• A peine Meredith avait-elle coupé le contact qu’elle bondit hors de la voiture. Avec Taylor, elle venait de passer deux heures qui lui avaient parues interminables, dans les magasins de Santa Rosa, afin de trouver une tenue pour l’enterrement de Momsy. D’habitude, elle appréciait ces petites escapades en ville, mais celle-ci avait été une véritable corvée. Maintenant, elle était impatiente – oui, impatiente était le mot, et elle en était la première étonnée – de retrouver Derek. Ils étaient restés longtemps, en-dessous de l’arbre, à discuter de tout et de rien, et elle s’était surprise à rire aux éclats lorsque Derek avait évoqué quelques-uns des mauvais tours que Mark et lui avaient joués à Momsy. Lorsque Taylor était venue la chercher pour la séance de shopping, Meredith avait eu beaucoup de mal à s’arracher à son banc. A présent qu’elle était de retour, elle n’avait rien de plus pressé que de retrouver Derek et de reprendre leur conversation là où ils l’avaient laissée. Elle se rua dans la maison, avec Taylor sur les talons, et s’arrêta net dans l’entrée, en entendant un rire féminin qu’elle ne connaissait pas. Après avoir échangé un regard intrigué avec son amie, elle avança vers le salon d’où venait ce rire auquel répondait maintenant celui de Derek. Elle sentit aussitôt l’irritation la gagner. Elle fit son entrée dans la pièce d’un pas décidé et se raidit en découvrant la scène. Derek était assis sur le divan, avec à côté de lui une jeune femme qui lui avait posé une main sur le bras. Deux heures, deux petites heures, et Meredith le retrouvait déjà en train de faire le joli cœur.

    Les deux hommes se levèrent en la voyant entrer et Mark vint aussitôt vers elle. Ah Mer ! Il la prit par le coude et l’amena vers l’autre jeune femme qui s’était levée, elle aussi. En passant devant lui, Meredith jeta un regard carrément hostile à Derek qui haussa les sourcils d’étonnement. Elle détourna aussitôt la tête pour faire face à celle qui lui tendait la main avec un grand sourire. Une trentaine d’années, la silhouette élancée, des cheveux bruns coupés à la garçonne, discrètement maquillée, habillée simplement mais avec distinction, l’ensemble était des plus agréables et attestait d’un certain niveau d’aisance financière, ce qui ne fit qu’accroître l’énervement de Meredith. Elle eut à nouveau la sensation de ne pas pouvoir rivaliser. Mer, je te présente Lindsay, une amie d’enfance, annonça Mark avant de se tourner vers l’autre femme. Lindsay, voilà Meredith, une amie que nous avons connue à San Francisco.

    Enchantée de faire votre connaissance, dirent en chœur les deux femmes, sans aucune sincérité de la part de Meredith.

    Et la jeune demoiselle, là-bas, c’est la fille de la dame de compagnie de ma grand-mère, ajouta Mark en désignant vaguement Taylor à laquelle Lindsay adressa un léger signe de tête.

    S’lut, grommela l'adolescente, vexée d’être considérée comme une quantité négligeable. Pour bien marquer son dépit, elle alla se poster à sa place habituelle, la fenêtre d’où elle pouvait surveiller tout ce qui se passait à l’avant de la maison. Il était hors de question qu’elle se mêle à la conversation si c’était pour qu’on la traite comme une gamine.

