• L’heure du déjeuner arrivait à sa fin. Meredith était en train de prendre note de la commande de ses derniers clients lorsqu’un vrombissement familier de moteur lui fit tourner la tête vers la rue. Elle vit la voiture de Derek passer si rapidement qu’elle se demanda si elle n’avait pas une hallucination. Mais il était évident que non. La Porsche venait effectivement de passer à toute vitesse devant la boutique, comme si Derek avait voulu éviter qu'on puisse voir que c'était lui au volant. Meredith ne comprenait plus du tout le comportement de son amant, pas plus qu'elle ne comprenait sa colère et son mutisme. Même pas un coup de fil, rien ! Puisqu'il était passé devant la boutique, pourquoi ne s'y était-il pas arrêté, ne fut-ce que pour lui dire bonjour et lui souhaiter une bonne journée ? Elle avait maintenant la preuve qu'elle ne s'était pas trompée au matin, quand elle avait dit à Mark que Derek ne voulait plus la voir. Désespérée, elle tenta de se concentrer à nouveau sur la commande, écrivant d’une main tremblante le nom des plats. Un nouveau bruit de moteur et un crissement de pneus la fit se retourner à nouveau. Les yeux écarquillés de surprise, elle vit la Porsche qui se garait à moitié sur le trottoir, en empiétant presque sur la terrasse, et Derek en jailliir comme un diable sort de sa boite.

    Cristina se campa au milieu de la salle, les deux mains sur les hanches. Mais qu’est-ce que c’est encore que… Elle n'en dit pas plus, préférant se taire plutôt que de provoquer un nouvel esclandre devant les clients. Que ce maudit chirurgien fasse ce qu’il avait à faire et s’en aille rapidement ! Et tant qu’il y était, qu’il emmène l’autre, là ! De toute façon, Meredith n’était bonne à rien aujourd’hui, le sourire en berne et les yeux au bord des larmes. Tu parles d’une pub ! C’est pas comme ça qu’on va augmenter le chiffre d’affaires, pensa Cristina en soufflant bruyamment.

    Derek s’arrêta à la porte de la boutique, son regard passant au-dessus de tout pour venir s’accrocher à celui de Meredith. Ils ne surent pas combien de temps ils étaient restés là, à se regarder intensément, la bouche légèrement ouverte pour trouver un peu d’air, jusqu’à ce que Derek se décide à traverser la salle. Il rejoignit la jeune fille en quelques enjambées. Sans un mot, il leva la main, dessinant le contour de son visage sans toutefois le toucher, s’enhardissant à le frôler du bout des doigts au deuxième passage, avant de poser délicatement la main sur sa joue. Il s’approcha d’elle jusqu’à toucher sa bouche et, heureux de ne pas être repoussé, ferma les yeux, appréciant la douceur de ses lèvres, avançant doucement les siennes pour amorcer un baiser. Il passa la main dans sa nuque qu’il étreignit entre ses doigts nerveux et se mit à lui bécoter la bouche, d’une commissure à l’autre.

    Il ne s’étonna pas de n’obtenir aucune réaction. Il savait que Meredith attendait autre chose qu’un baiser mais il ne pouvait pas, pas maintenant. Déjà, il ne comprenait pas trop pourquoi il avait fait marche arrière alors qu’il était déjà au bout de la rue. Le manque d’elle était horrible mais il ne savait pas, jusqu’à il y a quelques minutes, qu’il l’était à ce point. Il était passé devant la boutique en roulant à toute allure pour éviter de ne fût-ce qu’entrevoir la silhouette de son amie et malgré cela, il n’avait pas résisté au besoin de la voir, impérieux, intense, plus fort que tout, qui l’avait saisi. Voilà pourquoi il était revenu sur ses pas et pourquoi il n’avait plus aucune envie de partir. Honteux de sa faiblesse, il laissa échapper un soupir puis, n’y tenant plus, entrouvrit les lèvres pour livrer le passage à sa langue, afin qu’elle puisse se délecter des lèvres de la jeune fille et en apprécier la saveur.

    Meredith s’était promise, lorsqu’elle reverrait Derek après sa scène de l’autre jour, d’être forte et de ne pas lui pardonner facilement son attitude. Mais ce n’était qu’un vœu pieux. En fait, elle s’était fait avoir dès qu’il était apparu à la porte de la boutique. Il l’avait eue dès son premier regard. Elle avait oublié tout le reste et même tous ceux qui les entouraient. Ces yeux-là lui avaient dit tout ce qu'elle voulait entendre à ce moment-là. "Pardonne-moi, ne me laisse pas, j'ai besoin de toi, aime-moi, je ne peux pas me passer de toi" Comment aurait-elle pu résister à un tel appel au secours ? Parce que c’en était un, même s’il n’était pas exprimé avec des mots. Et maintenant que Derek était là tout contre elle, complètement perdu, elle le sentait bien, comment aurait-elle pu le repousser ? Il avait quinze ans de plus qu’elle mais en ce moment, l’enfant, c’était lui. Il n’était plus qu’un petit garçon désespéré en manque d’amour. Elle cessa de réfléchir et entrouvrit ses lèvres à son tour.

    Le chirurgien sentit son cœur bondir dans sa poitrine, tellement fort qu’il en gémit. Il commença à embrasser vraiment la jeune fille, ses mains lui enserrant son fin visage, pinçant ses lèvres entre les siennes, les léchant avant d’aspirer doucement sa langue dans sa bouche, pour la sucer tendrement dans un concert de petits soupirs de bien-être et de désir, avant qu’elles ne voltigent toutes les deux dans une danse sans fin. Le bout de ses doigts massant le cuir chevelu de son amie, juste derrière les oreilles, Derek interrompait parfois son baiser pour lui mordiller les lèvres, tout en se demandant comment il avait pu tenir aussi longtemps sans l’embrasser, la caresser, l’aimer… Ce fut à regret qu’il s’écarta, les yeux troubles d’une étrange émotion qu’il ne se rappelait pas avoir déjà ressenti. Mais il fallait qu’il parte très vite s’il ne voulait pas être tenté de prendre Meredith dans ses bras et de l’emmener loin d’ici, dans une chambre où il lui ferait l’amour des heures et des heures. C’était trop tôt. Mark avait raison, il devait mettre de l’ordre dans ses idées mais, avec la jeune fille à proximité, il était incapable de réfléchir. Miami tombait à point nommé. Ce voyage de quelques jours lui fournirait le recul nécessaire, du moins il l’espérait.

    Il recula de deux pas et, ses yeux plantés dans ceux de Meredith, refit le geste qu’il avait eu en arrivant près d’elle, ses doigts venant lui effleurer la joue en une douce caresse. Il esquissa un sourire maladroit où il essaya de faire passer tout le regret qu’il avait de lui avoir fait de la peine et de la quitter. Il fit rapidement volte-face pour ne plus voir les yeux noyés de larmes dans lesquels il lisait tellement d’incompréhension et de douleur. Il repartit comme il était venu, sans avoir prononcé un mot, ne s’apercevant même pas qu’il était suivi par les regards ébahis de ceux auxquels il venait de donner un spectacle aussi poignant.


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  • Après s’être enfui de la boutique, Derek était remonté dans sa voiture, roulant à tombeau ouvert jusqu’à la péniche, juste pour jeter quelques affaires dans une valise avant de revenir à la clinique, où il n’avait plus guère quitté le bloc opératoire, pratiquant intervention sur intervention, ne s'accordant pratiquement aucun moment de répit, tant pour ne pas penser à ce qui s’était passé avec Meredith que pour éviter de croiser Mark qui lui aurait sans doute encore fait profiter de ses discours moralisateurs. Il voulait faire le vide, ne plus penser à rien. En s’absorbant dans les cerveaux de ses patients, il avait essayé d’oublier ce qu’il y avait dans le sien et il s’estimait heureux d’y être presque parvenu par moments. Il avait quitté la clinique au petit matin pour se rendre directement à l’aéroport d’où il s’était envolé pour Miami. Epuisé, à bout de nerfs, il avait dormi durant les six heures qu'avait duré le vol.

    Maintenant, il était à la réception du Doubletree Grand Hotel, attendant qu’on lui remette les clefs de sa chambre. Les organisateurs du congrès n'avaient pas trop mal fait les choses en choisissant ce luxueux établissement qui offrait de nombreuses commodités à ses clients, telles une salle de sports ou une piscine extérieure. Malheureusement, Derek n’aurait guère le temps d’en profiter, les conférences devant se succéder les unes aux autres. Nonchalamment accoudé au comptoir, il avait déjà entraperçu quelques-uns des intervenants, parmi les plus éminents de ses confrères, Patterson de Boston, Hemmings de New York, Cunningham de Dallas. Rien que la crème de la neurochirurgie des Etats-Unis !

    Il commençait à s’impatienter lorsqu’il entendit une voix claire derrière lui. Mais c’est Derek Shepherd que je vois là !

    Il se retourna et vit une superbe femme, grande et élancée, aux longs cheveux blonds bouclés, vêtue d’un élégant tailleur pantalon de couleur ivoire, qui s’avançait vers lui, un sourire radieux sur les lèvres. Bien qu’il ne l’ait plus vue depuis des années, il la reconnut immédiatement et s’avança vers elle, sincèrement heureux de la retrouver. Jenna ! Jenna Wise ! Si je m’attendais à te voir ici !

    Elle le rejoignit, les sourcils froncés et la moue boudeuse, pour lui donner une légère tape sur le bras. Toujours aussi goujat à ce que je vois ! Elle darda sur lui un regard qui était censé exprimer son dépit mais qui ne parvenait pas à cacher tout le plaisir qu’elle avait à le revoir. Comme si je n’avais pas ma place dans ce congrès ! Je suis neurochirurgienne tout comme toi, je te le rappelle, et pas la plus mauvaise.

    Derek la serra dans ses bras en riant. Quel mauvais esprit tu me prêtes !

    Oh non, pas du tout ! Je te connais trop bien. Après l’avoir embrassé sur la joue, Jenna se recula pour l'observer avec un air satisfait indiquant qu'elle avait arrêté de faire semblant d'être contrariée. Tu n’as pas changé depuis toutes ces années. Combien maintenant ? Cinq, six ans ?

    Six, je crois. Au mariage de Melinda et Jack, précisa Derek. Ils s’étaient connus sur les bancs de la faculté de médecine et avaient fait partie du même groupe d’amis mais ils s’étaient perdus de vue au moment de leur internat et depuis, ils ne se retrouvaient plus qu’à de très rares occasions. Il prit Jenna par le coude pour revenir vers le comptoir où l’attendait le réceptionniste.

    Une chance qu’il y ait la presse pour me donner de tes nouvelles ! dit Jenna avec un léger reproche dans l'intonation. J’ai lu tes derniers exploits avec Mark, les siamoises que vous avez séparées. Félicitations !

    Bah c’était pas grand-chose ! affirma Derek, faussement modeste. Il prit la clef qu’on lui tendait. Et toi, tu travailles toujours à Seattle avec ton père ?

    Oui, on ne change pas une équipe qui gagne, tu es bien placé pour le savoir. Jenna regarda sa montre. Une fois installé, que dirais-tu si on se retrouvait au bar de l’hôtel, pour boire un verre et évoquer le bon vieux temps ? Derek accepta l'invitation avant d’embrasser sa camarade et de suivre le groom vers les ascenseurs. Une heure plus tard, il était assis à une table, au fond du bar, près d’une fenêtre donnant une vue imprenable sur la baie de Biscayne, lorsque Jenna fit son entrée, vêtue d’une robe bleue qui mettait ses formes en valeur. Il lui fit signe et se leva pour l’accueillir. Tu es splendide, déclara-t-il en lui donnant une tendre accolade.

    Tu n’es pas trop mal non plus, répliqua-t-elle, se demandant toutefois s’il pensait vraiment ce qu’il lui avait dit car, pour ce qu’elle s’en souvenait, ce n’était pas son genre de faire des compliments.

    C’est sincère, assura Derek, comme s’il avait senti qu’elle éprouvait quelques doutes. Comment se fait-il que nous ne soyons jamais sortis ensemble, à la fac ? s’étonna-t-il en tirant une chaise pour qu’elle puisse s’y asseoir. A l’époque, il avait couché avec à peu près toutes les filles du campus. Comment avait-il pu négliger celle-ci alors qu’elle avait toujours fait partie de son clan restreint d’intimes ?

    Parce que tu avais déjà beaucoup trop à faire avec toutes celles qui te couraient après, répondit Jenna avec un petit rire. Et puis, je n’étais pas ton genre. Trop sage, trop studieuse, pas assez délurée…

    Quelque chose me dit que tu as changé. Ils rirent tandis que Derek faisait signe au serveur. Champagne ? 

    Volontiers. Jenna croisa ses longues jambes, attirant sur celles-ci le regard connaisseur de Derek tandis qu’il passait sa commande. J’ai halluciné en lisant tous ces articles sur ce que vous aviez fait, toi et Mark, lui apprit-elle après le départ du serveur. Après toutes ces années, vous êtes toujours ensemble. C’est fou, ça !

    Il sourit. Pas tellement, je trouve. On se connait depuis l’enfance, on a toujours tout fait à deux. Mark était la seule personne au monde en qui il avait toute confiance, parce que jamais au grand jamais, il ne l’avait trahi. Il est comme un frère pour moi, bien plus que ça même. Il regarda le serveur poser leurs deux coupes de champagne sur la table et en prit une en main qu’il éleva en l'air. A nos retrouvailles !


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  • Jenna leva son verre. A nos retrouvailles ! Ils burent une gorgée de champagne. En parlant de ça, reprit-elle. Il y a un an environ, j’étais à Denver pour un symposium de neurochirurgie. Elle regarda son compagnon avec un air légèrement moqueur. J’étais étonnée de ne pas t’y voir d’ailleurs.

    Je n'avais pas été invité, répondit Derek en souriant. Je n’étais pas le bienvenu à l’époque. Je ne le suis toujours pas d’ailleurs, rectifia-t-il. Mais disons que maintenant, je suis devenu incontournable.

    Modestie, quand tu nous tiens, plaisanta Jenna avant de redevenir sérieuse. Enfin, donc, à Denver, j’ai revu Abigail. Abigail Parker, crut-elle bon d’ajouter. Elle nota aussitôt avec étonnement les membres qui se raidissaient légèrement, la mâchoire qui se contractait, le regard qui se faisait plus dur.

    Inutile de préciser. J’avais compris, dit froidement Derek, les doigts serrés nerveusement autour de son verre.

    Derek… je… je suis… je suis désolée, balbutia Jenna au comble de l’embarras. Si j’avais su… Il y a si longtemps. Je pensais que cette histoire était derrière toi, maintenant, se justifia-t-elle.

    Elle l’est. Jusqu’à un certain point, reconnut Derek.

    Jenna opina lentement de la tête pour montrer qu'elle le comprenait. Tu sais, elle regrette…

    Il leva la main en l’air pour la faire taire. Non, Jenna, je t’en prie. Il avait mis tant d’énergie à enfouir cette histoire au plus profond de lui, arrivant même presque à l’oublier avec les années. Pourquoi, ces derniers temps, tout se mettait en place pour la faire ressortir ? Je ne veux pas en parler. Ça ne m’intéresse pas de savoir ce qu’elle t’a dit ou ce qu’elle pense. Ses regrets… Il haussa légèrement les épaules. De toute façon, rien de ce que tu pourrais me dire ne changera ce que j’ai vécu. Il darda sur Jenna ses yeux bleus où elle s’étonna d’encore lire tant de douleur, toutes ces années après. Rien n’effacera le mal qu’on m’a fait.

    Elle se pencha vers lui pour lui poser une main amicale sur le bras. Je sais que tu as beaucoup souffert et je sais tout ce que tu as perdu mais… Elle aussi, elle l’a payé très cher, Derek.

    Il ricana. Vraiment ? Aussi cher que moi ?

    Je crois, oui, dit Jenna d'une voix douce en se redressant. Elle aussi a tout perdu. Malgré lui, Derek lui jeta un regard intrigué. Il y a un peu plus d’un an, son mari et son fils unique sont morts dans un accident de voiture. Ils ont brûlé vif, lui révéla-t-elle. Tu n’en as rien su ?

    Touché malgré lui par l’annonce de ce drame qui avait si durement affecté celle dont il avait été jadis amoureux, Derek hocha la tête avec un air grave. Non, je n'étais pas au courant. C’est horrible. Personne ne mérite de vivre ça, je suppose.

    Effectivement. Tu sais, elle a pris conscience de…

    A nouveau, il l’interrompit. Ecoute, Jen, je suis désolé pour elle. Sincèrement. Mais je ne veux pas parler d'elle. De tout ça. Il lui adressa soudain un sourire désarmant, alliant à la fois candeur et malice. Si tu veux vraiment évoquer ce qu’on a raté dans le passé, suis-moi dans ma chambre. Ce n’était que de la pure provocation. Certes, Jenna était une belle femme, intelligente et plus que désirable. Mais il savait maintenant qu’elle, pas plus que les autres, ne pourrait lui faire oublier celle qui lui avait mis la tête et le cœur à l’envers.

    Derek Shepherd ! Jenna éclata de rire. Vous n’avez pas changé ! Toujours aussi franc et direct ! Elle le regarda un instant en secouant la tête, ne revenant pas de la proposition qu’il venait de lui faire. Et terriblement indélicat aussi !

    Et terriblement indélicat, approuva-t-il en souriant, étonné de ressentir du soulagement à l'idée de ne pas devoir la repousser. Alors, qu’est-ce que tu en dis ? insista-t-il, juste par jeu.

    Nan ! s’écria Jenna, amusée par son insistance. Tu as raté le coche à la fac. Tant pis pour toi !

    Justement. Ce serait bête de ne pas réparer cette erreur, s'entêta Derek tout en étant certain maintenant que cela ne prêterait pas à conséquence.

    Jenna lui donna une petite tape sur le bras. Je te rappelle que je suis mariée.

    Derek hocha la tête. Je sais, j’ai assisté à ton mariage.

    Eh bien, sache que mon mari me rend très heureuse et que je l’aime vraiment beaucoup. Tu n’as aucune chance, Derek, conclut Jenna en plissant son nez en une grimace amusante. Dire que près de douze ans plus tôt, elle aurait donné n’importe quoi pour qu’il s’intéresse à elle ! Et maintenant que cela se produisait, c’était elle qui n’en voulait plus.

    Il la regarda affectueusement et aussi avec respect. Il n’avait pas souvent l’habitude d’essuyer un refus et certainement pas pour un tel motif. En général, la plupart des femmes oubliaient leur conjoint lorsqu’il leur manifestait de l’intérêt. Tant pis ! Dis-moi, si tu n’avais pas été mariée, est-ce que… Il évita en riant la nouvelle tape qu’elle voulait lui donner et fit signe au serveur de leur resservir deux coupes.

    Et toi ? s’enquit Jenna avec curiosité.


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  • Moi ? Derek regarda Jenna sans comprendre ce qu’elle voulait dire. Elle leva sa main afin de lui montrer son alliance. Il eut l’air abasourdi. Si je suis marié ? C’est ça que tu veux savoir ? Elle acquiesça d'un signe de tête en souriant. La réaction du neurochirurgien venait de lui donner sa réponse. Grands dieux, non ! s’écria-t-il. Tu m’imagines marié ? Il commença à rire devant l’énormité de la supposition.

    Sans être marié, tu pourrais avoir quelqu’un dans ta vie, lui fit remarquer Jenna.

    Le rire cessa aussitôt pour faire place à un soupir. Bien qu’étant à l’autre bout du pays, il n'était pas permis à Derek de ne pas penser à Meredith. Même les personnes qui ne la connaissaient pas la lui rappelaient. Bah oui, il y a quelqu’un mais… Il grimaça. C’est compliqué. Très compliqué.

    Jenna sourit. Ça ne va pas certainement pas se simplifier si tu continues à draguer les inconnues dans les bars des hôtels.

    Tu n’es pas une inconnue, interjeta Derek pour sa défense. Et puis, elle n’est au courant de rien. J’ai toujours fait attention, je suis resté discret. Il réalisa subitement à quel point ce qu’il disait était sordide. Qu’elle soit discrète ou pas, la trahison était bien réelle. Meredith l’aimait, elle avait confiance en lui et il bafouait ses sentiments. Une fois de plus, il se dit qu’elle ne méritait vraiment pas d’être tombée sur un salaud comme lui.

    Jenna comprit, en voyant son expression tourmentée, que même s’il trompait cette femme, il devait l’aimer profondément. Comme il était torturé ! Jusqu’au jour où elle l’apprendra, Derek, chuchota-t-elle. Ecoute, on ne s’est plus vu depuis longtemps et je ne suis pas là pour te donner des leçons. En plus, je ne veux pas avoir l’air de me mêler de ce qui ne me regarde pas mais… Elle lui sourit. On a partagé tellement de choses. Je me souviens très bien du garçon tendre et prévenant qui sortait avec Abigail. Il la fusilla du regard à l’évocation de cette période de sa vie. Elle feignit de ne pas le remarquer. Ce que tu lui as donné, pourquoi ne pas le donner aussi à cette jeune femme ?

    Derek se tut un instant, essayant de lutter contre les images du passé qui venaient l’assaillir en force. Peut-être pour éviter qu’elle n’en fasse la même chose, qu’elle me brise le cœur, avoua-t-il enfin. Plus jamais il ne laisserait quelqu'un le réduire à l’état de loque comme Abigail l’avait fait. Le garçon dont tu parles, il est mort, Jenna. Depuis plus de dix ans. Et rien ne le ressuscitera.

    Elle fit une moue dubitative. Je ne suis pas d'accord. Oh bien sûr, ça t’arrange de le croire mais… Elle regarda Derek bien en face, affrontant les yeux furibonds qui lui intimaient l’ordre de se taire. Tu as l’enfoui bien au fond de toi, c’est certain, mais il est toujours là. Elle lui dédia un sourire plein d’affection. Tu devrais penser à le laisser sortir. Je l’appréciais beaucoup, ce garçon, moi.

    Derek choisit à nouveau la plaisanterie pour chasser le flot d’émotions qui le submergeait. Et s’il revenait là, maintenant, tu accepterais de coucher avec lui ?

    Jenna le regarda, interloquée, avant d’éclater de rire. Tu es vraiment infernal ! Elle lui retira la main qu’il avait prise. Au lieu de dire des bêtises, parle-moi plutôt de cette fille avec qui c’est si compliqué.

    Jenna ! geignit Derek en espérant qu’elle n’allait pas insister.

    Elle le toisa avec ironie. S’il pensait qu’il allait l’amadouer avec son ton pleurnichard et ses yeux de victime, il se trompait lourdement. Je ne sais pas si tu t’en souviens, mais j’étais assez têtue comme fille. Je n’ai pas changé d’un iota. Alors, elle s’appelle comment ?

    Meredith, répondit Derek du bout des lèvres. Si seulement Jenna pouvait se contenter de ça !

    Elle but une gorgée de champagne, attendant avec impatience la suite de l'histoire. Comme Derek restait silencieux, elle ouvrit de grands yeux où se reflétait la curiosité. Et ? Même si je dois te tirer les vers du nez, Derek, je finirai par te faire dire tout ce que je veux savoir, ajouta-t-elle en réponse au soupir qu’il venait de pousser pour exprimer son exaspération. Alors, comment vous êtes-vous rencontrés ? Elle est chirurgienne, elle aussi ? Elle travaille avec toi ?  

    Non, non, elle est étudiante. Le regard de Derek se perdit dans le vide. Enfin, pour le moment, elle travaille dans un magasin de douceurs, mais elle compte reprendre ses études très prochainement, clarifia le chirurgien sans se rendre compte qu’il était devenu disert. Pour le moment, elle révise les matières pour le SAT et après, je pense qu’elle se destine à la psychologie. Il eut un sourire attendri. Elle veut aider les enfants en souffrance. C’est un peu idéaliste mais… Il s’arrêta de parler, se remémorant les tirades passionnées dont Meredith l’avait gratifié lorsqu’elle parlait de ce sujet qui lui tenait tant à cœur. Oui, idéaliste, peut-être même un peu utopique, mais il aimait particulièrement cet aspect de sa personnalité, lui qui ne croyait plus en rien.

    Jenna resta bouche bée. Elle ne se souvenait pas l'avoir déjà vu ainsi. Cette tendresse qui émanait de lui, comme un halo, cette douceur dans la voix… Sa curiosité fut exacerbée, lui donnant envie d’en savoir plus sur ce phénomène qui avait réussi à métamorphoser un homme que les grands sentiments n’avaient jamais étouffé. Hmm… Etudiante, tu dis ? Mais elle a quel âge ?

    Elle vient d’avoir vingt-et-un ans, soupira Derek. Oui, je sais, elle est jeune. Très jeune.

    Jenna fronça les sourcils. Trop jeune ? C’est pour ça que c’est compliqué ?


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  • Non, non, pas du tout. Enfin, je veux dire… Derek ne sut pas pourquoi mais il se retrouva en train de livrer ses tourments à son amie. Elle est très mûre pour une fille de son âge, ce n’est pas ça. Mais j’ai quinze ans de plus et un jour, cette différence va se marquer. Je serai un vieillard et elle, encore une jeune femme. Voilà deux fois en quelques jours que cet argument sortait de sa bouche. Il réalisa à quel point cette perspective l’épouvantait. Etre aux côtés de Meredith et ne plus lui plaire, ne plus lui inspirer du désir, la dégoûter peut-être, ne plus être capable de la satisfaire non plus, en un mot ne plus en être aimé. Jamais il ne pourrait le supporter.

    Ça vous laisse quelques années tout de même, se moqua gentiment Jenna.

    Oui, bien sûr, mais je ne veux pas attendre le moment où elle me jettera. J’ai déjà donné, dit Derek, la gorge serrée. Cette fille… Meredith, murmura-t-il avec passion. J’y tiens vraiment. Enormément. Il garda le silence durant quelques secondes, mesurant encore une fois à quel point la jeune fille lui manquait. En fait, j’en suis fou. Complètement dingue. Elle est tellement… Il frissonna.

    Tellement…

    Quand je l’ai rencontrée, elle venait de débarquer de sa campagne. Je l’ai trouvée plutôt quelconque, reconnut Derek, s’étonnant de la facilité avec laquelle il se confiait à Jenna, pour réaliser juste après qu’en fait c’était à lui qu’il faisait plaisir. Evoquer sa relation avec Meredith, c’était d’une certaine façon l’avoir auprès de lui. Puis, surtout, dans deux jours, Jenna serait rentrée chez elle. Ils allaient se perdre de vue à nouveau. Cette conversation n’aurait aucune conséquence. Mais elle m’a amusée. Elle était tellement fraîche, tellement naïve, pas calculatrice pour un sou, pas intéressée non plus. Aux antipodes de tout celles que j’avais connues jusqu’alors. Elle s’est moquée de moi, à cause de ma Porsche et de mes goûts de luxe. Elle trouve que je suis un frimeur.

    Jenna arbora un sourire quelque peu moqueur. Mais où va-t-elle chercher ça ? Déjà du temps de la fac, Derek faisait sensation avec sa belle décapotable et ses vêtements signés par les plus grands couturiers. Il y avait les fans et ceux qui, comme elle, pensaient que le garçon aurait tout gagné à être un peu plus humble.

    Il sourit aussi. Oui, elle n’a pas tort, je sais. Elle, elle s’en fout de tout ça. Elle est tout aussi contente d’aller manger au McDo que dans un restaurant chic. Tu sais, dit-il subitement après un moment de réflexion que Jenna s’était bien gardé d’interrompre, elle est la première femme dont je suis certain qu’elle est avec moi pour ce que je suis, moi, en tant qu’homme. Je ne comprends pas trop ce qu’elle peut me trouver mais je sais que si demain, je devais me retrouver sans le sou, sans rien, elle serait toujours là.

    Jenna faisait attention de ne pas trop en dire, de peur de faire cesser ces confidences inattendues. Elle réalisait pleinement le moment exceptionnel qu’elle était en train de vivre, le fier et taciturne Derek Shepherd qui lui ouvrait son cœur et lui livrait les tréfonds de son âme. Mais elle n’était pas dupe. Elle s’était simplement trouvée au bon endroit au bon moment. Il y avait fort à parier que son ancien condisciple se serait comporté de la même façon avec toute personne qui aurait pris la peine de l’écouter. Tu n’as pas une photo que je voie comment elle est ? s’enhardit-elle à demander.

    Derek secoua la tête. Non, tu sais, moi, les photos… Elle n’est pas très grande mais très mince, très fine. La tendresse inonda son visage. De longs cheveux blonds, un peu comme les tiens. Ils sentent la lavande, j’adore ça. Sous le regard ébahi de son amie, il ferma les yeux pendant quelques secondes, ayant soudain la sensation de respirer le parfum de Meredith. En un flash, il vit la jeune fille telle qu’il la préférait, les cheveux au vent, riant aux éclats, les lèvres gonflées de ses baisers. Puis, il y avait ses regards. Elle est magnifique. Surtout quand elle se met en colère. Ses yeux, chuchota-t-il si bas que Jenna douta d’avoir bien compris. Si tu voyais ses yeux dans ces moments-là ! J’adore la mettre en rage rien que pour ça, avoua-t-il avec un sourire débordant d’amour. Mais elle est belle intérieurement aussi. Il prit un air penaud. Je sais, ça fait un peu cliché, pourtant je te jure que c’est vrai pour elle. Il n’y a pas une once de méchanceté en elle. Il n’y a rien de mauvais d’ailleurs. C’est comme si une bonne fée lui avait épargné de ressentir toutes les mauvaises choses que les êtres humains ont l’habitude de ressentir les uns envers les autres. Elle pense toujours d’abord aux autres avant de penser à elle. Et elle ne supporte pas qu’on manque de respect aux gens. Il releva vers Jenna des yeux où se lisait de la fierté. Elle ne se gêne pas pour me faire la leçon d’ailleurs. Il rit doucement en repensant à toutes ces fois où Meredith n’avait pas pris de gants pour lui dire sa façon de penser. J’en ai déjà pris pour mon grade, je te prie de me croire. Et elle fait de moi quelqu’un de meilleur. Je suis conscient que j’ai encore beaucoup de progrès à faire mais je me suis déjà amélioré et c’est grâce à elle. Et elle est fière, oh mon dieu oui ! Certainement autant que moi. Elle a vécu des choses assez difficiles ces derniers temps et elle les a surmontées, ajouta-t-il en pensant à l’épisode O’Malley. Elle se décourage parfois mais elle finit toujours par se relever. Elle ne baisse pas les bras. Et puis, elle est franche et droite, pas le genre à vous planter des poignards dans le dos. Ça me change. Il scruta Jenna, comme s’il attendait son verdict.

    Mais alors, en quoi est-ce compliqué, votre histoire ? Je veux dire… elle t’aime et toi… Jenna le regarda, encore abasourdie par ce qu’elle venait d’entendre. Tu parles d’elle avec tellement de passion. Je ne t’ai jamais vu comme ça, Derek, même avec Abigail.

    Je n’ai jamais été comme ça avec personne, et certainement pas avec Abigail, asséna-t-il avec conviction.

    Jenna parut perplexe. Alors, je ne vois pas… Tu l’aimes. Meredith, tu l’aimes vraiment.

    Derek sentit des larmes piquer ses yeux et se maudit pour cette sentimentalité qui ne lui ressemblait vraiment pas. Il détourna pudiquement la tête. Je ne pensais pas que ça m’arriverait encore. Et pour être tout à fait franc, si j’avais pu le prévoir, je crois que je me serais enfui à l’autre bout du monde. Il ricana pour camoufler son émotion.


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