• Est-ce que tu te rends compte qu'à cause de ton silence, j'ai assisté aux funérailles du violeur de ma petite fille ? poursuivit Anne. J'ai pleuré pour lui ! J’ai vanté ses mérites, j'ai consolé ses parents, j'ai prié pour son salut. Et je lui ai acheté une énorme gerbe de fleurs qui m'a couté les yeux de la tête, entre parenthèses. Si j'avais su la vérité, j'aurais craché sur sa tombe plutôt, conclut-elle avec fermeté.

    Meredith ne put s'empêcher de sourire tant cet acte était improbable de la part de sa mère. Ça, ça m'étonnerait.

    Dans tous les cas, je n'aurais pas été à son enterrement, affirma Anne.

    Je sais mais c'est justement ce que je ne voulais pas, lui confia Meredith. Tout le monde aurait trouvé ça suspect. Déjà que Cristina et moi n'étions pas là… Je ne voulais pas que les gens puissent soupçonner quoi que ce soit. Je n'ai pas envie que, le jour où je retournerai chez nous, tout le monde me regarde avec pitié. Je ne veux pas être considérée comme une victime. Et je ne veux pas être l'objet des commérages, pas ce genre-là en tout cas, expliqua-t-elle. Et en plus, je ne voulais pas que ses parents soient au courant. Tu imagines, apprendre que ton fils unique était un salaud ? Ça les achèverait et moi, ça ne m'apporterait rien. Autant qu'ils gardent une bonne image de lui.

    Anne regarda sa fille avec une sincère admiration. Tant de maturité à un si jeune âge ! Et quelle bonté d'âme ! Beaucoup de personnes dans la même situation auraient simplement pensé à obtenir justice ou même à se venger. C'est remarquable de ta part. Je ne crois pas que j'aurais été aussi bonne que toi. Et je comprends que tu ne veuilles pas faire de publicité autour de cette histoire. Mais moi, Meredith ! J'étais en droit de savoir, tu ne crois pas ? Je suis ta mère tout de même !

    Meredith soupira. Oui et je te demande pardon de t'avoir caché ça. Mais je te connais, maman. Si je t'avais prévenue, tu aurais paniqué, tu m'aurais harcelée pour que je rentre à Crestwood, j'aurais refusé et tu aurais passé tes journées à stresser en pensant aux dangers que je courais ici. Ce qu'on ne sait pas ne peut pas faire de mal. Elle avait été scandalisée lorsque Derek lui avait dit la même chose mais avec le recul, elle réalisait qu'il avait raison. La révélation de l'infidélité de son petit-ami avait fait voler son bonheur en éclat et apprendre sa relation avec Callie avait ruiné ses derniers espoirs de réconciliation. Elle qui d'ordinaire était l'apôtre de la vérité se rendait compte maintenant qu'elle aurait préféré ne rien savoir parce que savoir la vérité la faisait souffrir d’une façon insupportable et qu'elle ne savait pas comment faire pour que cette douleur disparaisse.

    Je suis ta mère, répéta Anne. C'est à moi de te protéger, pas l'inverse. Tu avais subi cette chose horrible. Tu étais blessée, traumatisée, bouleversée. C'était ma place d'être auprès de toi. J’aurais pu t'aider, te soutenir. C'est ce qu'une mère doit faire pour son enfant, insista-t-elle, la voix soudain tremblante d'émotion.

    Ne t'en fais pas, maman. J'ai été très bien entourée, assura Meredith. Oui, Derek avait vraiment été aux petits soins pour elle. C'était d'autant plus dur d'admettre qu'après s'être conduit en parfait gentleman et l'avoir soutenue de toutes les manières possibles, il s'était comporté comme un parfait connard en la trompant pour des motifs que, faute d'explications sérieuses, elle trouvait toujours aussi fallacieux. Je me suis fait de très bons amis ici. Ils m’ont aidée à surmonter tout ça, ajouta-t-elle, le cœur lourd en réalisant qu’elle mourait d’envie de parler de Derek à sa mère. Malheureusement, elle ne pouvait pas le faire parce que celle-ci ne comprendrait jamais pourquoi elle était tombée amoureuse d’un tel homme et encore moins pourquoi elle l'aimait encore, en dépit de tout ce qu’il lui avait fait. Une bouffée de ressentiment reflua en elle parce que, à cause de lui, elle devait cacher tant de choses à sa mère, lui mentir, ce qu’elle n’avait jamais fait avant de le rencontrer. Je suis désolée de ne t'avoir rien dit, dit-elle d'une petite voix, en allant s'installer à côté d'elle. Mais je ne voulais pas que tu t'en fasses pour moi. Je n'aurais pas été capable de gérer ça en plus du reste.

