• Momsy devina que Mark en avait lourd sur le cœur et qu’il avait besoin d’en parler. Sans doute n’avait-il pu encore le faire puisque, à part elle, son seul confident avait toujours été Derek. Comment ça ?

    Meredith, quand on l’a connue, c’était vraiment… - Mark réfléchit un instant pour trouver le terme qui convenait – le vilain petit canard. Oui, c’était vraiment ça. Si tu avais vue comment elle était attifée, son allure… Je l’appelais le boudin, ou la mocheté, se remémora-t-il avec un sourire attendri. Elle était tellement empotée. Il eut soudain la vision de son amie tombant de son tabouret, le jour de leur première rencontre. Il lui avait à peine accordé un regard, tout obnubilé qu’il était par Izzie. Moi, c’était sa copine qui m’intéressait.

    Ah laisse-moi deviner ! s’exclama Momsy, un peu agacée. Le genre bimbo, blonde platine avec des gros seins, une bouche à pipe et rien dans le ciboulot.

    Tu me connais vraiment par cœur ! concéda Mark en souriant.

    Forcément ! Depuis que tu as quatorze ans, tu ne m’as jamais ramené que ça, à quelques variantes près, lui rappela Momsy. A une époque, j’avais l’impression de vivre dans la maison des horreurs.

    Son expression fit rire Mark. Tu exagères ! Y en avait qui n’étaient pas si mal !

    Bien sûr qu’elle exagérait ! Parmi les nombreuses conquêtes de son petit-fils, il y avait eu de braves filles, elle le reconnaissait maintenant. Ni aussi laides, ni aussi sottes ni aussi vulgaires qu’elle l’affirmait. Mais elle idolâtrait tellement Mark qu’elle n’en avait jamais trouvé une qui soit digne de lui. Combien de fois lui avait-elle conseillé de viser plus haut, toujours plus haut ? Et maintenant, elle ne pouvait s’empêcher de penser que, s’il était encore célibataire, c’était à cause d’elle qui avait placé la barre trop haut justement. Ouais, quelques-unes, je l’admets. Elle échangea avec lui un regard où se reflétait toute la tendresse du monde. Pourvu qu’il rencontre un jour une femme qui l’aimerait comme il le méritait ! Donc, tu t’es tapé la bimbo et Derek, lui, il a pris Meredith, dit-elle pour lui faire reprendre le cours de son histoire.

    Il afficha un air désappointé. Je m’suis rien tapé du tout. La bimbo avait mieux à faire. Et Derek, il est sorti avec Meredith uniquement parce qu’on avait fait un pari. Belle connerie ! se lamenta-t-il.

    Momsy eut l’air abasourdi. Un pari ? Vous en êtes encore là ? Mais vous avez quel âge, mes pauvres enfants ?

    Ben quoi, faut bien s’amuser !

    Ouais… Et c’était quel genre, ce pari ?

    Pas bien méchant. Mark hésita un instant mais se sentit obligé de continuer sous la pression des yeux qui le scrutaient avec attention. Cinq mille dollars s’il s’affichait avec elle dans un endroit hyper chic et un bonus de deux mille s’il me rapportait la preuve qu’il l’avait sautée. Dit comme ça, c’était vraiment sordide et il comprit pleinement ce que Meredith avait dû ressentir en apprenant qu’elle avait été l’objet de ce défi stupide.

    Momsy ouvrit de grands yeux sévères. C’est comme ça que tu traites les femmes, toi ? le gourmanda-t-elle.

    Embarrassé, un peu honteux même, Mark baissa la tête. Oui, je sais, c’est moche. Mais sur le moment, j’ai pas pensé à ça. Je voulais juste pouvoir me moquer de Derek.

    Te moquer de lui en lui donnant sept mille dollars ? Toi, t’as vraiment du fric à perdre ! ronchonna Momsy. Tu ferais mieux de le donner à des œuvres de charité. Tout à coup, elle fronça les sourcils. Et quel genre de preuve vaut deux mille dollars pour toi ?

    Il devait filmer pendant qu’ils étaient en train de… Penaud, Mark se gratta l’arrière de la nuque pour se donner une contenance. C’était pas bien méchant, répéta-t-il, à court d’arguments valables.

