• Inconsciemment, Mark se redressa sur sa chaise. Ah Taylor ! 

    Ouais, Taylor, répéta Meredith avec un petit rire. Tu lui as vraiment tapé dans l’œil, tu sais.

    Arrête de déconner, grommela Mark. Elle a quel âge ? Seize, dix-sept ans ?

    Oui, elle vient d'avoir dix-sept, confirma Meredith. Mark soupira. Sa grand-mère ne lui avait pas menti, la gamine était encore mineure. Elle n’arrête pas de me poser des questions sur toi, continua Meredith. Quel est ton genre de femme, si tu as quelqu'un dans ta vie pour le moment, si tu es un bon coup… Tu penses que je devrais lui parler du truc des préliminaires ? lui demanda-t-elle en feignant d'être dans l’incertitude.

    Je pense que tu ferais mieux de la fermer, répliqua Mark sur un ton bourru.  

    Hilare, Meredith se tortilla sur son fauteuil. Allez, avoue qu’elle t’intéresse.

    Ben, il faut bien dire qu’elle est canon. A l’intention de Derek, Mark dessina avec ses deux mains le contour d’une silhouette aux courbes avantageuses. Il ne réussit pourtant qu’à arracher un maigre sourire à son camarade.

    Meredith eut un petit rire. Elle avait raison.

    Mark plissa le front. Raison sur quoi ?

    Elle m’a dit qu’elle savait qu’elle t’intéressait, lui confia Meredith. Elle a remarqué la façon dont tu l’avais regardée pendant le dîner.

    Ouais, mais elle n’est pas la seule, bougonna Mark. Ma grand-mère aussi l’a remarqué. Alors, j’ai intérêt à me tenir à carreau. Et puis, de toute façon, dix-sept ans… Ah putain, je suis écœuré ! s’exclama-t-il soudain en réalisant qu’il avait l’âge d’être le père de cette jeune beauté à qui il semblait avoir fait forte impression. C’était réciproque mais cela allait en rester là malheureusement. Décidément, il avait la poisse ces derniers temps. Il fut tiré de ses pensées par le rire frais de Meredith et vit Derek qui frissonnait, ramassé sur lui-même. Il comprit que ce rire lui faisait ressentir plus cruellement encore le manque de la jeune fille. Mark prit une profonde inspiration et se lança. Mer, faut que j’te parle d’un truc. C’est à propos de Derek.

    Meredith se raidit. Tu ne lui as pas dit où j’étais, j’espère ! Derek nota immédiatement que d’amical, le ton était devenu agressif.

    Si Mark avait eu l’intention de dire la vérité, il aurait compris à la voix de Meredith que ça aurait été une erreur. Non. Mais je lui ai dit que j’avais eu de tes nouvelles et que je savais où tu étais.

    Mark, geignit Meredith. Tu m’avais promis 

    Il était fou d’inquiétude, Mer, se justifia Mark. Je ne pouvais pas le laisser comme ça. Elle lui répondit par un ricanement. Il s’en veut terriblement, argumenta-t-il encore une fois.

    Et alors ? C’est la moindre des choses, non ? riposta Meredith. De toute façon, ce qu’il pense ne m’intéresse pas ! Atterré, Derek baissa les yeux. La discussion commençait vraiment très mal.

    Cependant, Mark ne s’en laissa pas conter. Il ne va vraiment pas bien du tout, tu sais.

    Meredith prit un ton cassant. Mark, je ne veux pas parler de ça. J’en ai fini avec lui. Je pensais que tu l’avais compris.

    J’ai compris mais… c’est mon ami, Mer, et ça me fait mal de le voir comme ça. Tout en parlant, Mark observa Derek tassé sur lui-même. Il est vraiment malheureux. Il ne mange plus, il a une mine de déterré. Et encore, ça, c’est rien comparé au reste.