    Anne lui prit la main. Je comprends. Elle secoua la tête avec un air catastrophé. Quand je pense que je lui faisais toute confiance ! Je m’étais sentie tellement rassurée quand tu m’avais annoncé qu’il vous accompagnait. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’il se conduirait de cette façon. Il avait l'air si gentil, si doux.

    Il l’était, concéda Meredith. A Crestwood. Mais une fois qu’on est arrivé ici, il a changé. C’est devenu un autre homme, méchant et violent.

    Anne serra la main de sa fille. Est-ce que tu te sens le courage de me raconter ce qui s'est passé ? Meredith acquiesça. Pendant plus d'une heure, elle relata à sa mère la violence autant physique que verbale dont elle avait été l'objet de la part de son ami d'enfance, lui cachant seulement le fait que ce dernier l'avait espionnée alors qu'elle faisait l'amour avec Derek. Elle n'évoqua ce dernier qu'une seule fois, très naturellement, sans presque s'en rendre compte, lorsque, qu’emportée par son récit, elle mentionna qu’elle avait eu un petit ami et que c’était cette relation qui avait été à l’origine du changement de comportement de George. En découvrant tout ce que sa fille avait subi, Anne fut horrifiée et elle mêla ses larmes à celles de Meredith lorsque celle-ci décrivit la tentative de viol, expliquant qu'elle avait cru sa dernière heure venue, car elle était déterminée à mourir plutôt que de soumettre au désir de son agresseur. La jeune fille confia enfin à sa mère le soulagement qu'elle avait ressenti en apprenant la mort de George, parce que cela signifiait qu'elle n'aurait plus jamais à le craindre, ni à l'affronter, mais que ce sentiment l'avait laissée un peu honteuse parce que ce n'était pas bien de se réjouir de la mort d'un être humain. Anne balaya le scrupule d'un revers de la main. Tu n'as pas à te sentir honteuse, en aucune façon. Tu n'as pas souhaité sa mort après tout. Et quand bien même ! s’emporta-t-elle. Après ce qu'il t'avait fait, ça aurait été compréhensible. Ce sale petit enfoiré ! Te faire subir tout ça, jour après jour ! Pour qui se prenait-il, à croire que tu étais sa propriété, sa chose ?


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  • D’après Cristina, il était amoureux de moi depuis longtemps, expliqua Meredith.

    Anne esquissa un sourire. Evidemment. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Il n’y a que toi pour ne pas t’en être rendu compte. Meredith haussa les épaules. Et ton petit-ami ? se renseigna sa mère.

    C’est fini, s’empressa de répondre Meredith en essayant d'avoir l'air le plus détaché possible. Ça n’a pas marché, on a rompu.

    A cause de ce qui s’est passé avec George ?

    Il aurait été facile d’enfoncer Derek en le chargeant de tous les maux mais Meredith ne l’envisagea pas une seconde. Non, pas du tout, dit-elle en secouant la tête. Au contraire, il s’est montré très compréhensif et il m’a beaucoup soutenue. C’est juste qu’on n’avait pas la même vision du couple.

    Il vaut mieux s’en rendre compte dès le début, avant d’être trop engagé, jugea Anne. De toute façon, tu es tellement jeune, tu as encore le temps pour ça. Amuse-toi un peu avant. Profite de la vie. Et pense à ton avenir surtout. Pourquoi tu ne reprendrais pas des études ? Suis une formation au moins. Il n’y a pas de sot métier mais tu es bien trop brillante que pour travailler dans cette boutique toute ta vie.

    Je n'ai jamais dit que je ferais ça toute ma vie.

    Tant mieux ! Anne poussa un petit soupir. J’ai toujours regretté que tu ne continues pas tes études après le lycée.

    Tu sais très bien pourquoi je ne l’ai pas fait, répliqua Meredith.

    Oui je le sais, mais avec le recul, je me dis que j’aurais dû te pousser. On se serait arrangé pour l’argent, on aurait trouvé une solution. J’aurais demandé à ton grand-père de t’aider, je peux encore le lui demander d’ailleurs, proposa Anne. J'aimerais tellement que tu ailles à l'université.