    Nan, bien sûr ! commenta Momsy, sarcastique. Faudra un jour qu’on m’explique quel plaisir on peut prendre à se filmer dans ces moments-là. Quant à regarder les autres en train de faire l'amour, alors là… Elle leva ses yeux vers le plafond pour marquer sa perplexité avant de le dévisager d’un air goguenard. Tu n’as rien d’autre à faire de tes soirées que de regarder ton meilleur ami s’envoyer en l’air ?

    J’ai rien vu du tout. Il n’a pas voulu le faire, maugréa Mark.

    Momsy eut un petit rire devant son air dépité. On dirait que le petit Shepherd a un peu plus de jugeote que toi, mon garçon. Il n’a sans doute pas envie de se retrouver la queue à l’air sur votre Internet là. Je sais que c’est la grande mode à Hollywood, mais pour des chirurgiens de votre niveau, avoue que ça ne ferait pas sérieux !

    Ça n’a rien avoir avec la jugeote, protesta Mark, mortifié à l’idée que sa grand-mère puisse penser que Derek était plus malin que lui. Il n’a simplement pas eu les couilles de le faire !

    Ou il n’en a pas eu envie. Tu m’as dit que Meredith était moche à l’époque. Si je me souviens bien, Derek avait plutôt bon goût en matière de filles.

    Justement. Mark se replongea dans les souvenirs de cette soirée où, il le savait maintenant, tout s’était joué. Meredith, magnifique dans sa robe de bal, et Derek, totalement sous son charme et déjà différent. En l’espace de quelques heures, le vilain petit canard s’était transformé en cygne. Elle était… divine, se rappela-t-il, émerveillé. Momsy fut frappée par son expression et la tonalité de sa voix et comprit qu’il n’avait pas exagéré les choses. Il aimait sincèrement cette fille.


    3 commentaires
  • Je ne l’ai pas compris à ce moment-là, et Derek non plus d’ailleurs, poursuivit le chirurgien. Pour nous, ce n’était qu’un jeu. Mais c’est ce soir-là qu’il est tombé amoureux d’elle. Enfin, je crois. Il posa sur sa grand-mère un regard qui était devenu malheureux. Si tu les voyais, Momsy ! Quand ils sont ensemble, ils… ils rayonnent. Derek, tu ne le reconnaitrais pas. Il est possessif, il est jaloux, il est tendre, et elle… La souffrance fut telle que l’air lui manqua. Elle vit pour lui et par lui. Il est son dieu. Que puis-je faire contre ça ?

    La vieille dame le regarda avec commisération. Comme il devait souffrir ! Son meilleur ami aimait la femme de ses rêves et il s’infligeait quotidiennement le spectacle de leur bonheur. Rien, répondit-elle avec un sourire plein d’affection. Ces deux-là se sont trouvés. Tu ne peux rien y faire, mon petit, que l’accepter.  

    Je sais, murmura Mark. C’est juste que… c’est si dur parfois.

    Oui mais tu ne te facilites pas la tâche non plus, lui fit remarquer Momsy. Je te connais par cœur, mon garçon. Tu es sûrement toujours collé aux basques de Derek, tu l’écoutes te raconter sa vie avec Meredith dans les moindres détails, tu pars en vacances avec eux. Le chirurgien haussa les épaules. Ce n’est pas comme ça que tu vas l’oublier, Mark, conclut sa grand-mère.

    Et si je ne voulais pas l’oublier, moi ? Parfois il se disait qu’aimer Meredith, même à distance, même en secret, lui suffisait. Un peu de Meredith, c’était toujours mieux que pas du tout. Puisqu’elle ne pouvait lui donner que des miettes d’elle-même, il s’en contenterait.

    Agacée, Momsy fit claquer sa langue contre son palais. Foutaises ! Tu dois l’oublier, nom de dieu ! Tu ne vas pas passer le reste de ta vie à leur tenir la chandelle tout de même ! Elle le foudroya du regard. Ah tu m’as énervée, là ! Sers-moi un whisky. Tu te rendras utile au moins.

    Il la dévisagea d’un air critique. Un whisky ? Je ne pense pas que ça soit indiqué pour ton cœur.

    T’occupe pas de mon cœur, répliqua Momsy. Il est foutu de toute façon. C’est pas un verre qui va le tuer. Toi, en revanche… Le regard indigné de Mark lui fit faire marche arrière. T’entends ce que tu me fais dire ? grommela-t-elle. Allez, cesse de faire des manières et sers-nous un verre. On en a bien besoin. Elle le suivit du regard tandis qu’il se dirigeait vers le bar. Ce que j’en dis, c’est pour toi, mon garçon. Tu as ta propre vie à construire. Puisque ce n’est pas avec Meredith, ce sera avec une autre. Tu ne dois pas désespérer.

    Mais je ne désespère pas, affirma Mark d’une voix forte. Pourquoi construire ma vie ? J’en ai déjà une ! s’emporta-t-il. J’étais très bien, moi, avant qu’elle ne débarque de sa province. Rencontrer une femme, se marier, une maison, des enfants, des animaux, tondre le jardin, faire des barbecues, partir en vacances deux fois par an, en un mot avoir la vie rangée de Monsieur Tout-le-Monde, ça ne l’avait jamais tenté, que du contraire. Depuis tout jeune, lorsqu’il pensait à son avenir, il s’était toujours vu célibataire et heureux de l’être. Un homme libre et sans contraintes, voilà ce qu’il avait toujours ambitionné d’être. Il revint vers sa grand-mère et lui tendit un verre, avant de se rasseoir face à elle, la mine sombre.

    Se réveiller tous les matins à côté d’une femme différente, ce n’est pas ce que j’appelle avoir une vie ! ironisa-t-elle. Elle porta le verre à ses lèvres et avala une toute petite gorgée d’alcool qui vint lui brûler la gorge.

    Mais c’est la mienne ! s’entêta Mark. Et elle me convenait tout à fait. Avant elle. Il vida à moitié son verre.

    Mon garçon, cette fille n’est pas pour toi, martela Momsy. Et si tu veux mon avis, je trouve que venir ici avec elle, ce n’est pas du tout une bonne idée, vu les circonstances.

    Mark but une autre gorgée. Vu les circonstances, c’est la seule idée que j’ai eue en l’occurrence. Il vit que son aïeule était choquée. Rassure-toi, Momsy. Je ne suis pas venu chez toi pour faire un coup foireux.

    Pourtant, elle continua à le scruter avec méfiance. Dis-moi ce que tu as en tête, que je juge par moi-même.

    Mais rien, protesta-t-il. Meredith vient de quitter Derek. Elle m’a demandé de l’amener dans un endroit où il ne penserait pas à la chercher. C’est pour ça qu’on est ici.

    Le front de la vieille dame se plissa instantanément d’une série de plis profonds. Tu n’espères pas retirer les marrons du feu, au moins ?

    Je n’espère rien du tout. Elle l’a quitté mais elle l’aime encore, je le sais très bien, dit Mark sans parvenir à dissimuler son regret qu’il en soit ainsi. Quant à lui, c’est un sale con mais il l’aime aussi et c’est mon ami. Alors… Il s’affala dans le fauteuil, découragé par le manque de perspectives qui s’offraient à lui. Quoi qu’il se passe entre ces deux-là, il se retrouvait toujours au milieu, complètement coincé.

    Et pourquoi elle le quitte si elle l’aime tant que ça ? questionna Momsy, on ne peut plus perplexe. De son temps, quand on s’aimait, on se mariait, on faisait des enfants, et on restait ensemble jusqu’à la fin sans se poser plus de questions. Mais les choses semblaient être différentes pour la jeune génération.


    1 commentaire
  • Il l’a trompée et, malheureusement, elle l’a appris, expliqua simplement Mark. Il réalisa alors qu’il ne savait pas dans quelles circonstances Meredith avait réalisé que Derek lui était infidèle. Ce dernier avait-il voulu jouer la carte de l’honnêteté ou bien la jeune fille l’avait-elle surpris en situation délicate ?

    Décidément, cette histoire est pleine de rebondissements, se dit Momsy, tout en sirotant son whisky. Bien mieux que Les Feux de l’Amour. Bien plus facile à suivre aussi, parce qu’il y avait beaucoup moins de personnages et, que surtout, elle les connaissait personnellement, à l’exception de Meredith. Encore que bientôt cette lacune serait comblée puisqu’il semblait que la jeune fille allait passer un peu de temps chez elle. Non, vraiment, cette affaire tombait à pic pour distraire la vieille dame. Ben alors, il ne l’aime peut-être pas tant que ça, sa Meredith, déduisit-elle de la révélation que venait de lui faire Mark.

    Ça n’a rien à voir, Momsy, soupira-t-il. Il est fou de cette fille, vraiment. Seulement… l’amour et lui, tu sais bien. Elle acquiesça d’un signe de tête. Oui, elle connaissait Derek et son histoire. Elle n’était pas, comme Mark, au courant de tous les détails mais ce qu’elle en savait était suffisamment édifiant. Rien d’étonnant à ce que le jeune homme n’ait plus jamais été le même après cela. Il a l’impression de perdre le contrôle, ajouta son petit-fils, et ça lui fout la trouille à un point… Il ne veut plus revivre ce qu’il a connu.

    Alors, il le fait vivre à d’autres. Momsy fit une moue dubitative. Ouais. Pas très logique, tout ça.

    Je sais, reconnut Mark. Mais en même temps, il n’y a rien de logique dans cette histoire. Ça fait plus de dix ans qu’il s’est interdit tout sentiment. Tout à coup, surgit une gamine sortie de nulle part et elle arrive à percer la carapace. Il repensa à la conversation qu’il avait eue avec Derek, à la péniche, à la peur et au désespoir qu’il avait lus dans les yeux de son ami. Il ne l’a pas trompée par vice ou parce qu’il ne l’aimait pas assez. Il a simplement essayé de retrouver celui qu’il était avant elle.

    Pauvre petit. Quel gâchis tout de même, déplora Momsy. L’expression douce de son visage disparut pour faire place à la colère. J’espère que sa mère brûle en enfer, tiens ! Et que son père la rejoindra quand ce sera son tour de passer l’arme à gauche. Ce que ces gens ont fait à leur enfant… Elle sentit son cœur s’emballer sous le coup de l’énervement et prit quelques profondes inspirations pour le calmer. Perdu dans ses pensées, Mark ne le remarqua pas. Et toi, que vas-tu faire maintenant ? lui demanda-t-elle, une fois qu’elle eut retrouvé un rythme cardiaque plus ou moins normal.

    Je repars après le diner, annonça Mark avec une nuance de regret dans le ton. Demain, j’ai plusieurs interventions que je ne peux vraiment pas remettre. Ça m’ennuie de te laisser comme ça, avec Meredith, mais je n’ai pas le choix.

    Si Momsy était déçue qu’il ne puisse pas rester plus longtemps, elle ne le lui montra pas. Elle connaissait parfaitement les impératifs de son métier et comprenait qu’il ne puisse pas y surseoir. En outre, il valait mieux qu’il ne reste pas dans les parages. Compte tenu des sentiments qu’il nourrissait pour Meredith et le tout récent statut de célibataire de celle-ci, elle trouvait plus judicieux qu’il reste à distance. Ne t’en fais pas pour ça, va. Je suis sûre qu’on va bien s’entendre, toutes les deux. Et puis, tu seras plus utile là-bas. Derek va avoir besoin d’un ami. Qu’est-ce que tu comptes lui dire ? s’inquiéta-t-elle soudain. A propos de Meredith…

    Rien du tout, assura Mark. J’ai promis à Meredith de garder le secret.

    Momsy eut un sourire amusé. Bien sûr, bien sûr. Pauvre Mark qui espérait encore pouvoir tenir tête au bulldozer que devenait Derek, lorsqu’un obstacle se mettait en travers de sa route. Il va te harceler jusqu’à ce que tu lui dises où elle est. Un petit rire secoua la vieille dame. Tu ne tiendras pas une heure.

