• Il y avait longtemps que Momsy parlait et sa bouche devenait de plus en plus sèche. Elle prit la bouteille d’eau qui se trouvait sur sa table de chevet pour s’en verser un grand verre, avant de reprendre sa narration. Abigail couchait avec le fils et le père en même temps, lâcha-t-elle enfin. Meredith porta la main à sa bouche en poussant un petit cri. Momsy marqua sa compréhension par un léger hochement de tête. Ça a été terrible pour Derek, tu t’en rends bien compte.

    Cette fille était tombée amoureuse du père de Derek ? Meredith était plus que sceptique. Quand on avait un homme comme Derek dans sa vie, et dans son lit pour dire les choses clairement, comment pouvait-on être attirée par un homme qui avait le double de son âge ? Qu’est-ce qui avait amené cette Abigail à commettre cette folie ?

    Momsy fit la moue. J'en doute. Elle se remémora ce que Mark lui avait toujours dit. Et je ne crois pas non plus qu'elle était amoureuse du fils. A mon avis, elle n’est sortie avec Derek que pour ce qu’il pouvait lui apporter par sa famille. Et quand elle a vu qu’elle pouvait obtenir plus du père… Shepherd était un chirurgien assez renommé. En plus, il donnait des cours à l’université. Elle a dû se dire que coucher avec lui donnerait un coup d’accélérateur à ses études et qui sait, à sa carrière par après.

    Ce serait pour ça alors qu’il se conduit comme ça avec les femmes, murmura Meredith.

    Momsy posa sa main sur l’avant-bras de la jeune fille. Tu sais, petite, quand tu es trahi de cette façon par celle que tu aimes, ça doit être difficile par après d’éprouver du respect pour les femmes. Et encore, s’il n’y avait eu que ça…

    Meredith la regarda avec un air intrigué. Qu’est-ce qu’il y a eu de plus ?

    Momsy se fit la remarque que, elle qui avait parfois des défauts de mémoire, ne devait faire aucun effort pour se souvenir de ces évènements. Ils avaient été tellement marquants, traumatisants même, qu’ils s’étaient gravés dans son esprit. C’était pour cela qu’ils lui revenaient un à un sans aucun problème, comme s’ils venaient de se produire. Derek a cru que, cette fois-ci, sa mère ouvrirait les yeux et qu’elle se révolterait, qu’elle le soutiendrait aussi. Ça a été tout le contraire. Elle l’a accusé de tous les maux. Après tout, c'était lui qui avait introduit Abigail dans le cercle familial. Mais surtout, elle s'est mis en tête que son mari allait la quitter pour l'étudiante, ce qu'il n'aurait jamais fait entre nous soit dit. Elle ne l’a pas supporté, alors, elle s’est suicidée. Momsy s’arrêta un instant. Jamais elle n’avait pu oublier le ton de la voix de Mark lorsqu’il lui avait appris les circonstances du drame. Derek lui était tellement proche qu’il avait vécu la mort de sa mère comme s’il s'agissait de la sienne. Derek ne s’en est jamais remis, poursuivit-elle d’une voix chargée de chagrin. Du jour au lendemain, il n'a plus été le même. Il a coupé tous les ponts avec sa famille et il est devenu quelqu'un de cynique et dur, qui ne fait pas de sentiment, comme s’il voulait faire payer au monde entier tout ce qu’on lui avait fait. Abigail, sa mère, c’était beaucoup, que veux-tu. Ça n’excuse pas ce qu’il t’a fait mais ça peut peut-être l’expliquer.