    Bien qu’elle s’en défende, Meredith était curieuse de savoir comment Derek vivait leur séparation. Seul son orgueil l’empêchait de le demander franchement à Mark. Elle se mordilla les lèvres pendant quelques secondes avant de céder à son envie. Et c’est quoi, le reste ? Derek se redressa aussitôt. Il avait craint qu’elle coupe court à la conversation, voire qu’elle raccroche au nez de Mark, et la voilà qui demandait des précisions. C’était donc que tout n’était pas perdu. Il regarda son ami avec espoir. C’était lui qui, maintenant, avait son destin entre les mains.

    La médecine, Mer ! s’écria Mark comme si cela tombait sous le sens. Il a fait deux jours sans aller au bloc parce qu'il était incapable d'opérer. Il avait les mains qui tremblent et tout ça. Là, il a repris mais c’est mécanique, sans âme. Il est au bloc mais son esprit est ailleurs. Les interventions, les patients, il se fout royalement de tout. Il ne pense qu’à toi, tout le temps, dit-il avec force. D’ici à ce qu’il fasse une connerie…

    Même si cela faisait plaisir à entendre, il en aurait fallu bien plus pour amadouer la jeune fille. Dommage qu’il n’ait pas pensé à moi quand il était en train de sauter cette Madelina ! persifla-t-elle. Le fait qu’elle se souvienne encore de ce prénom, alors que lui-même l’avait oublié à l’instant précis où il avait refermé la porte de la chambre d’hôtel, prouva à Derek, si besoin en était encore, à quel point elle avait été blessée. Cela lui confirma également que la tâche de Mark allait être plus qu’ardue. 

    Mer, une connerie ! souffla ce dernier, déjà épuisé par la bataille qu’il était en train de mener contre ses propres intérêts. Vanter les mérites d’un autre à la femme qu’on aimait n’était décidément pas de tout repos.


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  • Butée, Meredith secoua la tête. Pas une, Mark ! Plusieurs ! C’est lui qui me l’a dit. Tu as la mémoire courte.

    Mark fit la moue. Une, dix ou vingt, quelle importance ? Derek lui jeta un regard épouvanté. Son palmarès était déjà suffisamment important aux yeux de Meredith pour ne pas encore l’étoffer. Avec ses doigts, il indiqua le chiffre trois sans être tout à fait certain que c'était correct. Mark haussa les épaules. Ce qui compte, c’est qu’il t’aime comme un fou.

    On n’a pas la même vision de l’amour, lui et moi, déplora Meredith. Pour elle, l’amour, le vrai, était un sentiment avec lequel on ne pouvait pas négocier, auquel on s’abandonnait tout entier, sans réserve, et surtout sans partage. L’amour embrasait les cœurs et les âmes. Il rendait heureux, il aidait à s’épanouir. Il faisait naître la confiance, en l’autre bien sûr, mais aussi en soi-même. Il donnait des ailes et ouvrait l’horizon. Il transcendait chaque seconde de l’existence. Et surtout, l'amour n’était que simplicité. A partir du moment où on aimait quelqu’un, les choses devenaient simples. Lorsqu’elles devenaient compliquées, à partir du moment où on commençait à y réfléchir, où on éprouvait de la peur, c’est que l’amour n’était pas vrai.

    Peut-être, mais ça marchait plutôt pas mal entre vous, pourtant, avant, lui fit remarquer Mark

    Avant que je n’apprenne qu’il n’avait pas cessé de me tromper durant tout le temps qu’on était ensemble ! lâcha-t-elle avec froideur.

    Agacé par cette exagération, Derek souffla bruyamment. La tromper tout le temps ! Trois fois, eut-il envie de hurler. Et encore, dans son esprit, seule la dernière comptait réellement.

    Mark lui fit signe de se calmer. Il a eu peur, Mer. Il n’eut pas le temps d’en dire plus.

    La voix de Meredith s’éleva dans la pièce via le haut-parleur. Oh vous m’énervez tous les deux, à toujours répéter la même chose. Il a eu peur ? Les deux hommes entendirent le bruit de ses ongles qui martelaient une surface, sans doute une table. Peur de quoi, j’aimerais bien le savoir !

