• C’est donc si terrible d’être amoureux de moi ? questionna Meredith d’une toute petite voix, en se dégageant de son étreinte.

    Mais bien sûr que c’est terrible ! s’exclama Derek. Tu ne peux pas comprendre, bébé. Son regard se teinta d’une tendresse infinie et sa voix se fit tellement douce que la jeune fille en frissonna. Tu es une petite fille qui croit que l’amour est forcément magnifique et source de bonheur, comme il l’a été pour tes parents. Et c’est génial que tu penses ça, parce que ça veut dire que la vie t’a épargnée. Mais moi, je sais à quel point l’amour peut être cruel et comme il peut faire souffrir. Elle le foudroya du regard. Comment osait-il lui dire cela ? Non, elle n’était plus cette gamine pleine d’illusions dont il parlait. A cause de lui, elle savait aussi maintenant que l’amour pouvait être synonyme de malheur. Moi, je le sais parce que je l’ai vécu, continua Derek sans se rendre compte du mécontentement que faisait naître son discours. C’était tellement horrible que je me suis juré que ça ne se reproduirait plus jamais. Il soupira. Alors oui, ça a été terrible de réaliser à quel point je t’aimais parce que ça remettait tout en question, parce que t’aimer, c’était le risque de souffrir à nouveau. Je me suis dit qu’en reprenant ma vie d’avant, à me taper n’importe qui, j’arriverais à te sortir de ma tête et à ne plus t’aimer.

    Et donc, tu t’es tapé Madelina ! aboya Meredith. Ce seul prénom avait le pouvoir de la rendre hystérique. Elle l’associait à des images insoutenables, Derek, son Derek, s’ébattant joyeusement dans les bras de cette femme, lui prodiguant exactement les mêmes caresses que celles auxquelles elle aussi avait eu droit, et criant de plaisir comme il le faisait avec elle.

    Rongé par le remords, il hocha lentement la tête. Oui et je me le reprocherai jusqu’à la fin de mes jours. Parce que ça a sali notre histoire et surtout, ça t'a rendue malheureuse. En plus, ça n’a servi à rien, sauf à me confirmer ce que, au fond, je savais déjà. Je t'aime et quoi que je fasse, ça ne changera pas. Il fit mine de lui caresser la joue mais elle se recula à l’approche de sa main. Il n’insista pas. Elle était en colère et il le comprenait. Il estimait même avoir de la chance qu’elle daigne l’écouter. Il savait que, s’il avait été à sa place, il ne l’aurait pas fait. C’est ce que j’expliquais à Callie quand tu nous as surpris, insista-t-il. Je lui disais que je voulais vraiment être avec toi, qu’il n’était plus question d’une relation libre.

    Meredith ne put retenir un ricanement. Relation libre ! Il n’en avait jamais été question pour elle. Loin de là ! Elle avait plutôt été son esclave, se soumettant au moindre de ses désirs, les devançant même. Elle eut soudain l’impression d’étouffer. Est-ce qu’on peut ouvrir la fenêtre ? Je… j’ai chaud.

    Bien sûr. Derek se précipita pour ouvrir la fenêtre. Ça va, bébé ? s’inquiéta-t-il en la voyant pâle et tremblante. Tu veux boire quelque chose ? Elle inclina la tête et ferma les yeux en signe d’assentiment. Il se rua hors de la pièce pour remonter à l’étage. Il s’apprêtait à lui redescendre un verre d’eau lorsqu’il la vit surgir en haut de l’escalier. J’allais arriver, voyons, la gronda-t-il tendrement en lui tendant son verre.

