivement la tête. Non, non, elle m’a dit qu’on s’était déjà vu et parlé, aussi. Enfin, bonjour bonsoir, tu vois. Pourtant, je ne m’en rappelle absolument pas. C’est comme si je ne l’avais jamais remarquée avant ! Il fixa Derek, dans l’attente d’une réaction digne de la révélation qu’il venait de lui faire.

    Logique, ce n’était qu’une enfant ! T’avais aucune raison d’y faire attention, répliqua son ami. Et tu ferais mieux de continuer comme ça. Derek se leva et commença à fouiller les armoires, à la recherche de quelque chose de plus attrayant que le poulet. Bizarrement, il avait une envie de sucré, ce qui ne lui arrivait pratiquement jamais.

    Pfft ! souffla Mark, déçu par le manque manifeste d’enthousiasme de son meilleur ami. Allez ! Avoue qu’elle est bandante !

    Derek haussa les épaules. Ouais, si on veut. Mark le regarda avec un air très surpris. Taylor était une vraie bombe et que Derek, ce fin connaisseur, ne s’en rende pas compte était sidérant. OK, admit Derek avec un léger sourire. Elle est pas mal mais – il redevint sérieux – je n’arrive pas à être excité par une fille d’à peine dix-sept ans ! Pour moi, ce n’est qu’une enfant. Il revint s'asseoir et déposa sur la table une boite en fer qui contenait des brownies, fabrication maison plus que certainement.

    Traite-moi de pédophile tant que tu y es, s’écria Mark, révolté.

    En tout cas, tu le serais aux yeux de la loi, riposta sèchement Derek. Une relation avec une fille de cet âge pourrait te mener en prison. Tu veux faire mourir ta grand-mère une deuxième fois ? Il mordit à pleines dents dans un gâteau mais eut du mal à avaler la première bouchée. En réalité, il n’avait pas faim, il mangeait par désœuvrement, ce qui était une première.

    Les yeux scandalisés de Mark roulèrent dans leurs orbites. Ça, c’est bas ! C’est vraiment bas ! Et puis, Momsy, elle voulait seulement que je sois heureux. Alors, si Taylor était ma chance ?

    N’importe quoi ! laissa tomber Derek sur un ton dédaigneux. Qu’est-ce que tu envisages ? D’aller la chercher tous les jours à la sortie du lycée et de l’aider à faire ses devoirs, après lui avoir donné son goûter ?

    T’exagères ! lui reprocha Mark. Elle a dix-sept ans, pas sept.

    C’est une gamine, Mark, asséna Derek, décidé à lui faire entendre raison. Très jolie, c’est vrai, et sans doute plus délurée que la moyenne des filles de son âge mais… – son regard se fit plus dur – tu ne peux absolument pas envisager une relation, quelle qu’elle soit, avec elle !


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  • Mark afficha un sourire moqueur. Dit le mec qui sort avec une fille qui vient tout juste d’avoir vingt-et-un ans. 

    Ne compare pas ce qui n’est pas comparable ! répliqua Derek avec une totale mauvaise foi. Meredith, elle est exceptionnelle.

    Oui, tu n’as pas tort, concéda Mark. Ah on est bien avec nos nanas !

    Meredith n’est pas une nana, s’insurgea Derek. Et Taylor n’est pas la tienne et ne doit jamais le devenir, tu m’entends !

    Quel putain de rabat-joie ! s’écria Mark, tout en sachant que Derek avait pertinemment raison.

    Qui est rabat-joie ?