    Vous devriez en parler, je crois, lui conseilla Mark, bien décidé à ne pas lâcher le morceau. Il était évident que la diplomatie n’était pas son fort. Plus vite ces deux-là se retrouveraient pour évoquer leurs problèmes, plus vite il pourrait mettre fin à cette mission d’ambassadeur qui lui pesait énormément. Laisse-lui une chance de s’expliquer, Mer.

    Non ! s’écria-t-elle. Sans qu’elle s’en rende compte, elle éleva encore le ton. Je ne veux pas d’explication. Je ne veux plus le voir, je ne veux plus l’entendre. S’il a besoin d’une oreille indulgente, qu’il s’adresse à sa chère Callie. Enervée, elle se mit à pleurer. D’après ce que j’ai pu voir, c’est sa confidente attitrée. Elle saura très bien comment le réconforter. D’ailleurs, il devrait penser à se la faire, elle aussi. Comme ça, sa collection sera complète. Et puis… et puis… qu’il aille se faire foutre ! hurla-t-elle avant de raccrocher brutalement.

    Eh bien voilà ! Enfin, maintenant, on est au moins sûr qu’elle n’est pas au courant pour Callie et toi, conclut Mark, philosophe, en reposant le téléphone sur son socle. Ce qui était certain également, c’est que sa prochaine conversation avec Meredith serait houleuse. Il devrait se montrer plus que persuasif pour la convaincre que soutenir Derek n’était en rien une trahison.

    Figé, celui-ci ne répondit pas directement, totalement sidéré par la réaction de Meredith, tellement violente, autant que le premier jour, quand ils s’étaient disputés dans la cage d’escalier de la clinique. Il avait espéré qu’avec le temps, même s’il ne s’agissait que de quelques jours, elle se serait un peu calmée, mais il n’en était rien, il avait pu le vérifier à l’instant. C’est mort ! ânonna-t-il.

    Ce sera mort quand j’aurai dit que c’est mort, répliqua Mark. Et là, c’est encore un peu tôt pour ça. Il remarqua l’air désabusé de son ami. C’est quand même pas une gamine de vingt-et-un ans qui va nous abattre, merde !

    Parle pas d’elle comme ça, gronda Derek. C’est pas une gamine. C’est une femme merveilleuse et je… je l’aime. Putain ! Comment je vais faire sans elle ? murmura-t-il, totalement désemparé.

    Mark n’était pas habitué à voir son ami baisser les bras aussi facilement. Il le regarda avec une certaine irritation. Ouais ben, attends un peu avant de te lamenter ! Pense positif, bordel ! Et si tu l’aimes, dis-le-lui au lieu de me le dire à moi.

    Mais comment, bon sang ? s’emporta Derek. Elle refuse de me voir, de me parler, tu l’as entendu toi-même. De toute façon, tu m’as interdit d’aller à Santa Rosa. Il se leva et recommença à tourner en rond dans la petite salle. Et ça ne sert à rien que je lui laisse encore des messages parce que son téléphone est tout le temps éteint, je te l’ai déjà dit. D’un coup de pied, il envoya valser un tabouret qui était dans son chemin. Alors comment, Mark ?

    Celui-ci réfléchit quelques secondes. Tu veux lui laisser des messages ? Très bien, vas-y. Laisse-lui autant de messages que tu veux.

    Mais à quoi ça sert si elle ne les écoute pas ? se plaignit Derek.

    L’air féroce, Mark tapa du poing sur la table. Elle les écoutera. Je m’en occupe, foi de Mark Sloan.


