• Meredith frappa à la porte de la chambre de Momsy et, après y avoir été invitée, pénétra dans la pièce, avec à bout de bras un plateau sur lequel il y avait quelques épaisses tranches de cake et une assiette à dessert. Je sais que je vous l’avais promis pour le goûter mais comme j’ai manqué notre rendez-vous

    Nous allons le manger en dessert, compléta la vieille dame en l’accueillant avec un grand sourire. Tu tombes à pic, ma petite fille. J’avais justement envie de quelque chose de sucré. Meredith, silencieuse, vint s’asseoir au bord du lit et tendit à Momsy l’assiette sur laquelle elle venait de poser un morceau de gâteau. Ah j’ai hâte, dit Momsy. Meredith n’eut aucune réaction. Et toi, tu n'en prends pas ? s'étonna Momsy. Meredith fit signe que non. L’aïeule comprit qu’elle était préoccupée et en devina la raison. Tu as eu le message de Mark ? s’enquit-elle avec détachement avant de mordre dans la pâtisserie. Meredith acquiesça d'un signe de tête. Rien de grave, j’espère ? insista Momsy.

    Non, répondit Meredith. Il voulait juste prendre de mes nouvelles. Et s’excuser pour hier. Il vous en a parlé, je suppose.

    Absolument pas, mentit Momsy avec aplomb. Fameux, ton cake ! Meredith la remercia d’un sourire. Pourquoi il voulait s’excuser, mon petit poussin ? Il a été méchant avec toi ? feignit de s’inquiéter Momsy, les sourcils froncés.

    Pas du tout, la rassura immédiatement la jeune fille. C’est juste qu’il a voulu me parler de Derek et… et ça m’a énervée.

    Ah ça ! Momsy sourit d’un air entendu. C’est son ami. Il veut plaider sa cause pour que ça s'arrange entre vous.

    Je sais bien. Je comprends mais….

    Mais tu ne veux plus entendre parler de Derek, présuma Momsy avant de se lécher les lèvres pour retirer les miettes de gâteau qui y restaient collées.

    Non… oui, enfin je ne sais plus, avoua Meredith. Il m'a laissé des messages et… Elle soupira. Je les ai écoutés. Elle regrettait presque de l’avoir fait. Avant, elle était déterminée, sûre d’elle. Maintenant, elle n’était plus qu’hésitation. 

    Vraiment délicieux, ton cake ! J'aime beaucoup l'association poire-chocolat. Momsy mordit à nouveau dans le gâteau avec des yeux pétillants de gourmandise. Donc, maintenant, tu ne sais plus où tu en es.

    Non. Meredith serra les poings. Oh ça m’énerve d’être aussi faible ! enragea-t-elle.

    Momsy haussa les épaules. Tu n’es pas faible. Tu es amoureuse.

    C’est la même chose, grogna Meredith.

    Arrête de dire des bêtises, la réprimanda Momsy. Tu es bien trop jeune pour penser comme ça.

    Meredith enleva ses chaussures pour s’asseoir un peu plus confortablement, les jambes étendues sur la couverture. Il m’a dit des choses tellement belles, si vous saviez. Des choses que j’avais tellement envie d’entendre depuis si longtemps mais… ça n’a plus le même sens aujourd’hui, maintenant que je sais qu’il m’a trompée. Elle se rapprocha de la vieille dame et s’allongea à moitié pour pouvoir se serrer contre elle. J’ai tellement cru en notre histoire. Quand je l’ai rencontré, j’ai su tout de suite qu’il allait compter dans ma vie. La vision de Derek se penchant au-dessus d’elle, alors qu’elle était allongée sur le trottoir, s’imposa dans son esprit. Même maintenant, elle se souvenait encore de l’impression étrange qu’elle avait ressentie. Ce jour-là, sans qu’elle le sache encore, son destin avait été bouleversé. Vous savez, il a été le premier. Le premier que j’ai réellement aimé, le premier avec lequel j’ai couché. Elle releva la tête pour voir la réaction de celle qui l’écoutait avec tellement d’attention. Encore vierge à vingt ans, c’est ridicule, hein ?

    Momsy sourit. Ridicule non, étonnant oui. Surtout de nos jours. Elle plissa le front. Ils étaient donc aveugles, les garçons, dans ton coin ?

    Meredith se dérida légèrement. Peut-être un peu. C’est vrai qu’à part Billy Bob, les hommes ne s’étaient pas bousculés devant sa porte. Mais non, ça venait de moi, rectifia-t-elle en se remémorant les tentatives désespérées de son petit ami de l’époque qui avait maintes fois essayé d’obtenir plus que ce qu'elle était prête à lui donner. C’était mon choix. Je voulais… je voulais me réserver pour l’homme de ma vie, mon prince charmant. Quand j’y pense, c’est risible !

    Momsy lui passa la main dans la chevelure. Tu es beaucoup trop dure avec toi-même, Meredith.

    Vous l’auriez fait, vous, rester vierge en attendant de rencontrer l'homme de votre vie ? Meredith avait à peine terminé sa phrase qu’elle réalisa son insolence, sa grossièreté même. Oh excusez-moi. Comme à chaque fois qu’elle était gênée, elle se mit à bafouiller. Je ne veux pas dire… Je n’insinue pas que…

    Momsy s’esclaffa. T’en fais pas pour moi. Sa main ridée et tachetée de brun vint tapoter celle douce et rose de Meredith. Il en faut plus pour me choquer. Tu sais, les filles qui restaient vierges jusqu'au mariage, c’était fréquent à mon époque. Et il me semble que ça revient à la mode. Tous ces jeunes qui portent des bagues de pureté… Elle fit une grimace où se mêlaient le doute et l’incompréhension. Bon moi, j’avoue que ce n’était pas mon truc. Je n’aime pas acheter un chat dans un sac. J’ai toujours pensé qu'il fallait tester la marchandise avant de s'engager. T’imagines si son machin n’est pas performant ?

    Momsy ! s’exclama Meredith avant d’éclater de rire. Etrangement, malgré le grand âge de sa nouvelle confidente, elle se sentait tout à fait à l’aise pour parler de ces choses avec elle. Ce devait être très certainement un des talents des membres de la famille Sloan. Et vous en avez essayé beaucoup, des… des machins ?


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  • Oh quelques-uns, admit Momsy, l’air malicieux. Jusqu’à ce que je rencontre mon Edward, crois-moi, je ne me suis pas ennuyée. Après non plus, d’ailleurs. Lui et moi… Elle se tut mais son air coquin fut éloquent.

    Meredith l’enveloppa d’un regard tendre. Momsy avait beau avoir plus de quatre-vingts ans, elle ressemblait encore parfois à une enfant espiègle. Parlez-moi de lui, quémanda-t-elle. De tout temps, elle avait toujours apprécié écouter les vieilles personnes conter leurs amours et leurs faits de jeunesse. Elle aimait voir dans leurs yeux le bonheur qu’ils éprouvaient à revivre leurs belles années. Enfin, si vous voulez bien…

    Momsy lui désigna de l’index une vieille commode en chêne. Va me chercher mon album de photos, là, dans le second tiroir. Meredith se leva pour aller jusqu’au meuble et y prendre un grand et épais album recouvert de cuir bleu foncé. Elle revint le donner à Momsy qui le feuilleta rapidement jusqu’à trouver une ancienne photo en noir et blanc sur laquelle un couple posait, un peu guindé, souriant à son avenir. Voilà Edward, et moi bien sûr, le jour de notre mariage. Le 30 mars 1949. J’étais un tout petit peu enceinte, précisa-t-elle avec un petit clin d’œil à l’intention de Meredith.

    Celle-ci regarda la photo de plus près. Ça ne se voit pas. Et votre mari est vraiment un bel homme. Je trouve que Mark lui ressemble un peu. Momsy hocha la tête avec fierté. Et vous, qu’est-ce que vous étiez belle ! s’extasia Meredith.

    Ah j’avais vingt-quatre ans. On est toujours belle à cet âge-là. Momsy regarda la photo avec nostalgie. C’était une belle journée. On n’était que tous les deux à Vegas. Ce n’était pas le même cirque que maintenant, là-bas. Tu n’avais pas encore tous ces sosies d’Elvis. Elle passa légèrement le doigt sur la photo, comme si cela allait lui permettre de retrouver la sensation de la peau de son mari. C’était un jour parfait, exactement comme on l’avait imaginé.

