• Depuis qu’elle était arrivée au Sweet Dream ce matin-là, Meredith était comme dans un état second. Elle ne voyait rien, elle n’entendait rien, ni les mines renfrognées de ses collègues de travail, ni leurs commentaires désobligeants. Elle planait littéralement. Elle n’avait jamais expérimenté la moindre drogue mais elle était sûre que même plusieurs doses de l’héroïne la plus pure n’auraient pu la rendre plus euphorique. Elle dressait les tables en fredonnant, passant de l’une à l’autre en dansant légèrement, tournoyant parfois dans un petit éclat de rire, sans se soucier aucunement des regards interloqués de ses camarades. Elle avait trouvé l’homme de ses rêves, elle l’aimait et en était aimée. Rien d’autre ne comptait.

    Depuis que Derek l’avait déposée à la boutique, elle se repassait en boucle les images des évènements de la veille, depuis le moment où elle l’avait aperçu au Gravity jusqu’à ce matin. Mon Dieu qu’elle avait été bête de douter de lui ! Tout n’avait été qu’enchantement, même les non-dits. Elle commençait à bien connaître son amoureux, à le comprendre, et elle savait que ses silences étaient tout aussi révélateurs que ses mots. Et hier soir, l’éclat de ses yeux quand il l’avait vue, son ironie mordante envers Hugh, l’invitation laconique à le rejoindre, son sourire quand il l’avait aperçue à la sortie du pub, la chanson qu’il avait hurlée à tue-tête, tout, absolument tout, signifiait qu’il l’aimait. Jamais sans doute, il ne le lui dirait franchement. Elle devinait qu’il n’était pas homme à faire des déclarations enflammées. Mais après tout, cela importait peu tant que la passion transpirait de chacun de ses actes.

    Et le sexe ! Oh oui le sexe ! Meredith se sentit rougir. Si on lui avait dit, quelques mois plus tôt, qu’elle se livrerait un jour, sans retenue, mais surtout avec autant de plaisir, aux jeux de l’amour, elle n’en aurait rien cru, pas plus qu’elle n’aurait cru que cela prendrait autant d’importance dans sa vie. Réfugiée dans l’arrière-boutique, heureusement déserte, elle s’assit sur un tabouret et ferma les yeux. Aussitôt, les images l’assaillirent. Derek nu sous la douche, leurs baisers, leurs caresses, leurs soupirs, leur jouissance… Cette remémoration fit frissonner la jeune fille. Comme si la scène était en train de se dérouler sous ses yeux, elle se revit lécher et sucer la verge de son amant. Le souvenir fut si vivace qu’elle eut l’impression d’avoir le membre gonflé dans sa bouche, de le sentir palpiter contre son palais. Elle gémit et ses jambes se mirent à trembler sous l’effet de l’excitation. Elle rouvrit les yeux et se leva, tentant de se concentrer sur son travail pour oublier ce qui l’avait mise dans un tel état. Mais le désir était là, et bien là, et Meredith ne parvenait plus à penser à autre chose qu’au plaisir que Derek lui donnait. C’était merveilleux et horrible à la fois. Elle sut qu’elle ne pourrait pas attendre la fin de la journée. Il fallait qu’elle le voie. Maintenant ! Bien sûr, il était sûrement fort occupé et il n’aurait pas de temps à lui consacrer. Mais l’apercevoir, ne fût-ce qu’une seconde, au détour d’un couloir, lui parler, seulement quelques mots, le serrer dans ses bras et, si la chance était avec elle, échanger un furtif baiser, elle ne demandait rien de plus.

    Elle se releva d'un bond et, sans même prendre le temps d’enfiler sa veste, revint dans la salle principale pour passer derrière le comptoir, saisir un sachet et y jeter quelques muffins. Une livraison pour la clinique, dit-elle pour répondre à l’interrogation muette qu’elle lisait dans les yeux de Cristina. Elle sut que celle-ci ne la croyait pas mais cela lui était complètement égal. Rien n’aurait pu l’empêcher de courir jusqu’à la clinique. Ce qu’elle fit à toutes jambes, pressée de retrouver cet homme qui lui faisait perdre toute commune mesure. Elle arriva, essoufflée, dans le grand hall de l’établissement hospitalier et se dirigea immédiatement vers la cage d’escalier, trop impatiente pour attendre l’ascenseur. Elle grimpa à toute vitesse les marches qui la conduisirent au troisième étage, où se trouvait le bureau de Derek. Normalement, elle n’était pas autorisée à pénétrer dans cette partie du bâtiment, réservée uniquement au personnel. Mais elle comptait sur sa chance pour ne pas faire de rencontres inopportunes. Et puis, qui oserait s’en prendre à la petite amie du peu commode Dr Shepherd ?