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  • Meredith essuya d’un geste rageur les larmes qui inondaient son visage. Cela lui avait pris quatre longues journées pour arriver à une certaine sérénité. C’était vraiment à contrecœur qu’elle avait plié devant l’autorité de Momsy et qu’elle avait accepté de sortir de sa chambre. Au début, cela n’avait pas été facile pour elle de s’impliquer dans la vie de la maison. Elle avait dû faire de gros efforts, même si les personnes qu’elle avait rencontrées étaient dans l’ensemble assez sympathiques. Elle avait surtout apprécié leur discrétion. Aucune question ne lui avait été posée. Une délicatesse imposée sans doute par la maîtresse de maison. Petit à petit, Meredith était sortie de sa réserve. Elle avait commencé à prendre part aux conversations et avait même ri à certaines plaisanteries. Pour soulager Frances, elle l’avait aidée dans quelques menues tâches, comme préparer le dîner ou pendre le linge. Elle avait accompagné Taylor à Santa Rosa pour faire un peu de shopping et en avait profité pour s’acheter quelques vêtements. C’est au cours de ce moment entre filles que Taylor l’avait assaillie de questions sur Mark. De retour à l’Hacienda, Meredith avait regardé "Les Feux de l’Amour" avec Momsy avant de commenter les derniers potins contenus dans les magazines people que lisait Taylor. Finalement, elle s’était prise au jeu et avait fini par croire qu’elle allait bien, que, tout compte fait, sa rupture avec Derek ne l’avait pas atteinte autant qu’elle l’avait cru. Elle en était même arrivée à faire des projets comme de passer le permis ou de réviser pour le SAT. Dix minutes de conversation avec Mark venaient de réduire tout cela à néant. La jeune fille réalisait que rien n’était réglé. Même si elle en voulait toujours énormément à Derek et qu’elle n’était absolument pas prête à lui pardonner, il lui manquait affreusement. Elle souffrait toujours autant de sa trahison. En définitive, elle n’avait réussi qu’à donner le change. Fait chier ! éructa-t-elle en visant autant Derek que Mark. Son humeur était si belle avant ce maudit coup de téléphone. Pourtant, elle n’en voulait pas vraiment à Mark. Il était l’ami de Derek depuis toujours. Les liens qui les unissaient étaient profonds, elle en était consciente. C’était normal qu’il tente de plaider sa cause. En revanche, les états d’âme de son ancien amant l’agaçaient au plus haut point. Elle avait eu droit à ses doutes, à ses peurs, et maintenant à ses regrets. J’vais t’en foutre des regrets, moi ! grogna-t-elle. Tu crois que je n’ai pas douté, moi, peut-être ? Que je n’ai pas eu peur ? Je ne me suis pas jetée sur le premier venu pour autant. Enfoncée dans son fauteuil, la lippe boudeuse, elle continua de faire la leçon à l’absent. J’aurais dû, tiens ! Ça t’aurait fait les pieds, Monsieur le séducteur ! Don Juan de pacotille ! Enervée, elle eut tout à coup l’impression d’étouffer et éprouva un besoin pressant de se retrouver à l’air frais. Elle sortit rapidement de la maison, avec Murphy qui trottinait derrière elle. Elle s’arrêta un instant sur la terrasse, regardant autour d’elle pour décider de la direction dans laquelle elle allait partir, avant de dévaler les quelques marches et de marcher avec détermination vers l’écurie. Les chevaux ! Eux seuls pourraient l’apaiser. Peut-être qu’en leur présence, elle cesserait de penser à ce que Mark lui avait dit, et qui l’avait atteinte plus qu’elle ne l’aurait imaginé : rongé par le remords, hanté par la peur de l’avoir perdue à jamais, Derek avait perdu toute envie, même celle d’opérer. Bien fait pour toi ! ronchonna-t-elle, les dents serrées.