    Putain, ça me saoule, ça ! s’écria Mark. Sa grand-mère avait totalement raison. Depuis leur plus tendre enfance, Derek était toujours parvenu à ses fins avec lui, que ce soit par la gentillesse ou par l’intimidation. Et l’inquiétude folle dans laquelle il devait être depuis la disparition de Meredith n’allait le rendre que plus redoutable. S’il débarque ici, Meredith va me tuer.

    A toi de lui faire comprendre qu’il doit lui laisser de l’espace, dans un premier temps. Ensuite, ne prends pas parti, lui conseilla Momsy. Ne t’en mêle pas. C’est leur histoire, pas la tienne.

    Découragé à l’idée de ce qui l’attendait, Mark se leva pour aller se resservir un verre. Il s’arrêta net après avoir fait trois pas. Une jeune fille venait d’apparaître à la porte du salon. Dix-sept, dix-huit ans à tout casser. Longiligne, de très longs cheveux bruns bouclés, le teint mat et de grands yeux vert émeraude qui lui mangeaient le visage, elle était ravissante. Salut, dit-elle d’une voix chantante avant de se tourner vers Momsy. Le dîner est prêt. Vous venez ?

    Salut, ânonna Mark, totalement hébété, alors qu’elle était déjà repartie. Qui est-ce ? demanda-t-il fébrilement à sa grand-mère.

    Oh c’est Taylor, la fille de Frances. Une gamine un peu fofolle mais charmante.

    Le terme est faible, murmura-t-il en venant aider son aïeule à se relever de son fauteuil.

    Alertée par le son de sa voix, Momsy leva la tête vers lui et vit la lueur qui flottait dans ses yeux. N’y pense même pas ! grogna-t-elle en lui donnant une tape sur le bras. Elle est mineure, nom de dieu ! C’est un coup à te retrouver en taule pour quelques années, ça.


    2 commentaires
  • Ce fut le froid qui réveilla Meredith. Instinctivement, elle se tourna, encore somnolente, vers l’autre côté du lit, à la recherche de la chaleur du corps de son amant. Comme elle ne le sentait pas, sa main tâtonna pour le trouver. Derek, l’appela-t-elle dans un murmure. Seul le silence lui répondit. Elle ouvrit les yeux et s’aperçut qu’elle était seule dans le lit. Tout lui revint alors en mémoire, comme une énorme gifle en pleine figure, et à nouveau cette douleur effroyable, cette sensation d’avoir tout perdu, de n’être plus rien, cette envie que tout s’arrête pour simplement ne plus avoir aussi mal. Elle s’assit et alluma la lampe de chevet. Sa montre lui indiqua qu’il était minuit et demi. Elle s’en étonna. Son dernier souvenir remontait à l’après-midi lorsqu’elle était dans la voiture de Mark. Et maintenant, elle se réveillait en pleine nuit dans une chambre qui lui était inconnue. Elle regarda autour d’elle. Des boiseries, des meubles anciens, du bleu pour les tissus et papiers peints, des estampes représentant des chevaux… Le tout donnait un certain cachet à la pièce. Frigorifiée malgré ses vêtements, Meredith courut à la fenêtre dont elle écarta les tentures pour voir à l’extérieur. Elle s’étonna de ne pas retrouver les lumières de la ville et se demanda où elle était. L’obscurité qui régnait dehors l’empêchait de repérer quelque chose de significatif. Mais finalement, peu importait l’endroit où elle se trouvait. Le principal était d’être loin de Derek. Elle eut un élan de reconnaissance envers Mark qui avait fait ce qu’elle lui demandait, sans poser de questions, sans craindre non plus de compromettre sa relation avec son meilleur ami.

    Elle repartit à l’autre bout de la pièce et alla coller son oreille contre la porte, pour tenter de distinguer un bruit quelconque. Où était-elle ? Pas chez Mark, en tout cas. Elle avait la certitude de ne plus être en ville et, de toute façon, il ne l’aurait pas conduite à son appartement qui serait, à coup sûr, un des premiers endroits où Derek ne manquerait pas de venir la chercher. Une autre des maisons familiales ? Un hôtel à la campagne ? La curiosité de la jeune fille fut plus forte que son appréhension et elle ouvrit doucement la porte de la chambre, juste assez pour glisser sa tête dans l’entrebâillement. La maison était plongée dans le silence et la pénombre. Meredith s’enhardit à sortir et se retrouva dans un couloir à peine éclairé par la lune qui y entrait par une petite fenêtre. Il y avait une série de portes, toutes closes, et la jeune fille se demanda à laquelle frapper pour trouver Mark. Elle avança sur la pointe des pieds, regardant tout autour d’elle, comme si elle s’attendait à trouver un indice quelconque de la présence de son ami. Mark, chuchota-t-elle si bas que même une personne qui se serait trouvée tout à côté d’elle ne l’aurait pas entendue. Elle n’obtint évidemment pas le signe qu’elle attendait. Épuisée, apeurée, fragilisée par ce qu’elle avait vécu plus tôt dans la journée, elle se mit à pleurer. Où es-tu, Mark ? chouina-t-elle. J’ai besoin de toi. Elle arriva enfin au bout du couloir et déboucha dans un grand hall. Apercevoir un rai de lumière sous une porte la soulagea fortement. Elle n’était donc pas seule dans cette maison qui lui semblait immense. Elle essuya du revers de sa manche les larmes qui inondaient son visage et, reniflant comme une petite fille, courut vers cette porte derrière laquelle elle espérait retrouver son complice. Elle s’arrêta pourtant, la main déjà sur la clenche, hésitant à pénétrer dans l’inconnu. Elle se décida enfin et passa légèrement la tête par l’entrebâillement. Mark, dit-elle à voix basse, à nouveau au bord des larmes.

    Viens, ma fille, lui répondit une voix qu’elle devina usée par les années. Entre, n’aie pas peur. Meredith poussa la porte et découvrit une vieille dame aux cheveux gris et au sourire bienveillant, le nez chaussé de lunettes, qui guettait son entrée par-dessus son journal. Entre, petite, insista Momsy en accompagnant son invitation d’un geste de la main.

    Meredith fit deux pas à l’intérieur. Je… je ch… cherche… Mark… Mark Sloan, bredouilla-t-elle, luttant de toutes ses forces pour ne pas pleurer devant cette inconnue. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu passer, en quelques heures seulement, de la femme folle de rage, qui avait pris la décision de tout plaquer pour échapper à son amant, à la petite fille craintive qui fondait en larmes pour un rien. Elle ne se reconnaissait pas dans cette pleurnicheuse mais, même si elle se détestait dans cet état, elle ne parvenait pas à se maîtriser.

    Mark est reparti à San Francisco. Momsy n’eut pas le temps d’en dire plus. Meredith se cacha la tête dans les mains et éclata en sanglots. Derek l’avait trahie et voilà maintenant que Mark l’abandonnait dans cet endroit perdu où elle ne connaissait personne, sans même prendre la peine de lui expliquer, de lui dire au revoir. Elle se sentit seule, inutile, avec un sentiment de vide comme elle n’en avait jamais éprouvé. L’amour, l’amitié, elle avait tout perdu. A qui, à quoi allait-elle pouvoir se raccrocher ? Elle sentit soudain qu’on la prenait par les épaules. C’est tout, c’est tout, ce n’est rien, lui assura la voix douce et apaisante de la vieille dame. Calme-toi, petite. Tu n’es pas toute seule, je suis là. Meredith se laissa docilement emmener vers le canapé dans lequel elle se laissa tomber, toujours en sanglotant. Momsy s’assit à côté d’elle et lui prit la main. Mark a plusieurs interventions prévues. C’est pour ça qu’il est rentré, expliqua-t-elle. Il aurait aimé te voir avant de partir, seulement tu dormais. Alors, il n’a pas voulu te déranger. Mais il m’a demandé de te dire qu’il t’appellerait dans la matinée.