    Comme elle s’y attendait un peu, elle ne le trouva pas dans son bureau. Sans trop savoir pourquoi, elle y pénétra néanmoins, allant s’installer dans le grand fauteuil de cuir noir qui trônait derrière l’imposante table tout en verre et métal. Elle se cala bien au fond et fit tourner le siège plusieurs fois sur lui-même, en fermant les yeux. N’aurait été ce besoin impérieux de voir son amant, elle serait bien restée là jusqu’à la fin de la journée. Elle rouvrit les yeux et se leva, souriant à l’idée de la surprise que Derek aurait en la voyant. Elle allait avancer quand elle remarqua un bout de papier qui était tombé au pied du bureau. Elle le ramassa et le déplia machinalement, sans vraiment y prêter attention. Il y avait une note manuscrite au dos mais Meredith ne s’y arrêta pas. Elle retourna le papier, déjà prête à le jeter, lorsqu’elle remarqua qu’il portait un en-tête au nom d’un hôtel. Le Sir Francis Drake. Si elle ne se trompait pas, il s’agissait d’un palace situé au centre-ville. Cette fois, elle examina le papier plus attentivement, réalisant qu’en fait c’était une note de bar. Elle fronça les sourcils en découvrant la nature des consommations, whisky et champagne. Soudain alertée, elle regarda plus attentivement le verso et constata que la note manuscrite était en fait un prénom féminin, Madelina, suivi d’un numéro de téléphone. Le cœur de Meredith se mit à battre plus vite. Les mains tremblantes, elle tourna une fois encore le papier pour voir quand la note avait été établie. 21h30, quelques jours plus tôt. Juste avant Miami. Elle fit immédiatement la relation avec la mauvaise humeur de Derek et son silence prolongé. La tête lui tourna et elle dut s’appuyer un instant au bureau pour ne pas tomber.

    Le papier serré au creux de sa paume, elle sortit de la pièce comme une folle, sans savoir ce qu’elle voulait faire, ce qu’elle devait faire. Tout juste si elle savait encore où elle se trouvait. Elle se mit à courir, se heurtant aux murs, bousculant des personnes qu’elle ne voyait même pas, à cause des larmes qui noyaient ses yeux. Ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai. Je me fais des idées, il ne peut pas avoir fait ça, tenta-t-elle de se raisonner. Elle s’arrêta net au milieu d’un couloir, regardant autour d’elle, totalement égarée. Après quelques secondes, elle sut ce qu’elle devait faire. Elle devait trouver Derek et lui parler de cette note. Il lui expliquerait, il la rassurerait, il se moquerait d’elle et ils finiraient par en rire tous les deux.


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  • Meredith reprit plus calmement sa marche à travers l’hôpital, ne sachant pas très bien où trouver Derek, priant pour qu’il ne soit pas au bloc. Elle ne supporterait pas de devoir attendre pour qu’il lui dise qu'elle s'était fait de fausses idées. Oh sans doute la gronderait-il un peu, parce qu’elle avait douté de lui, mais elle était prête à lui présenter des excuses, à se jeter à ses genoux même s’il le fallait, pourvu qu’il lui dise que cette Madelina n’était rien, juste une vague relation professionnelle, une patiente, ou pourquoi pas une cousine venue lui rendre visite, n’importe quoi, mais surtout pas ce qu’elle avait imaginé. Elle le trouva par hasard, en passant devant une salle dont la porte était restée ouverte. Il était assis aux côtés de Callie, dans un canapé qui tournait le dos à l’entrée. Ils ne pouvaient donc pas la voir. Elle allait leur signaler sa présence lorsqu’elle entendit des mots qui la firent se figer. Je suis allé dans un bar et je me suis tapé une inconnue, comme avant, tu vois. Je l’ai repérée, je l’ai draguée. J’ai couché avec elle et j’y ai même pris du plaisir.