    C'est ce que je vais faire mais ce ne sera pas la peine de demander à Grand-Père de m'aider. J’ai déjà tout l’argent qu’il me faut. Meredith réalisa alors qu’en prononçant ces mots, elle venait implicitement d’accepter l’héritage de Momsy. Bizarrement, elle n’en éprouva aucune gêne. Au contraire, elle eut le sentiment que c’était ce qu’elle devait faire. Comme Frances le lui avait dit, c’était la liberté que Momsy lui avait offert. Ce cadeau était le plus beau de tous. Il était de ceux qu’on ne peut pas refuser.

    Les yeux d’Anne s’écarquillèrent de surprise. Ah bon ? Mais comment tu as pu économiser assez d’argent pour te payer l'université, en travaillant seulement quelques mois dans une boutique de douceurs ? Elle haussa le sourcil droit. Parce que c’est bien ce que tu fais, n’est-ce pas, ma fille ? 

    Mais oui, bien sûr ! Qu’est-ce que tu crois ? s’offensa Meredith. Le regard inquisiteur de sa mère lui indiqua que celle-ci n’abandonnerait pas tant qu’elle n’aurait pas une explication plausible. Cet argent, j’en ai hérité, révéla la jeune fille à contrecœur.

    Pardon ? Tu en as hérité ? dit Anne, stupéfaite. Mais de qui ?

    La grand-mère d’un ami, lui apprit Meredith avec une mauvaise volonté évidente. Pour se donner une contenance, elle manipula une petite statuette d’ivoire qui trônait sur la table basse.

    Un ami ? Mais quel ami ? Anne n’était pas sûre d'avoir bien compris ce que Meredith lui avait dit. Elle connaissait tous ses amis et elle ne voyait pas lequel d’entre eux avait une grand-mère assez folle, et surtout assez fortunée, pour léguer à une étrangère une somme qui lui permette d’aller à l’université.

    Tu ne le connais pas, grommela Meredith. C'est quelqu'un que j'ai rencontré ici. Elle regretta aussitôt d’avoir ajouté cette précision qui ne ferait qu’éveiller une plus grande suspicion chez sa mère.

    Anne regarda sa fille avec sévérité. Je ne le connais pas mais manifestement, toi, tu le connais assez pour que sa grand-mère décide de te léguer… combien déjà ? demanda-t-elle un peu sèchement.

    Deux cent cinquante mille dollars, répondit Meredith du bout des lèvres. Elle reposa brutalement la statuette sur la table.

    Ahurie, Anne sursauta. Deux cent cinquante mille dollars ! répéta-t-elle d'une voix légèrement criarde. La somme était astronomique. Anne ne pouvait que trouver suspect ce somptueux cadeau dont sa fille était la bénéficiaire. Il faut que tu m’expliques, Meredith. Comment la grand-mère d’un ami que tu ne connaissais même pas il y a quatre mois peut te donner deux cent cinquante mille dollars ? Qu’est-ce que tu as fait pour ça ?

    Mais rien du tout ! s’indigna Meredith. Enfin, rien de ce que tu insinues. Elle vit sa mère ouvrir la bouche pour s’exprimer mais elle ne la laissa pas parler. La dame qui m’a légué cet argent, c’est chez elle que j’ai passé les trois dernières semaines. Elle était vieille. Et très malade. Je lui ai simplement tenu compagnie.

     


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  • Au souvenir du temps passé avec Momsy, la jeune fille sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle avait largement l’âge d’être ma grand-mère et, pourtant, elle a été la meilleure amie que j’ai jamais eue. Elle me comprenait, elle m’encourageait, elle croyait en moi ! Oui, Momsy avait toute confiance en elle, bien plus que sa mère apparemment, qui imaginait elle ne savait quelle horreur.

    Mais moi aussi, je crois en toi, voyons, certifia énergiquement Anne. Je l’ai toujours fait. Je sais que tu vas faire de grandes choses.

    Pas sans argent ! s’emporta Meredith. Et vu la façon dont Cristina me paie, je pourrai envisager d’aller à l’université à l'âge de la retraite.

    Donc, tu choisis la facilité, lui reprocha sa mère. Ce n’est pas comme ça que je t’ai élevée, Meredith.

    Je sais, rétorqua cette dernière sur un ton las. C’est pour ça que j’ai hésité avant d’accepter cet argent. Comme toi, j’ai pensé que je n’avais pas le droit de le prendre, que je n’avais rien fait pour le mériter mais en même temps… Elle releva des yeux inondés de larmes sur sa mère. Je ne l’ai pas volé, maman. Je ne l’ai même pas demandé. C’est seulement un merveilleux cadeau qu’on m’a fait.

    Anne réfléchit un instant, essayant de trouver une explication plausible à cet argent tombé du ciel. L'ami dont tu m'as parlé, le petit-fils de cette dame, c'est ton ancien petit-ami ?

    Non, non, nia Meredith. C’est seulement un ami. Mon meilleur ami pour tout dire, précisa-t-elle. Mais il n’y a jamais rien eu entre nous.

    Cet héritage me met vraiment très mal à l’aise, déclara Anne. Mais je suppose que je n’arriverai pas à te faire changer d’avis, n’est-ce pas ? Meredith secoua lentement la tête. Très bien, je m'incline. J'espère simplement que tu feras un bon usage de tout cet argent, conclut Anne. Elle tapota le divan, à côté d’elle. Viens t’asseoir près de moi. Meredith obéit et posa la tête sur l’épaule de sa maman. Je trouve admirable que tu aies accompagné cette dame dans ses derniers jours, reprit cette dernière. Mais pourquoi être partie sans dire où tu allais ? Pourquoi ne plus donner de nouvelles à Gloria et à tes amies ?

    Meredith soupira. Elle ne pouvait pas dévoiler à sa mère les véritables raisons de sa fuite mais elle ne voulait pas lui mentir non plus. Elle choisit de rester vague. Je te l’ai dit, j’avais besoin de prendre du recul.

    Le ton d’Anna Grey se durcit légèrement. Tout ça, c’est bien gentil, Meredith, mais tu avais des responsabilités ici. Tu devais t’occuper de ta tante. Pourtant, tu l’as abandonnée.

    Meredith se releva d’un bond. Je ne l’ai pas abandonnée, cria-t-elle, ulcérée par l'injustice de l'accusation. Gloria était là, et Izzie, et Cristina.

    Elles ne sont pas de la famille, lui opposa sa mère. On ne peut pas leur demander de s’occuper de tante Ellis comme on le ferait, nous.

    Mais elles ont pris le même engagement que moi, souligna Meredith. On avait accepté les règles du jeu. Vivre ici gratuitement à condition de veiller sur tante Ellis. Elle réalisa soudain qu’elle était injuste avec ses camarades. Si elle voulait être totalement honnête, elle devait reconnaître qu’Izzie et Cristina avaient passé bien plus de soirées qu'elle à veiller sur Ellis, tandis qu’elle suivait Derek par monts et par vaux. Elle se mit à pleurer. Que n’avait-elle pas fait pour lui, jusqu’à trahir les promesses faites à sa mère, et tout ça pour quoi ?

    Ma chérie. Anne se leva pour prendre sa fille dans ses bras et l’entraîner à nouveau dans le divan. Il n’y a pas de quoi te mettre dans cet état !

    Tu me reproches d’avoir abandonné Tante Ellis mais… tu ne te rends pas compte, maman, geignit Meredith. Je l’aime beaucoup mais ses crises… c’est terrible. Un instant, elle est comme une petite fille et la seconde d’après, c’est une vraie harpie. Un jour, elle a même voulu me frapper parce qu’elle croyait que je voulais lui voler son mari. Elle pensa soudain à ce que Derek lui avait maintes fois répété. C’est beaucoup trop lourd pour moi.

    Oui, son état s’est aggravé, admit sa mère. Je le vois depuis que je suis ici. Elle regarda sa fille avec tristesse. Je savais que ça arriverait un jour mais je ne croyais pas que ce serait si rapide. Elle s’en voulait d’avoir mal évalué la situation et d’avoir exigé de sa fille des choses qui dépassaient de loin ses compétences. Quitter sa petite ville, son entourage, ses habitudes pour débarquer dans une métropole où on ne connaissait personne, s’y faire une place, gagner de quoi vivre sa vie… La pression était déjà bien suffisante que pour ne pas lui en rajouter d’autres. Je n’aurais pas dû t’imposer ça, reconnut-elle. Elle souffla comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules. Je ne sais pas ce que je dois faire.

    A nouveau, Meredith pensa aux conversations qu’elle avait eues avec Derek à ce sujet. Les crises qui se faisaient de plus en plus fréquentes, le malade qui devenait un danger pour lui-même, les proches qui se retrouvaient rapidement dépassés par la situation, l’hospitalisation qui s’imposait finalement comme la seule option possible… Je connais quelqu’un qui pourra nous conseiller, lâcha-t-elle soudain, sans l’avoir prémédité. Je l’appellerai demain.


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  • La main sur la clenche de la porte du vestiaire, Mark suivit du regard une infirmière qui passait dans le couloir, les bras chargés de dossiers. Les fesses de la jeune femme se balançaient de gauche à droite, dans un lent déhanchement si gracieux que les yeux du chirurgien se mirent à briller d’un éclat singulier. Il ne se rappelait pas avoir déjà vu cette fille à la clinique mais cela n’avait aucune importance. Maintenant qu’il l’avait remarquée, il allait se débrouiller pour faire sa connaissance le plus rapidement possible. Quoi de mieux qu’une petite partie de jambes en l’air dans une salle de garde pour se consoler d’un deuil éprouvant ? Fort de cette bonne résolution, il ouvrit la porte et découvrit Derek, assis sur un banc, les bras appuyés sur ses genoux et les yeux fixés sur ses poings fermés. Encore sous le charme de sa furtive rencontre, Mark n’y prêta pas vraiment attention. Mec, je viens de croiser une nana ! claironna-t-il d’emblée en pénétrant dans la pièce. Une superbe petite blonde. Elle a un de ces culs ! ajouta-t-il avec enthousiasme. Des petites fesses bien rondes qui ne demandent qu’à être croquées. Il fronça soudain les sourcils. Ils ont embauché dernièrement ? Parce que je ne l’avais encore jamais vue. Il faut absolument que je sache qui c’est. Je vais aller me renseigner à la D.R.H tout à l’heure. Il ouvrit son casier et y suspendit sa veste. Y a trop longtemps que je me suis mis quelque chose sous la dent. J’vais finir par oublier comment on fait, plaisanta-t-il avec un petit rire coquin. Non sérieusement, faut que je baise. Ça va me détendre. Franchement, je ne sais pas comment tu fais pour tenir le coup. Etonné de n’obtenir aucune réaction, il se tourna vers son ami. Celui-ci n’avait pas changé de posture et Mark comprit qu’il ne l’avait pas écouté. Peut-être n’avait-il même pas remarqué sa présence. Légèrement vexé, Mark se mit à parler d’une voix forte en faisant toutes sortes de mimiques.  Bonjour, Mark. Tu vas bien, mon pote ? T’as passé une bonne nuit ? Ça me fait plaisir de te voir. Derek resta inerte et muet. Si je t’emmerde, dis-le, bougonna Mark entre ses dents. Il se faisait l’effet d’être un ingrat, surtout après ce que Derek avait fait pour lui à Santa Rosa, mais il lui en voulait un peu de ne plus être aussi disponible qu’avant. Comme il regrettait l’époque où ils étaient tous les deux libres et sans attaches ! Les soirées télé devant un match de basket ou une course de voitures, les conversations sans fin sur la médecine, les délires à propos des femmes, les confidences sans tabou ni secret, tout cela avait pris fin le jour où Derek avait rencontré Meredith. Bien sûr, Mark était sincèrement heureux qu’il ait enfin trouvé le grand amour. Mais il fallait bien reconnaître que, depuis qu’il s’était épris de la jeune fille, il n’y en avait plus que pour elle et que, de ce fait, Derek était beaucoup moins à l’écoute de son meilleur ami. Totalement indifférent parfois aussi, comme en ce moment. Sans doute pensait-il encore à sa dulcinée. Mark soupira. Ah l’amour, quelle merde ! Ils étaient si bien avant. Mais il ne servait à rien d’être mélancolique. Les choses avaient changé et elles ne redeviendraient jamais ce qu’elles avaient été. Il fallait accepter que dorénavant, la vie de Derek se résumait à un seul prénom. Comment ça s’est passé avec Meredith ? demanda Mark en s’asseyant à côté de son camarade. Vous avez discuté ? En voyant Derek se redresser et opiner lentement de la tête, il eut l’impression d’avoir, en prononçant le nom de la jeune fille, trouvé le code, sorte de sésame ouvre-toi, qui pouvait tirer son ami de sa torpeur.

    Ouais, on a discuté, répondit Derek sans expression particulière. Mark fronça les sourcils. A voir son manque d’enthousiasme, ses traits tirés et son regard absent, le pire était à craindre. L’intéressé desserra un poing, faisant apparaitre les clés du Hummer. Je peux les garder ? Ses bagages sont toujours dans ta voiture. Elle doit passer les prendre en journée.

    Ho ho, s’exclama Mark avec un air coquin. Tu as toujours ses bagages ! Ce qui signifiait donc que Derek n’avait pas raccompagné la jeune fille chez elle et qu’ils avaient passé la nuit ensemble. Finalement, les traits tirés n’étaient peut-être pas un si mauvais signe et la situation loin d’être aussi catastrophique qu’il y paraissait. Je savais que tu y arriverais. Je suis fier de toi, mon vieux !

    Y a pas de quoi pavoiser, tempéra Derek. Ce n’est pas du tout ce que tu crois.

    Oh mais je ne crois rien du tout, moi, affirma Mark, avec un sourire grivois. Je me fie seulement à ce que je vois et ce que je vois, c’est un mec qui a l’air de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit.

    Derek haussa légèrement les épaules. Effectivement je n’ai pas dormi mais cela ne signifie pas pour autant que… Désabusé, il baissa à nouveau la tête.

    En le voyant ainsi, Mark se dit que finalement, sa première impression était sans doute la bonne. La réconciliation n’avait pas été au programme de la soirée. Tu veux en parler ?

    Derek laissa échapper un long soupir sonore. C’est fini. On a discuté mais ça n’a servi à rien. C’est fini, répéta-t-il, la mine défaite.

    Comment ça, fini ? dit Mark, incrédule. Mais comment est-ce possible ? Quand elle a décidé de revenir ici avec toi, c’est tout de même parce qu’elle était prête à vous donner une seconde chance, non ?

    Derek approuva en secouant lentement la tête de bas en haut. C’est ce que je croyais aussi.

    Mais qu’est-ce qui s’est passé, alors ? interrogea Mark. Il était curieux de savoir ce qui avait dérapé entre le moment où il avait quitté le couple, qui semblait alors tout disposé à arranger les choses, et ce matin, où il retrouvait son ami ravagé. 

    Elle est au courant pour Callie et moi, lui apprit Derek.

    C’est toi qui le lui as dit ? interrogea Mark, déconcerté. Derek fit signe que non. Mark leva les deux mains en l’air. Hé, je te jure que c’est pas moi qui ai lâché le morceau. Et c’est pas ma grand-mère non plus, elle n’était pas au courant.


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  • Derek rassura son ami avec un petit sourire triste. Je sais. C’est la gamine qui a vendu la mèche.

    La gamine ? Taylor ? Comment peut-elle être au courant de ça ? s’étonna Mark, les yeux écarquillés.

    Je crois qu’elle l’a deviné, quand elle nous a vus à l’enterrement de ta grand-mère.

    C’est vraiment une fine mouche, cette gamine, constata fièrement Mark, comme s’il avait eu une quelconque influence sur le développement intellectuel de la lycéenne. Il l’avait quittée la veille mais son aplomb et son esprit lui manquaient déjà, sans parler de sa beauté. Il maudit une fois encore les principes moraux qui se mettaient entre eux. Certes, il n’éprouvait pas pour elle ce qu’il avait ressenti pour Meredith – il s’agissait plutôt d’une forte affection – mais il sentait qu’il aurait pu avoir avec elle une relation autre que celle qu’il avait d’habitude avec ses conquêtes. Une complicité à la fois intellectuelle et sexuelle qui, peut-être, avec le temps, aurait pu déboucher sur des sentiments plus forts.

    Ouais, une putain de fine mouche. Derek se leva pesamment, comme si toute énergie l’avait déserté. Et effectivement, il se sentait vide et sans force. En tout cas, elle est hyper douée pour foutre la merde ! Quel besoin Taylor avait-elle eu de faire part de ses soupçons à Meredith ? En quelques mots, elle avait anéanti tous les efforts qu’il avait faits pour regagner le cœur de son amie. Néanmoins, s’il éprouvait une certaine rancœur à son égard, il en voulait nettement plus à Meredith. Il n’admettait pas qu’elle accorde plus de crédit aux propos d’une fille qu’elle connaissait depuis à peine trois semaines, qu’à ceux de son petit ami qu’elle disait aimer. Et dire que c’était elle qui osait parler de confiance !

    Mark le regarder marcher d’un pas lourd vers son casier. Mais pourquoi Meredith t’en veut-elle pour un truc qui s’est passé avant votre histoire ?

    J’imagine que ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ah non, pardon, persifla Derek. Une des gouttes d’eau. L’autre, ça a été Abigail. Depuis la veille, il n’avait cessé de se remémorer seconde par seconde la conversation qu’il avait eue avec Meredith et il n’arrivait pas à comprendre pourquoi c’était précisément à cause d'Abigail qu’elle avait pété les plombs car, même s’il n’était pas friand de ces nouvelles expressions à la mode, il ne voyait pas comment le dire autrement. 

    Abigail ? s’écria Mark, au comble de la stupéfaction. De quelle façon cette histoire vieille de douze ans avait-elle pu intervenir dans la rupture ?

    Ouais, mec, comme j’te l’dis ! Je suis sûre qu’elle n’est sur terre que pour foutre ma vie en l’air, celle-là, dit Derek en levant des yeux pleins de dépit vers le plafond, comme s’il espérait obtenir une confirmation d’une autorité suprême. Ça doit être mon karma. Il prit un air tellement dégoûté que Mark ne put que sourire. Non, je suis injuste, rectifia Derek, en levant l’index en l’air. Cette fois, Abigail n’est pas dans le coup. C’est Meredith, seulement Meredith. Au souvenir de la mauvaise foi dont elle avait fait preuve la veille, il commença à s’énerver. Je l’amène à la péniche, pour marquer le coup, tu vois, dit-il en prenant son ami à témoin. Je lui offre quelques trucs que j’avais achetés pour elle. Je lui parle de moi, de ce que je ressens pour elle. Je lui dis que je l’aime comme un fou, que je regrette toutes les conneries que j’ai faites, enfin tout ça. Je n’avais jamais dit ça à personne avant. Sa mâchoire se contracta sous l’effet de la rage qui montait en lui. Elle est la première que je fais entrer chez moi, bon sang ! Tu sais ce que ça représente pour moi. Mark fit signe que oui. Il pensait bien être le seul à avoir jamais été admis, jusqu’à ce jour, dans l’intimité de Derek. Elle le savait aussi, je le lui ai dit, continua celui-ci en déboutonnant son jean. Mais elle, tout ce qu’elle retient, c’est Callie et Abigail. Eh bien, tu veux savoir ? Il retira son pantalon d’un geste rageur et le jeta, roulé en boule, dans un coin de la pièce. C’est bon, j’en ai marre ! Si elle n’est pas capable d’admettre qu’à mon âge, j’ai vécu avant elle, alors… Il ouvrit les boutons de sa chemise avec tellement de colère que Mark s’attendit à les voir rouler par terre. Elle n’a qu’à se trouver un puceau, fulmina Derek. Là, au moins, elle sera contente. Et encore, pas sûr !

    Je ne comprends pas, insista Mark. Elle était au courant pour Abigail. Momsy lui en avait parlé. Et Callie… c’était avant elle. Alors, qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? Derek fit une grimace indiquant qu’il ne connaissait pas la réponse à cette question. Ou alors elle râle parce que tu ne lui en as pas parlé toi-même, avança Mark, après y avoir réfléchi un instant.

    Elle a dit que j’avais abusé de sa confiance ! enragea Derek. Tu imagines ? Et elle, elle n’abuse pas ?

    Elle était en colère, alors elle a dit des trucs qu’elle ne pensait pas, supposa Mark.

    A nouveau, Derek haussa les épaules. Je ne sais pas. Je ne cherche même plus à comprendre. Ça n’a plus d’importance de toute façon. J’en ai ras-le-bol. Il sortit de son casier sa tenue de chirurgien et commença par enfiler le pantalon.

    Mark fut frappé par sa sveltesse, à la limite de la maigreur – conséquence du stress des dernières semaines, sans aucun doute – et il ne put s’empêcher de faire la comparaison avec lui que les années et l’excès de bonne chair commençaient déjà à marquer : une silhouette un peu plus lourde, un début de ventre, de petites poignées d’amour, alors que Derek avait toujours le corps mince et sec de ses vingt ans. Voilà l’avantage de mener une vie ascétique ! Faut vraiment que j’arrête de bouffer toutes ces saletés, se raisonna Mark en pensant aux hamburgers-frites qu’il aimait dévorer et aux cacahuètes et paquets de chips qui agrémentaient les soirées qu’il passait devant la télévision. Il se releva et entreprit, lui aussi, de se changer.


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