    Elle but une grande gorgée d’eau glacée et se sentit instantanément mieux. Elle expira longuement avant de boire un peu à nouveau. Elle posa le verre sur la table et marcha à pas lents jusqu’à la grande porte-fenêtre qui menait à la terrasse. La nuit était tombée et les lumières des péniches se reflétaient sur l’eau. Quelques petits voiliers voguaient vers le port de plaisance, tandis qu’un canoë passait devant la péniche pour accoster un peu plus loin. Le jour où tu devais m’amener ici, tu avais prévu de me parler de tout ça ? demanda-t-elle subitement, sans quitter son poste d’observation. De tes… – elle s’empêcha juste à temps de prononcer une grossièreté – tes aventures ?

    La réponse fusa, franche et même un peu sèche. Non.

    Meredith pivota pour faire face à Derek. Donc, tu étais prêt à bâtir notre relation, dont tu veux soi-disant qu’elle soit sérieuse, sur le mensonge ! s’insurgea-t-elle.

    Oh Meredith ! Je t’en prie ! Sois honnête. Si je t’en avais parlé, tu m’aurais quitté sur le champ. Et moi, je ne voulais pas te perdre. Je n’avais pas le choix !

    C’est de l’abus de confiance ! accusa-t-elle.

    Derek leva les bras au ciel. Tout de suite les grands mots ! Ça n’a pas compté pour moi, alors je ne voyais pas l’utilité de te mettre au courant. Ce qu’on ignore ne fait pas mal ! conclut-il avec aplomb.

    Meredith ricana avec mépris. Belle mentalité !

    Ne joue pas les étonnées, riposta Derek. Je t’avais prévenue, ne dis pas le contraire !

    Les yeux de la jeune fille s’arrondirent de surprise. Ah bon ! Première nouvelle !

    Depuis le début, je te dis que je ne suis pas quelqu’un de bien, rappela Derek. Combien de fois ne t’ai-je pas répété de ne pas tomber amoureuse de moi, que j’étais un salaud qui te ferait souffrir ? Mais tu n’as pas voulu le croire ! Il fut frappé par les yeux magnifiques de la jeune fille, des yeux qui étincelaient de colère, et il se sentit fondre. Je le voyais dans ta façon de me regarder, avec tellement de confiance, se souvint-il avec une intonation plus douce, presque câline. Comme si… comme si j’étais un héros. Il soupira à nouveau. Personne ne m’avait jamais regardé comme ça avant. Dans tes yeux, j’avais l’impression d’être quelqu’un d’exceptionnel. Comment aurais-je pu renoncer à ça ?

    Il avait raison. Elle l’avait toujours vu comme un prince charmant, son prince, et il s’avérait qu’il n’était qu’un homme, comme tous les autres. La désillusion n’en était que plus grande. Et sans doute parce qu’elle n’avait plus grand-chose à perdre à ce niveau, elle se décida à poser la question qui la tourmentait depuis le début de la journée. Et si on parlait de Callie ?


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  • Derek sut ce qui allait suivre et qu’il ne pourrait pas y échapper. Il chercha juste à gagner un peu de temps, quelques secondes de répit encore. Quoi, Callie ?

    Taylor pense que tu as couché avec elle. C’est vrai ? Meredith avait à peine terminé sa phrase qu’elle connaissait déjà la réponse. Elle l’avait lue dans ses yeux. Et pourtant, elle ne put s’empêcher d’espérer qu’elle se trompait.

    Derek maudit Taylor la finaude qui, non contente de voir tout ce que les autres ne voyaient pas, ne savait pas tenir sa langue. Pendant une seconde, il songea à nier. Après tout, pourquoi pas ? Meredith n’avait aucune preuve, juste les soupçons d’une lycéenne qui ne connaissait même pas les intéressés. S’il le voulait vraiment, il pourrait sans doute la convaincre qu’elle se trompait. Pourtant, il choisit de dire la vérité. Comme elle le lui avait fait remarquer quelques minutes plutôt, s’il voulait avoir la chance d’avoir une vraie relation avec elle, il ne pouvait pas la bâtir sur le mensonge. Oui. Oui, c’est vrai. Mais c’était avant toi. Il se laissa tomber dans un fauteuil, espérant, sans trop d’illusions toutefois, qu’elle viendrait l’y rejoindre.

    L’aveu n’avait rien de surprenant et, pourtant, Meredith en fut choquée. Est-ce qu’il y a un moment, depuis qu’on se connait, où tu as joué franc jeu avec moi ? Hors d’elle, elle commença à arpenter le living dans sa largeur. Parce que là, j’ai vraiment l’impression que tu n’as pas arrêté de me mentir.

    Je ne t’ai jamais menti ! prétendit Derek avec du culot. Je ne t’ai rien dit, c’est différent.

    Oh génial ! Tu joues sur les mots maintenant.

    Les grands airs offusqués de Meredith, son ton acerbe, son entêtement à ne pas vouloir comprendre ce qu’il tentait de lui dire, tout commençait à agacer sérieusement Derek. Qu’est-ce que tu aurais voulu, Meredith ? répliqua-t-il sèchement. Que je te parle de toutes les filles que j’ai sautées depuis mes seize ans ? Même si je le voulais, j’en serais incapable. Quand je te dis que je ne me souviens pas d’elles, ce n'est pas du pipeau, c'est la vérité !

    Et Callie, tu ne te souviens pas d’elle non plus, sans doute ? rétorqua Meredith en venant se camper devant lui, les poings fermés sur ses hanches.

    Il se leva pour lui faire face. Pourquoi est-ce que je t’aurais parlé d’elle plus que des autres ? s’énerva-t-il. On a baisé ensemble et c’est tout. Il avait sciemment utilisé ce verbe pour qu’elle comprenne la différence qu’il y avait avec elle. Et de toute façon, c’était avant toi, argumenta-t-il encore, en espérant, sans trop y croire, que cela mettrait fin au débat.

    Enervée par sa mauvaise foi, Meredith haussa le ton. Tu m’as dit que tu ne couchais jamais deux fois avec la même fille. Encore un mensonge !

    Donc, c’est le nombre de fois qui te tracasse ? se mit à crier Derek en se blâmant de lui avoir, un jour, donné cette information. Tu veux un décompte, c’est ça ? Oui, j’ai couché plusieurs fois avec elle. En quoi est-ce si important ? Il était tellement énervé que ses mains tremblaient. Il ressentit le besoin de boire quelque chose de fort. Il partit à la cuisine pour se servir un verre de bourbon.

    Meredith le regarda s’éloigner avec un air scandalisé. Comment pouvait-il être aussi inconséquent ? C’est important parce que ça veut dire que ce n’était pas une aventure comme avec les autres. Tu as eu une relation avec elle.

    Il souffla bruyamment. Pfft ! N’importe quoi ! Depuis quand baiser une nana de temps en temps, ça fait une relation ? Il but une longue gorgée et l’alcool lui brûla la gorge tandis que son regard courroucé visait la jeune fille. Comment était-il possible d’être d’aussi mauvaise foi ? Et comment pouvait-elle accorder autant d’importance au passé ? Bien sûr, il s’était mal conduit et pas un instant, il n’avait cherché à le nier. Mais il ne pouvait admettre qu’elle lui reproche ce qu’il avait fait avant elle. Pourtant, malgré cela et parce qu’il l’aimait plus que tout, il voulut se justifier encore une fois, pour tenter de la convaincre enfin. Callie n’a jamais été ma petite amie.

    Ça, c’est toi qui le dis, s’entêta Meredith.

    Mais bon sang ! jura Derek en tapant son verre sur la table de travail de la cuisine. Pourquoi tu ne veux pas comprendre ce que je te dis ? Il n’y avait pas de sentiment entre nous, juste du cul. C’était facile avec elle. Pas besoin de grands discours, de plan drague ou de justification après. Quand je n’avais personne d’autre sous la main, j’allais chez elle. Point barre !

    Meredith eut une moue dégoutée. C’est sordide !