    Meredith eut l’impression que son corps se vidait de tout son sang. Elle était là, sans force, ne pouvant rien faire d’autre que d’assister à la scène. Le souffle coupé, elle vit, comme dans un brouillard, Callie se lever et aller jusqu’à la machine à café. Tu l’as dit à Meredith ? l’entendit-elle demander.

    La réponse de Derek finit de l’achever. Non, grands dieux non ! C’est pas ça le problème, de toute façon. J’ai fait ça pour me sentir mieux et… Il n’en dit pas plus. Pendant qu’il parlait, Callie s’était retournée et avait découvert Meredith. Son air horrifié avait alerté Derek qui s’était retourné à son tour. Il comprit que sa petite amie avait surpris leur conversation, du moins la fin, le pire. A le voir perdre toutes ses couleurs en une fois, la jeune fille sut que ses soupçons, qu’elle pensait absurdes la minute d’avant, étaient justifiés. Une douleur incommensurable, plus forte que toutes celles qu’elle avait éprouvées jusqu’alors, la traversa, la faisant se plier en deux, comme si on venait de lui donner un violent coup de poing dans l’estomac. Meredith, commença Derek. Elle se redressa d’un coup et l’arrêta d’un geste de la main. Elle ne voulait pas l’écouter. De toute façon, qu’aurait-il pu dire qui efface ce qu’elle venait d’entendre ? Les mots résonnaient sans fin dans sa tête. J’ai couché avec elle et j’y ai même pris du plaisir. J’ai fait ça pour me sentir mieux. Elle sentit la colère monter en elle, comme un raz-de-marée, enfouissant sa douleur bien loin au fond d’elle. Elle jeta à Derek un regard haineux qui le cloua sur place, et ensuite elle fit demi-tour et repartit en courant. Elle ne pouvait pas rester près de lui. Elle ne supportait pas de le voir pâle, défait, perdu, le regard affolé, comme si c’était lui qui souffrait. Elle ne lui reconnaissait pas ce droit. Elle seule pouvait avoir mal, c’était elle qui avait été trompée, bafouée, humiliée. Son monde venait de s’écrouler, par sa faute à lui.

    Dans la salle, Derek restait le regard fixé sur la porte par laquelle Meredith venait de disparaître, incapable de bouger d’un pouce, comme frappé par la foudre. Il fallut que Callie se mette à crier pour qu’il sorte de sa torpeur. Mais vas-y ! Qu’est-ce que tu attends ? Il faut que tu lui parles. Dépêche-toi, bon sang.

    Il se rua hors de la pièce. Evidemment, Meredith avait déjà disparu. L’accès aux ascenseurs était bloqué par un groupe d’infirmières qui plaisantaient bruyamment. Derek devina que Meredith n’était pas passée par là. Il s’engouffra dans la cage d’escalier. Son instinct ne l’avait pas trompé. Il entendit le bruit de ses pas qui couraient. Meredith, cria-t-il en se lançant à sa poursuite. Attends. Elle répondit quelque chose qu’il ne comprit pas. Meredith, s’époumona-t-il, descendant les marches quatre à quatre. Il la rattrapa enfin sur le palier du premier étage et la saisit par le bras pour l’obliger à s’arrêter. Mer…

    Lâche-moi ! hurla-t-elle en se dégageant violemment. Ne me touche pas ! Tu me dégoûtes.

    Derek la libéra et recula d’un pas, les mains levées en signe d’apaisement, prenant soin toutefois de se mettre devant l’escalier pour l’empêcher de continuer sa descente. Meredith, laisse-moi t’expliquer, je t’en prie, la supplia-t-il, conscient que son destin était en train de se jouer.

    Expliquer ? Il n’y a rien à expliquer, espèce de sale type, vociféra-t-elle. Tout est déjà très clair. Elle ouvrit sa main qui était restée serrée jusqu’à présent et la lui tendit. Je suppose que ça te dit quelque chose.

    Il prit la note du bar et devint blanc comme un linge en découvrant ce dont il s’agissait. Il avait complètement oublié que Madelina lui avait laissé ses coordonnées et il se maudit de ne pas s’en être débarrassé directement. Où est-ce que tu as trouvé ça ? demanda-t-il d’une voix d’outre-tombe.

    Au pied de ton bureau. Pas de chance ! lança Meredith, folle de rage. Je voulais te faire une surprise. Eh bien, on dirait que la surprise a été pour moi. Laisse-moi passer, ordonna-t-elle sèchement, en essayant de se faufiler entre lui et le mur. Il fallait qu’elle s’en aille, qu’elle lui échappe. Elle ne supportait plus d’être là. Elle n’arrivait même plus à le regarder en face.

    Il se déporta pour lui barrer le passage. Laisse-moi une chance, l’implora-t-il.

    Mais je n’ai fait que ça depuis le début, s’écria Meredith, exaspérée. A chaque fois que tu as pété les plombs, quand tu m’as plantée après notre première fois, ou à Aspen ou la semaine passée. Ses larmes se mirent à couler pendant qu’elle se remémorait la façon dont il l’avait traitée quelques jours plus tôt. Elle en connaissait la raison maintenant. Elle se recula précipitamment lorsqu’il voulut la prendre dans ses bras. Je t’ai tout donné, Derek. Il ouvrit la bouche mais elle ne le laissa pas parler. Je croyais… je croyais que tu étais comblé, bredouilla-t-elle. Mais je me trompais manifestement, sinon tu ne serais pas allé voir ailleurs, conclut-elle, à nouveau mordante.

    Non, non, protesta vigoureusement Derek. La voir dans cet état, par sa faute, sans rien pouvoir faire, c’était vraiment trop horrible. Il avait envie de la serrer contre lui mais il sentait que s’il faisait le moindre geste vers elle, il aggraverait encore les choses. Ça n’a rien à voir avec ça.

    Avec quoi alors ? Meredith regretta aussitôt d’avoir posé cette question. Aucune justification ne lui permettrait de pardonner la trahison dont elle était la victime.


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  • La porte du palier s’ouvrit sur une infirmière qui s’arrêta net en découvrant le couple. Un seul regard et elle sut qu’elle venait d’interrompre une dispute. Oops ! On dirait que je dérange, dit-elle avec un regard légèrement moqueur à l’adresse du chirurgien.

    Dégage, aboya Derek. L'infirmière referma la porte avec un grand sourire.

    Une de tes conquêtes, sans doute, ironisa Meredith. Elle avait toujours su que cet endroit était truffé de femmes avec lesquelles Derek avait couché. Il ne s’en était jamais caché par ailleurs. Mais en cet instant, elle ne pouvait plus le supporter, comme si elle ouvrait enfin les yeux sur la personne qu’il était vraiment : un infâme salaud usant des femmes pour son bon plaisir et les jetant après usage.

    Oui. Non. Enfin, c’était avant toi, se justifia-t-il, se reprochant immédiatement de ne pas avoir nié. Sa situation était suffisamment grave sans en rajouter. Il savait qu’au plus petit mot mal interprété, à la moindre maladresse, son cas serait réglé.

    Oh avant ou pendant, tu ne fais pas trop la différence, de toute évidence, se moqua douloureusement Meredith. Laisse-moi passer.

    Meredith, je t’en supplie. Ecoute-moi. Derek se pencha pour essayer de planter son regard dans celui de la jeune fille. Cela lui fit mal de la voir tourner la tête. Je t’aime, avoua-t-il en désespoir de cause.

    Meredith avait tellement attendu qu’il le lui dise et maintenant qu’il l’avait fait, ça n’avait plus aucune espèce d’importance. Tais-toi, gronda-t-elle. L’amour ? Tu ne sais pas ce que c’est.

    Derek avança la main pour lui prendre la sienne mais s’en abstint devant le regard furibond qu’elle lui lança. Tu as raison, je ne sais pas. Ou plutôt, je ne savais pas avant toi, précisa-t-il avec fougue. Et ça m’a pris du temps pour l’accepter…

    Meredith lui coupa vivement la parole. Oui, c’est vrai que c’est pénible, au point que tu doives te taper une inconnue pour te sentir mieux. Elle sentit la rage l’envahir à nouveau. Eh bien, rassure-toi, ça va être beaucoup plus facile pour toi maintenant. Nous deux, c’est fini. Elle le poussa avec force sur le côté pour reprendre sa descente.

    Il sauta trois marches et revint se planter devant elle pour l’empêcher de continuer. Non, non, ce… ce n’est pas possible, bafouilla-t-il, horrifié par ce qu’elle venait de dire. Tu ne peux pas me quitter justement le jour où je te dis je t’aime pour la première fois. 

    Meredith ricana. On parie ? Ton je t’aime ne veut plus rien dire pour moi, Derek, se remit-elle à crier. Chez moi, quand on aime, on ne trompe pas. L’idée que cet homme qu’elle aimait tant, dont elle était encore si proche quelques heures auparavant, s’était abandonné dans les bras d’une autre lui était intolérable. Des images lui apparurent qu’elle chassa immédiatement. Elle remonta deux marches à reculons, pour mettre plus de distance entre eux. Il ne fallait surtout pas qu’il l’approche, qu’il la touche, qu’il tente quoi que ce soit. J’aurais peut-être pu comprendre si ça s’était passé au début de notre relation mais là… Après la maison du parc, après Aspen, après tout ce qu’on a vécu… Comment as-tu pu me faire ça, Derek ? Elle éclata en sanglots.

    Il était prêt à implorer son pardon quand il entendit des bruits confus venant des autres étages. Il comprit que l’infirmière avait donné l’alerte et que tout le personnel disponible s’était réuni dans la cage d’escaliers pour assister à la scène. Meredith, on devrait parler de tout ça plus tard, ailleurs, suggéra-t-il à mi-voix.

    Elle aussi avait entendu le remue-ménage et savait qu’ils n’étaient plus seuls dans cet espace où tout résonnait. Dans quelques heures, le récit de leur dispute aurait fait le tour de l’établissement, ajoutant un chapitre aux aventures du Dr Shepherd. Elle ne tenait pas à se donner plus en spectacle. Il n’y a plus rien à dire. Pour moi, cette histoire est terminée, annonça-t-elle d’un ton las. 

    Affolé, Derek revint vers elle, en brandissant son pouce en l’air. Une erreur, Meredith, une seule erreur ! Tu ne peux pas tout foutre en l’air juste pour ça, plaida-t-il.

    Elle secoua la tête. C’est toi qui as tout foutu en l’air, pas moi !

    OK, j’ai fait une connerie, reconnut Derek dans un murmure, pour ne pas être entendu des autres. Mais on n’avait jamais fixé de règles. On était dans une relation libre, je te rappelle.

    Les yeux de Meredith s’arrondirent sous l’effet de la surprise. C’est ça que tu appelais une relation libre ? Enervée, elle ne se rendit pas compte qu’elle haussait à nouveau le ton. Qu’est-ce que tu as cru, Derek ? Que je t’avais signé un chèque en blanc pour baiser qui tu voulais quand tu voulais ? Et puis, libre pour qui ? Juste pour toi, parce que moi, j’avais juste le droit d’être à ta disposition. Tu es à moi, le singea-t-elle, sans se soucier aucunement des rires étouffés émis par les témoins indiscrets. Mais toi, tu n’étais pas à moi, fulmina-t-elle.

    Si, bien sûr, chuchota Derek avec des regards inquiets vers les étages supérieurs. Ces filles n’ont absolument pas compté. Il réalisa immédiatement la bombe qu’il venait de lâcher. Mais c’était trop tard. Essayer de se rattraper ne ferait que renforcer son image de menteur.

    Meredith sursauta. Ces filles ? Parce qu’en plus il y en a eu plusieurs ? Alors, tu viens encore de me mentir, il n’y a pas eu qu’une seule erreur. Elle eut un haut-le-cœur. Il faut que je parte. Tu me donnes envie de vomir ! Laisse-moi passer maintenant.

    Derek allait à nouveau plaider sa cause lorsque son bipeur sonna. Il sortit son appareil de sa poche et vit qu’il était attendu de toute urgence en salle d’opération. Vraiment, ça ne pouvait pas plus mal tomber. Laisser Meredith partir maintenant, dans cet état, sans avoir pu obtenir d’elle qu’elle veuille bien écouter ses arguments, c’était comme condamner à mort leur relation. Bébé, gémit-il.

    Elle l’interrompit en criant. Ne m’appelle plus jamais comme ça. D’ailleurs, ne m’appelle plus jamais, exigea-t-elle sur un ton presque menaçant. Pour moi, c’est comme si tu n’avais jamais existé. Derek blêmit et s’adossa, tremblant, contre le mur. Cette fois, il ne tenta plus de la retenir tandis qu’elle dévalait les quelques marches qui la séparaient de la sortie.


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  • Derek avança dans le couloir d’un pas mécanique sans voir les regards moqueurs qui se posaient sur lui, pas plus qu’il ne percevait les rires discrets et les murmures de ceux qui commentaient son infortune. C’était comme s’il était seul… seul avec la voix de Meredith, déformée par la haine, qui lui crachait son dégoût. Il entra dans la pièce attenante à la salle d’opération et, le regard fixé sur un point lointain, se lava les mains. Il eut l’impression que l’eau qui coulait lui répétait tout ce que Meredith lui avait asséné quelques minutes plus tôt. Tu me dégoûtes. Espèce de sale type. Nous deux, c’est fini. Ton je t’aime ne veut plus rien dire. Tu me donnes envie de vomir. C’est comme si tu n’avais jamais existé… jamais existé… jamais existé… jamais existé. Ces mots qui se répétaient à l’infini lui firent tourner la tête. Il tituba.

    Ça va, Docteur ? s’inquiéta une infirmière de bloc qui l’observait depuis un moment. Elle ne l’avait jamais vu ainsi, il semblait être complètement ailleurs et certainement pas en état de pratiquer une intervention délicate. Il ne lui répondit pas et pénétra dans la salle d’opération. Il enfila les gants qu’une infirmière lui tendait, tandis qu’une autre nouait les liens de son masque. D’un pas hésitant, il alla jusqu’à la table où se trouvait le patient. Machinalement, il jeta un rapide coup d’œil en sa direction mais il ne vit qu’une forme floue, comme si cette personne n’était pas réelle. Il resta immobile jusqu’à ce que l’infirmière le rappelle à l’ordre. Docteur Shepherd…. Il se présenta devant le microscope et prit l’instrument que son assistante lui tendait, mais sa main resta suspendue en l’air. Ce n’était pas les circonvolutions du cerveau de cet homme qu’il voyait à travers les lentilles mais le visage inondé de larmes de celle dont il avait brisé le cœur. A nouveau, il vacilla. Sa main laissa échapper le bistouri qu’elle tenait. Il comprit qu’il ne pourrait pas opérer. Il ne savait même pas qui était le patient et pourquoi il était là, ou plutôt il l’avait oublié. C’était comme s’il n’était pas dans cette salle, mais qu’il était resté dans l’escalier avec Meredith qui lui portait le coup fatal. Cette histoire est terminée. Une douleur intolérable le foudroya, l’empêchant quasiment de respirer. Il avait perdu Meredith.

    Prévenez le Dr Webber que je n’opérerai pas aujourd’hui, annonça-t-il enfin d’une voix blanche, sans vraiment s’adresser à une personne en particulier. Jusqu’à ce jour, il avait toujours accordé la priorité à son métier, quelles qu’aient été les circonstances. Mais depuis quelques minutes, sa priorité venait de changer.

    Un murmure parcourut la salle tandis que des regards stupéfaits s’échangeaient entre les membres de l’équipe. Mais Docteur… Pour quelle raison ? Qu’est-ce que je dois lui dire ? demanda l’infirmière, abasourdie.

    Ce que vous voulez, répondit Derek d’un ton indifférent. Je m’en fous. Il sortit de la salle sans se soucier aucunement des réactions que sa décision avait provoquées. Une fois dehors, il eut l’impression que ses sens se réveillaient et que son cerveau se remettait à fonctionner. Il lui apparut clairement que sa place n’était pas dans cette clinique. Sa place était auprès de Meredith. Il était hors de question qu’il la laisse partir sans se battre. Il allait la retrouver et lui dire combien il l’aimait, à quel point elle lui était devenue indispensable. Il lui raconterait aussi comment et pourquoi il était devenu cet homme dur et insensible qu’elle était la seule à avoir pu attendrir. Et surtout, il lui dirait qu’il ne voulait plus être cet homme-là, qui s’était construit dans le malheur et la haine, mais qu’il voulait rester celui à qui elle avait fait découvrir la tendresse, l’amour, le respect aussi, le bonheur tout simplement.

    Il se mit à courir tout en arrachant son masque et ses gants qu’il laissa tomber par terre. Sa blouse suivit le même chemin. Il était torse nu quand il entra dans les vestiaires. Il ne perdit pas une seconde pour revêtir ses vêtements de ville. Il courait toujours en arrivant dans le parking. Il s’engouffra dans la Porsche et démarra sur les chapeaux de roues pour s’arrêter quelques mètres plus loin dans un crissement de pneus. Il se rua à l’intérieur de la boutique. Meredith ! Meredith ! cria-t-il sans se préoccuper de déranger la quiétude des quelques clients qui finissaient de déjeuner. Meredith, il faut qu’on parle.

    Elle n’est pas là, aboya Cristina de derrière le comptoir.

    Derek fronça les sourcils. Comment ça, elle n’est pas là ? Pas un instant, il n’avait envisagé la possibilité que Meredith ne retourne pas à la boutique après avoir quitté la clinique.

    Izzie sortit de l’arrière-boutique, le regard mauvais. Vous ne pouvez pas lui foutre la paix une bonne fois pour toutes ?

    Mêlez-vous de ce qui vous regarde, répliqua Derek

    Elle n’est pas heureuse avec vous, riposta Izzie, à laquelle la présence toute proche d’Alex donnait de l’aplomb. Elle ne doutait pas que, si Derek se montrait menaçant, son amoureux saurait le remettre à sa place.

    Derek la toisa avec mépris. Vous ne savez rien de ce qui se passe entre nous.

    Tout ce que je sais, c’est ce que je vois et j’ai vu l’état dans lequel elle était revenue de là-bas, fit-elle en faisant un geste vague en direction de la clinique. Elle était ravagée.

    Elle a ramassé ses affaires et elle est partie. Résultat, maintenant, on peut se taper tout le boulot, bougonna Cristina.

    Où est-elle ? interrogea Derek avec fébrilité.

    Je n’en sais rien et, même si je le savais, je ne vous le dirais pas, déclara Cristina, l’air mauvais.

    Quand vous la verrez, dites-lui que…

    Cristina lui coupa la parole avec une moue dédaigneuse. Je ne suis pas votre secrétaire. Alors vos messages, vous les ferez vous-même.


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  • Derek comprit qu’il ne tirerait rien de ces deux garces. Il sortit de la boutique et sauta dans sa voiture, par-dessus la portière. Il mit immédiatement le cap sur Nob Hill. Sans aucun doute, Meredith était allée se réfugier chez elle. Il appuya sur la touche de son téléphone de voiture qui correspondait au numéro de la jeune fille mais, comme il s’y attendait, il tomba directement sur sa messagerie. Il hésita avant de raccrocher. Il connaissait assez son amie pour savoir qu’elle supprimerait directement son message sans même l’écouter. Non, il fallait qu’il la retrouve et qu’il lui parle. Il ne parviendrait pas à ébranler sa détermination par quelques mots d’excuses prononcés au téléphone, il en était pleinement conscient. Le moment était venu de mettre son cœur à nu et de lui dire toute la vérité.

    Après avoir passé une heure dans les embouteillages à pester contre les autres chauffeurs, leur hurlant des insultes et tapant du poing sur le volant, il se retrouva enfin chez Meredith. Il sonna avec insistance à sa porte. Quand elle s’ouvrit, il fut désappointé de découvrir Gloria. Bonjour. Est-ce que Meredith est là ? Je… je dois vraiment la voir. Il faut… il faut qu’elle accepte de m’écouter, bafouilla-t-il sans penser que la dame de compagnie n’était peut-être pas au courant de ce qui s’était passé.

    Mais Meredith n’est pas là, répondit Gloria en s’essuyant les mains sur son tablier. Un horrible sentiment de déception étreignit Derek. Si Meredith n’était ni chez elle, ni à la boutique, où pouvait-elle être ? Il l’imagina en train d’errer dans les rues, refusant de rentrer chez elle parce qu’elle savait que ce serait là qu’il viendrait la chercher. Comment allait-il la retrouver ? San Francisco était une ville immense. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Il sursauta au son de la voix de Gloria. Elle n’est pas à la boutique ?

    Oui, elle y était mais… on s’est disputé et elle est partie. Il soupira. Je ne sais pas où elle est. Elle a éteint son téléphone alors… Ce n’était pas dans ses habitudes de déballer ses problèmes personnels devant des inconnus. Il réalisait d’ailleurs à quel point il devait paraître pathétique. Mais en cet instant, cela lui était égal. Si Gloria savait quoi que ce soit qui lui permette de retrouver Meredith, il était prêt à tout pour qu’elle le lui dise.

    Je suis désolée, je ne sais vraiment pas où elle est, répéta Gloria avec douceur. Ce garçon qu’elle n’avait jamais vu que plein d’assurance lui faisait pitié. Elle aurait aimé pouvoir l’aider.

    Tout à coup, Ellis surgit derrière sa dame de compagnie. Qui est-ce, Gloria ? Encore un de ces représentants de commerce ? 

    Gloria se retourna pour lui adresser un sourire rassurant. Mais non, Ellis. C’est Derek, le petit ami de Meredith.

    Ellis éclata d’un rire strident. Meredith n’a que douze ans. Elle n’a pas encore de petit ami. Elle vint se mettre à côté de Gloria et dévisagea Derek avec méfiance. Qui êtes-vous ? demanda-t-elle d’un ton sec, en repoussant brusquement la main que Gloria avait posée sur son bras, pour la rassurer.

    Je suis un ami de Meredith, Madame, expliqua Derek en affichant un calme qu’il était loin de ressentir. Mais la dernière chose dont il avait besoin en ce moment, c’était que cette femme ne fasse une crise.

    Vous êtes trop vieux pour être son ami, décréta Ellis, logique avec elle-même. A votre âge, on n’est pas l’ami des petites filles.

    Ellis, voyons, commença Gloria.

    Allez-vous-en ! ordonna la tante de Meredith. Je ne vous laisserai pas faire de mal à ma nièce. Tout à coup, elle se mit à hurler en avançant vers lui avec un air menaçant. Vieux dégoûtant ! Espèce de sale pervers ! Allez-vous-en ou j’appelle la police !  

    Gloria se précipita sur elle pour la prendre dans ses bras. Tout va bien, Ellis. Nous connaissons bien Derek. Il est vraiment très gentil. Il est déjà venu plusieurs fois à la maison, vous vous souvenez ?

    La vieille dame se calma instantanément. Elle regarda attentivement Derek et finit par lui sourire. Tu veux bien jouer avec moi ? demanda-t-elle avec une voix de petite fille. Sans attendre la réponse, elle se tourna vers Gloria. J’ai faim. Je veux des pancakes aux myrtilles. Elle repartit à la cuisine en sautillant sur une marelle imaginaire.

    Gloria soupira avant de s’adresser à Derek. Elle n’est pas facile, ces derniers temps. Ses crises sont de plus en plus fréquentes. Ils entendirent la vieille dame crier son prénom. Je suis désolée mais je dois y aller. Je dirai à Meredith que vous êtes venu. Excusez-moi. Sur ces derniers mots, elle referma la porte et fit quelques pas dans la pièce avant de lever la tête.

    Une ombre se détacha et Meredith, blafarde, apparut en haut de l’escalier. Il est vraiment parti ? demanda-t-elle d’une voix tremblante.

    Gloria jeta un coup d’œil discret à travers le rideau de la fenêtre qui se trouvait juste à côté de la porte. Elle vit Derek monter dans sa voiture. Oui. Mais il va revenir, prédit-elle. Et je n’aimerais pas devoir encore lui mentir, ma petite.

    Je sais, murmura Meredith. Elle ne s’attendait pas à ce que Derek vienne la relancer chez elle, pas après ce qu’elle lui avait dit, pas si vite en tout cas. Elle retourna dans sa chambre et, sans perdre un instant, sortit un sac de sa penderie, y jetant tous les vêtements qui lui tombaient sous la main. Gloria avait raison, Derek reviendrait. Si ce n’était pas ici, ce serait à la boutique. Il ne lâcherait pas prise et elle, elle ne se sentait pas la force de revivre la scène de cet après-midi. Elle ne voulait plus le revoir. Il fallait qu’elle s’en aille, le plus vite et le plus loin possible, là où il ne pourrait pas la retrouver.


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