    Meredith ne dit plus rien, essayant de digérer toutes les informations qu’elle venait de recevoir. Voilà donc sans doute quelle était la peur de Derek. Qu’elle se comporte comme cette Abigail ! Elle se sentait habitée par des sentiments contradictoires. Oh bien sûr, elle compatissait. Qui n’aurait pas compati avec ce que Derek avait vécu ? Mais en même temps que la compassion, elle ressentait une immense déception. Pourquoi ne lui avait-il jamais parlé de tout cela ? Bien sûr, ce qu'il avait vécu l'avait traumatisé et elle comprenait qu’il n’avait pas eu envie de raviver ses souvenirs mais lorsqu’on aimait quelqu’un, qu’on se sentait vraiment en confiance, n’arrivait-il pas un moment où on avait envie de se confier, de lui faire partager son vécu, ses sentiments ? Outre la compassion et la déception, il y avait le doute. Si cette histoire, qui datait de plus de dix ans, était encore aussi pénible à évoquer pour Derek, est-ce que cela ne signifiait pas qu'il aimait encore Abigail ? Momsy avait dit qu’il ne s’était jamais remis de la mort de sa mère. Mais s’était-il remis de la perte de cet amour ? Peut-être s’était-il fermé aux sentiments parce qu’il ne pouvait en avoir que pour cette femme. Et si ce n’était pas ça, cela confirmait qu’il y avait un gros problème de confiance entre eux. Ce que Meredith ne comprenait vraiment pas, ce qu’elle ne pouvait pas pardonner, ce qui la mettait vraiment en colère, c’était que, bien qu’il semblait avoir souffert horriblement de l’infidélité de son amie, Derek ait pu malgré tout infliger la même chose à quelqu'un d'autre. Elle eut soudain l’impression d’avoir payé pour la faute commise par une autre. Mais il y avait encore plus grave, l’idée que Derek avait abusé d’elle, de sa naïveté, de sa confiance. Il lui avait dit et répété que leur histoire était différente, mais il l’avait traitée comme toutes ces femmes qu’il avait fréquentées depuis douze ans, pire même, parce que ces autres, il ne leur mentait pas. Il était honnête avec elles, leur annonçant directement qu’il n’y aurait qu’un moment, qu’une nuit et pas plus. Il n’y avait donc pas tromperie lorsqu’il passait à la suivante. Mais elle… Il l’avait laissée s’attacher à lui. Il lui avait dit qu’il tenait à elle. Il lui avait fait croire qu’il avait changé alors qu’il n’en était rien.

    Devinant qu’elle se livrait à un débat intérieur, Momsy ne l’avait pas quittée des yeux, se demandant si elle avait bien fait de lui révéler ce qui n’était encore qu’une partie de l’histoire de Derek. Si ce dernier n’avait pas jugé utile de divulguer ses secrets de famille, était-ce à elle de le faire ? Il ne t’avait vraiment jamais parlé de tout ça ? demanda-t-elle doucement, comme si elle craignait de sortir trop brutalement Meredith de sa réflexion.

    La jeune fille hocha la tête. Si, d’une certaine façon. Un jour, il m’a dit que son père avait abandonné sa famille pour une de ses étudiantes mais il n’a pas précisé qu’il s’agissait de sa petite amie. A chaque fois qu’il m’a parlé de lui, de son enfance, de sa famille, il n’a lâché que le strict minimum, parce que j’avais insisté. Elle posa sur son hôtesse un regard où se lisait toute la détresse du monde.

    Momsy prit un mouchoir dans le tiroir de sa table de chevet et le tendit à Meredith pour qu’elle sèche les larmes qui perlaient à ses yeux. Tu sais, il a tellement, tellement souffert. Il ne veut certainement pas se rappeler de tout ça. Meredith opina de la tête en soupirant. Mais je suis sûre que si, maintenant, tu lui demandais…, suggéra Momsy.

    Non. Non, répéta Meredith, en se levant du lit. Non, j’en sais assez. Elle marcha d’un pas lourd vers la porte et se retourna juste avant de la franchir. Merci de m’avoir raconté tout ça mais ça ne change rien pour moi.


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  • Cela faisait cinq fois que, bien au chaud sous les couvertures, Meredith relisait le passage où Stephenie Meyer décrivait la première rencontre de Bella Swan et d’Edward Cullen. Mais aussi fascinante que soit la naissance des amours d’une humaine et d’un vampire, la jeune fille ne parvenait pas à y fixer son attention. Les révélations que Momsy lui avait faites quelques heures plus tôt résonnaient encore à ses oreilles. Avec les messages de Derek, cela faisait beaucoup pour une seule journée. Rien d’étonnant alors à ce qu’elle reste totalement imperméable au charme de Twilight.

    La porte de sa chambre s’entrouvrit et le visage de Taylor apparut dans l’entrebâillement. Je peux ? La jeune fille entra en voyant que Meredith refermait son livre et vint s’asseoir à côté d’elle. Je viens de coucher avec Nick, lui annonça-t-elle sans intonation particulière, comme s’il s’agissait d’un fait tout à fait banal.

    Ah bon, vous vous êtes remis ensemble ? demanda Meredith, légèrement étonnée, en posant le roman sur sa table de chevet.

    Non. J’avais envie, alors voilà. Taylor tendit sa main droite devant elle pour admirer ses ongles vernis de rose pastel. C’était juste pour le sexe. Ça s’arrête là.

    Vous vous êtes protégés au moins ? s’inquiéta Meredith.

    Oui, maman, se gaussa Taylor.

    Meredith sourit. L'adolescente avait raison de se moquer d’elle. En dépit de ses dix-sept ans, elle en savait certainement beaucoup plus qu’elle sur le sujet et n’avait nul besoin de ses conseils. Meredith aurait aimé lui ressembler. La vie devait être nettement plus facile lorsqu’on parvenait à séparer le plaisir des sentiments. Cependant, elle ne se faisait pas d’illusions. Le sexe pour le sexe, ce n’était pas pour elle. Elle était trop romantique, trop réservée aussi, trop cérébrale sans doute. Pas assez douée non plus. Elle n’avait même pas été capable de retenir l’homme qui avait des sentiments pour elle. Car, quoique Derek l’ait assurée du contraire, elle persistait à croire qu’une partie de leurs problèmes résidait dans son manque de talent érotique. Voilà ce qui arrivait lorsqu’on voulait attendre le grand amour pour sauter le pas. Lorsqu’on le rencontrait enfin, on faisait preuve d’une totale inexpérience et il allait s’ébattre dans d’autres draps. Dis, t’as eu combien de copains, toi ? demanda-t-elle soudain à Taylor.

    Avec qui j’ai couché ? l’interrogea celle-ci. Meredith opina de la tête. Deux avant Nick, répondit Taylor, ce qui étonna sa camarade. A l’entendre parler d’amour avec tant de désinvolture, elle lui aurait attribué un palmarès bien plus conséquent. Mais c’était pas génial, lui confia l’adolescente. Avec Nick, en revanche, c’est toujours le pied, faut bien le reconnaître.

    Pourquoi ça n’a pas marché entre vous ?

    Parce qu’à part le sexe, on n’a rien en commun, lui expliqua Taylor avec franchise. Nick est très beau, tu l’as vu, et c’est un très gentil garçon, vraiment. Je l’aime beaucoup mais… à part les chevaux et le foot, il ne s’intéresse pas à grand-chose. Et moi… Elle regarda Meredith avec une candeur désarmante. Moi, j’attends autre chose d’un homme.

    Meredith se dit que, sous ses apparences d’écervelée, Taylor était plus mûre qu’on ne le pensait au premier abord. Comme tout le monde, elle avait des envies, des désirs, des objectifs, mais en attendant de les réaliser, elle semblait profiter pleinement de la vie, ce que Meredith ne se sentait pas capable de faire, sans doute parce qu’elle se préoccupait trop de ce que les gens pouvaient penser d’elle. Mais surtout, la plus grande qualité de l'adolescente à ses yeux, outre la franchise, était qu’elle savait écouter sans porter de jugement. Est-ce cela qui fit qu’elle se décida à lui poser la question qui la taraudait depuis pas mal de temps ? Comment est-ce qu’on sait qu’un homme est satisfait ? Sexuellement, je veux dire ?

    Taylor pouffa de rire. Tu en es encore là ? Alors écoute, quand le monsieur a mis son zizi dans la foufoune de la madame…

    Meredith lui donna une tape. C’est bon. Le truc du quand il a du plaisir, il éjacule, je connais.

    Ouf ! Moqueuse, Taylor essuya du revers de la main une sueur imaginaire sur son front. Tu m’as fait peur.

    Arrête ton cinéma, grogna Meredith. Non, ce que je veux, c’est…

    Taylor ne la laissa pas terminer. Des recettes pour rendre un homme heureux ? C’est ça que tu veux ? Des trucs pour qu’il n’ait pas envie d’aller voir ailleurs ? Rougissante, Meredith fit signe que oui. Mon dieu, fallait-il qu’elle soit tombée bien bas pour demander des conseils en matière de sexualité à une adolescente, même expérimentée ! Et à quoi cela allait-il lui servir maintenant que Derek était sorti de sa vie ? Elle n’avait de toute façon aucune intention de le remplacer. Tu sais, un mec, au fond, c’est pas si compliqué à contenter, affirma Taylor, très sûre d’elle. Un p’tit dîner, une bonne bouteille de vin, une jolie robe avec un grand décolleté… La jeune fille fit soudain une parenthèse sans cacher qu’elle était un peu envieuse. En plus, avec les seins que tu as, tu aurais tort de te priver. Elle ne se montra guère impressionnée par le regard noir que lui lança sa camarade. Ensuite, un petit strip-tease et la moitié du boulot est faite. Meredith soupira. Elle n’avait pas suffisamment confiance en elle que pour se livrer à ce genre d’exhibition, même dans l’intimité. Jamais elle n’aurait le cran de faire ce genre de choses. Après, tu as la fellation. Ça, c’est le must du must, certifia Taylor. Meredith se renfrogna. Le must qu’elle avait sans doute trop tardé à pratiquer ! Pourtant, Dieu sait que Derek lui avait souvent fait comprendre qu’il était demandeur mais le manque de confiance en elle d’abord, son agression ensuite, avait freiné la jeune fille. Quand elle avait surmonté ses peurs, il était trop tard. Faut faire durer, conseilla Taylor. Avec ça, t’es jamais perdante. Rien ne semblait plus pouvoir l’arrêter dans son nouveau rôle de sexologue. Puis, évidemment, il faut de la variété. Dans les positions, les endroits, les moments. Si tu te contentes toujours du missionnaire ou de la levrette, dans un lit le samedi soir, ça devient vite rasoir. Et surtout, surtout, dis-lui des trucs ! conclut-elle avec ferveur.

    Ah ! Exprimer son ressenti ou ses envies ! Meredith savait que Derek en était plus qu’amateur. Combien de fois ne l’avait-t-il pas encouragée à se laisser aller pendant qu’ils faisaient l’amour ? Etait-ce cela qu’il était allé chercher chez cette salope de Madelina ? Et si on ne sait pas quoi dire ? laissa-t-elle tomber, presque découragée.


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  • T’es vraiment un cas désespéré ! s’exclama Taylor en riant doucement. Puisque je te dis qu’un homme, c’est pas compliqué ! Y a quelque chose que tu dois retenir, si tu leur parles de leur sexe, t’as tout bon. T’as juste trois trucs à dire : il est énorme, il est dur et tu le sens bien.

    Meredith haussa légèrement les épaules. Tu ne peux quand même pas te limiter à ça, fit-elle remarquer, sceptique quant au bien-fondé de cette recommandation. Une fois, deux fois, OK. Mais après… Et quand bien même, elle ne s’imaginait pas dire de telles choses. Ces propos tout de même un peu vulgaires heurtaient sa vision très romantique de l'amour.

    Te casse pas la tête ! conseilla Taylor. C’est amplement suffisant. Mais évidemment, tu peux apporter des variantes. Elle prit une voix chaude et haletante. Oh chéri ! Ta queue est vraiment troooooop énorme, troooooop dure, je la sens troooooop bien. Les deux filles échangèrent un regard avant d’éclater de rire. En fait, je crois que le secret, c’est de surprendre ton mec, dit Taylor, une fois qu’elles eurent repris leur sérieux.

    Oui, c’est bien là, le problème, murmura Meredith en faisant une grimace. Pour étonner, il fallait savoir quoi faire et ce n’était malheureusement pas son cas. Comment ça pourrait marcher avec quelqu'un d'aussi nul que moi ?

    Je suis sûre que tu exagères, la gourmanda gentiment Taylor. Si t’es pas sûre de toi, tu peux aller sur le net ou lire des bouquins. Elle comprit à la mine de Meredith qu’elle ne l’avait pas convaincue. Tu sais, Mer, je crois que tu dois surtout essayer de te sentir à l’aise, ne pas avoir peur, ne pas être gênée, ne pas te soucier de ce que l’autre va penser. De toute façon, dis-toi que si tu es entreprenante, ça va lui plaire. Et si tu ne sais pas comment t’y prendre, suis ton instinct. Il faut faire ce que tu as envie de faire, ce qui t’apporte du plaisir à toi aussi.

    Mais tu n’as jamais peur de choquer, toi ? s’étonna Meredith.

    Choquer qui ? l’interrogea Taylor, étonnée. Mon copain ? Meredith approuva d’un signe de tête. Ben, à moins que je ne commence à lui sortir les pires insanités ou à lui demander des trucs sado-masos, je ne vois pas pourquoi il se choquerait. Et s’il le fait, alors, laisse tomber ! s’exclama la jeune fille, scandalisée. C’est qu’il est con. Pourquoi est-ce qu’il n’y aurait que les hommes qui auraient le droit d’exprimer leurs désirs ? Quand il y a des tabous dans un couple, tu peux te dire que c’est mort. Elle remarqua que les lèvres de Meredith s’étiraient en un petit sourire. Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? 

    Meredith hocha doucement la tête. Rien. C’est juste que… tu as dix-sept ans, j’en ai vingt-et-un mais j’ai l’impression que c’est moi, la gamine.

    Merci pour la gamine, ronchonna Taylor avant de sourire à son tour. Alors si tu veux que la vieille te donne encore des conseils…

    Non, merci, ça ira, répliqua Meredith.

    Alors maintenant, à ton tour ! claironna Taylor, toute guillerette. Elle fit un bond sur le lit et se retrouva, assise en tailleur, plus ou moins face à Meredith. T’as eu combien de copains, toi ?

    Un seul, grogna Meredith, prête à affronter les moqueries de la jeune fille.

    Mais celle-ci n’eut pas la réaction attendue. T’as une photo que je vois à quoi il ressemble ?

    Non, soupira Meredith. S’échanger des photos, encore une chose que faisaient tous les amoureux du monde. Seulement, elle n’avait jamais osé demander à Derek de sacrifier à la tradition. De toute façon, avant leur rupture, il n’avait jamais été question d’amour entre eux, alors sa requête aurait été déplacée. Si tu veux le voir, tu n’as qu’à demander l’album photos de Momsy.

    Celui où il y a tout plein de photos de Mark ? interrogea Taylor, les sourcils froncés. Meredith opina de la tête. Ton copain, c’est le brun qui est toujours avec lui ? Depuis que sa mère avait été engagée au service de Momsy, dix ans plus tôt, elle avait eu maintes et maintes fois l’occasion de mettre son nez dans les photos de la famille Sloan et elle les connaissait par cœur. Woaw, Mer ! Il est trop canon ! s’extasia l’adolescente.

    Meredith baissa la tête. Ouais, canon. Oh oui, Derek était un très bel homme ! Tellement qu’elle était tombée follement, éperdument, irrévocablement amoureuse de lui. Malheureusement, elle avait eu la bêtise de croire que son esprit était aussi parfait que son physique et la désillusion n’en avait été que plus grande lorsqu’elle avait compris qu’il n’en était rien. Elle s’était laissé éblouir et cela lui avait fait perdre tout sens commun. Elle en avait oublié que la beauté, si elle était un bonus très agréable, était loin de suffire pour bâtir une relation telle qu’elle en rêvait.

    Et vous deux, pourquoi ça n’a pas marché ? se renseigna Taylor d'une voix douce.

    Les épaules de Meredith se soulevèrent imperceptiblement tandis qu’elle faisait une grimace. Tristement banal ! Il m’a trompée. Trois fois d’après lui, donc c'est pas important, persifla-t-elle. Comme si une faute était moins grave si on la commettait rarement !

    Ah merde ! fut le seul commentaire que se permit Taylor.

    Qu’est-ce que tu ferais à ma place ? demanda Meredith, totalement déboussolée.

    Moi ? Taylor éclata de rire. Moi, je lui rendrais la pareille. Mais bon – elle regarda Meredith avec ce qui ressemblait à de la tendresse - je doute que ce soit ton genre. Meredith secoua tristement la tête. Non effectivement, elle n’était pas une adepte de la loi du talion, et certainement pas dans le domaine amoureux. Pour elle, l’amour était synonyme de respect et de confiance, deux sentiments que l’infidélité de Derek lui avait fait perdre. Se venger en couchant avec tous les hommes de la terre ne les lui rendrait pas.


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  • Derek poussa la porte de la salle où, selon ce qu’un infirmier venait de lui dire, Callie était entrée quelques minutes plus tôt. Effectivement, il la trouva debout devant les écrans, en train d’examiner des clichés de radiographie. Elle jeta un bref regard dans sa direction avant de se détourner, ignorant sa présence pour s’absorber à nouveau dans l’examen attentif des radios. Il vint se mettre à ses côtés et les observa à son tour. C’est pas beau à voir, dit-il enfin après quelques minutes.

    Ouais. Accident de la route. Les pompiers ont dû désincarcérer le bonhomme. Rassurée que Derek place la conversation sur un plan strictement professionnel, Callie tendit le bras vers un des clichés. Ici, tu vois, on a une fracture transversale de la rotule. Je vais placer deux broches parallèles de 20.10ème au niveau du tiers antérieur. Je relierai les deux par un hauban métallique, ce qui va me permettre une mise en compression dynamique du foyer de fracture. Elle se déplaça légèrement sur la droite pour désigner à son collègue une autre image. Et là, on a une double fracture ouverte du tibia péroné avec luxation de la cheville vers l’extérieur. Regarde là. Derek se rapprocha. Tout est en miettes, lui indiqua-t-elle.

    Tu vas pouvoir t’amuser, constata-t-il avec un petit sourire.

    Moi, oui, mais le patient… Il en a pour des mois de rééducation. Il va déguster.

    C’est mieux que d’être dans un fauteuil roulant. Derek se recula et alla appuyer ses fesses sur le bord de la table. Ne sachant quelle attitude adopter envers lui, maintenant que le sujet médical semblait épuisé, Callie resta face aux écrans lumineux, comme si elle continuait son examen. En réalité, son cœur battait à tout rompre. Bien que Derek semblât être revenu à de meilleurs sentiments, elle se demandait à quelle sauce il allait la manger. De son côté, il devina qu’elle ne savait plus comment se comporter avec lui. Lui-même ne se sentait pas très à l’aise non plus. Ils avaient été tellement proches et voilà maintenant qu’ils ne trouvaient plus rien à se dire. La faute aux sentiments qui avaient gâché leur belle amitié, pour autant qu’on puisse donner ce nom à ce qui les avait liés. Néanmoins, en souvenir de ce qu’ils avaient été l’un pour l’autre, Derek était décidé à mettre les choses au point. Il prit une grande inspiration avant de se lancer. Ecoute, je voulais te dire, pour hier…

    Laisse tomber, l’implora Callie, la voix déjà chargée de sanglots refoulés.

    Je veux, poursuivit-il néanmoins avant de s’arrêter. Présenter des excuses n’était pas son fort. C’était un exercice qu’il n’avait guère pratiqué. Comme il ne savait pas trop comment s’y prendre, il décida de faire simple. Je veux te présenter des excuses pour la façon dont je t’ai traitée hier, reprit-il. J’ai été odieux. Tu ne le méritais pas.

    C’est rien, l’assura Callie en se tournant vers lui. Je comprends.

    Derek ne répondit pas directement, se contentant de hocher doucement la tête. Je veux surtout que… que tu saches que je ne méprise pas tes sentiments. Il posa sur elle un regard presque tendre qui la fit frissonner. J’aurais simplement préféré, pour toi, que tu ne les éprouves pas, parce que je ne pourrai jamais te les rendre.

    Je sais, murmura-t-elle. J’ai essayé de lutter mais…

    Derek leva la main pour l’empêcher de continuer. Tu n’as pas à t’excuser. Je sais ce que c’est. Moi non plus, je ne voulais pas tomber amoureux et… Son regard se perdit dans le vague pendant un long moment que son amie se garda bien d’interrompre. Ça fait douze ans que je me bats de toutes mes forces pour que ça n’arrive pas. C’est long, douze ans, et après tout ce temps, on se croit à l’abri. Et puis…

    Les yeux pleins de larmes, Callie termina la phrase à sa place. Et puis, on fait une rencontre et tout est remis en question. Elle savait exactement ce qu’il ressentait.

    Il l’approuva d’un sourire triste. Je t’en ai voulu, lui avoua-t-il soudain. Pour ce qui est arrivé avec Meredith. J’ai voulu croire que, si on ne s’était pas parlé, si tu ne m’avais pas posé de questions, elle n’aurait rien su et on serait toujours ensemble.

    Je suis désolée. Si j’avais su… Callie n’avait qu’une envie, c’était de le prendre dans ses bras pour le consoler, comme avant. Mais elle s’en abstint. Plus rien n’était comme avant entre eux, maintenant.

    Derek haussa les épaules. Tu n’y es pour rien. C’était juste trop dur d’admettre que si je l’avais perdue, c’était ma faute. Il se releva en soupirant. Si seulement on avait parlé d’autre chose à ce moment-là… Il ne parvenait pas à chasser de son esprit l’idée que, si Meredith avait surgi quelques minutes plus tôt ou plus tard, leur vie aurait pris un tout autre tour.