    Vous n’étiez que tous les deux ? releva Meredith, surprise. Vous n’aviez pas envie d’avoir votre famille avec vous pour votre mariage ?

    Momsy fit la moue. Oh moi, je n’avais plus de famille depuis bien longtemps. Quant à celle de mon mari… on ne les avait pas invités. Ils n’approuvaient pas notre union.

    Oh pourquoi ?

    Mon mari était issu d'une très bonne famille, mentionna la vielle dame, légèrement ironique. Avocats, médecins, architectes, hommes d’affaires, le grand monde, quoi. Quand j’ai rencontré Edward, ça a été un vrai coup de foudre, se souvint-elle avec émotion. On a tout de suite su qu’on était fait l’un pour l’autre mais… Il était déjà marié. Alors, il a quitté sa femme. Dans son milieu, l’infidélité était tolérée, pas le divorce. Chez ces gens-là, il n’y a rien de plus important que les apparences. Et puis, je n’étais pas assez bien pour eux. Je n’étais qu’une minable petite actrice.

    Vous étiez actrice ? s’écria Meredith, surprise autant que ravie. C’est génial !

    Oui enfin, j’étais pas Elisabeth Taylor tout de même, tempéra Momsy, amusée par l’enthousiasme de la jeune fille. Fantastique actrice, cette Elisabeth. Gentille fille, quoiqu’un peu capricieuse. Mais comment peut-il en être autrement quand on devient une star à douze ans ?

    Qui avez-vous connu encore ? demanda Meredith avec empressement. Il y avait fort à parier que les souvenirs de Momsy n’avaient rien à voir avec ceux des petits vieux de Crestwood. Avec elle, elle avait l’impression de pénétrer dans un monde de strass et de paillettes qui lui était totalement étranger.

    Oh je les ai tous connus. Pas intimement bien entendu, mais j’ai travaillé avec eux. Momsy se mit à énumérer les grands acteurs qu’elle avait eu la chance de côtoyer. Clark Gable, Montgomery Clift… Ce cher Monty, soupira-t-elle avec regret. Cet artiste magnifique que l’alcool avait détruit. Mickey Rooney, Judy Garland, Esther Williams, Henry Fonda, Katharine Hepburn, Spencer Tracy… Bogie… Humphrey Bogart, précisa-t-elle devant le regard interrogateur de Meredith. Ça ne te dit pas grand-chose, tous ces noms, n’est-ce pas ?

    Meredith afficha un air contrit. Pas vraiment. J’en connais certains, oui, bien sûr, mais j’avoue ne pas avoir vu leurs films. A part Judy Garland dans Le Magicien d'Oz et Gable dans Autant en emporte le vent.

    Ah ce n’est déjà pas si mal. Et si je te dis Marilyn ?

    Meredith ouvrit de grands yeux ébahis. Marilyn Monroe ? Sérieux, vous avez connu Marilyn ? Même si elle n’avait pas vu beaucoup de ses films, l’actrice était un symbole pour elle. Adolescente, elle avait eu tout un temps, accroché au mur de sa chambre, face à son lit, le poster de la bombe blonde et sensuelle dont la robe se soulevait au-dessus d’une bouche de métro.

    Très bien même. On s’est rencontrée dans des auditions, à nos débuts. Elle était très gentille, elle aussi, mais tellement paumée. Momsy se tut un instant, repensant à sa camarade, si fragile, qui était prête à tout pour connaître la gloire. Elle avait réussi mais le prix à payer avait été très élevé. J’ai toujours su que ça se terminerait mal pour elle, reprit Momsy. C’est avec elle que j’ai tourné mon dernier film, Bagarre pour une blonde, en ’48. Elle sourit, moqueuse. Notre nom n’a même pas été mentionné au générique, c’est te dire l’importance de notre rôle. Ça s’est arrangé pour elle, après. Moi, je me suis arrêtée, à cause d’Edward et de mon fils.

    Et vous ne l’avez jamais regretté ? Meredith avait quelques difficultés à imaginer qu’une personne puisse vivre de telles expériences, connaître tant de gens exceptionnels, pour ensuite replonger dans la routine d’une vie normale, sans jamais se dire qu’elle avait peut-être eu tort de renoncer à ce qu'elle avait avant.