    Meredith la regarda, les yeux éperdus de désespoir. Il va m’appeler ? Mais… j’ai… j’ai éteint mon téléphone et… Elle s’arrêta de parler, ne sachant comment s’exprimer sans paraître tout à fait idiote. Comment dire à cette dame qu’elle ne pouvait pas, qu’elle ne voulait pas rallumer son téléphone ? Elle savait qu’elle y trouverait des messages de Derek, qui lui diraient soit qu’elle avait raison, qu’elle ne lui suffisait pas, qu’il ne voulait plus d’elle, soit qu’il l’aimait et qu’elle devait lui laisser une chance. Que ce soit l’une ou l’autre version, elle ne voulait pas l’écouter, elle n’en aurait pas la force. Elle avait l’impression que si elle entendait le son de la voix de Derek, elle allait se mettre à hurler sans plus jamais pouvoir s’arrêter. Il ne va pas pouvoir me joindre, se contenta-t-elle de dire, le cœur serré par la tristesse.

    Oh je crois que si, répondit Momsy en souriant. Il connaît par cœur le numéro de la maison.

    Meredith poussa un soupir de soulagement. Tant mieux. Mark était la seule personne en qui elle avait encore confiance. Savoir qu’il restait son ami, qu’il continuait à la soutenir était, en cet instant, ce qui lui importait le plus.


    1 commentaire
  • Meredith surprit tout à coup le regard presque tendre que la dame posait sur elle et fut frappée d’y retrouver la même étincelle que celle qui brillait parfois dans les yeux de Mark, lorsqu’il la regardait. Vous êtes sa grand-mère, n’est-ce pas ? demanda-t-elle alors, bien qu’elle connaisse déjà la réponse. Vous êtes sa Momsy.

    Oui, confirma son hôtesse. Donc, si tu sais qui je suis, ça veut dire qu’il t’a parlé de moi ?

    Meredith sentit que son stress diminuait un peu. Que Mark ait décidé de la mettre à l’abri chez sa grand-mère lui faisait chaud au cœur. Oui, répondit-elle. Quand nous étions à Aspen. Il m’a raconté tout ce que vous aviez fait pour lui.

    Oh ce que j’ai fait pour lui… Momsy haussa les épaules. J’ai fait ce que j’avais à faire. C’était mon rôle de veiller sur lui. C’est mon petit, tu comprends.

    Meredith hocha la tête. Il vous aime vraiment beaucoup, vous savez. C’est quelqu’un de bien, ajouta-t-elle après un petit moment de silence. A nouveau, l’émotion l’envahit et les larmes revinrent noyer ses yeux. C’est tellement rare d’avoir quelqu’un en qui on peut avoir réellement confiance. Les gens sont tellement… tellement moches. On croit qu’ils sont bien et puis un jour, on se rend compte qu’ils sont… pourris, lâcha-t-elle en tentant de réfréner ses pleurs. George, Izzie, Cristina, Derek, tous l’avaient trahie, les uns après les autres, à des niveaux différents bien sûr mais pour finir, le résultat était le même. Elle avait l’impression de n’avoir été qu’un instrument entre leurs mains, d’avoir été utilisée pour servir leurs ambitions ou leur bon plaisir. S’il n’y avait pas eu Mark, elle aurait désespéré de la nature humaine. Je suis heureuse qu’il soit mon ami, conclut-elle en déglutissant, pour essayer de faire disparaître la boule d’angoisse qui obstruait sa gorge. Momsy la regarda avec compassion. Si jeune et déjà tellement désabusée… Elle lui prit les mains et les comprima entre les siennes, sans rien dire. Meredith releva la tête. Vous devez me trouver bien impolie, supposa-t-elle avec un air coupable. Je suis ici chez vous et je ne vous ai pas saluée. Je ne me suis même pas présentée.

    Te bile pas pour ça, recommanda Momsy, à qui cette gamine commençait à plaire. Mon petit-fils m’a dit tout ce que je devais savoir. Tu t’appelles Meredith et tu es son amie. Pour le reste… - elle leva sa main en l’air et lui fit faire une sorte de pirouette – on aura tout le temps de faire connaissance.

    Pour montrer sa gratitude, Meredith se força courageusement à lui sourire. Merci de m’accueillir chez vous, Madame.

    Ah non ! Pas Madame ! s’écria la grand-mère avec de grands yeux faussement scandalisés. Appelle-moi Momsy comme tout le monde. Et pour ce qui est de t’accueillir, tout le plaisir est pour moi. C’est toujours les mêmes têtes qu’on voit par ici. Le docteur, le pasteur – elle fit une grimace – ils ont toujours une de ces tronches quand ils viennent me voir, bougonna-t-elle. J’ai à chaque fois l’impression qu’ils sont là pour suivre mon enterrement. Ou alors ils me font la morale. Elle grossit sa voix pour qu’elle ressemble un peu à celle d’un homme. Vous êtes imprudente, M’âme Sloan. Faut vous reposer ! Et faudrait penser à manger moins de viande, à boire moins de vin, à éviter le chocolat. Pfft ! Elle haussa les épaules avec un air buté. Qu’ils aillent se faire foutre ! Je vais mourir de toute façon. Tu voudrais pas que je me prive en plus !

    Cette fois, le sourire de Meredith s’étira franchement. Elle voyait parfaitement de qui Mark tenait son caractère bien trempé et son franc-parler. Elle sut d’emblée qu’elle s’entendrait aussi bien avec la grand-mère qu’avec le petit-fils. En ces temps difficiles, où elle avait l’impression que l’honnêteté avait disparu de ce monde, cette franchise ne pouvait que lui plaire. Elle sauta au cou de la boudeuse. Je suis vraiment contente de vous connaître, Momsy.

    Oh moi aussi, ma petite, s’exclama Momsy, soudain toute guillerette, en lui rendant son étreinte. Je sens qu’on va bien s’entendre toutes les deux. Elle commençait à réaliser ce qui avait pu charmer Mark dans cette femme-enfant. Certes, Meredith était jolie comme un cœur mais elle était bien plus que ça. Douce, gentille, naturelle, spontanée, pas du tout calculatrice, ne cachant pas ce qu’elle ressentait, elle était comme un grand bol de fraîcheur. Nul doute que les filles comme elle ne devaient pas être légion dans l’entourage de Mark. Quant à Meredith, la marque d’affection prodiguée par Momsy, cette tendresse même qu’elle sentait dans les mots comme dans les gestes, la touchèrent au plus haut point. Les larmes revinrent perler à ses yeux. Elle serra Momsy un peu plus fort avant de s’écarter. Pour donner le change, elle regarda autour d’elle, en espérant pouvoir se reprendre. La grand-mère de Mark s’en rendit compte. Tu devrais aller dormir, petite, conseilla-t-elle avec douceur. Moi aussi, d’ailleurs. Elle tapota le genou de la jeune fille. Nous aurons tout le temps de papoter demain. Meredith se mit aussitôt debout et aida la vieille dame à se relever. Et je demanderai qu’on te fasse visiter la propriété, promit celle-ci. Elle s’appuya sur le bras que Meredith lui présentait pour avancer. Mark m’a dit que tu aimais les chevaux. On en a quelques-uns qui devraient te plaire.

    Ah il vous a dit ça ? s’étonna Meredith. Moi aussi, il m’a dit que vous aviez des chevaux. Il y a très longtemps. Parce qu’aujourd’hui, il ne m’a pas dit grand-chose, ajouta-t-elle avec une moue, en omettant de préciser que c’était elle qui n’avait pas été encline à faire la conversation. Je ne sais même pas où je suis.

    Mais tu es chez moi, déclara Momsy avec un grand sourire amusé. Les gens de la région l’appellent l’Hacienda. C’est un peu pompeux mais bon… Elle fit un clin d’œil à Meredith. J’avoue que ça me plait. A part ça, tu à Santa Rosa, à proximité du moins.

    Meredith sursauta. Si ses connaissances en géographie n’étaient pas trop mauvaises, Santa Rosa n’était situé qu’à une centaine de kilomètres de San Francisco. Autant dire rien. Une quarantaine de minutes de route pour quelqu’un qui roulait en Porsche. Totalement paniquée, elle se remit à bafouiller. Ce… ce n’est … ce n’est pas… pas assez loin.

    Momsy comprit immédiatement ce à quoi elle faisait allusion. Calme-toi. Shepherd ne viendra pas jusqu’ici, affirma-t-elle catégoriquement, montrant par-là même qu’elle était au courant de tout. Mark l’en empêchera. Et si lui ne le fait pas, moi, je le ferai. Tu es en sécurité ici, Meredith. Maintenant, c’est moi qui veille sur toi.


    5 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique