• En passant devant son immeuble, juste avant de tourner pour accéder au garage souterrain, Mark aperçut à sa gauche une Porsche noire qui lui était plus que familière. En soupirant, il fit marche arrière et gara son véhicule dans le premier emplacement libre. La confrontation allait donc avoir lieu maintenant. Il se doutait qu’elle ne tarderait pas. D’ailleurs, il s’y était préparé pendant le voyage du retour, se construisant une ligne de défense, dressant à voix haute la liste de ses arguments, les développant au fur et à mesure qu’il les répétait, en trouvant d’autres toujours plus forts que les précédents. Dans cette simulation, contrairement à ce qu’avait annoncé sa grand-mère, il réussissait à tenir tête à Derek et ne lui dévoilait pas où Meredith s’était réfugiée. Il espérait avoir autant de force de caractère dans la réalité.

    Il sauta en bas de son Hummer et marcha vers la Porsche, vérifiant au passage que son conducteur ne s’y trouvait pas. Il regarda un peu plus loin devant lui et aperçut la silhouette de son ami, assise sur les marches de l’entrée, la tête entre les mains. Alerté par le bruit des pas, Derek se redressa avant de se mettre debout. Mark eut un choc en arrivant près de lui, comme s’il était revenu douze ans en arrière, lorsqu’il avait ouvert la porte de sa chambre d’étudiant et qu’il s’était trouvé face à son meilleur ami venu lui annoncer la plus terrible des nouvelles. C’était le même garçon perdu et ravagé qui se trouvait aujourd’hui devant lui.

    Elle m’a quitté, murmura Derek avec du désespoir dans la voix. Elle est partie.

    Même s’il lui en voulait pour la légèreté avec laquelle il s’était comporté envers Meredith, Mark était incapable de rester insensible à la détresse de son ami. Trop de choses les liaient pour qu’il refuse de lui tendre la main. Allez, viens, dit-il en soupirant. Derek le suivit sans dire un mot. Y a longtemps que tu m’attends ? s’enquit Mark en le regardant à la dérobée.

    Derek ne répondit pas, se contentant de hausser les épaules. Ce n’est que dans l’ascenseur que, adossé à la paroi, le regard fixé sur ses chaussures, il se remit à parler, d’une voix sourde, presque inaudible, au point que son camarade dut se pencher vers lui pour tenter de le comprendre. Je ne sais pas où elle est. Elle ne répond à aucun de mes appels. Je l’ai cherchée partout, à la boutique, chez elle, à la maison du parc. J’ai fait le tour de tous les endroits où je pensais qu’elle pourrait être, là où on a été ensemble. A partir du moment où Gloria l’avait éconduit, il avait passé son temps dans la voiture, faisant le tour de la ville, sillonnant les rues, s’arrêtant dans les quelques hôtels où il avait emmené Meredith, dans l’espoir que quelqu’un pourrait peut-être enfin le renseigner. Mais ses attentes avaient sans cesse été déçues. Après ça, je me suis dit qu’elle avait peut-être pensé repartir à Crestwood, alors j’ai été au terminal des bus mais là, non plus, personne ne l’avait vue. En même temps… Il leva imperceptiblement les épaules. Vu le nombre de personnes qui, quotidiennement, arrivaient à San Francisco et en repartaient, que quelqu’un se souvienne avoir vu la jeune fille aurait été un miracle.

    Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et les deux hommes sortirent de la cabine. Derek continua de monologuer tandis que Mark ouvrait la porte de son loft. J’ai voulu appeler sa mère mais il n’y a aucun Grey dans l’annuaire de Crestwood, et je ne connais pas son nom de jeune fille. Il avança dans le grand salon où Mark venait d’allumer les lumières mais il resta planté au milieu de la pièce, totalement désorienté. Je suis retourné chez sa tante pour le lui demander mais on ne m’a pas ouvert et je n’ai pas osé insister. J’entendais la vieille hurler de l’autre côté de la porte. Alors, j’ai refait le tour. La boutique, la maison du parc, passer et repasser dans la Mason Street en espérant apercevoir enfin de la lumière à la fenêtre de la chambre de Meredith. Il hocha la tête de bas en haut pour répondre à Mark qui brandissait la bouteille de whisky avant d’avancer jusqu’à un fauteuil dans lequel il se laissa tomber lourdement. Il regarda distraitement son ami qui remplissait leurs verres. A part nous, elle ne connait personne ici. Elle s’est peut-être réfugiée dans un hôtel mais lequel ? Au fil des heures, l’inquiétude de Derek avait grandi et il avait commencé à imaginer le pire. Pour finir, j’ai téléphoné aux hôpitaux mais aucun n’a admis une personne qui corresponde à son signalement. Mal à l’aise, Mark évita le regard de son ami en lui tendant son whisky mais il ne put faire sans voir la main tremblante qui saisissait le verre. S’il cela n’avait pas été Derek, il aurait pu penser qu’il se trouvait devant un alcoolique en état de manque. Son malaise s’accentua. J’ai pensé prévenir la police, continua Derek, mais je ne l’ai pas fait. Il releva vers Mark un regard où se lisait la plus grande des craintes. Je crois que j’ai peur de ce que je pourrais apprendre.

    Tu dramatises, là. Elle ne va pas se suicider tout de même, grommela Mark en s’asseyant dans un fauteuil. Il avait promis le secret à Meredith mais voir son ami se torturer l’esprit et ne pouvoir rien dire pour le rassurer était un fardeau bien lourd à porter.

    Elle sait ce que j’ai fait, Mark, révéla alors Derek, la gorge serrée. Elle m’aimait et elle avait confiance en moi ! Il revit Meredith telle qu’elle était encore la veille quand, pour la première fois, elle lui avait avoué ses sentiments. Pourquoi n’avait-il pas trouvé le courage de faire comme elle ? Tu imagines son état ? Après ce qu’elle a vécu avec O’Malley, ce coup de pute que je lui fais… S’il lui est arrivé quelque chose… Les larmes lui montèrent soudain aux yeux. Il se détourna brutalement et tenta de se reprendre tout en contemplant l’alcool qui dansait dans son verre.

    Aussi rapide qu’il ait été pour tourner la tête, Mark avait vu qu’il pleurait. La pudeur était la pierre de voûte du caractère de Derek. Déjà d’une nature réservée, il avait été éduqué dans l’idée qu’il ne fallait jamais montrer ses sentiments, quelles que soient les circonstances, et les évènements de sa vie n’avaient fait que renforcer cette attitude. Qu’il se laisse ainsi aller à ce qui était pour lui la plus grande des faiblesses prouvait à quel point il était affecté par la disparition de Meredith. Mark ne s’y trompa pas. Il ne lui est rien arrivé, avoua-t-il tout de go. Derek redressa aussitôt la tête. Elle va bien, ajouta Mark. Enfin… elle ne va pas bien du tout mais elle n’a rien. Elle est à Santa Rosa, lâcha-t-il enfin sous la pression des yeux bleus qui le fixaient.


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  • Santa Rosa ? Chez ta grand-mère ? demanda Derek dont le nouveau calme apparent cachait un bouillonnement intérieur. Mark acquiesça. Derek vida d’un trait le whisky auquel il n’avait pas encore touché. Tu vois, pendant que je retournais toute la ville pour la retrouver, commença-t-il en jouant avec son verre vide pour paraître détaché, j’ai essayé de t’appeler sur ton téléphone. De minute en minute. Pour te prévenir. Et aussi parce que j’aurais bien aimé avoir mon meilleur ami à mes côtés. Il vit Mark qui ouvrait la bouche pour parler et haussa le ton pour l’en empêcher. Et je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à joindre ce meilleur ami – il insista lourdement sur le terme – le seul que j’aie d’ailleurs. Il planta son regard plein de colère refrénée dans celui de Mark. Puis, je me suis mis à réfléchir. Je me suis dit que, dans l’état où elle était, tellement bouleversée… – il se leva et alla se resservir au bar – Meredith s’était sûrement tournée vers quelqu’un, quelqu’un en qui elle avait toute confiance, qu’elle appréciait. Alors, forcément, j’ai pensé à toi.

    Oui, elle m’a appelé, reconnut Mark. Il but un peu de whisky en se préparant mentalement à la bataille qui allait suivre.

    Derek poursuivit comme s’il n’avait rien entendu, en déambulant à travers la pièce, son verre à la main. Mais immédiatement, je me suis dit que c’était insensé. Tu es mon meilleur ami. On est comme deux frères. On se connait par cœur. Mark leva les yeux au ciel en soupirant. Derek allait faire vibrer la corde sensible, celle de l’amitié, celle de la fraternité, pour mieux le culpabiliser, et il détestait cela. Tu es le seul à savoir à quel point je tiens à cette fille. Je ne pouvais pas imaginer que, si tu étais au courant de ce qui se passait, tu ne m’aurais pas prévenu. Derek s’arrêta de marcher un instant pour boire une gorgée d’alcool, puis repartit. Pourtant, en même temps, il y avait le fait que tu ne répondais jamais au téléphone, que personne ne savait où tu étais. Comme si tu avais disparu. Comme Meredith. Alors, oui, j’ai douté, j’ai douté de toi, mon meilleur ami, répéta-t-il sur un ton ironique. Mais je m’en suis voulu de l’avoir fait, parce que j’avais toujours pu compter sur toi. Il vint se rasseoir devant Mark et son ton changea, se faisant incisif, réprobateur, sans pitié. Et là, tu m’apprends que tu savais depuis le début et que tu m’as laissé dans la merde tout ce temps ? C’est donc ça, ton sens de l’amitié ? Et si je n’étais pas venu, Mark ? Si tu ne m’avais pas trouvé devant ta porte, tu aurais attendu combien de temps pour me dire la vérité ?

    Ce fut au tour de Mark de se lever et d’arpenter le salon. Mets-toi à ma place aussi, protesta-t-il, atteint par les reproches de son ami qu’il trouvait justifiés par certains aspects. Il était vrai qu’ils avaient toujours été présents l’un pour l’autre, dans les bons comme les mauvais moments. Leur amitié ne s’était jamais démentie depuis plus de trente ans. Et d’une certaine façon, en aidant Meredith, Mark avait eu l’impression de lui porter un coup qui, il l’espérait, ne serait pas fatal. Elle m’a appelé à l’aide, se défendit-il. Elle m’a demandé de l’emmener là où tu ne pourrais pas la retrouver. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ?

    Mais que tu me préviennes, nom de dieu, éructa Derek, hors de lui au souvenir des heures horribles qu’il venait de vivre, et à l’idée du temps qu’il avait perdu, alors que Mark aurait pu tout résoudre par un simple appel téléphonique.

    Son ami vint se planter devant lui. Et tu aurais fait quoi ? Tu aurais débarqué pour l’empêcher de partir ?

    Derek se leva pour lui faire face. Evidemment, oui !

    Eh bien, tu aurais fait pire que mieux, assura Mark.

    Mais c’est pas ton problème, ça, mon vieux ! s’énerva Derek. Tout ce que tu avais à faire, c’était m’appeler et me dire que tu étais avec elle.

    Elle ne voulait pas te voir, Derek. Elle ne voulait pas te voir, insista Mark avec un air buté.

    Depuis quand tu la fais passer avant moi ? s’insurgea Derek. Depuis que tu es passé de l’autre côté ? persifla-t-il. De son côté ? Trente-cinq ans d’amitié pour en arriver là ?

    Mark ne cacha pas qu’il était outré. Arrête ton cinéma, Shepherd ! Etre son ami ne m’empêche pas d’être le tien.

    Ah mais on dirait bien que si ! Derek lui lança un regard douloureux. Est-ce que tu as seulement pensé à l’état dans lequel je devais être ?

    Oui, bien sûr, soupira Mark. Mais j’ai vu aussi l’état dans lequel elle était. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous, je ne sais pas comment elle a appris…

    Derek ne le laissa pas terminer sa phrase. Elle a trouvé un papier avec les coordonnées de la fille.

    Mark le regarda, médusé. Il connaissait les règles de conduite et les méthodes de son ami. Depuis quand tu prends les coordonnées des nanas avec qui tu couches ? Derek haussa les épaules. T’avais l’intention de remettre ça ?

    Mais non, pas du tout. Derek passa la main dans sa chevelure, en soufflant. Je me fous de cette gonzesse. Je ne sais même plus à quoi elle ressemble. Elle m’a donné son numéro de téléphone et je l’ai mis dans ma poche, comme ça, machinalement. Je l’avais complètement oublié jusqu’à ce que Meredith me montre ce foutu papier de merde.

    Et tu ne pouvais pas nier ? s’étonna Mark qui avait connu son ami plus réactif. Comment Derek, qui était le champion de la manipulation quand il s’agissait d’arriver à ses fins, avait-il pu se faire avoir de cette façon ?

    Derek secoua lentement la tête. Ça n’aurait servi à rien. Elle m’a entendu parler avec Callie, quelques phrases qui, sorties de leur contexte, ont dû lui paraître épouvantables. 

    La moue que fit Mark exprima le doute qu’il éprouvait. Si tu veux mon avis, le contexte, elle s’en fout. Tu l’as trompée, Derek, c’est tout ce qui compte à ses yeux.


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  • Accablé par cette évidence, Derek se tassa sur lui-même en baissant la tête. Tu vois, le plus con, c’est que j’avais prévu de l’emmener chez moi ce soir. Sa voix se cassa à nouveau sous l’effet de l’émotion. Je voulais lui parler, lui raconter mon histoire, lui dire que je l’aime aussi… 

    Ouais, c’est ballot. Pendant quelques secondes, Mark observa son camarade dévasté. Si ce n’était pas une pitié d’en arriver là ! Je t’avais prévenu, bordel. Je te l’avais dit, que ça allait faire du grabuge si elle l’apprenait.

    Il y avait tellement peu de risques que ça se passe, Mark, geignit Derek. Et puis, sur le moment même, je n’ai pas pensé à ça. Je voulais juste me la sortir de la tête, ne plus penser à elle tout le temps.

    Tu parles d’une réussite, commenta Mark avec ironie.

    Tu sais, cet après-midi, je n’ai pas pu opérer, lui apprit Derek. J’étais au bloc, j’avais les instruments en main… et je n’ai pas pu. Il entrevit le regard stupéfait de son camarade. Tu te souviens, lâcha-t-il soudain. Il y a douze ans… le jour de son enterrement ? Mark hocha la tête en guise d’approbation. Je l’aimais, tu le sais bien. Je l’aimais, malgré tout. Mais le jour de son enterrement, je suis allé en cours et j’ai disséqué un cadavre. J’ai toujours fait passer la médecine avant tout. Il eut soudain un petit sourire. Quand je suis au bloc, je suis bien. Il peut se passer n’importe quoi à l’extérieur, j’oublie tout. Je me concentre seulement sur l’intervention. Rien ne m’a jamais ébranlé quand j’étais au bloc. Derek étendit ses mains et les regarda trembler. Jusqu’à hier.   

    Nom de dieu ! murmura Mark à qui cet aveu permettait seulement maintenant de mesurer à sa juste valeur l’amour que Derek portait à Meredith.

    Derek lança un regard suppliant à son ami. Tu ne veux pas l’appeler ? Elle te répondra, à toi. Je veux juste savoir comment elle va.

    Mal ! Pas la peine de téléphoner pour ça. De toute façon, elle a éteint son téléphone pour être sûre que tu ne pourrais pas la joindre. Mark agita son index en direction de son camarade. Et inutile de me demander d’appeler le ranch, c’est non. Il est 1h du mat’. C’est un coup à tuer ma grand-mère, ça.

    Je ne t’ai même pas demandé comment elle allait, regretta Derek, penaud.

    Ben c’est pas la grande forme, c’est clair, mais ça va, ça va. Elle tient bien le coup, dit Mark plus pour se rassurer que par réelle conviction.

    Tu retournes la voir quand ? s’enquit Derek, qui voyait dans un éventuel séjour de Mark à Santa Rosa la possibilité non seulement d’avoir des nouvelles de Meredith, mais surtout d’avoir un allié dans la place, une sorte de messager.

    Je ne sais pas trop, répondit Mark, un peu embarrassé. Momsy pense qu’il vaut mieux que je ne me ramène pas trop souvent, pour laisser un peu d’espace à Meredith, parce que, tu vois, euh… toi, moi, pour elle, en ce moment, c’est un peu la même chose. Il mentait. En réalité, sa grand-mère lui avait conseillé de ne pas revenir à l’hacienda pendant un moment, pour prendre du recul vis-à-vis de Meredith, afin de pouvoir enfin tirer un trait sur elle et renoncer à un rêve qui, de toute façon, n’avait aucune chance de se réaliser. Si l’idée lui avait fortement déplu dans un premier temps, parce qu’il ne voulait pas avoir l’air d’abandonner son amie à son triste sort, Mark s’était pourtant incliné. Son aïeule avait, sans doute raison. Etre sans cesse dans les parages de Meredith ne l’aiderait pas à l’oublier.

    Derek écarquilla les yeux. Ah bon ? Pourtant, c’est toi qu’elle a appelé.

    Mark balaya l’argument du revers de la main. C’est normal, ça. Elle ne connait personne d’autre. Mais selon Momsy, toi et moi, on est dans le même sac, alors… faut la laisser respirer.

    La mâchoire de Derek se contracta. Je ne vais pas tenir, Mark. Je ne peux pas rester là, sans nouvelles, sans savoir. Il faut que je lui parle, il faut que je lui explique. Demain, je vais à Santa Rosa. Il se leva d’un bond, comme s’il allait se mettre en route immédiatement.

    Mark l’imita aussitôt et se plaça devant lui. Tu n’iras nulle part et certainement pas à Santa Rosa. Il posa une main sur l’épaule de son ami. Ecoute, hier, j’étais avec elle, mon téléphone a sonné. Elle a deviné que c’était toi. J’ai vu comment elle a réagi. Ne va pas là-bas, Derek.

    Ce dernier accusa le coup. Elle me déteste donc tellement ? Accablé, il se laissa à nouveau tomber sur son siège.

    C’est clair que pour le moment tu n’es pas le numéro un de son hit-parade. Mais te détester ? Mark eut un sourire presque tendre à son adresse. Non. Elle t’aime, espèce de con. Dieu m’est témoin que je ne comprends pas pourquoi mais elle t’aime. C’est pour ça que c’est si dur pour elle.

    Qu’est-ce que je dois faire, Mark ? demanda Derek, totalement désemparé.

    Pour commencer, tu vas dormir ici, décréta Mark d’un ton sans réplique. Ici, au moins, tu ne feras pas de conneries. Et demain, tu vas bosser. Parce que tu es peut-être amoureux, mais tu es chirurgien aussi. Tu ne peux pas laisser tomber. Et pour le reste… laisse faire le temps, conseilla-t-il d’un ton plus doux.

    Laisser faire le temps ? Derek eut un petit rire sans aucune joie. Je n’ai pas le temps. Il lui sembla soudain qu’il manquait d’air. Je ne voulais pas l’aimer parce que j’avais peur de souffrir. Je ne savais pas que ce serait bien pire de ne plus pouvoir être avec elle.


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  • Le soleil de Californie était si ardent ce matin-là que ses rayons traversaient les épaisses tentures bleues, inondant ainsi la chambre de lumière. Meredith se réveilla en ayant l’impression de baigner dans un halo de douce chaleur. Elle s’y complut un instant, les paupières mi-closes, enfouie sous la couverture, recroquevillée sur elle-même. Rester à l’abri encore un peu… Elle avait passé une très mauvaise nuit, tourmentée par le souvenir de l’effroyable révélation de la veille. Elle s’était réveillée plusieurs fois, en sueur, tremblante de colère, les joues ruisselantes de larmes, parce que des cauchemars lui faisaient revivre chaque seconde de cet après-midi qui avait anéanti toute son existence. Car voilà quel était le triste bilan de cette pitoyable histoire. Elle avait vingt-et-un ans et sa vie était gâchée, bousillée, terminée.

    Elle se leva, le cœur nauséeux et le corps endolori d’avoir été trop tendu, et se traîna jusqu’à la fenêtre dont elle écarta les tentures. Elle regarda sans vraiment les voir le terrain légèrement vallonné, une piscine en forme de guitare cachée derrière une haie de laurier-cerise, les bâtiments d’écurie sur la droite et le jardin d’agrément sur la gauche. Il y avait un peu plus loin, dans un enclos, quelques chevaux qui paissaient tranquillement. Meredith les observa, juste le temps de distinguer quelques mustangs et des quarter horse. Elle laissa retomber le lourd pan de tissu et revint jusqu’au lit. S’il n’y avait pas eu cet appel de Mark que lui avait promis Momsy, elle se serait recouchée immédiatement. Elle enfila sans entrain les vêtements qu’elle portait en arrivant, sans se soucier qu’ils soient chiffonnés, puis alla se coller contre la porte, cherchant à entendre ce qui se passait à l’extérieur. Elle ne savait pas combien de personnes exactement vivaient dans cette maison mais il était évident que Momsy ne pouvait pas s’occuper d’une aussi grande propriété sans aide. Or, Meredith n’avait aucune envie de faire des rencontres. Devoir se présenter, faire la conversation, sourire, jouer la comédie de la sérénité alors que tout son être souffrait, tout cela était au-dessus de ses forces pour le moment.

    N’entendant rien, elle sortit de la chambre et avança à pas de loup dans le couloir, prête à battre en retraite au moindre bruit. La maison lui parut encore bien plus grande que ce qui lui avait semblé en pleine nuit. Légèrement rassurée par le silence qui régnait, elle marcha avec un peu plus d’assurance jusqu’à arriver au grand salon. Elle en ouvrit la porte avec précaution, le plus silencieusement possible, pour ne pas attirer l’attention, et passa doucement la tête dans l’entrebâillement. Aah justement la voilà ! Le cri d’exclamation de Momsy fit sursauter la jeune fille qui n’osa pourtant pas reculer. Ce fut avec une évidente mauvaise grâce qu’elle poussa la porte, s’attendant à trouver son hôtesse en compagnie de personnes à qui il allait falloir faire des civilités. Elle fut soulagée en constatant qu’en fait la vieille dame était seule, mais en pleine conversation téléphonique. Je te la passe, claironna joyeusement Momsy. A bientôt, mon petit. Oui, moi aussi, je t’embrasse. C’est Mark, indiqua-t-elle à Meredith qui restait sur ses gardes.

    La jeune fille courut jusqu’à elle et lui arracha presque l’appareil des mains, tellement elle était impatiente de parler à son ami. Mark, c’est toi ? demanda-t-elle un peu sottement en remerciant Momsy d’un petit sourire.

    Hello, beauté, dit Mark sur un ton léger. Comment tu vas ?

    Je suis triste que tu ne sois pas là, se lamenta Meredith tout en suivant du regard la vieille dame qui sortait de la pièce.

    Oui, je sais, ça m’a ennuyé de te laisser là-bas toute seule, mais j’ai des interventions que je ne pouvais pas reporter, se justifia Mark. Il fit signe à Derek, qui venait de le rejoindre, de ne pas faire de bruit.

    Meredith se lova dans le fauteuil, le visage empreint de contrariété. Tu aurais pu me prévenir au moins.

    Quand je suis parti, tu dormais à poings fermés. Je n’ai pas voulu te réveiller. Alors, dis-moi, comment tu vas ? insista Mark en repoussant Derek qui voulait mettre le téléphone sur haut-parleur. Il fusilla son ami du regard pour le sommer de rester tranquille. 

    Pfft ! Comment tu veux que j’aille ? bougonna Meredith. Comme la cocue de service.

    Mer… Mark fit une grimace à Derek pour lui faire comprendre que l’humeur de sa dulcinée n’avait pas changé depuis la veille.

    Tu l’as vu ? demanda-t-elle avec une intonation pleine de nervosité. Elle ne lui laissa même pas le temps de répondre. Tu ne lui as rien dit au moins ?

    Mark ne put faire autrement que mentir. Non, je ne lui ai rien dit. Mais tu sais, il est inquiet. Il ne put ignorer les signes énergiques que lui faisait Derek. Vraiment très inquiet ! rectifia-t-il. Hier soir, il était même carrément en panique.

    Bien fait ! rétorqua Meredith sur un ton légèrement triomphant. Que Derek soit inquiet était la moindre des choses. C’était même très insuffisant. Il lui avait fait du mal. Alors, elle voulait qu’il soit malheureux comme les pierres, qu’il souffre tout comme elle souffrait.

    Sans rire, Mer… – Mark se tut quelques secondes, intrigué parce que Derek commençait à écrire sur un bloc-note – il a passé sa soirée à appeler les hôpitaux, reprit-il. Et il était moins une qu’il ne prévienne la police.

    Meredith ricana. Les hôpitaux ? La police ? Et pourquoi pas l’armée ? Enervée, elle commença à donner de petits coups de pieds dans le fauteuil voisin du sien. Qu’est-ce qu’il a cru ? Que j’allais me suicider ? Scandalisée, elle secoua la tête avec un rictus moqueur sur les lèvres. Non mais faut qu’il arrête, là ! Il ne vaut pas la peine que je meure pour lui, conclut-elle avec fureur.

    Mark tenta de ramener la jeune fille à de meilleurs sentiments. Mets-toi à sa place aussi. Il jeta un coup d’œil au bloc-note que lui tendait son ami avant de relever sur ce dernier des yeux pleins d’indignation, en hochant énergiquement la tête de gauche à droite. Mais le regard implorant que lui lança Derek en retour ne lui laissa pas le choix. Il t’aime, Mer, dit-il sans aucun enthousiasme. Jouer les intermédiaires, soit, ce n’était pas trop dérangeant. Mais répéter les mots d’amour d’un autre homme à celle qu’il aimait sans espoir, c’était vraiment trop cruel. Cependant, l’air malheureux de son ami, plus le léger coup de poing qu’il venait de recevoir sur le bras, le convainquit de changer de ton. Il t’aime vraiment, comme un dingue, dit-il avec un peu plus de conviction. Et il s’en veut terriblement. S’il pouvait revenir en arrière…


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  • Meredith coupa sèchement la parole à son ami. Il t’a parlé de cette femme ? Celle de l’hôtel ?

    La femme de l’hôtel ? répéta Mark pour que son camarade comprenne de quoi il était question. Derek se mit à griffonner à toute vitesse. Euh… non, fit Mark pour gagner du temps. Il n’en a rien à foutre, lit-il sur le papier. Il a fait une énorme erreur, il le sait. C’est juste qu’il avait peur.

    Meredith l’interrompit à nouveau. Oui, ça, je sais. Il me l’a dit. Et les autres, c’était par peur aussi ?

    Mark fronça les sourcils. Les autres ? Il regarda Derek avec un étonnement mêlé de colère. Quelles autres ? Une fois encore, il reçut l’information par écrit. Ah tu veux dire les autres. C’était au début, ça. Au tout, tout début. Il ne savait pas encore qu’il t’aimait. Ça n’a pas compté, Mer.

    Ah oui, je vois, persifla Meredith en se levant. Il fallait qu’elle bouge sinon elle allait devenir folle. Elle commença à tourner autour du guéridon sur lequel était posé le téléphone. Alors, si je comprends bien, il m’a trompée quand il ne m’aimait pas encore, et donc, ça n’a pas d’importance. Ensuite, il m’a trompée quand il m’aimait, et là, c’est parce qu’il avait peur et alors, ça n’a pas d’importance non plus. C’est ça, Mark ? C’est bien ça que tu essaies de me dire ?

    Mark entendit au ton de la jeune fille, devenu légèrement agressif, qu’il devait surveiller ses propos s’il ne voulait pas déclencher l’orage. Ouais. Enfin… d’une certaine façon.

    Et son plaisir, Mark ? Tu vas aussi me dire que ça ne compte pas ? Meredith se mit à crier Parce qu’il en a eu du plaisir. Je le sais, il l’a dit. A Callie en plus. Parce qu’évidemment il a fallu que Monsieur s’en vante. Non seulement il s’était moqué d’elle mais, en plus, il s’arrangeait pour qu’elle soit la risée de toute la clinique.

    En entendant les éclats de voix au travers du téléphone, Derek lança un regard angoissé à Mark. Il comprit à la mine de celui-ci que la situation ne tournait pas à son avantage. Ecoute, Mer, ça ne veut pas dire grand-chose, plaida Mark. Nous les mecs, c’est pas la même chose que vous. On bande, on jouit, voilà. C’est automatique, quoi. ça ne veut pas dire que c’est génial pour autant.

    Loin de la convaincre, cet argument énerva encore plus Meredith. Mais je m’en fous de ça ! Moi, tout ce que je vois, c’est qu’il a couché avec cette femme, génial ou pas. Et qu'il a eu du désir pour elle. Parce que, pour bander, Mark, il faut avoir du désir ! Tu ne vas tout de même pas me dire le contraire ?

    Mark détestait vraiment le tour que prenait la conversation. Il se serait bien passé d’assurer la défense de Derek sur ce terrain on ne peut plus glissant, mais il avait l’impression de ne pas vraiment avoir le choix. Du désir, du désir, grommela-t-il. C’est un bien grand mot. Il lança un regard furibond en direction de son ami qui recommençait à griffonner sur le calepin. Si Derek avait daigné prendre en compte ses mises en garde, ils n’en seraient pas là. Ecoute, Meredith, je sais que c’est difficile à comprendre pour une femme, mais il ne nous faut pas grand-chose pour bander. Un mot, une photo, une sensation… Il entendit la jeune fille souffler d’exaspération. Et pour ce qui est de Derek, il a couché avec cette femme, c’est vrai, et il a joui, on ne va pas le nier non plus. L’intéressé le regarda avec un air catastrophé. Ce n’était pas ce genre de discours qui allait le remettre dans les bonnes grâces de Meredith. Il donna précipitamment ses dernières notes à Mark. Avec les autres, il a peut-être eu du plaisir physique, commença ce dernier en s’en s’inspirant, mais ça s’est limité à ça. Avec toi, c’est différent, il me l’a souvent dit. Avec toi, il a tout. Il t’aime, Mer, il t’aime vraiment. Vraiment, répéta-t-il parce que Derek pointait ce mot avec son stylo.

    Ouais, mais tu vois là, je n’y crois plus. La voix de Meredith se cassa brusquement. Il a couché avec d’autres femmes, Mark, et il a eu du plaisir. Il a aimé ça, ce salaud ! Elle eut un vertige d’avoir trop tourné autour de la table et elle s’affala dans le fauteuil. Quand on aime vraiment, on ne va pas voir ailleurs, murmura-t-elle, désabusée.

    Mark souffla de découragement. Il hocha la tête en direction de Derek qui le regardait avec angoisse, pour lui faire comprendre que sa mission avait échoué. Je crois que tu devrais discuter de tout ça avec lui.

    Meredith secoua la tête avec force. Non, ce n’est plus la peine. Je ne veux plus avoir affaire à lui. Pour qu’il essaie encore de m’avoir avec ses belles paroles et son sourire d’hypocrite ? Non, Mark, pour moi, c’est fini. Les larmes jaillirent de ses yeux, en pensant à la façon sordide dont son si joli conte de fées avait pris fin. Elle eut soudain envie d’être seule. Je… je dois… te laisser, dit-elle d’une voix entrecoupée de sanglots. Je suis désolée. Le téléphone était à peine reposé sur son socle qu’elle se ruait hors du salon, courant jusqu’à sa chambre, où elle s'abattit sur le lit en pleurant.

    Elle a raccroché, annonça Mark à Derek. Elle pleurait. Il vit que son ami baissait la tête. Ça va, toi ?

    Ça me rend malade qu’elle soit malheureuse par ma faute. Je me dégoute à un point, mais à un point – la voix de Derek s’étrangla – tu ne peux même pas savoir. Meredith est la fille la plus merveilleuse que j’ai jamais connue. Elle m’a tout donné, tout ce qu’un homme peut désirer, et moi… moi, je lui fais ça !

    Ouais. C’est clair que tu as agi comme un con sur ce coup-là. Mark étira ses jambes avant de se remettre debout. Parce que maintenant, non seulement elle est malheureuse – il fit une grimace - mais elle est surtout très remontée. Qu’est-ce que tu comptes faire ?

    Derek releva la tête, le regard débordant de détermination. Qu’est-ce que tu crois ? Me battre, bien sûr. Il faut que j’arrive à la convaincre de me donner une seconde chance. Parce que moi sans elle… Il hocha la tête. Je ne peux même pas l’imaginer.

    Mark eut un air dubitatif. Elle va t’en faire baver, tu le sais, ça ? Et même, rien ne dit que…

    Si ! l’interrompit Derek. Je vais en baver, je le sais, mais je n’abandonnerai pas, Mark, martela-t-il. Je ne peux pas baisser les bras. Parce que si je ne la retrouve pas, je vais en crever.


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