    Il régnait une douce chaleur dans l’écurie, qui embaumait le foin et le crottin. Quand Meredith y pénétra, les chevaux hennirent doucement, hochant leur tête de haut en bas, comme s’ils voulaient lui souhaiter la bienvenue. La jeune fille avança doucement dans l’allée, saluant chaque pensionnaire par le nom qui était indiqué sur la plaque, au-dessus de sa stalle. Bonjour Abakan. Salut Bluebelle. Hello Mercury. Ça va, Shutterfly ? Elle continua d’avancer jusqu’à arriver au fond, devant la dernière stalle dans laquelle, tête droite, immobile, Spitfire, le cheval que Taylor lui avait désigné par la fenêtre, le lendemain de son arrivée, la regardait approcher. C’était un pur-sang arabe d’environ cinq ans, avec une robe d’un bai fort soutenu, tellement que, parfois, sous une certaine lumière, elle paraissait noire. Une grande tache blanche s’étalait sur sa tête, naissant entre les yeux pour mourir juste au-dessus des naseaux. Taylor n’avait pas exagéré, il était vraiment splendide. Meredith s’arrêta devant lui et ils se regardèrent, comme deux personnes qui se jaugent. Bonjour, Spitfire. Moi, c’est Meredith. Elle tendit doucement le bras pour caresser sa tête, mais l’animal se déroba aussitôt, les naseaux retroussés. Oh je vois, murmura-t-elle en retirant son bras. Tu ne m’aimes pas beaucoup, toi.

    Ce n’est pas qu’il ne t’aime pas, dit une voix masculine qui fit sursauter la jeune fille. Mais il ne te connait pas. Alors, il se méfie.

    Meredith se retourna et découvrit un métis qui était adossé nonchalamment contre un mur. Un petit sourire sur les lèvres, il la fixait de ses magnifiques yeux verts que la pénombre qui régnait dans l’écurie faisait ressortir. Vu son âge – il devait approcher de la trentaine – Meredith sut avec une quasi-certitude qu’il s’agissait de Jackson, ce garçon dont lui avait parlé Taylor. Bonjour, dit-elle en avançant vers lui, la main tendue. Je m’appelle Meredith.

    Je sais, répondit-il en avançant à son tour. Je t’ai entendue quand tu te présentais à Spitfire. Et puis, Taylor m’a parlé de toi. Il lui serra franchement la main. Jackson, Jackson Avery.

    Je suis au courant. On a la même source d’information. Ils se sourirent, pressentant tous les deux, d’emblée, qu’ils allaient bien s’entendre.

    Jackson s’approcha de Spitfire qui avançait la tête vers lui, en montrant ses dents. Tout doux, Spit. C’est une amie. Elle ne te veut aucun mal. Il caressa la tête de l’animal. C’est un grand timide, expliqua-t-il à la jeune fille. Surtout avec les filles. Il n’a pas l’habitude. Meredith rit doucement. Donc, tu aimes les chevaux, déduisit Jackson.

    Je les adore, depuis que je suis toute petite. Mon oncle a quelques chevaux, lui révéla Meredith. Ma préférée, c’est une jument, elle s’appelle Arabesque. Oh bien sûr, elle ne lui ressemble pas, ajouta-t-elle en regardant Spitfire. Déjà, ce n’est pas un pur-sang et en plus, elle est vieille maintenant mais c’est un bon cheval et je l’aime. Elle s’interrompit soudain. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait plus pensé à Arabesque. Au tout début de son séjour à San Francisco, elle téléphonait régulièrement à sa mère et elle en profitait pour demander des nouvelles de la jument, mais très vite, Derek était entré dans sa vie et, petit à petit, le cheval avait disparu des conversations qui s’étaient raréfiées elles aussi, d’ailleurs. Sa mère, sa famille, Arabesque, tout son petit monde de Crestwood, elle les avait relégués à l’arrière-plan. Le réaliser la navra. Voilà ce qu’elle était devenue pour l’amour de Derek : une fille insensible et ingrate.


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  • Elle te manque, constata Jackson en apercevant des larmes dans les yeux de Meredith.

    Oui, beaucoup, avoua-t-elle d’une toute petite voix.

    Jackson avait apprécié la jeune fille au premier regard. Son attitude avec les chevaux, sa poignée de main franche, sa simplicité, tout plaidait en sa faveur. Mais l’émotion qu’elle manifesta en parlant de sa jument acheva de le conquérir. Tu sais, San Francisco, ce n’est pas si loin. Si elle te manque tant que ça, je peux t’y conduire un jour.

    Meredith essuya furtivement ses yeux humides. Oh elle n’est pas à San Francisco. Elle est chez moi, dans le Kentucky.

    Woaw ! Le Kentucky ! Jackson se gratta le menton. Oui, évidemment, ce n’est pas la porte à côté. Tu sais, si tu veux monter, tu peux choisir un des chevaux ici. Ça ne remplacera pas Arabesque mais ce sera toujours mieux que rien.

    Merci. Normalement, je dois aller faire une promenade cet après-midi, avec Taylor. Meredith regarda autour d’elle. Tu me recommandes lequel ?

    Hmm… En général, Taylor se réserve Abakan. Alors pour toi… Jackson réfléchit quelques secondes. Bluebelle est chouette. Elle est nerveuse juste ce qu’il faut, pas exaltée. Elle devrait te plaire. Meredith avança vers la stalle où se trouvait la jument que venait de lui désigner Jackson. Pendant qu’elle lui parlait doucement pour faire sa connaissance, le jeune homme entra dans le box de Spitfire, une étrille à la main. Allez, mon garçon, il est temps pour toi de faire ta toilette.

    Tu veux un coup de main ? lui demanda Meredith en revenant vers lui. Il lui désigna une seconde brosse. A son tour, elle entra dans la stalle et commença à brosser l’autre flanc de l’animal qui, rassuré par la présence de son maitre, ne bougea pas.

    L’air de rien, Jackson surveilla la jeune fille. Sa bonne impression se confirma très rapidement. Meredith avait la main sûre, elle savait ce qu’elle faisait. Il apprécia tout particulièrement la délicatesse avec laquelle elle passa la brosse sur la peau, plus fragile, du ventre. Donc, tu connais bien Mark Sloan ? l'interrogea-t-il soudain.

    Oui. On est amis, répondit-elle simplement.

    Jackson l’observa par-dessus l'animal. Amis amis ou bien amis et plus si affinités ? Juste par curiosité. Pour voir si Taylor a raison, ajouta-t-il avec malice.

    Meredith souffla avec force. Elle est terrible tout de même. Je lui ai déjà dit des centaines de fois qu’il n’était qu’un ami. Est-ce qu’elle sait ce que ça veut dire ? fulmina-t-elle.

    Jackson fit une petite grimace. Taylor ne croit pas en l’amitié entre fille et garçon. A moins que le garçon ne soit gay – il marqua encore un temps d’arrêt – comme moi. Il guetta la réaction de Meredith qui ne vint pas. J’te dis ça, comme ça tu sais que tu n’as rien à craindre de ma part.

    Elle sourit. OK. De toute façon, je le savais déjà… par Taylor

    Jackson prit un ton ironique. Oui, on peut compter sur elle pour ce genre de choses. Impossible de garder certaines choses privées lorsque Taylor était au courant. Parfois, cela pouvait s’avérer gênant même si assumer son homosexualité n’était plus un problème pour lui depuis bien longtemps. Ce n’est pas une méchante fille mais elle est immature. Du moins pour certaines choses. En revanche, pour d’autres… Il ne continua pas mais son expression était éloquente.

    Oui, j’ai cru comprendre, répondit Meredith avec espièglerie. L’après-midi passé en compagnie de Taylor lui avait permis de réaliser que l’adolescente était bien mieux informée qu’elle pour tout ce qui concernait le sexe. C’était à plusieurs reprises que Meredith s’était sentie rougir alors que Taylor lui relatait ses expériences, en toute innocence d’ailleurs. Pour elle, tout cela paraissait tellement naturel que, parfois, Meredith s’était surprise à l’envier.

    Et si ce n’est pas Mark, qui est-ce ? questionna Jackson en se penchant pour vérifier les sabots de Spitfire.

    Comment ça ?

    Le petit ami que tu es venu oublier ici, qui est-ce ? Il se releva pour aller prendre un cure-pied et revint se placer contre le cheval, pour glisser sa main le long de son membre postérieur et le soulever. Donne le pied, ordonna-t-il à Spitfire. Il commença à nettoyer son sabot. Tu n’es pas obligée de me répondre si tu ne veux pas, tu sais, mentionna-t-il à l’intention de Meredith qui, les sourcils froncés, s’était arrêtée de brosser le crin.

    Ah ben, y a pas que Taylor qui est trop bavarde, ronchonna-t-elle. Momsy aussi, à ce que je vois.

    Jackson secoua la tête en souriant. Oh non, Momsy est une vraie tombe pour ces choses-là. Elle n’a rien dit. Non, je l’ai deviné. Il n’y a pas si longtemps, j’étais dans la même situation que toi.

    Meredith se souvint alors de ce que Taylor lui avait dit. Jackson avait eu une relation avec un homme qui lui avait caché qu’il était marié. Elle n’aurait pas pu dire pourquoi mais elle avait confiance en ce garçon. Elle sentait qu’il ne la jugerait pas et surtout qu’il garderait pour lui ce qu’elle lui dirait. Hmm… moi aussi, je sortais avec un homme infidèle. Par-dessus le cheval, ils échangèrent un regard avant de se sourire, complices. C’était étrange, ce sentiment réciproque de se comprendre d’emblée, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Il n’était pas marié, mais il me trompait avec des filles rencontrées dans des bars, précisa Meredith, amère. Alors… alors, j’ai mis fin à la plaisanterie.


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  • T’as envie d’en parler ? demanda Jackson.

    Meredith haussa négligemment les épaules. Oh tu sais, y a pas grand-chose à dire. Chirurgien, très bel homme, très généreux, tendre, attentionné, passionné – à cette évocation de Derek, elle sentit l’émotion remonter en elle et se raidit pour ne pas la laisser reprendre le dessus – mais, malheureusement, pathologiquement menteur et infidèle.

    Jackson la dévisagea avec un air intrigué. Chirurgien ? Comme Mark ?

    Meredith acquiesça. Oui. Ils se connaissent très bien. Ils sont amis.

    Jackson fronça les sourcils, un petit sourire amusé sur les lèvres. Oh ! Je ne connais qu’un seul ami à Mark Sloan. C’est Derek Shepherd.

    Ben voilà, c’est lui, confirma la jeune fille, avec une grimace, comme si elle voulait s’excuser. Tu le connais bien ?

    Bien, c’est beaucoup dire, dit Jackson. Je le connais, c’est tout. Il venait de temps en temps passer le week-end ici avec Mark, quand ils étaient à la fac. On ne trainait pas trop ensemble, ils étaient plus âgés que moi. Il garda pour lui le fait que Derek avait été à l’origine de ses premiers émois amoureux. Jackson avait alors quatorze ans et il était fréquemment l’objet des brimades de la part des gamins du quartier, parce qu’il n’était pas blanc, qu’on ne lui connaissait pas de petite amie, qu’il était fan de Madonna et de George Michael, qu’il n’aimait ni le football ni l’athlétisme, qu’il préférait passer du temps avec les chevaux plutôt que d’aller draguer les filles dans les surprises-parties organisées par ses camarades de classe, parce qu’il était différent tout simplement. On ricanait sur son passage, on lui lançait toutes les insultes racistes en usage – "sale négro" étant la plus courante – quand ce n’était pas les épithètes habituellement réservées aux homosexuels. Mais un jour, Derek Shepherd avait été témoin d’une de ces scènes et il était entré dans une rage folle, prenant au collet le meneur des lycéens homophobes et racistes et menaçant le groupe des pires représailles s’il leur prenait l’envie de recommencer. Après cela, on ne s’était plus jamais moqué de Jackson, du moins quand Shepherd et Sloan étaient dans les parages. Cela avait suffi pour que l’adolescent, avec toute la naïveté de sa jeunesse, prenne ce beau geste pour une marque d’intérêt amoureux. Il s’était embrasé pour Derek, alors superbe jeune homme de vingt-deux ans. Quelques jours après l’incident, il avait pris son courage à deux mains et, ne doutant de rien, avait fougueusement avoué ses sentiments à l'objet de sa flamme. Derek avait été surpris et amusé mais il l’avait écouté jusqu’au bout, avec attention et respect, avant de lui répondre avec beaucoup de tact, qu’il était flatté mais qu’il n’en était pas de même pour lui. Il avait une petite amie et il en était amoureux. De plus, il était 100% hétéro et il n’y avait aucune chance que cela change. Mortifié, Jackson était parti en courant. Derek avait été son premier chagrin d’amour. Par après, ni l’un ni l’autre n’avaient plus jamais fait allusion à cet épisode, comme s’il ne s’était jamais produit. Quelques six mois plus tard, avait lieu le drame dont tout le monde avait parlé ici. Derek n’était plus jamais revenu à Santa Rosa.

    Meredith, qui avait fini de brosser le flanc de Spitfire, déposa son étrille et vint se mettre face à l’animal pour prendre sa tête entre ses mains. Cette fois, il se laissa faire sans problèmes. Tu es vraiment très beau. Tu le sais, n’est-ce pas ? Elle déposa un baiser sur sa tête, au-dessus de ses naseaux. Puis elle s’écarta et alla s’adosser au mur du fond de la stalle. Comment on fait ? demanda-t-elle à Jackson. Il lui jeta un bref regard interrogateur. Pour oublier. Comment on s’en sort ?

    Il cessa de s’occuper de cheval et recula pour s’appuyer au mur contigu à celui où elle se trouvait. Je ne sais pas, répondit-il après quelques minutes de réflexion. Il n’y a pas de recette miracle, je crois. Il faut juste attendre que ça passe.

    Et si ça ne passe pas ? murmura Meredith d’un ton las. Si ça ne passe jamais ? Même dans six mois, ou un an ou cinq ?

    Alors, c’est que ça ne doit pas passer.

    Elle ouvrit de grands yeux, effarée à l’idée d’être désormais vouée à la solitude éternelle. Et je fais quoi ? Je pleure jusqu’à la fin de mes jours ?

    Non, ça ne servirait à rien, de toute façon, fit remarquer Jackson avec ce petit sourire malicieux qui lui était coutumier. Il revint vers Spitfire pour commencer à démêler sa crinière. Ecoute, si tu continues de penser à Derek, ça veut peut-être dire qu’il est fait pour toi. Alors, tu devrais peut-être voir avec lui.

    Il m’a trompée, lui rappela Meredith, abattue. Comment pourrais-je encore lui faire confiance ?

    Pourquoi il t'a trompée ? Tu le sais au moins ?

    Il a eu peur, ironisa-t-elle. Elle avait beau réfléchir, retourner le problème dans tous les sens, elle ne parvenait pas à comprendre ce qui, dans leur relation, avait épouvanté Derek au point qu’il ait dû trouver refuge dans les bras de parfaites inconnues.

    Peur ? Dans les souvenirs de Jackson, Derek était un garçon nerveux, intrépide, prêt à tenter toutes les expériences, une tête brûlée en quelque sorte. Pas le genre à avoir peur d’une jeune fille de vingt ans. 

    Paraît… D’après ce que j’ai compris, il a paniqué à cause de notre relation, parce que ça devenait sérieux, je suppose. Meredith se rapprocha du pur-sang pour lui caresser la tête. Tu vois, le pire, c’est que je ne me suis rendu compte de rien. Pendant tout le temps qu’on a été ensemble, il n’a pas arrêté de me tromper mais, en même temps, il me disait qu’il était bien avec moi, que notre relation était différente. Elle appuya délicatement son front contre le museau du cheval. Jamais je n’ai eu l’impression qu’il avait peur ou quelque chose comme ça. Il avait l’air heureux. Sa voix se cassa subitement. Il m’a menti tout le temps et maintenant, je ne sais plus qui est l’homme que j’ai aimé.

    Demande-le-lui. Demande-lui qui il est vraiment, répéta Jackson pour répondre au regard interrogateur de la jeune fille. Peut-être qu’il n’est pas si différent de l’idée que tu t’en étais fait.


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