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  • Non, jamais, assura Momsy. De toute façon, je n’aurais jamais fait carrière. Je n’étais pas très bonne, chuchota-t-elle sur le ton de la confidence. Les deux femmes se sourirent, complices. J’aurais été cantonnée aux petits rôles toute ma vie. Tu sais, la soubrette qui ouvre les portes. Momsy redevint sérieuse. Et puis, j’en ai tellement vu, qui ne se sont jamais remis de ne pas avoir décollé, ou d’être retombés. La gloire, tu sais… Elle poussa un long soupir. Tu fais un film qui marche, tu deviens une star. Alors, tout le monde t’adore, tu es invitée à toutes les soirées, tu fais la une de tous les magazines. Et puis, un jour, un film qui marche moins bien, puis un autre… Plus d’appels, plus de soirées, plus de couvertures. Du jour au lendemain, tu n’es plus personne. Elle avait perdu tant d’amis qui n’avaient pas accepté que la gloire leur échappe. Il faut être très solide pour supporter ça et il y a très peu d’acteurs qui le soient vraiment, affirma-t-elle. L’alcool, la drogue, la dépression, le suicide… Elle planta son regard dans celui de Meredith. Alors non, je n'ai jamais regretté ma décision. J’ai eu la vie que je voulais. J’ai été heureuse. J’ai aimé, j’ai été aimée. Qu’est-ce qu’Hollywood aurait pu m’apporter de mieux que ça ?

    Rien du tout, je pense. Je peux ? demanda Meredith, la main prête à tourner la page.

    Mais oui, bien sûr. Momsy eut un immense sourire en découvrant les photos suivantes. Ah là, regarde ! C’était pendant notre voyage de noces à New York. Meredith écarquilla les yeux devant ces images d’une autre époque, celle de l’après-guerre, où les femmes portaient des robes mi-longues et des chapeaux et où les hommes étaient vêtus de costumes et arboraient souvent la moustache. Et que dire de ces vieilles voitures ! Elle avait véritablement l’impression d’avoir remonté le temps. Et là, c’était notre première maison à San Francisco, lui apprit Momsy, la voix pleine d’émotion. C’est là que mon fils est né. Meredith tourna encore quelques pages. Et voilà Andrew, annonça Momsy.

    Meredith vit un gros poupon dans les bras d’une jeune femme dont la fierté se lisait dans les yeux. Quel beau bébé !

    Oui, il était beau. Et tellement gentil. Trop gentil. Au point, une fois devenu adulte, de ne pas voir le mal autour de lui, de toujours trouver des excuses à ceux qui lui faisaient du tort, à commencer par sa femme, de tout accepter, de tout endurer, au nom de l’amour qu’il avait pour elle.

    Meredith entendit la voix de Momsy qui se cassait. Elle regarda la vieille dame du coin de l’œil et vit des larmes perler à ses cils. Oh Momsy ! Ça vous fait de la peine de parler de tout ça.

    Non, non, ma petite, protesta Momsy. Au contraire, je suis contente de revoir toutes ces photos, ce sont de si beaux souvenirs. C’est juste qu’ils me manquent, tous les deux. Elle pointa du doigt un autre cliché. Ça, c’est la première fois qu’Andrew a vu l’océan. Il a fallu le retenir pour qu’il n’aille pas se jeter dedans. Au fil des photos, elle continua à égrener ses souvenirs jusqu’à ce qu’apparaisse l'image d’un bébé aux grands yeux rieurs et au large sourire édenté, assis sur les genoux d’une jeune femme aux longs cheveux blonds.

    Oh c’est Mark ! s’exclama Meredith. Momsy eut un petit rire attendri. C’est sa maman, je suppose.

    Oui, pour autant qu’elle mérite ce titre, ronchonna Momsy. Il t’en a déjà parlé, de sa mère ?

    Oui, enfin, un tout petit peu, répondit prudemment Meredith, pour ne pas donner l’impression d’être au courant de certains secrets de famille. Il m'a dit qu'elle ne s'était jamais occupée de lui et qu'il avait eu de la chance de vous avoir.