    En entendant la voix de Meredith, Derek, dont la chaise tournait le dos à l’entrée, sursauta violemment. Il se leva précipitamment, faisant tomber son siège dans le mouvement, et découvrit la jeune fille, vêtue seulement d’un tee-shirt qui lui arrivait à mi-cuisses. Il sentit une bouffée de chaleur l’envahir. Pour dissimuler son émotion, il se pencha pour relever sa chaise. Momsy est morte, se répéta-t-il plusieurs fois, très vite, en espérant que cette triste évocation suffirait à empêcher toute manifestation extérieure trop visible de son trouble. Effectivement, le souvenir de la vieille dame, ainsi que la certitude que le moindre faux pas pouvait tout compromettre, parvint à le calmer. Tu ne dors pas ? bafouilla-t-il en se redressant. Elle est conne, ta question, se dit-il. Si elle est là, c’est qu’elle ne dort pas ! Il vit Meredith qui secouait la tête et, sans savoir pourquoi, il saisit la boite de brownies pour la lui tendre. Tu en veux un ? Il entendit Mark pouffer de rire. Mais qu’est-ce qui te prend ? T’as l’air d’un débile avec ta boite de gâteaux ! hurla-t-il intérieurement. Ils sont délicieux. Cette Frances est un fin cordon bleu, fut pourtant tout ce qu’il trouva à ajouter.

    C’est vrai mais, ceux-là, c’est moi qui les ai faits, répondit Meredith, rougissante. Ce n’était pas l’éloge qui la bouleversait, mais la vision de Derek en boxer. Elle avait toujours admiré sa prestance. Même nu, ce salaud avait de l’allure. T’as pas honte ! se morigéna-t-elle. Un mec à moitié à poil et voilà que tu mouilles ta culotte. Cette dernière pensée, qui ne lui ressemblait pas, la fit devenir écarlate.

    Woaw ! s’extasia Derek qui se méprit sur la cause de la confusion de Meredith. Il n’aurait jamais imaginé qu’un compliment sur son talent culinaire lui ferait autant plaisir. Si, pour se faire bien voir d’elle, il fallait qu’il se fasse exploser en dévorant tous les brownies de la boite, il n’hésiterait pas. Il reprit le gâteau qu’il n’avait pas terminé. J’en ai jamais mangé de meilleur, dit-il en mordant dedans. Tu devrais en prendre un, conseilla-t-il à Mark. Ils sont géants. Mark secoua la tête en souriant. Derek et ses gros sabots ! Il en faisait trop mais cela avait quelque chose de touchant.

    Meredith avança vers la table, en prenant bien garde à ce que son regard ne tombe pas sur son ex pratiquement nu. Alors, c’est qui le rabat-joie ? demanda-t-elle à nouveau.

    C’est lui, répondit Mark, le doigt pointé vers son ami, tout en suivant de son œil appréciateur la jeune fille qui marchait. Cela n’échappa pas à Derek qui passa derrière lui pour venir lui donner une forte tape à l’arrière de la tête. Aie ! cria Mark en se frottant le crâne. Il prit Meredith à témoin. Tu vois ce que je te disais ?

    J’essaie de lui remettre les idées en place, précisa Derek pour répondre à l’interrogation contenue dans le magnifique regard vert de Meredith. Et les yeux aussi, ajouta-t-il sèchement à l’intention de son ami.

    Meredith plongea son regard dans celui de Mark. Là, au moins, elle ne risquait rien. Cela devenait intenable. Depuis qu’elle était entrée dans cette pièce, elle ne pensait plus qu’à Derek, à sa langue dans sa bouche, à ses mains qui la caressaient si bien, à son sexe qui lui donnait tant de plaisir, à son corps contre lequel elle aimait se blottir, après l’amour. Ce même corps qui s’exhibait maintenant sans vergogne, avec ses épaules solides, ses bras musclés juste comme il le fallait, son ventre plat, ses petites fesses rondes, cette légère bosse à l’avant… Oh seigneur ! A quoi pensait-elle ? Non, non, ne pense pas à ça, s’encouragea-t-elle. Pense plutôt à Madelina et aux autres, à toutes les autres. Il leur a fait la même chose qu’à toi, voilà ce que tu dois te dire. Son sexe a été dans leur bouche, à elles aussi ! Il a joui dans leur corps. Mais au même moment, elle entendit, dans un coin de sa tête, la voix de Momsy, et son petit rire. Tu sais, une fois que c’est lavé, c’est comme neuf. Elle se sentit perdue. Qui avait raison ? Que devait-elle écouter ? Sa raison ou son cœur ? Là, tu aurais plutôt tendance à écouter ton sexe, se fustigea-t-elle. Alors, tu te calmes !

    Mer, ça va ? s’inquiéta Mark qui avait compris, à sa mine tourmentée, qu’elle était en train de mener un combat intérieur.

    Elle émergea de ses pensées dans un léger tressaillement. Oui, ça va. Elle lui sourit affectueusement. Alors, tu as besoin qu’on te remette les idées en place ?

    Il paraît, d’après ce monsieur, répondit-il en désignant Derek du menton. Il s’est mis en tête de m’apprendre ce que c’est que la vie, l’amour. Meredith ne put s’empêcher de tourner un regard ironique vers l’intéressé.

    Celui-ci se sentit contraint de se justifier. J’essayais juste de lui faire comprendre qu’il était un peu trop vieux pour faire la sortie des lycées, si tu vois ce que je veux dire.

    Meredith comprit immédiatement l’allusion. Mark ! Tu m’avais promis. Tu as juré, lui rappela-t-elle, le ton de sa voix teinté de reproches.


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  • Hé, je n’ai rien fait ! Je n’ai fait qu’envisager, se défendit Mark.

    C’est encore trop, objecta Derek. Il vint se rasseoir à la table, juste en face de Meredith, à la fois pour l’admirer à loisir et ne rien perdre de ses réactions.

    Il a raison, reconnut-elle, même si cela lui écorchait la bouche de le dire. Taylor est une fille intelligente. Elle a compris que tu – elle leva les deux mains en l’air et agita ses index et majeur collés l’un à l’autre, pour mimer le signe des guillemets –"envisageais", si ce n’est qu’elle pense que c’est bien plus que ça. Elle s’est mis en tête des tas de choses et ce ne sont pas les mêmes que celles que tu envisages, Mark.

    Elle n’est pas comme toutes ces filles qu’on a sautées. L’intonation de Derek fit se tourner Meredith vers lui. Elle vit alors qu’il la fixait intensément et comprit que ce n’était pas de Taylor qu’il parlait. Elle est jeune et pleine d’illusions. Elle a confiance en toi. Et si tu la blesses, elle en souffrira et toi… toi, tu ne pourras plus te regarder dans un miroir. Touchée malgré elle par ces paroles, la jeune fille baissa la tête, ce qui ne découragea nullement Derek. Si elle ne voulait pas le regarder, au moins ne pouvait-elle pas éviter de l’entendre. Il arriverait bien, un jour, à la convaincre de sa bonne foi. On ne peut pas jouer avec les sentiments. C’est quelque chose que j’ai appris il y a longtemps, à mes dépens, mais je l’avais oublié. Quelqu’un me l’a rappelé récemment, conclut-il dans un murmure avant de se tourner vers Mark. Ne fais pas la même erreur que moi. Meredith frissonna. Les paroles de Derek, ainsi que sa façon de les dire, l’atteignaient en plein cœur. Pourtant, quelque chose, tout au fond d’elle, la faisait toujours douter qu’il soit totalement sincère.

    Mark aussi était conscient que ce message s’adressait bien plus à leur amie qu’à lui. Mais comme elle ne réagissait pas, il embraya. Bah ne vous en faites pas ! Il ne se passera rien avec Taylor. Il soupira pour exprimer ses regrets. Quand je suis venu… le week-end dernier, ajouta-t-il à l’intention de Meredith, j’ai juré à Momsy que je ne toucherais jamais à la petite. Je ne reviendrai pas sur ma parole. C’est vrai qu’elle est mignonne, Taylor, mais elle ne vaut pas la peine que je trahisse la confiance que ma grand-mère avait en moi. Meredith lui sourit avec satisfaction.

    Et garde tes distances aussi, l’adjura Derek. Qu’elle ne puisse plus se faire de film !

    Promis ! clama Mark.

    Tout à coup, Meredith bailla à s’en décrocher la mâchoire. Quoi ? demanda-t-elle aux deux hommes qui la regardaient en souriant.

    Tu ne penses pas que tu serais mieux dans ton lit ? suggéra Mark avec tendresse.

    Les épaules de la jeune fille se soulevèrent légèrement. Je n’arrive pas à dormir. Je pense à des trucs… à la mort de Momsy, à tout ce qui s’est passé depuis et… Ses yeux s’emplirent soudainement de larmes. Je ne peux pas…

    Qu’est-ce que tu ne peux pas ? questionna Mark, déconcerté par le ton grave qu’elle avait pris et la tristesse qui marquait ses traits.

    Accepter l’argent de ta grand-mère. Je ne peux pas. Les deux hommes échangèrent un regard entendu. A la fin de la journée, l’avocat de Momsy s’était présenté à l’Hacienda afin de procéder à la lecture du testament. A son grand étonnement, Meredith avait été conviée à y assister, au même titre que les autres habitants de la maison. C’était avec une grande émotion que tous avaient pris connaissance des dernières volontés de Susan Lee Sloan. Sans surprise, elle laissait à Mark tout ce qu’elle possédait, à savoir différentes maisons à San Francisco, un appartement à New York, sur Central Park, un cottage à Martha’s Vineyard, la propriété de Santa Rosa bien sûr, de même que tous les avoirs en argent. Il y avait cependant quelques clauses particulières à respecter. Une confortable rente mensuelle serait versée à Frances, jusqu’à la fin de ses jours, et les frais d’études de Taylor seraient intégralement couverts par un fonds spécialement créé à cet effet. Frances était également autorisée, si elle le souhaitait, à demeurer aussi longtemps qu’elle le désirerait à l’Hacienda, où elle conserverait son emploi de gouvernante. Mère et fille avaient fondu en sanglots devant tant de générosité. Quant à Jackson, Momsy espérait qu’il accepterait de rester le régisseur de la propriété et que Mark et lui pourraient s’entendre pour que cette dernière continue à prospérer. Elle insistait sur le fait qu’un de ses vœux les plus chers était que les deux hommes fassent la paix, comme ultime preuve de l’amour qu’ils avaient eu pour elle. Meredith avait été rassurée de constater qu’ils avaient été tous deux particulièrement émus à la lecture de ce passage. C’était sûrement de bon augure. Avaient ensuite suivi différents legs d’argent, de bijoux ou autres objets aux employés de Momsy, à quelques personnes que Meredith ne connaissait pas, ainsi qu’à diverses œuvres de charité. La jeune fille continuait à se demander ce qu’elle faisait là lorsque l’avocat avait annoncé qu’une dernière clause avait été ajoutée au testament trois jours plus tôt. Quelques minutes avaient été nécessaires pour qu’elle comprenne qu’elle héritait d’une somme de deux cent cinquante mille dollars destinée à financer les études universitaires dont elle rêvait. Tout ce dont elle se souvenait après, c’était le sourire à la fois ému et heureux que lui avait décoché Mark. Il lui avait fallu du temps pour digérer la nouvelle et prendre une décision. Je ne peux pas accepter cet argent, Mark, reprit-elle de sa voix douce mais néanmoins pleine d’assurance. C’est extrêmement généreux de la part de Momsy et je lui serai toujours très reconnaissante de m’avoir fait ce magnifique cadeau mais je ne peux pas l’accepter.

    Pourquoi ? s’étonna Mark.

    Parce que je n’y ai pas droit, dit-elle avec simplicité. Je ne suis pas de la famille et…

    Mark lui coupa directement la parole. Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Ma grand-mère a légué une partie de ses biens à des gens dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Elle l’a fait parce qu’elle les appréciait, qu’elle les aimait et qu’elle voulait leur témoigner qu'ils étaient importants pour elle. C’est tout ce qui compte, à mes yeux.


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