    Lindsay se rassit et, en la voyant sourire de toutes ses dents blanches à Derek, Meredith pensa immédiatement à un requin. Elle n’était pas objective, elle le savait, mais en être consciente ne l’empêcha pas de ressentir une énorme aversion pour cette femme et la façon dont elle regardait son voisin. Elle alla s’asseoir à côté de Mark parce que cela lui offrait une vue imprenable sur l’autre couple. J’étais justement en train de dire à Mark et Derek comme j’étais heureuse de les revoir, lui expliqua Lindsay. Ce n’était pas du tout prévu que je vienne maintenant à Santa Rosa mais ma fille est tombée malade. Et comme je dois absolument aller demain à New York, je l’ai amenée chez ma mère. Le sourire rayonnant de Lindsay disparut pour faire place à une mine attristée que Meredith taxa intérieurement d’hypocrite. Et c’est là que j’ai appris pour Momsy. C’est un si grand malheur ! Lindsay poussa un long soupir tout en enveloppant Mark d’un regard plein de compassion. Alors, j’ai accouru pour venir présenter mes condoléances à Mark et – le chagrin disparut instantanément de son visage pour faire place à un sourire des plus radieux – surprise ! s’écria-t-elle. Je retrouve Derek, après toutes ces années. C’est fantastique, non ? Elle posa à nouveau sa main parfaitement manucurée sur le bras du chirurgien, qui ne réagit pas.

    Oh oui ! Une véritable aubaine ! déclara Meredith avec une ironie mordante dont elle ne se rendit pas compte, pas plus qu’elle ne vit les lèvres de Derek s’étirer en un petit sourire moqueur. Elle trouvait l’attitude de cette femme totalement indécente, compte tenu des circonstances. Comment osait-elle qualifier celles-ci de fantastiques alors qu’il s’agissait de la mort d’un être humain ? Mais je vous ai interrompus, fit-elle semblant de regretter. De quoi parliez-vous donc ? demanda-t-elle en se tournant vers Mark. Elle évitait soigneusement de s’adresser à Derek, de peur d’exploser. Il se pavanait tout sourire dans son canapé, manifestement heureux d’avoir retrouvé cette amie qu’il avait plus que certainement sautée. Une de plus ! se dit Meredith avec aigreur.

    Oh de choses et d’autres, répondit prudemment Mark qui avait perçu, depuis qu’elle s’était installée à côté de lui, à quel point elle était tendue et il ne fallait pas être particulièrement futé pour en comprendre la raison. De vieux souvenirs d’enfance, des trucs comme ça…

    C’était le bon temps, laissa tomber Derek, en souriant généreusement à Lindsay, tout en observant du coin de l’œil la réaction de Meredith. Il se sentit tout guilleret de la voir se raidir un peu plus. On était jeune, insouciant. Ce pique-nique… – il sourit plus largement encore – c’était vraiment un grand moment.

    Oh tu avais été vache tout de même ! lui reprocha gentiment Lindsay, en le couvant d’un regard à la fois amusé et indulgent. Le pauvre Arnie ! Elle se mit à rire et Meredith eut envie de la gifler. Cette conversation mystérieuse, tout en allusions, qu’eux seuls pouvaient comprendre, l’énervait au plus haut point. Elle avait la désagréable impression que Lindsay le faisait exprès, pour lui faire sentir qu’elle était de trop. Oh et ce barbecue, quelques jours après, chez Janice…


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  • Lindsay eut un petit rire de gorge qui horripila Meredith. C’est à ce barbecue que tu m’as embrassée pour la première fois, tu te souviens ?

    Comment l’oublier ? susurra Derek, enchanté de voir les yeux de Meredith étinceler de colère. Ça aussi, c’était vraiment un grand moment.

    Oh c’est gentil, ça, minauda Lindsay.

    C’était plus que ne pouvait en supporter Meredith. Sans même s’excuser auprès de ses compagnons, elle se leva et alla rejoindre Taylor qui observait Nick en train de tondre la pelouse. Quelle conne, celle-là ! grogna-t-elle entre ses dents. Regarde-la qui se trémousse comme une pouff !

    Une chance que le ridicule ne tue pas ! rétorqua Taylor qui, elle non plus, n’appréciait pas cette intruse qui venait parader sur son territoire.

    Et l’autre naze, là, qui n’arrête pas de lui sourire ! Meredith détourna rapidement la tête en voyant que Derek l’observait. Il ne fallait surtout pas qu’il pense qu’elle s’intéressait à lui.

    Manifestement, elle lui a laissé un très bon souvenir, railla Taylor.

    Ça me rend malade ! enragea Meredith. Il me jure qu’il a changé mais, maintenant, il la drague sous mon nez. Elle n’en pouvait plus de voir Derek faire le beau, adresser à une autre des sourires et des regards qu’elle voulait pour elle, seulement pour elle. Cet après-midi, elle avait passé deux heures magnifiques avec lui, pendant lesquelles il lui avait semblé retrouver un peu de leur ancienne complicité. Elle avait été triste de devoir le quitter et elle avait eu l’impression que c’était un sentiment partagé. Elle s’était dépêchée de revenir et pourquoi ? Pour assister à ça ! Il n’est même pas gêné, remarqua-t-elle, découragée.

    Chassez le naturel, il revient au galop ! laissa tomber Taylor avec mépris. Elle jeta un regard furibond au trio qui s’esclaffait une fois encore. Et quand est-ce qu’elle va arrêter de rigoler, la vieille ?

    On dirait une hyène ! renchérit Meredith, heureuse d’avoir une alliée. La comparaison fit pouffer de rire les deux filles. C’était si bon de pouvoir se moquer de l’ennemie.

    Hé ! Regarde là-bas qui arrive, chuchota soudain Taylor, en pointant discrètement du doigt une voiture qui remontait l’allée. Ça, ça risque d’être bien plus intéressant que Miss Pétasse qui se pâme avec ses deux fans. On devrait peut-être aller faire un tour du côté des écuries.

    Bien plus tard, en y réfléchissant, Meredith se retrouva incapable de comprendre sa réaction. Elle avait simplement obéi à une impulsion sans se demander si c’était bien ou mal, sensé ou stupide. Elle l’avait fait parce que cela lui avait semblé être la seule chose à faire pour damner le pion à Derek et sa conquête. Oh Jonas, s’écria-t-elle après avoir reconnu le conducteur. Elle haussa le ton pour être certaine d’être entendue de tous. Il est enfin là ! Il m’a tellement manqué. Elle s’élança hors de la pièce, captant au passage les regards stupéfaits de Derek et Mark.

    C’est qui, Jonas ? se renseigna Lindsay avec curiosité.

    Le petit chéri de Meredith, tiens ! répondit Taylor qui avait deviné le but poursuivi par sa camarade. Terriblement contrarié, Derek la rejoignit à la fenêtre, pour voir Meredith qui courait à toutes jambes vers un jeune homme dont elle hurlait le prénom.

    Jonas, Jonas… je suis là. Heureusement pour Meredith, Derek était trop loin pour voir la stupéfaction s’inscrire sur le visage de Jonas lorsque la jeune fille se jeta sur lui. Je vais tout t’expliquer, mais là, maintenant, j’ai juste besoin que tu me prennes dans tes bras. Toujours aussi sidéré, Jonas – qui n’avait rencontré Meredith que deux fois – referma mollement les bras autour de ses épaules. Mieux que ça ! gronda-t-elle. Serre-moi fort.

    Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? murmura Jonas qui ne voyait vraiment pas où cette fille, dont il ne savait que très peu de choses, voulait en venir.

    Meredith comprit qu’elle lui devait un début d’explication si elle voulait qu’il joue le jeu. Normalement, il y a un homme qui nous observe depuis la maison. Elle sentit que Jonas relevait la tête pour vérifier ses dires. Non, ne regarde pas, lui ordonna-t-elle. Il ne doit pas se douter. Je veux qu’il s’imagine des trucs, tu comprends ?

    Ah fallait commencer par ça ! s’exclama Jonas, amusé. Allez, viens par ici, chérie. Avec un petit rire, il enlaça la jeune fille par la taille. Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Meredith se serra contre lui et l’emmena, avec un grand sourire, vers les écuries. Elle n’avait pas besoin de regarder derrière elle pour savoir que Derek n’avait rien perdu du petit numéro qu’elle venait de faire. C’était comme si elle sentait le poids de son regard dans son dos.

    Effectivement, le chirurgien était toujours à la fenêtre, trop énervé pour avoir remarqué ce que cette scène avait d’étrange. Tout ce qu’il avait vu, c’était Meredith, sa Meredith, qui se jetait dans les bras d’un jeune blanc-bec. Mais d’où il sort, ce guignol ? demanda-t-il dans un chuchotement, sans attendre vraiment de réponse. Tout cela ne ressemblait pas à Meredith. Elle était droite et intègre, pas le genre à sortir avec un homme en en aimant un autre. Et s’il y avait une chose dont il était certain, c’est qu’elle l’aimait encore. Il l’avait lu dans ses yeux, cet après-midi, pendant qu’ils discutaient sur le banc. Alors, à quoi rimait tout ceci ? Je ne comprends plus rien, avoua-t-il, dépité.


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  • Vous êtes peut-être un grand chirurgien, mais vous n’êtes pas très futé pour le reste, se gaussa Taylor dont les yeux brillaient d’une ironie malicieuse dont elle seule avait le secret. Y a rien qui vous a frappé dans ce que vous venez de voir ? Les yeux de Derek s’écarquillèrent avant de se plisser. Vous ne trouvez pas ça étrange, vous, que Meredith se jette dans les bras d’un type avec autant de passion et que lui, il ne l’embrasse même pas ? Même pas un tout petit bisou ? Un sourire satisfait naquit sur les lèvres du chirurgien. Miracle ! s’exclama l’adolescente en levant les bras au ciel. Il a compris. Oui, il avait compris. Bien sûr, il avait remarqué que Meredith n’avait guère apprécié sa proximité avec Lindsay, pas plus que l’évocation de leurs souvenirs. Mais de là à imaginer qu’elle allait se livrer à une telle comédie, se jeter dans les bras d’un garçon qui ne lui était rien, uniquement pour rendre son ex jaloux ! Il en était tellement heureux qu’il ne se sentit nullement mortifié par les moqueries de Taylor. Si je peux me permettre un conseil, vous devriez éviter de jouer avec elle, reprit celle-ci sur un ton plein d’assurance. Enfin, je veux dire, vu la raison pour laquelle elle vous a quitté… le truc avec votre copine, là… – l’adolescente se tourna vers Lindsay, qui continuait à raconter sa vie à Mark, et fit une grimace – les sourires, les œillades, les allusions au passé, à votre place, je m’abstiendrais. Elle planta son regard franc dans celui, un brin étonné, de Derek. Meredith n’a pas besoin de ça. C’est pas de son amour dont vous devez vous assurer, parce que ça… Elle vous aime encore, c’est pas ça, le problème. A aucun moment, Taylor n’eut l’impression de trahir la confiance de Meredith en révélant ses états d’âme à Derek. Au contraire, de son point de vue, elle lui rendait service. Meredith aimait Derek et inversement. Ils avaient manifestement envie de se retrouver. Mais l’une était trop orgueilleuse et l’autre, un véritable empoté. Si personne ne leur donnait un coup de main, leur situation n’évoluerait jamais. Le problème, c’est la confiance qu’elle a perdue, expliqua Taylor. Et c’est pas en flirtant avec une autre devant elle que vous allez la lui rendre. Enfin, moi, j’vous dis ça… Elle défia Derek du regard. J’suis qu’une gamine, après tout.

    Peut-être pas tant que ça finalement, reconnut-il avec un sourire contrit. Il avait sans doute jugé un peu trop rapidement cette fille qui semblait bien plus finaude que ce qu’il avait cru au premier abord. Alors, c’est qui, ce garçon ? lui demanda-t-il.

    C’est Jonas, le petit ami de Jackson, lui apprit-elle. Il est gay, quoi ! précisa-t-elle immédiatement pour qu’il n’y ait aucune équivoque, puisqu’il semblait qu’avec Derek, il valait mieux mettre les points sur i.

    Oui, j’avais compris, merci, répondit-il, amusé par l’insolence de la lycéenne que, manifestement, il n’impressionnait pas beaucoup. Par certains côtés, elle lui rappelait Meredith, au début de leur rencontre. Elle non plus n’avait jamais eu peur de lui. Pas étonnant qu’elles se soient liées d’amitié.

    Je vous dis ça pour que vous compreniez que vous n’avez rien à craindre de lui, insista Taylor. En plus, il connait à peine Meredith. Il a dû se demander ce qui se passait. Alors inutile de vous jeter sur lui pour le tuer, hein !

    Derek hocha la tête. Non, ça, pas de danger. Ce n’est pas mon genre. Il se pencha et déposa un léger baiser sur la joue de la jeune fille. Merci. Et à charge de revanche !

    En parlant de ça… L’adolescente se tourna ostensiblement vers Mark qui faisait toujours la conversation avec Lindsay.

    Oh ça, n’y compte pas ! répliqua Derek en éclatant de rire. Ce ne serait pas te rendre service.

    Taylor lui décocha un sourire diablement charmeur. Et à lui ? Vous ne voulez pas lui rendre service, à lui ?

    Le rire de Derek redoubla, attirant sur le chirurgien les regards curieux de ses amis. Dites donc, qu’est-ce que vous êtes en train de comploter, vous deux ? s’inquiéta Mark, qui aurait nettement préféré participer à leur discussion plutôt que subir le papotage incessant de Lindsay.

    T’inquiète, je t’expliquerai, promit Derek avant de sortir de la pièce.

    Dans les écuries, l’ambiance était nettement moins joyeuse. Quand Meredith y était entrée au bras de Jonas, Jackson avait dardé sur eux un regard assassin. Qu’est-ce qu’il vient foutre ici ?

    Jonas avait regardé Meredith avec un air embarrassé. Certes, il était venu pour s’expliquer avec Jackson mais il n’avait aucune intention de le faire devant témoins. La jeune fille comprit très bien le massage. Je sais, vous avez des choses à vous dire mais je ne peux pas sortir d’ici directement. Sa voix se fit implorante. Alors, je vous en prie, laissez-moi encore quelques minutes. Jackson la dévisagea, les sourcils froncés. Ou diable voulait-elle en venir ? Une des ex de Derek est là et il fait le beau. J’en ai marre de passer pour une conne, Jacks ! Le jeune palefrenier lui sourit mais son regard redevint dur quand il se posa sur Jonas. Il se remit au travail, sans plus s’occuper de ses visiteurs. Jonas se tourna vers Meredith avec désespoir. Elle lui sourit pour le rassurer. Bon, je pense que je suis restée assez longtemps, dit-elle après quelques minutes. Alors…

    Emmène-le avec toi, la pria Jackson sans même se retourner.

    Il fera ce qu’il veut, riposta-t-elle sans se démonter. Et s’il veut rester ici, eh bien, à toi de te débrouiller ! Elle fit un clin d’œil à l’attention de Jonas. Merci d’avoir joué la comédie, dit-elle à ce dernier. Et ne te laisse pas faire surtout. Il joue les gros bras mais, au fond, il est content que tu sois là.

    Dehors ! éructa Jackson, furieux d’avoir été démasqué.


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  • En sortant du bâtiment, Meredith jeta un coup d’œil discret à la maison et fut désappointée de ne pas apercevoir Derek derrière les fenêtres du salon. Sans doute était-il déjà retourné auprès de son amie, cette chère Lindsay. Autant se résigner, il ne changerait jamais, pour personne, et pour elle moins que pour toute autre. Bien décidée à s’enfermer dans sa chambre jusqu’au lendemain, pour ne pas s’infliger le triste spectacle de son ex en train de flirter avec une autre femme, elle posait le pied sur la première marche de l’escalier de la terrasse lorsque Derek sortit de la maison. Salut, dit-elle en prenant un air détaché.

    Salut, répondit-il sur le même ton. Alors, ce garçon ? C’est ton petit ami, m’a dit Taylor.

    Meredith nota avec satisfaction qu’il s’était renseigné mais elle ressentit également de l’étonnement mêlé à de la déception devant sa réaction, bien trop tiède à son goût. Elle avait espéré qu’il lui redemanderait pardon, qu’il lui redirait son amour, ou qu’il lui ferait des reproches, qu’il s’énerverait, qu’il se précipiterait sur Jonas pour régler l’affaire à coups de poing – pardon, Jonas – mais pas qu’il afficherait un tel flegme, comme si cela lui était égal. Oui, mon petit ami, confirma-t-elle néanmoins pour ne pas perdre la face, tout en continuant à avancer.

    Hmm, je vois. Et pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais quelqu’un ? demanda encore Derek.

    Meredith frémit devant le regard bleu océan qui semblait la transpercer. Mais parce que ça ne te regarde pas, répliqua-t-elle. Et de toute façon, depuis quand on se raconte tout ce qu’on fait ? Toi par exemple, tu ne m’as jamais parlé de ta double vie.

    Derek leva les yeux au ciel devant ce qui était pour lui une énorme exagération. Bon sang ! Je n’avais pas de double vie. J’ai fait…

    Meredith s’empressa de lui couper la parole. Tu n’as aucun compte à me rendre, Derek. Et moi non plus. C’est chacun sa vie, maintenant ! Et moi, je suis avec Jonas maintenant. Finalement, elle ne devait pas être si mauvaise comédienne puisqu’il avait totalement donné dans le panneau. Et il pouvait bien jouer les indifférents, il ne l’était pas tant que ça puisqu’il lui posait toutes ces questions. Elle ressentait une satisfaction certaine à l’idée qu’il était jaloux, même s’il était trop orgueilleux pour l’avouer franchement. Mais en même temps, elle lui en voulait de croire aussi facilement à cette histoire qui ne tenait pas debout, comme s’il était possible qu’elle l’ait remplacé si rapidement après leur rupture. Comme si trois semaines pouvaient suffire à ce qu’elle oublie l’amour qu’elle avait éprouvé pour lui.

    Néanmoins… Derek plissa le front comme s’il cherchait à comprendre quelque chose. C’est étrange. Je vous ai regardés et… – il prit un air intrigué – tu t’es jetée dans ses bras et il ne t’a même pas embrassée.

    C’est parce qu’on n’aime pas s’exhiber, affirma Meredith avec un aplomb qu’elle ne ressentait pas du tout. Elle détestait mentir. Si elle le faisait, c’était à cause de lui, parce qu’il l’avait humiliée et qu’elle voulait lui rendre la pareille. Elle voulait le faire souffrir autant qu’elle avait souffert et autant qu’elle souffrait encore.

    Elle tenta de passer pour entrer dans la maison mais Derek se mit en travers de son chemin. Oui, bien sûr. Pourtant… ça ne te dérangeait pas trop de t’exhiber – il insista fortement sur le mot - quand tu étais avec moi.

    Oui, mais les gens changent et Jonas n’est pas comme toi, dieu merci ! claironna Meredith avec un air triomphant.

    Et puis, surtout, les filles, c’est pas trop son truc, à ce brave Jonas, se moqua gentiment Derek en la couvant d’un regard tendre. Elle sut alors qu’il était au courant de l’imposture et elle se sentit terriblement mortifiée de lui avoir encore donné une occasion de la bafouer. Elle essaya encore de passer mais il la retint par le poignet. Meredith, cette femme, Lindsay…

    Tu es sorti avec elle, je sais, lâcha-t-elle avec mépris. Et tu pourrais bien recommencer, d’après ce que j’ai vu. Te gêne surtout pas pour moi.

    Mais qu’est-ce qui te fait croire que j’ai envie d’être avec elle ? s’exclama Derek.

    Tu te fous de moi, là ? Meredith se mit à le singer. Notre baiser, c’était un si grand moment. Comment l’oublier ? Elle sentit des larmes de rage poindre à ses paupières et elle tenta de les réfréner, ne voulant pas lui donner cette victoire supplémentaire. Lâche-moi maintenant, cria-t-elle, irritée de ne pas être capable de garder son sang-froid.

    Derek n’obéit pas, resserrant même légèrement son étreinte, et se rapprocha. Bébé… Il se pencha encore un peu. Leurs visages étaient tout proches maintenant et elle pouvait sentir son souffle sur sa peau. Je l’ai embrassée, oui, murmura-t-il. C’est vrai. On devait avoir quoi… treize ans environ. C’était mon premier baiser, alors… Bien sûr que c’était un grand moment pour moi. Les vacances suivantes, elle était passée à autre chose et moi aussi. La confusion s’empara de la jeune fille. Jamais, elle n’avait envisagé que Derek était à peine sorti de l’enfance quand il avait connu Lindsay. Elle s’était imaginé une relation torride, relativement récente, qui l’avait marqué au point qu’il en parlait encore, alors qu’il ne s’agissait que d’un flirt innocent entre deux adolescents à peine pubères. Il y a prescription, maintenant, je crois. Tu n’étais même pas née, poursuivit Derek avec un tendre sourire. Tu n’as vraiment aucune raison d’être jalouse de Lindsay.

    Il avait ce petit air satisfait de celui qui savoure sa victoire et Meredith s’en voulut de la lui avoir apportée sur un plateau. Jalouse ? Oh ça, sûrement pas ! se récria-t-elle en se dégageant vivement. Libérée, elle rentra directement dans la maison. Partir, aller se cacher quelque part, pour ne plus voir cet air triomphant qui était la preuve de son ultime humiliation.

    Derek la suivit et la vit courir vers sa chambre. Oh si, tu es jalouse ! lui cria-t-il, transporté de bonheur. Et j’adore ça ! C’est génial ! C’est vraiment génial !


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  • Le jour commençait à tomber lorsque Meredith sortit de sa chambre. La maison était totalement silencieuse, comme si elle avait été désertée par tous ses habitants. Seules les odeurs qui émanaient de la cuisine attestaient d’une présence. En passant devant le salon, la jeune fille aperçut Mark, debout devant la fenêtre. Comme s’il avait senti sa présence, il se retourna et lui sourit. Elle le rejoignit et s’accrocha à son bras. Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda-t-elle en appuyant la tête contre son épaule.

    Mark posa les lèvres sur la chevelure de son amie qui fleurait bon la lavande. Rien de spécial. J’admirais le paysage. Cette propriété est magnifique. Il avait toujours adoré cet endroit mais, depuis la disparition de sa grand-mère, il éprouvait l’étrange sensation de ne plus être vraiment chez lui.

    Oui, Jackson fait du bon travail, dit Meredith en guettant sa réaction.

    Il resta impassible. Ouais, il se débrouille pas trop mal, il faut lui reconnaître ce mérite. Il se tourna vers elle et lui sourit encore. Alors, il paraît que cette brave Lindsay t’a donné des sueurs froides.

    Elle soupira. Evidemment, il a fallu qu’il s’en vante ! Elle n’avait aucun mal à imaginer Derek rapportant avec satisfaction à son meilleur ami la comédie qu’elle lui avait jouée quelques heures plus tôt.

    Evidemment ! répéta Mark, hilare. Il était tellement heureux que tu sois jalouse.

    Je n’étais pas jalouse ! s’insurgea Meredith.

    Mark la prit par les épaules et l’amena contre lui. Pas à moi, Mer. J’étais assis juste à côté de toi et je pouvais sentir la jalousie irradier tout autour. Il pouffa de rire. Si tes yeux avaient été des mitraillettes, Lindsay serait morte à l’heure qu’il est.

    Meredith s’écarta, en affichant un air maussade. Ça n’aurait pas été une grande perte, grommela-t-elle.

    Cette fois, Mark rit franchement. Méchante ! s’exclama-t-il en ébouriffant ses cheveux. Tu n’as rien à craindre d’elle. Elle est très heureuse avec son mari, je pense, et puis, de toute façon, Derek n’est pas du tout intéressé.

    Pourtant, il m’a semblé le contraire, répliqua Meredith, de mauvaise foi. Il n’a pas arrêté de la draguer.

    Mark leva légèrement les yeux au ciel. Oh la draguer, comme tu y vas. Il a juste un peu flirté avec elle et on sait tous les deux très bien pourquoi il l’a fait. Meredith fit une moue boudeuse. Tu ne lui parles pas, lui reprocha Mark avec douceur.

    Mais c’est faux ! s’indigna-t-elle. On s’est parlé tout à l’heure. Longtemps même !

    Et de quoi vous avez parlé ?

    D’un tas de trucs.

    D’un tas de trucs sauf de votre relation, souligna Mark. A chaque fois qu’il essaie de lancer le sujet, tu te bloques. Je le sais, il me l’a dit. Meredith le fusilla du regard ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre. Il sait que tu es encore fâchée et il le comprend, bien sûr. Il ne s’attend pas à ce que tu lui pardonnes pour le moment. Mais il voudrait quand même savoir si tu envisages de lui donner une autre chance, un jour. Seulement, toi, tu ne lâches rien, alors il cherche à savoir, par tous les moyens. Quand il te provoque et que tu réagis comme tu l’as fait tout à l’heure, il se dit que, quelque part, tu dois l’aimer encore un peu et qu’il a encore ses chances. Ce serait peut-être plus simple que tu le lui dises franchement. Elle ne répondit pas. Il comprit qu’elle n’était toujours pas prête à affronter cette vérité et il n’insista pas. Il commençait à bien la connaître. Il savait qu’il ne fallait pas la brusquer, ce que Derek avait encore quelque peine à assimiler. Ils restèrent, immobiles et silencieux, perdus dans leurs pensées, jusqu’à ce que Mark pointe son doigt vers l’extérieur. Tiens, voilà ton amoureux qui s’en va.

    Meredith regarda au-dehors et vit Jonas qui remontait dans sa voiture. Pfft ! Moque-toi de moi ! Elle donna un coup de coude dans les côtes de son ami.

    Avoue que tu n’as pas été futée sur ce coup-là ! se moqua-t-il gentiment.

    Oh ça va ! J’ai fait avec les moyens du bord, se défendit Meredith. J’ai agi sur une impulsion et comme je n’avais que lui sous la main… Si Taylor avait été capable de tenir sa langue, ça aurait très bien pu marcher. Elle s’en voulait cependant de s’être livrée à cette mascarade qui n’avait servi qu’à rassurer Derek sur le pouvoir qu’il avait encore sur elle, et à la couvrir de ridicule auprès de tous les autres.

    Mark la regarda avec indulgence. Tu ne crois pas qu’il serait temps que vous discutiez tous les deux plutôt que de jouer à ces petits jeux stupides ?

    Elle soupira. Je ne suis pas prête. Elle n’avait que cette réponse à donner. Elle avait l’impression d’être devant un jeu de construction, dont elle avait réussi à assembler toutes les pièces, et il n’en fallait plus qu’une pour que le mécanisme fonctionne. C’était cette pièce manquante qu’elle attendait. Lorsqu’elle l’aurait reçue, peut-être que son histoire avec Derek pourrait reprendre, ou, au contraire, elle devrait faire son deuil de leur relation. Découragée par cette perspective, elle alla jusqu’au canapé et y découvrit un album photo ouvert sur l’image, qu’elle connaissait déjà, de Mark, bébé joufflu assis sur les genoux d’une jeune femme qui affichait le sourire fier d’une jeune maman. C’est une belle photo, dit-elle en se laissant tomber sur les coussins. Elle prit l’album sur ses genoux et regarda le cliché de plus près avec un sourire attendri. Elle n’avait aucun mal à retrouver dans les traits de ce poupon aux grosses joues et aux yeux rieurs, ceux de son ami.


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