• CHAPITRE 915

    Oh quelques-uns, admit Momsy, l’air malicieux. Jusqu’à ce que je rencontre mon Edward, crois-moi, je ne me suis pas ennuyée. Après non plus, d’ailleurs. Lui et moi… Elle se tut mais son air coquin fut éloquent.

    Meredith l’enveloppa d’un regard tendre. Momsy avait beau avoir plus de quatre-vingts ans, elle ressemblait encore parfois à une enfant espiègle. Parlez-moi de lui, quémanda-t-elle. De tout temps, elle avait toujours apprécié écouter les vieilles personnes conter leurs amours et leurs faits de jeunesse. Elle aimait voir dans leurs yeux le bonheur qu’ils éprouvaient à revivre leurs belles années. Enfin, si vous voulez bien…

    Momsy lui désigna de l’index une vieille commode en chêne. Va me chercher mon album de photos, là, dans le second tiroir. Meredith se leva pour aller jusqu’au meuble et y prendre un grand et épais album recouvert de cuir bleu foncé. Elle revint le donner à Momsy qui le feuilleta rapidement jusqu’à trouver une ancienne photo en noir et blanc sur laquelle un couple posait, un peu guindé, souriant à son avenir. Voilà Edward, et moi bien sûr, le jour de notre mariage. Le 30 mars 1949. J’étais un tout petit peu enceinte, précisa-t-elle avec un petit clin d’œil à l’intention de Meredith.

    Celle-ci regarda la photo de plus près. Ça ne se voit pas. Et votre mari est vraiment un bel homme. Je trouve que Mark lui ressemble un peu. Momsy hocha la tête avec fierté. Et vous, qu’est-ce que vous étiez belle ! s’extasia Meredith.

    Ah j’avais vingt-quatre ans. On est toujours belle à cet âge-là. Momsy regarda la photo avec nostalgie. C’était une belle journée. On n’était que tous les deux à Vegas. Ce n’était pas le même cirque que maintenant, là-bas. Tu n’avais pas encore tous ces sosies d’Elvis. Elle passa légèrement le doigt sur la photo, comme si cela allait lui permettre de retrouver la sensation de la peau de son mari. C’était un jour parfait, exactement comme on l’avait imaginé.

    Vous n’étiez que tous les deux ? releva Meredith, surprise. Vous n’aviez pas envie d’avoir votre famille avec vous pour votre mariage ?

    Momsy fit la moue. Oh moi, je n’avais plus de famille depuis bien longtemps. Quant à celle de mon mari… on ne les avait pas invités. Ils n’approuvaient pas notre union.

    Oh pourquoi ?

    Mon mari était issu d'une très bonne famille, mentionna la vielle dame, légèrement ironique. Avocats, médecins, architectes, hommes d’affaires, le grand monde, quoi. Quand j’ai rencontré Edward, ça a été un vrai coup de foudre, se souvint-elle avec émotion. On a tout de suite su qu’on était fait l’un pour l’autre mais… Il était déjà marié. Alors, il a quitté sa femme. Dans son milieu, l’infidélité était tolérée, pas le divorce. Chez ces gens-là, il n’y a rien de plus important que les apparences. Et puis, je n’étais pas assez bien pour eux. Je n’étais qu’une minable petite actrice.

    Vous étiez actrice ? s’écria Meredith, surprise autant que ravie. C’est génial !

    Oui enfin, j’étais pas Elisabeth Taylor tout de même, tempéra Momsy, amusée par l’enthousiasme de la jeune fille. Fantastique actrice, cette Elisabeth. Gentille fille, quoiqu’un peu capricieuse. Mais comment peut-il en être autrement quand on devient une star à douze ans ?

    Qui avez-vous connu encore ? demanda Meredith avec empressement. Il y avait fort à parier que les souvenirs de Momsy n’avaient rien à voir avec ceux des petits vieux de Crestwood. Avec elle, elle avait l’impression de pénétrer dans un monde de strass et de paillettes qui lui était totalement étranger.

    Oh je les ai tous connus. Pas intimement bien entendu, mais j’ai travaillé avec eux. Momsy se mit à énumérer les grands acteurs qu’elle avait eu la chance de côtoyer. Clark Gable, Montgomery Clift… Ce cher Monty, soupira-t-elle avec regret. Cet artiste magnifique que l’alcool avait détruit. Mickey Rooney, Judy Garland, Esther Williams, Henry Fonda, Katharine Hepburn, Spencer Tracy… Bogie… Humphrey Bogart, précisa-t-elle devant le regard interrogateur de Meredith. Ça ne te dit pas grand-chose, tous ces noms, n’est-ce pas ?

    Meredith afficha un air contrit. Pas vraiment. J’en connais certains, oui, bien sûr, mais j’avoue ne pas avoir vu leurs films. A part Judy Garland dans Le Magicien d'Oz et Gable dans Autant en emporte le vent.

    Ah ce n’est déjà pas si mal. Et si je te dis Marilyn ?

    Meredith ouvrit de grands yeux ébahis. Marilyn Monroe ? Sérieux, vous avez connu Marilyn ? Même si elle n’avait pas vu beaucoup de ses films, l’actrice était un symbole pour elle. Adolescente, elle avait eu tout un temps, accroché au mur de sa chambre, face à son lit, le poster de la bombe blonde et sensuelle dont la robe se soulevait au-dessus d’une bouche de métro.

    Très bien même. On s’est rencontrée dans des auditions, à nos débuts. Elle était très gentille, elle aussi, mais tellement paumée. Momsy se tut un instant, repensant à sa camarade, si fragile, qui était prête à tout pour connaître la gloire. Elle avait réussi mais le prix à payer avait été très élevé. J’ai toujours su que ça se terminerait mal pour elle, reprit Momsy. C’est avec elle que j’ai tourné mon dernier film, Bagarre pour une blonde, en ’48. Elle sourit, moqueuse. Notre nom n’a même pas été mentionné au générique, c’est te dire l’importance de notre rôle. Ça s’est arrangé pour elle, après. Moi, je me suis arrêtée, à cause d’Edward et de mon fils.

    Et vous ne l’avez jamais regretté ? Meredith avait quelques difficultés à imaginer qu’une personne puisse vivre de telles expériences, connaître tant de gens exceptionnels, pour ensuite replonger dans la routine d’une vie normale, sans jamais se dire qu’elle avait peut-être eu tort de renoncer à ce qu'elle avait avant.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :