• CHAPITRE 923

    La musique du carillon de l’entrée résonna dans la maison silencieuse. Taylor leva la tête du recueil de poésies de Walt Whitman que son professeur d’anglais avait eu la mauvaise idée d’imposer comme prochain devoir. Elle profita de l’occasion trop belle qui lui était offerte de mettre fin à son calvaire – elle détestait la poésie et plus particulièrement celle de Whitman – et bondit hors du fauteuil dans lequel elle s’était confortablement installée. J’y vais, hurla-t-elle à l’intention de sa mère qui était à la cuisine, en train de faire de la pâtisserie. Elle courut jusqu’à la porte qu’elle ouvrit, haletante. Qui que vous soyez, je vous adore et je vous bénis… Elle s’arrêta, la bouche ouverte, en découvrant celui qui était devant elle.

    Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça mais merci, répondit Derek, un petit sourire amusé sur les lèvres. Cette gamine devait être la fameuse Taylor que Meredith et Mark avaient évoquée lors de la conversation téléphonique à laquelle il avait assisté.

    La jeune fille avait déjà repris ses esprits. De rien. Elle le toisa, légèrement provocante. Impossible de s’y méprendre, c’était bien le type qui était sur un bon nombre des photographies de Momsy. Alors comme ça, voilà le fameux Derek. Vous en avez mis du temps pour vous décider à venir, lança l’effrontée.

    Cette fois, Derek sourit largement. Outre le fait que cette jeune insolente l’amusait, il appréciait qu’elle sache qui il était. Cela signifiait que Meredith avait parlé de lui. Et la dernière remarque, presque un reproche, lui fit espérer que sa venue avait été évoquée, souhaitée même. Je suis parfois un peu long à la détente, je l’avoue.

    Je vois ça, ironisa Taylor. Dommage parce que Meredith n’est pas là. Le sourire du chirurgien s’effaça instantanément. Mais je peux vous emmener voir Momsy, comme ça, vous ne serez pas venu pour rien, ajouta Taylor, toujours aussi moqueuse. Elle recula de quelques pas pour lui libérer le passage.

    Meredith… où est-elle ? demanda-t-il en la suivant à travers les couloirs. Durant tout le voyage depuis San Francisco, il avait pensé à ce que serait sa confrontation avec son ex petite-amie. Il avait tout imaginé, qu’elle éclaterait en sanglots, qu’elle lui claquerait la porte au nez, qu’elle hurlerait, qu’elle l’insulterait, qu’elle le frapperait même, mais certainement pas qu’elle serait absente.

    A Santa Rosa, lui apprit Taylor. Elle passe son permis de conduire. Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez toujours l’attendre. Derek grimaça. Du temps, justement, il n’en avait pas beaucoup. Il était attendu au bloc en fin d’après-midi pour une intervention qu’il lui était absolument impossible de reporter. Il avait quitté l’hôpital sur un coup de tête, directement après sa conversation avec Callie, espérant que les quelques heures qu’il avait devant lui suffiraient à convaincre Meredith de son amour et de sa bonne foi. Il ne lui restait plus qu’à prier pour qu’elle rentre rapidement. Ils étaient à la porte qui menait à la terrasse lorsque tout à coup, Taylor lui fit signe de s’arrêter. Vous avez de la visite, Momsy, annonça-t-elle en sortant.

    Si c’est le docteur ou le pasteur, tu peux les renvoyer chez eux, grommela la vieille dame. J’en ai marre d’entendre leurs jérémiades. Peuvent pas me laisser mourir en paix, non ?

    C’est pas le pasteur, chantonna la jeune fille. Elle se retourna vers Derek avec un regard appréciateur. Sinon, j’irais à l’église plus souvent. D’un signe de tête, elle l’invita à la rejoindre.

    Oh mon dieu ! s’exclama Momsy en découvrant l’identité de son visiteur.

    Lorsqu’il aperçut la frêle silhouette de la grand-mère de Mark, toute petite dans le grand fauteuil en osier, une émotion indicible étreignit Derek et il eut soudain une folle envie de pleurer. Lorsque sa voiture avait franchi la barrière de la propriété, une foule de souvenirs avaient afflué à sa mémoire. C’était ici qu’il avait vécu les plus belles heures de son enfance : les courses de vélo avec Mark, les jeux avec les gamins des environs, les randonnées dans la campagne, les parties de pêche dans l'étang, les soins aux animaux, les visites au Musée Charles Schulz, le créateur de "Peanuts", les séances de cinéma, les goûters d’anniversaire… C’était dans cette maison qu’il avait pu échapper à la terrible dynamique familiale, redevenir un enfant comme les autres, agir un tant soit peu à sa guise, faire ses propres expériences, des bêtises même, parfois, sans craindre d’être jugé ou brimé. C’était ici enfin qu’il avait appris ce qu’étaient l’amour et la tendresse d’un parent, car Momsy avait été bien plus une mère pour lui que sa génitrice. Il fut près d’elle en deux enjambées et, s’agenouillant à ses pieds, posa la tête sur ses genoux, les bras autour de sa taille, respirant à pleins poumons son parfum qui lui rappelait tant de moments heureux.

    Emue, Momsy posa sa main sur la tête de celui qu’elle considérait comme son deuxième petit-fils et joua avec ses boucles brunes. C’est bon, Taylor, tu peux nous laisser, dit-elle à l’intention de la jeune fille qui les regardait avec étonnement. Tu devrais retourner à ta lecture avant que ta mère ne t’étripe. Elle attendit que l'adolescente disparaisse pour s’adresser à Derek qui se serrait toujours contre elle. Te voilà donc, garnement ! murmura-t-elle tendrement. Il t’en a fallu du temps pour retrouver le chemin de la maison.

    Il se redressa et ses yeux débordants de larmes se plantèrent dans ceux de la vieille dame. Douze ans, chuchota-t-il, plein de remords. J’aurais dû revenir plus tôt. Je suis impardonnable.

    Cesse de dire des bêtises. Momsy passa sa main sur la joue mal rasée du chirurgien. Il te fallait juste une bonne raison de revenir.

    Vous étiez la meilleure des raisons, Momsy. C’est juste que… - il poussa un long soupir - c’était trop dur de revenir ici. La savoir au cimetière, ici, tout près… Je n’avais pas la force, reconnut-il avec franchise.

    Momsy lui sourit. Mais aujourd’hui, tu l’as trouvée, la force, n’est-ce pas ? Il acquiesça. Oui, aujourd’hui, il avait trouvé la force de venir défier ses vieux démons. De toute façon, il n’avait plus le choix, parce que la seule chose que lui avaient appris ces derniers jours, c’était que vivre sans Meredith était la pire des souffrances.


  • Commentaires

    1
    Butterfly
    Dimanche 5 Mai 2019 à 16:45

    Vraiment pas de chance ! Le jour où Derek se décide enfin à venir à Santa Rose, Meredith n'est pas là ! J'espère qu'elle va rentrer avant qu'il parte.

    La 1e rencontre entre Derek et Taylor est amusante, et les retrouvailles avec Momsy très émouvantes 

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