    Momsy regarda la photo de son petit-fils avec tristesse. Il a beaucoup souffert de l’indifférence de sa mère, comme de la mésentente de ses parents. Ces disputes incessantes, à tout propos… Combien de fois je n’ai pas dit à mon fils de la quitter, se souvint-elle avec colère. Tout ce qu’il a accepté, ce n’était pas normal. Elle soupira. Mais il ne pouvait pas s’en aller, il était fou de cette femme, comme ensorcelé. Il espérait qu’un jour elle se calmerait. Il a tout fait pour essayer de la satisfaire, voyages, bijoux, maisons… Ça n’a servi à rien. L’expression de la vieille dame, habituellement si amène, se durcit au point d’altérer ses traits. Je crois qu’elle a dû se taper tous les jardiniers de l’Etat, la garce. Les plombiers aussi, et les garagistes… enfin, tous ceux qui passaient et qui étaient d’accord, et il y en avait, je te prie de me croire. Tu sais, je ne suis pas une mère aveugle. Mon fils était loin d’être parfait et peut-être que dans un lit, il ne savait pas y faire. Mais alors, elle n’avait qu’à le quitter. Elle s’adoucit à nouveau en pensant à celui qu’elle chérissait. Ça a démoli Mark de voir sa mère s’envoyer en l’air avec tous ces bonshommes. Parce qu’elle ne s’en cachait pas en plus. J’aurais peut-être pu lui pardonner d’avoir rendu mon fils malheureux si elle avait épargné le sien. C’est moche ce que je vais dire mais je lui souhaite bien des malheurs. Je la déteste, dit-elle enfin d’une voix que la haine déformait.

    Meredith lui serra la main pour lui montrer son soutien. Où est-elle maintenant ?

    Momsy haussa les épaules. Quelque part à se faire sauter par un gigolo ! Je ne sais pas et à vrai dire, ça ne m’intéresse pas. Cette pétasse n'existe plus pour moi.

    Meredith sentit que le sujet était brûlant. Elle décida de passer à autre chose. Le hasard fit bien les choses puisqu’en tournant la page, elle découvrit une photo où Mark, nu, à plat ventre sur une fourrure blanche, fixait l’objectif en souriant de toutes les dents qu’il n’avait pas encore. Elle éclata de rire. Ah mais il m’avait caché ça !

    Momsy s’esclaffa. Tu penses bien qu’il ne va pas s’en vanter.

    Eh bien, il a tort, décréta Meredith, toujours hilare. Il est trop chou, avec ses belles petites fesses toutes rondes.

    Le sourire de Momsy s’élargit. Oui. Il parait qu’elles ont toujours beaucoup de succès.


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  • Oh il ne paraît pas ! C’est le cas. Et comme il sait s’en servir, vous imaginez… Meredith pouffa de rire en se rendant compte de ce qu’elle venait de dire. Son hilarité redoubla en voyant que Momsy aussi était secouée par les rires. Il leur fallut un certain temps pour se calmer. Ensuite, elles recommencèrent à passer l’album en revue, découvrant le petit Mark sur un vélo, à la plage, à cheval, jouant au ballon, assis dans une petite voiture, ou absorbé par un jeu de construction. C’est vous qui avez pris toutes ces photos ? questionna Meredith.

    Oui. S’il avait fallu compter sur sa mère, maugréa Momsy. Ah là, c’est le jour où il est rentré à l’école maternelle. Il a absolument voulu que je prenne une photo à la maison et devant l’établissement. Meredith sourit devant l’image du petit garçon de trois ans, portant avec assurance son cartable sur le dos, vêtu de ce qui ressemblait à un uniforme, et la tête coiffée d’une casquette marquée au logo de ce qui était certainement une école privée. Regarde comme il est heureux ! nota Momsy. Il voulait tellement aller à l’école comme les grands. Il n’a même pas pleuré.

    Meredith reconnut la fierté dans la voix de la vieille dame. Cela l’émut. Il était super, votre petit-fils et il l’est toujours. Ça n’a pas changé, dit-elle en serrant Momsy dans ses bras. On continue ?

    Si tu n’en as pas marre…

    Oh non, j’adore. Suivirent ensuite quelques photos prises à l’école, Mark posant seul assis à son banc, absorbé par un dessin à colorier, soufflant sur les bougies d'un gâteau d'anniversaire, entouré d’une bande de bambins tous habillés comme lui, ou lors de la représentation d’un spectacle de fin d’année. Oh il est déguisé en Robin des Bois, souligna Meredith, tout attendrie, en pointant le doigt sur une photo. Il est vraiment trop mignon. Elle tourna la page et le petit Mark tout souriant lui apparut, assis aux côtés d’un très sérieux petit garçon aux boucles brunes et aux yeux bleus perçants, dont l’identité ne lui laissa aucun doute.

    Tu l’as reconnu, je suppose, demanda Momsy d’une voix douce.

    Oui, bien sûr, c’est Derek. Même si elle n’y avait pas pensé en commençant à regarder les photos d’enfance de Mark, Meredith n’était pas étonnée que Derek soit présent dans l’album. Autant Mark que lui avaient toujours insisté sur l’ancienneté de leur amitié, depuis leur naissance, disaient-ils toujours. C’est à l’école qu’ils se sont connus ? 

    Oh non, bien avant ça. A l'époque, leurs parents étaient voisins, précisa Momsy. Leurs mères se sont retrouvées enceintes plus ou moins en même temps alors, ça a créé des liens entre elles. Après la naissance des petits, elles ont pris l’habitude de se retrouver tous les après-midis, l’une chez l’autre, avec les gamins. Petit à petit, leurs relations se sont refroidies, beaucoup à cause de la conduite de ma belle-fille, je dois bien l’avouer. Mais les garçons… Momsy pensa avec ravissement à ce lien fort et unique qui était né entre ces deux êtres et qui, surtout, ne s’était jamais brisé. Ils ne supportaient pas de ne pas être ensemble, un peu comme des vrais jumeaux, vois-tu. Une année, à la rentrée, ils étaient dans des classes différentes. Je te dis pas la crise. Il a fallu les réunir. Elle se mit à rire doucement.

    Touchée malgré elle, Meredith sourit. Oui, s’il y a bien quelque chose qu’on ne peut pas reprocher à ces deux-là, c’est de ne pas avoir le sens de l’amitié. Elle l’aurait nié si on le lui avait demandé mais elle était heureuse de découvrir par le biais de ces photos tout un pan de la vie de Derek. Ils étaient sortis ensemble pendant des mois mais elle ne savait rien de lui en dehors de ce qu’ils avaient partagé. Elle était convaincue qu’une partie du mystère Derek trouvait son origine dans son enfance. Peut-être que ces quelques images et les commentaires de Momsy lui permettraient d’y voir plus clair. Elle regarda les clichés suivants avec une attention accrue et fut très vite frappée par un détail récurrent. Comme il a l’air triste ! Derek, je veux dire.

    Momsy laissa échapper un gros soupir. Faut dire qu’il était pas à la fête tous les jours, le pauvre ! Mon petit poussin, au moins il avait son père pour s’occuper de lui, en tout cas quand il était petit. Après… Elle fit un geste vague de la main. Ensuite, la dépression avait pris le dessus, plongeant Andrew Sloan dans les médicaments et l’alcool, avec la mort comme seule issue. Et puis, j’étais là aussi, reprit-elle, refusant de s’appesantir sur ces moments douloureux. Derek, lui, il était tout seul.

    Tout seul ? répéta Meredith sur un ton étonné. Et ses parents ?

    Pfft ! C'est eux qui ont fait celui qu'il est devenu. Ils l’ont démoli. Momsy se tut, pour se replonger dans le passé, à cette époque où elle était devenue une mère de substitution pour ces deux enfants, essayant, en les gâtant horriblement, de leur faire oublier les problèmes, les drames parfois, qu’ils vivaient au quotidien. Jouets, spectacles, cinéma, cirques, visites au zoo, petites excursions, elle n’avait pas lésiné, tout en n’étant pas dupe. Rien de ce qu’elle faisait ne compenserait jamais le désert affectif dans lequel ils grandissaient tous les deux, Derek surtout. C’était un brave petit, tu sais, assura-t-elle avec une tendresse infinie dans la voix. Vraiment un charmant enfant, gentil, poli, affectueux, avec le cœur sur la main. Et à côté de ça, un vrai petit diable qui était capable des pires bêtises. Mais c’était impossible de lui en vouloir. Il mettait tout le monde dans sa poche avec son regard charmeur et son sourire. Meredith soupira. Elle voyait très bien ce à quoi Momsy faisait allusion. Elle ne l’avait que trop souvent expérimenté elle-même. Quand il arrivait chez moi, il se précipitait pour que je le prenne dans mes bras et que je l’embrasse, expliqua Momsy. Encore des câlins, Momsy, qu’il criait. Encore… Il ne connaissait pas ça chez lui. Tu te rends compte ?

    Mais pourquoi ? Ses parents ne l’aimaient pas ? interrogea Meredith, interloquée.

    Le mépris s’inscrivit sur le visage de Momsy. Son père n’aimait personne, à part lui-même. Quant à sa mère… Je crois qu'elle l'a aimée au début. En tout cas, elle s’est occupée de lui quand il était bébé, comme le faisait les femmes de son milieu, bien sûr, c'est-à-dire en laissant les corvées à la nounou. Mais enfin, elle s’en occupait. Trop aux yeux de son mari. Cet imbécile a estimé que le temps qu’elle consacrait à Derek, elle le lui volait. Alors, il l’a forcée à choisir entre lui et le petit. Elle a fait son choix, sans hésiter, déplora la vieille dame. Et du jour au lendemain, elle a quasiment abandonné son gamin.


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  • Comment est-ce possible ? s’étonna Meredith. Elle ne parvenait pas à comprendre qu’une mère puisse abandonner son enfant, pour quelque raison que ce soit et certainement pas pour plaire à un homme.

    Elle était folle de son mari. C’en était même malsain. Elle était comme possédée. Il aurait pu lui faire faire n’importe quoi et d’une certaine façon, c’est ce qu’elle a fait. Elle a eu deux filles après Derek. Elles, elles ont eu un peu plus de chance. Leur père n'a pas eu le même comportement envers elles qu'envers Derek. Le pauvre petit, il a été élevé à la dure.

    Vous voulez bien me raconter ? demanda timidement Meredith. Depuis le début, je sens qu’il y a des secrets dans sa vie. J’ai essayé de cuisiner Mark mais il n’a pas été très bavard. Quant à Derek, j’avoue que je n’ai jamais vraiment osé le questionner à ce sujet. Encore un point négatif de leur relation, une preuve supplémentaire du gros problème de communication qui existait entre eux. Normalement, elle aurait dû pouvoir évoquer tous les sujets avec lui, sans crainte de s’attirer ses foudres

    Momsy nota avec plaisir que Meredith n’essayait plus de faire croire que son ex petit-ami lui était devenu indifférent et qu’elle ne cachait pas son désir d’en apprendre plus sur lui. Eh bien, vois-tu, le père de Derek était un sacré coureur de jupons.

    Tel fils, tel père, pensa Meredith avec amertume.

    Je crois bien qu’il a sauté à peu près tout ce qui portait jupon dans San Francisco. Ma belle-fille, par exemple. Je les ai surpris ensemble un jour. L’expression de Momsy se durcit. Dans la propre maison de mon fils, les salopards ! L’expression de Meredith prouva, si c’était besoin, qu’elle était choquée par cette révélation. Momsy lui prit la main et la serra fortement. Les garçons ne le savent pas et ils ne doivent jamais l’apprendre. Ils ont déjà une assez piètre image de leurs parents pour ne pas en rajouter. Alors, je compte sur ta discrétion.

    Bien sûr. Vous pouvez être certaine que je ne leur dirai jamais rien, promit Meredith. 