    Je n’ai jamais prétendu le contraire ! objecta avec force le chirurgien. Mais c’est le passé et si tu n’es pas capable d’accepter que j’ai vécu avant toi… Subitement las de ce règlement de comptes, il ne termina pas sa phrase.

    Meredith vint se mettre de l’autre côté de la petite paroi qui séparait la cuisine du salon. Je ne suis pas stupide, Derek. Je sais que je suis loin d’être la première dans ta vie et qu’il y a eu beaucoup d’autres femmes. Elle prit le verre qu’il avait déposé et le fit tourner entre ses doigts. Les inconnues dans les hôtels, les fellations vite fait dans la voiture, les parties à trois avec Mark, je sais tout ça et je me doute qu’il y a eu bien d’autres choses. Elle haussa légèrement les épaules. Je l’accepte. Je peux l’accepter parce que c’est le passé justement. Et je n’ai pas besoin de connaitre les détails. Mais Callie !


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  • Meredith abandonna le verre pour tourner en rond dans le salon. C’est ton amie, tu travailles avec elle, poursuivit-elle. On est amené à la côtoyer souvent. On est même parti en vacances ensemble. Tu aurais dû me parler de ce qu’il y avait eu entre vous. Il y a des choses que j’estime être en droit de savoir, s’emporta-t-elle soudain en revenant devant lui. Comme Abigail par exemple ! Voilà, le nom était lâché. Maintenant, il savait qu’elle était au courant. Plus question de tourner autour du pot. Puisque l’heure était au grand déballage, autant crever tous les abcès !

    La confusion se peignit sur les traits de Derek. Ça, c’est autre chose. Mais je comptais t’en parler.

    Oui, bien sûr, persifla Meredith. Parce que tu t’es dit que l’histoire de la garce de copine qui t’avait trompé avec ton père me ramènerait à de meilleurs sentiments. Elle passa outre le regard mauvais dont il la foudroya. Cela prouvait qu’elle avait vu juste. Mais sans ça, est-ce que tu m’en aurais parlé ?

    A nouveau, la réponse fut directe. Non.

    Et pourquoi pas ?

    Parce que je ne vois pas l’intérêt qu’il y a à déterrer ces vieilles histoires, se justifia Derek avec nervosité. Il alla se rasseoir au salon, pour échapper à l’œil inquisiteur de son amie.

    Ah vraiment ? ragea celle-ci en allant s’installer en face de lui. Pourtant, cette vieille histoire, comme tu dis, influence la façon dont tu mènes ta vie aujourd’hui. Et il est clair que ça a rejailli sur notre relation. Alors, j’estime normal de savoir ce qui s’est passé.

    Ben, tu le sais maintenant puisque Momsy te l’a raconté, fit remarquer Derek, le regard fuyant.

    Mais c’est à toi de m’en parler, Derek ! se fâcha Meredith.

    Excédé, il se releva brutalement et son fauteuil alla heurter la paroi de séparation avec la cuisine. Mais pour dire quoi, Meredith ? Cette fois, ce fut lui qui se mit à faire les cent pas dans la pièce. J’avais vingt-deux ans et une petite amie dont j'étais amoureux. Elle a couché avec mon père. Ma famille a explosé. Ma mère s’est suicidée. Alors, j’ai décidé que je ne donnerais plus jamais à personne l’occasion de me faire du mal et je me suis fermé. Voilà.

    Meredith sursauta. Voilà ? Et c’est tout ?

    Derek lui présenta un front buté. Oui, il n’y a rien à dire de plus. C’était étrange. Il s’était résolu depuis un certain temps à lui parler de Abigail et de la saga familiale. Mais maintenant qu'il était au pied du mur, il n’y arrivait pas. Il avait enfoui toute cette histoire tellement profondément en lui qu’il avait l’impression de ne plus pouvoir la faire remonter à la surface.

    Meredith ressentit une déception immense. Elle avait vraiment espéré qu’il accepterait de partager son histoire avec elle et qu’il lui donnerait les clefs pour décoder son comportement. Mais il venait de lui signifier une fin de non-recevoir qu’elle jugeait intolérable. Puisqu’il refusait le dialogue, elle n’avait plus rien à lui dire, elle non plus. Comme tu veux, laissa-t-elle tomber froidement en allant décrocher son sac qui pendait à la rambarde de l’escalier.

    Derek comprit qu’elle allait s’en aller et il prit peur. Meredith, dit-il d’une voix blanche.

    Elle se tourna vers lui, le visage blême et le regard chargé de ressentiments. Je suis en colère, Derek, vraiment en colère. Et il va me falloir autre chose qu’un tube de dentifrice et un parfum pour que j’arrive à passer au-dessus. Il avança, la main tendue vers elle. Elle fit signe que non. Tu m’as fait du mal en me trompant et tu viens encore de m’en faire. Je ne vais pas te donner l’occasion de recommencer de sitôt. Elle se dirigea vers la porte.

    Derek tituba comme s’il venait de recevoir un coup de poing en pleine figure. Meredith, je t’en prie, non. Elle ne répondit pas. Il comprit qu’elle ne se laisserait pas fléchir, ce soir du moins. Laisse-moi te raccompagner au moins, la supplia-t-il. Peut-être que dans la voiture, il arriverait à la ramener à de meilleurs sentiments.

    Elle ouvrit la porte. Merci mais je préfère prendre un taxi.

    Mais… et tes bagages ? balbutia Derek, pris de court.

    Tu n’auras qu’à les déposer à la clinique. Je passerai les prendre demain. La voix de Meredith se brisa. Il était hors de question qu’elle se mette à pleurer devant lui. Elle ne l’avait que trop fait déjà. Elle avait tout perdu, sauf sa fierté, et elle était bien décidée à s’y accrocher. Elle sortit sur la passerelle et commença à courir.

    Il fallut quelques secondes pour que Derek réalise qu’elle n’était plus là. Il se rua dehors. Meredith, hurla-t-il dans le silence de la nuit avant de se lancer à la poursuite de la jeune fille. Il la rattrapa alors qu’elle était presque arrivée au bout du quai. Meredith…

    Elle s’arrêta de courir pour lui faire face. Laisse-moi. Laisse-moi tranquille, lui cria-t-elle, le visage noyé de larmes. Je veux juste rentrer chez moi maintenant. Elle se remit à courir et cette fois, il ne chercha plus à la retenir.


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  • Meredith ne s’arrêta de courir que lorsqu’elle fut certaine que Derek ne la suivait plus. Elle fit les derniers mètres du quai en marchant d’un pas vif, reprenant son souffle peu à peu. Elle s’apprêtait à chercher son téléphone dans son sac, pour commander un taxi, lorsqu’elle en vit arriver un. Un jeune couple en descendit, enlacé et riant bruyamment. Il fit quelques pas avant de s’embrasser langoureusement puis de repartir dans un nouvel éclat de rire. Meredith eut mal au cœur en voyant ces amoureux. Il n’y avait pas si longtemps, Derek et elle… Elle chassa ces pensées désormais stériles et courut vers le taxi, en lui faisant de grands signes pour qu’il ne redémarre pas sans elle. Elle ouvrit la portière et s’engouffra dans le véhicule. 850 Mason Street à Nob Hill, s’il vous plaît, annonça-t-elle, à nouveau hors d’haleine.

    Avec plaisir, gouailla le chauffeur après avoir jeté dans son rétroviseur un regard appréciateur en direction de cette jolie cliente. Les courses étaient bien plus agréables quand il pouvait se rincer l’œil.

    Sans faire attention à lui, Meredith regarda défiler les rues par lesquelles elle était venue quelques heures plus tôt, lorsqu’elle était encore pleine d’espoir. Maintenant, elle n’était plus qu’amertume et colère. En guise de réponses à ses interrogations, elle n’avait obtenu que des faux-fuyants. Les infidélités ? Seulement deux alors que leur relation n’existait pas vraiment. Callie ? Avant elle et ça n’avait pas compté. Abigail ? Ça remontait à des années, à quoi bon en parler ? Finalement, Derek avait minimisé sa vie en une série de détails insignifiants qui ne valaient pas la peine qu’on s’y attarde. Mais ce qui était anodin pour lui était de la plus haute importance pour Meredith, parce que ces détails une fois mis à jour avaient anéanti tous ses rêves. Elle ne supportait pas que Derek prenne cela à la légère. Surtout, elle n’admettait pas le silence dont il s’obstinait à entourer son histoire avec Abigail. Pourquoi faire tant de mystères si c’était, comme il le prétendait, oublié depuis belle lurette ? Elle en arrivait à penser que, peut-être, il n’avait pas encore fait totalement le deuil de ce grand amour et que ce qu'il disait éprouver pour elle, aussi fort que ce soit, n'était en fait qu'un pis-aller. Ce sentiment était horrible. Il lui donnait l’impression que tout ce qu’elle avait vécu depuis des mois n’était qu'une mascarade. Derek l’avait accusée d’exagération lorsqu’elle avait parlé d’abus de confiance et, pourtant, c’était bien de cela qu’il s’agissait. Comment pouvait-on appeler autrement le fait de lui cacher la vérité sur son passé, de lui imposer une relation libre sans lui expliquer clairement ce dont il était question, ou de lui recommander de ne pas tomber amoureuse de lui en sachant pertinemment que c’était déjà trop tard ? Ne lui avait-elle pas dit explicitement qu’elle ne perdrait sa virginité qu’avec l’homme de sa vie ? Quant aux multiples déclarations du genre "tu es à moi, comme je suis à toi", elle en connaissait maintenant la valeur. Nulle ! Archinulle ! Si elle était effectivement toute à lui, la réciproque était loin d’être vraie. Comment ne pas être en colère après cela ?

    Tout à ses pensées, elle ne remarqua pas que le taxi était arrivé à destination. Après quelques secondes de patience, le chauffeur se retourna vers elle. Et alors, ma petite demoiselle, on va rester là encore longtemps ? Parce que le compteur, il continue à tourner.

    Meredith regarda autour d'elle et réalisa qu'elle était devant la maison de sa tante. Rouge de confusion, elle paya les trente dollars de la course. Une fois sortie du véhicule, elle resta sur le trottoir, sans bouger, les yeux fixés sur la haute bâtisse. Elle n’était vraiment pas heureuse d’y revenir, parce que cela impliquait qu’elle allait retrouver Cristina et Izzie. Elle ne se sentait pas la force de subir leurs commentaires sarcastiques mais elle n’avait pas le choix. Elle n’avait pas d’autre endroit où aller. Bien sûr, elle aurait pu faire appel à Mark. Il n’aurait pas refusé de la loger mais, après ce qu’il venait de vivre, il était hors de question qu’elle le mette encore à contribution. Elle avait déjà suffisamment abusé de sa bonté. Et surtout, elle refusait de le mettre encore dans une position difficile, entre Derek et elle. De toute façon, elle était parfaitement consciente qu’en revenant à San Francisco, elle retrouverait sa vie d’avant, à savoir sa chambre chez sa tante, son travail à la boutique et les mesquineries de ses soi-disant amies. Ce fut donc avec détermination, et prête à rendre coup pour coup, qu’elle ouvrit la porte d'entrée. A peine le pied à l’intérieur, elle entendit, venant du salon, un bruit diffus de conversation et de lointains éclats de rire. La télévision, plus que vraisemblablement. Elle aurait préféré arriver dans une maison vide mais c’était utopique, compte tenu de l’heure tardive. Elle espérait encore pouvoir regagner sa chambre sans se faire remarquer lorsqu’elle entendit des pas qui venaient dans sa direction. Maman ? ânonna-t-elle avec incrédulité en voyant sa mère surgir devant elle.

    Meredith ! s’exclama Anne Grey, en joignant les deux mains en un signe de prière. Mon dieu, tu es là !

    Oh maman ! Meredith se jeta dans les bras de sa mère. Ma petite maman. Quel bonheur de retrouver un visage aimant alors qu’on était en plein tourment ! Tu m’as tellement manqué.

    Toi aussi, ma chérie, tu m’as manqué. Anne étreignit tendrement sa fille. Je suis si heureuse de te retrouver. Elle prit Meredith par les épaules et la tint à bout de bras, pour mieux la regarder. Comme tu es belle ! murmura-t-elle en lui caressant la joue du bout des doigts. Son bébé, sa petite fille… Il y avait en elle quelque chose de différent, quelque chose d’infime, d’indéfinissable mais de définitif, comme si elle avait perdu son innocence d’enfant et était devenue… une femme. Oui, une femme que la vie avait déjà éprouvée, malheureusement. Tout va bien, ma chérie ?

    Les larmes montèrent instantanément aux yeux de Meredith. Pour les cacher, elle se serra à nouveau contre sa mère. Tout va bien, maman, dit-elle d’une voix enrouée. Je suis contente que tu sois là.

    Moi aussi. Anne caressa les cheveux de sa fille, comme elle avait l’habitude de le faire pour consoler ses chagrins d’enfant. Elle sentait au plus profond de sa chair que Meredith n’allait pas bien et compte tenu de ce qu'elle avait appris en arrivant chez sa belle-sœur, cela n'avait rien d'étonnant.

    Meredith ferma les yeux et s’abandonna à la caresse. Ça la ramenait à l’époque où elle était une petite fille et qu’elle rentrait de l’école en pleurant, parce qu’elle s’était disputée avec une copine ou qu’elle avait reçu une mauvaise note. Malheureusement, ce qu’elle vivait maintenant était d’un autre calibre et il aurait fallu bien plus qu’une main dans ses cheveux, fût-ce celle de sa mère, pour l’apaiser totalement. Mais elle avait besoin d’une personne qui soit de son côté, quelles que soient les erreurs qu’elle commette, et qui d’autre que sa mère pouvait tenir ce rôle ?


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  • Meredith implora sa mère. Dis-moi que tu vas rester un peu.

    Oui, bien sûr. Encore quelques jours au moins. A nouveau, Anne s’écarta de sa fille pour la scruter attentivement. Qu’est-ce qui ne va pas, Meredith ? demanda-t-elle avec douceur.

    Mais rien, maman, je t’assure. C'est juste que tu m'as manqué alors, j'ai envie de profiter un peu de toi. Pour rassurer sa mère, Meredith voulut sourire mais elle n’arriva qu'à faire un rictus. Ça fait longtemps que tu es là ? s'enquit-elle avec une désinvolture feinte, en espérant que sa mère venait d’arriver à San Francisco. Ce serait plus facile de justifier une absence de quelques jours que de trois semaines.

    Depuis deux jours, répondit Anne. J’ai voulu te prévenir de mon arrivée mais je suis tombée à chaque fois sur ta messagerie. Et tu ne m’as jamais rappelée malgré les messages que je t’ai laissés. Meredith se retourna pour faire une grimace. Effectivement, elle n’avait plus allumé son téléphone depuis le jour où elle avait averti Derek du décès de Momsy. Et quand je débarque, tu n’es pas là, souligna sa mère.

    Mal à l’aise, Meredith fit quelques pas dans l’entrée en regardant autour d’elle. Tu es seule ? s'enquit-elle pour faire diversion. Cristina et Izzie ne sont pas là ?

    Non. Elles passent la nuit chez leurs copains, indiqua Anne en se demandant pourquoi sa fille, qui n’avait jamais été une dissimulatrice, s'entêtait à lui cacher le drame qu'elle avait vécu. Pour la protéger, très probablement.

    Tiens, elles ont des copains maintenant, se dit Meredith. Alex pour Izzie sans doute. Mais Cristina ? Qui a voulu de cette mégère ? se demanda-t-elle en reprenant à son compte l’expression favorite de Derek et Mark. Si seulement l’amour pouvait la rendre plus aimable ! Elle avança dans le salon et jeta un coup d’œil à la télévision. Qu’est-ce que tu regardes ? Elle se moquait du programme mais elle était décidée à maintenir la conversation sur un terrain neutre.

    Rien qui soit très intéressant. C’était mal connaitre Anne Grey que de croire qu’elle n’allait pas insister pour connaitre la vérité. Tu ne m’as toujours pas dit où tu étais et pourquoi tu n'avais pas répondu à mes appels ni à mes messages, dit-elle calmement, sans l’ombre d’un reproche.

    Oh j’ai passé quelques jours à la campagne, lui apprit Meredith avec un air qu’elle espéra innocent. J’avais éteint le téléphone pour être tranquille.

    Hmm, je vois. Mer, si tu me disais ce qui se passe ?

    Mais il n'y a rien, voyons ! s’enferra Meredith, agacée. Pourquoi tu crois qu’il y a quelque chose de spécial ?

    Anne se laissa tomber dans le divan en soupirant. Il y a quelques jours, Gloria a appris que son mari devait se faire opérer. Rien de dramatique, une hernie, précisa-t-elle devant le regard interrogateur de Meredith. Elle a voulu te joindre pour te prévenir et te demander quand tu comptais rentrer, pour qu'elle puisse prendre des dispositions avec l'infirmière pour s’occuper de ta tante pendant son absence. Comme tu ne répondais jamais, elle s'est inquiétée et m’a appelée pour savoir si j'avais eu de tes nouvelles. Elle suivit du regard sa fille qui arpentait nerveusement la pièce. C'est comme ça que j'ai appris que tu avais disparu depuis trois semaines.

    Meredith leva les yeux au ciel. Je n'avais pas disparu, puisque je t'ai régulièrement donné des nouvelles pendant ces trois semaines, fit-elle remarquer, agacée d'avoir été prise la main dans le sac et réfléchissant déjà à la façon dont elle allait justifier son séjour à Santa Rosa.

    Sans me dire que tu avais quitté San Francisco, mentionna Anne avec, cette fois, un léger blâme dans son intonation.

    Je n’ai rien fait de mal, maman, se défendit Meredith, à nouveau au bord des larmes. J’avais juste besoin de quelques jours de vacances. Pourquoi alors se sentait-elle aussi coupable ?

    Anna opina de la tête. Je sais. C'est bien normal après ce que tu as vécu. Sa fille lui jeta un regard inquiet. Je sais tout, Meredith, lui révéla Anne. Gloria et les filles m'ont expliqué ce qui s'est passé avec George. Le harcèlement, l'agression, la façon dont il est mort, je suis au courant de tout.

    En entendant les premiers mots de sa mère, Meredith s’était immédiatement imaginé que Cristina et Izzie s’en étaient donné à cœur joie en divulguant sa relation avec Derek, racontant avec un plaisir sadique les hauts et les bas de leur histoire jusqu'à leur récente rupture, et en présentant le chirurgien comme le pire des hommes. Elle se sentit immensément soulagée en apprenant qu’elles s’étaient limitées à l'odieux comportement de George et sa tentative de viol. Aussi étrange que cela puisse paraitre, si elle devait passer aux aveux, ce serait plus facile pour elle de le faire au sujet de son agression que de son amour perdu. Elles n'auraient pas pu se taire ? grommela-t-elle pour la forme en s'installant dans un fauteuil, face à sa mère.

    Mais enfin, Meredith, comment peux-tu dire ça ? s'exclama Anne, choquée. Tu ne crois pas que j'avais le droit d'être au courant ? Sa fille souffla bruyamment en levant les yeux au ciel encore une fois.


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