    Il était déjà à la porte lorsque Callie le rappela. Derek… Le regard qu’il lui lança l’émut par sa détresse. Jamais encore elle ne l’avait vu aussi vulnérable. Si je peux me permettre un conseil… Il lui fit un signe de tête l’invitant à poursuivre. Je ne crois pas qu’une relation bâtie sur le mensonge et le non-dit puisse tenir le coup à longue échéance. Alors, si tu veux vraiment être avec Meredith, et que ça marche, il faut que tu lui dises la vérité. Toute la vérité, quelle qu’elle soit.

    Derek resta là, les yeux fixés sur le carrelage, réfléchissant à la pertinence de ces propos. En ce qui le concernait, dire la vérité consistait à déterrer un monceau d’ignominies. Comment Meredith réagirait-elle en apprenant ce qu’avait été sa vie avant et même pendant leur relation ? Pourtant, il savait que le conseil de Callie était bon. Tu as sans doute raison, répondit-il enfin. Encore faudrait-il qu’elle veuille bien m’écouter, ajouta-t-il d’un ton las. Je l’ai appelée, je lui ai laissé des messages. Sans résultat.

    Ces choses-là, il vaut mieux les dire face à face, tu sais, lui fit remarquer Callie. Tu devrais aller la voir.

    Mais j’en crève d’envie, Cal ! s’exclama-t-il. Même si elle doit m’insulter, tant pis. Mais la voir, lui parler… Il respira un grand coup. Seulement, Mark m’a interdit d’aller à Santa Rosa. Il dit qu’elle a besoin de temps, d’espace…

    Callie le regarda avec étonnement. Depuis quand fais-tu ce qu’on te demande, Derek ? Si tu as envie de voir Meredith, si tu as des choses à lui dire, si tu as le sentiment que c’est ce que tu dois faire, alors saute dans ta voiture, roule jusqu’à Santa Rosa et va lui dire tout ce que tu as sur le cœur.


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  • La musique du carillon de l’entrée résonna dans la maison silencieuse. Taylor leva la tête du recueil de poésies de Walt Whitman que son professeur d’anglais avait eu la mauvaise idée d’imposer comme prochain devoir. Elle profita de l’occasion trop belle qui lui était offerte de mettre fin à son calvaire – elle détestait la poésie et plus particulièrement celle de Whitman – et bondit hors du fauteuil dans lequel elle s’était confortablement installée. J’y vais, hurla-t-elle à l’intention de sa mère qui était à la cuisine, en train de faire de la pâtisserie. Elle courut jusqu’à la porte qu’elle ouvrit, haletante. Qui que vous soyez, je vous adore et je vous bénis… Elle s’arrêta, la bouche ouverte, en découvrant celui qui était devant elle.

    Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça mais merci, répondit Derek, un petit sourire amusé sur les lèvres. Cette gamine devait être la fameuse Taylor que Meredith et Mark avaient évoquée lors de la conversation téléphonique à laquelle il avait assisté.

    La jeune fille avait déjà repris ses esprits. De rien. Elle le toisa, légèrement provocante. Impossible de s’y méprendre, c’était bien le type qui était sur un bon nombre des photographies de Momsy. Alors comme ça, voilà le fameux Derek. Vous en avez mis du temps pour vous décider à venir, lança l’effrontée.

    Cette fois, Derek sourit largement. Outre le fait que cette jeune insolente l’amusait, il appréciait qu’elle sache qui il était. Cela signifiait que Meredith avait parlé de lui. Et la dernière remarque, presque un reproche, lui fit espérer que sa venue avait été évoquée, souhaitée même. Je suis parfois un peu long à la détente, je l’avoue.

    Je vois ça, ironisa Taylor. Dommage parce que Meredith n’est pas là. Le sourire du chirurgien s’effaça instantanément. Mais je peux vous emmener voir Momsy, comme ça, vous ne serez pas venu pour rien, ajouta Taylor, toujours aussi moqueuse. Elle recula de quelques pas pour lui libérer le passage.

    Meredith… où est-elle ? demanda-t-il en la suivant à travers les couloirs. Durant tout le voyage depuis San Francisco, il avait pensé à ce que serait sa confrontation avec son ex petite-amie. Il avait tout imaginé, qu’elle éclaterait en sanglots, qu’elle lui claquerait la porte au nez, qu’elle hurlerait, qu’elle l’insulterait, qu’elle le frapperait même, mais certainement pas qu’elle serait absente.

    A Santa Rosa, lui apprit Taylor. Elle passe son permis de conduire. Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez toujours l’attendre. Derek grimaça. Du temps, justement, il n’en avait pas beaucoup. Il était attendu au bloc en fin d’après-midi pour une intervention qu’il lui était absolument impossible de reporter. Il avait quitté l’hôpital sur un coup de tête, directement après sa conversation avec Callie, espérant que les quelques heures qu’il avait devant lui suffiraient à convaincre Meredith de son amour et de sa bonne foi. Il ne lui restait plus qu’à prier pour qu’elle rentre rapidement. Ils étaient à la porte qui menait à la terrasse lorsque tout à coup, Taylor lui fit signe de s’arrêter. Vous avez de la visite, Momsy, annonça-t-elle en sortant.

    Si c’est le docteur ou le pasteur, tu peux les renvoyer chez eux, grommela la vieille dame. J’en ai marre d’entendre leurs jérémiades. Peuvent pas me laisser mourir en paix, non ?

    C’est pas le pasteur, chantonna la jeune fille. Elle se retourna vers Derek avec un regard appréciateur. Sinon, j’irais à l’église plus souvent. D’un signe de tête, elle l’invita à la rejoindre.

    Oh mon dieu ! s’exclama Momsy en découvrant l’identité de son visiteur.

    Lorsqu’il aperçut la frêle silhouette de la grand-mère de Mark, toute petite dans le grand fauteuil en osier, une émotion indicible étreignit Derek et il eut soudain une folle envie de pleurer. Lorsque sa voiture avait franchi la barrière de la propriété, une foule de souvenirs avaient afflué à sa mémoire. C’était ici qu’il avait vécu les plus belles heures de son enfance : les courses de vélo avec Mark, les jeux avec les gamins des environs, les randonnées dans la campagne, les parties de pêche dans l'étang, les soins aux animaux, les visites au Musée Charles Schulz, le créateur de "Peanuts", les séances de cinéma, les goûters d’anniversaire… C’était dans cette maison qu’il avait pu échapper à la terrible dynamique familiale, redevenir un enfant comme les autres, agir un tant soit peu à sa guise, faire ses propres expériences, des bêtises même, parfois, sans craindre d’être jugé ou brimé. C’était ici enfin qu’il avait appris ce qu’étaient l’amour et la tendresse d’un parent, car Momsy avait été bien plus une mère pour lui que sa génitrice. Il fut près d’elle en deux enjambées et, s’agenouillant à ses pieds, posa la tête sur ses genoux, les bras autour de sa taille, respirant à pleins poumons son parfum qui lui rappelait tant de moments heureux.

    Emue, Momsy posa sa main sur la tête de celui qu’elle considérait comme son deuxième petit-fils et joua avec ses boucles brunes. C’est bon, Taylor, tu peux nous laisser, dit-elle à l’intention de la jeune fille qui les regardait avec étonnement. Tu devrais retourner à ta lecture avant que ta mère ne t’étripe. Elle attendit que l'adolescente disparaisse pour s’adresser à Derek qui se serrait toujours contre elle. Te voilà donc, garnement ! murmura-t-elle tendrement. Il t’en a fallu du temps pour retrouver le chemin de la maison.

    Il se redressa et ses yeux débordants de larmes se plantèrent dans ceux de la vieille dame. Douze ans, chuchota-t-il, plein de remords. J’aurais dû revenir plus tôt. Je suis impardonnable.

    Cesse de dire des bêtises. Momsy passa sa main sur la joue mal rasée du chirurgien. Il te fallait juste une bonne raison de revenir.

    Vous étiez la meilleure des raisons, Momsy. C’est juste que… - il poussa un long soupir - c’était trop dur de revenir ici. La savoir au cimetière, ici, tout près… Je n’avais pas la force, reconnut-il avec franchise.

    Momsy lui sourit. Mais aujourd’hui, tu l’as trouvée, la force, n’est-ce pas ? Il acquiesça. Oui, aujourd’hui, il avait trouvé la force de venir défier ses vieux démons. De toute façon, il n’avait plus le choix, parce que la seule chose que lui avaient appris ces derniers jours, c’était que vivre sans Meredith était la pire des souffrances.


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