    Merci, mon enfant. J’ai confiance en toi. Derek, il a toujours eu un sacré caractère, tu sais, reprit Momsy. Déjà tout petit. Il était fier, entier, un peu rétif à l'autorité. Meredith le voyait sur les photos. Même tout petit, l’enfant avait dans les yeux un éclat qui prouvait à quel point il savait ce qu’il voulait et qu’il ne laisserait rien ni personne se mettre au travers de sa route. Et impossible de l’empêcher de dire ce qu’il pensait, insista Momsy. Il a vu certaines choses, il en a entendu d’autres. Comme il était loin d’être bête, il a vite compris ce qui se passait. Il était encore tout jeune mais ça ne l’a pas empêché de se confronter à son père. Quand il a su que sa mère était au courant et qu’elle l’acceptait… Elle soupira. Il lui en a beaucoup voulu, je pense. Mais il n’y avait pas que ça. Petit à petit, le fils a fait de l’ombre au père. Elle eut un sourire débordant de tendresse. En grandissant, Derek a commencé à avoir du succès avec les filles. Il était très beau, solitaire, mystérieux, insaisissable. Donc, il plaisait. Il plaisait énormément. De plus, il était brillant. Ses résultats scolaires étaient excellents et tous ses professeurs lui prédisaient un grand avenir. Shepherd ne supportait pas de ne pas être le premier en tout. Il est devenu encore plus jaloux de son fils. Alors, il a commencé à lui mettre des bâtons dans les roues. C’était parfois assez violent. A l’époque, Momsy avait été le témoin indirect du calvaire de Derek. Par après, avec les évènements qui avaient suivi, elle s’était maintes fois reprochée de ne pas l’avoir aidé autrement qu’en lui témoignant son affection ou en lui prodiguant quelques conseils.

    Et sa mère n’a jamais rien dit ? Elle n’a jamais rien fait pour empêcher ça ? Cette conversation n’en finissait pas de stupéfier Meredith. Elle avait bien deviné, à quelques conversations, que Derek n’avait pas eu une enfance des plus roses, cependant elle n’aurait pas pu imaginer que c’était à ce point.

    Momsy secoua la tête. Non, rien. Elle était folle de son mari, je te l’ai dit. Et puis, quand il était contrarié, ce qui arrivait très souvent à cause de Derek, c'était sur elle qu'il se défoulait. Il l'accusait de ne pas être capable d'élever correctement son fils. Alors, elle a commencé à en vouloir à Derek. A partir de là… Il a vécu un enfer. Momsy ne parvenait toujours pas à comprendre comment Carolyn Shepherd, tout aussi désaxée qu'elle fût, avait pu prendre ainsi en grippe celui qui se battait autant pour elle.

    Meredith recommença à tourner en silence les pages de l’album. Au fil des photos, Derek et Mark devenaient des petits garçons, puis des adolescents et enfin des jeunes hommes. Leur complicité éclatait à chaque image, leur tristesse aussi. Elle eut la certitude que Momsy n’avait rien exagéré. Ces deux-là n’avaient pas été des enfants heureux. Momsy, qu’est-ce qui s’est passé il y a douze ans ? demanda-t-elle soudain. Elle vit que son interlocutrice était surprise par sa question. Dans son message, Derek m’a dit qu’il s'est passé quelque chose il y a douze ans, quelque chose de grave qui l’a changé. Il n’a pas voulu m’en parler au téléphone et moi… Je ne suis pas prête à le revoir ni à lui parler mais j’ai besoin de savoir.

    Momsy n’hésita pas. Cette jeune fille devait savoir la vérité. Cela l’aiderait peut-être à pardonner. Il y a douze ans, commença-t-elle avant de laisser échapper un gros soupir. Il y a douze ans, Derek sortait avec une étudiante. Abigail qu'elle s'appelait. Un beau brin de fille mais… Elle fit une grimace. Mark ne l’aimait pas beaucoup. Il me disait toujours, je ne la sens pas Momsy, je ne sais pas ce qui cloche chez elle mais je ne la sens pas. Mais comme Derek en était amoureux – elle haussa légèrement les épaules - il a fait contre mauvaise fortune bon cœur. Un jour, une rumeur a commencé à courir sur le campus. Mark a fouillé un peu et il s’est avéré que la rumeur n’en était pas une. Il m’en a parlé et je lui ai dit qu’il devait la vérité à son ami. Elle regarda Meredith avec désolation. Cela fait douze ans que je me demande si nous avons pris la bonne décision, ce jour-là. Au fond de moi, je sais bien que oui. Derek avait le droit de savoir, mais quand je pense à tout ce que ça a déclenché…

    Mais il avait le droit de savoir quoi ? interrogea Meredith, haletant légèrement tellement elle était impatiente de savoir.


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