• Elle va s’en aller, laissa tout à coup tomber Jackson.

    Derek fronça les sourcils. Pardon ?

    Elle va s’en aller, répéta Jackson. Elle va repartir avec vous.

    Elle te l’a dit ? se renseigna Derek, plein d’espoir.

    Jackson hocha la tête en souriant. Pas besoin. Je le sais. Elle est venue à l’Hacienda pour faire le point mais sa vie n’est pas ici. Sa vie est à San Francisco, avec toi.

    Derek se renfrogna. Je ne crois pas, non, exprima-t-il avec une intonation douloureuse. Il n’avait pas eu l’intention de parler de Meredith et de leur relation à Jackson. Il détestait faire état de ses problèmes personnels. Il n’y avait qu’auprès de Mark qu’il acceptait de s’épancher, et encore. Mais maintenant que le sujet était lancé et puisqu’il semblait que Jackson était au courant de la situation… Derek hésita encore un instant mais son envie de savoir fut la plus forte. Elle t’a parlé de… de nous ?

    Pas vraiment. Jackson n’était pas le genre de personne qui aimait rapporter les confidences qu’on lui faisait. Mais il appréciait Derek et de surcroît, il le sentait sincèrement épris de Meredith. Sachant que le sentiment était réciproque, il était plutôt enclin à donner un petit coup de pouce au couple. Elle m’a seulement dit qu’elle aimerait savoir qui tu étais vraiment, lui confia-t-il.

    Encore faudrait-il que je le sache moi-même, répondit sincèrement Derek. En effet, il aurait été bien en peine de se définir. L’introspection n’était pas une occupation à laquelle il aimait se livrer. Il se contentait de suivre ses instincts sans éprouver le besoin de les analyser. Il n’en voyait pas l’intérêt. Quant à la façon dont il était perçu, il s’en moquait généralement. Ceux qui l’avaient connu jeune avaient vraisemblablement gardé de lui l’image du gendre idéal. Ensuite, il s’était forgé une solide réputation d’infâme salaud. La vérité était située entre les deux, sans doute.

    Oh moi, j’ai ma petite idée, avança Jackson avec un petit sourire entendu. Tu devrais commencer par lui parler de ce jeune homme qui n’hésitait pas à se battre pour défendre un p’tit métis gay.

    C’était il y a très longtemps. Je ne suis plus ce gars-là, prétendit Derek, blasé.

    Bien sûr que si ! répliqua Jackson. Tu es quelqu’un de bien, Derek, et tu l’as toujours été. C’est juste que ça t’a arrangé de faire croire le contraire. Il hésita un instant avant de poursuivre. Un jour, Momsy m’a dit que tu avais décidé de te faire passer pour un sale type pour garder les autres à distance. Comme ça, ils n’avaient plus l’occasion de te faire du mal. Emu, Derek approuva d’un signe de tête. Jackson regarda à nouveau la jeune fille que ces derniers jours lui avaient permis d’apprécier. Je ne crois pas que Meredith te veuille du mal. Alors, arrête de la repousser.

    Mais, là, je ne la repousse plus, s’indigna Derek. C’est elle qui refuse de me parler.

    Mais elle fait comme toi, mon vieux, répondit calmement Jackson. Elle s’enferme dans sa colère. Ça lui permet de te tenir à distance. Il ne fut nullement impressionné par le regard noir que lui décocha le chirurgien. Elle se protège. Et puis, j’imagine qu’elle veut te faire payer tes conneries, aussi.

    Les gonzesses, j’te jure, maugréa Derek, l’œil rivé sur Meredith qui commençait à seller son cheval. Elles sont d’un compliqué.

    Ah pour ça, je te crois sur parole, plaisanta Jackson. Il partit soudain d’un petit rire. Tu n’aurais pas tous ces problèmes si tu avais accepté ma proposition, il y a douze ans.

    Derek se tourna vers lui avec un sourire complice. Ouais, belle connerie que j’ai faite ce jour-là, dit-il avant de se mettre à rire à son tour. T’es trop con, toi !

    Pourquoi ? Jackson se leva pour le rejoindre. Tu sais, si tu veux changer d'avis, il n’est pas trop tard. C’était une boutade, bien sûr, et pourtant… Jackson devait bien avouer que, malgré les sentiments sincères qu’il portait à Jonas, il était toujours aussi sensible au charme du chirurgien. Mais il n’y avait aucun espoir à nourrir, compte tenu du regard plein de passion dont Derek enveloppait à nouveau Meredith. Va lui parler, conseilla Jackson. Elle n’attend que ça.  

    Un bruit de pas les fit se retourner. Mark venait d’arriver sur la terrasse. Salut, grommela-t-il entre ses dents, contrarié par la présence de Jackson.

    Salut, répondit froidement celui-ci. Il s’adressa ostensiblement à Derek. Bon, tu m’excuseras, mais j’ai du boulot qui m’attend. A plus. Sans un regard vers Mark, il dévala les quelques marches et partit à grandes enjambées vers son pick-up.

    Qu’est-ce qu’il raconte ? s’enquit Mark sur un ton grognon, en le regardant s’éloigner.

    Rien de spécial, répondit distraitement Derek qui réfléchissait à la meilleure façon d’entamer la conversation avec Meredith.

    Paraît qu’il sort avec le fils du Marshal, commenta Mark. La veille, lors de leur promenade équestre, la bavarde Taylor lui avait dévoilé tous les secrets d’alcôve de Jackson, sans qu’il ait eu besoin de demander quoi que ce soit.

    Derek regarda son ami avec un air agacé. Et ça te gêne ?


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  • Pas du tout. Je me fous totalement de son orientation sexuelle. C’est sa naissance qui me dérange, grogna Mark. Il n’avait rien contre les gays, que du contraire. Chaque gay était un rival de moins pour lui.

    Il est comme nous, tu sais, objecta Derek. Il n’a pas choisi ses parents.

    Pourquoi faut-il que tu prennes toujours sa défense ? s’emporta Mark. Parce qu’il était amoureux de toi quand il était gamin ? Ça flatte ton ego ?

    Les yeux de Derek se firent plus froids. Puisque tu n’as que des conneries à dire… Il descendit les quelques marches qui menaient au jardin. En passant devant un parterre de fleurs, il y arracha une magnifique tulipe jaune. Il entendit Mark qui lui criait quelque chose mais n’y prêta pas attention. Ne comptait plus que la jeune fille blonde vers laquelle il avançait. Il n’était plus qu’à deux mètres lorsqu’elle leva les yeux vers lui. Il fit passer dans son sourire l’énorme bouffée de tendresse qui venait de l’envahir et elle ne put que lui sourire à son tour. Il lui tendit la fleur. Tiens, c’est pour me faire pardonner. Pour ce qui s’est passé cette nuit, précisa-t-il pour qu’elle ne se méprenne pas. Il était clair qu’il faudrait bien plus qu’une tulipe pour faire oublier le mal qu’il lui avait fait. Et tu es obligée de l’accepter, ajouta-t-il avec de grands yeux innocents. Sinon, Mark va me tuer parce que j’aurai massacré le parterre de sa grand-mère pour rien.

    Merci. Meredith prit la fleur et, pour se donner une contenance, la porta à son nez tout en sachant que la tulipe ne dégageait aucun arôme particulier. Lorsque Derek se faisait aussi charmeur, elle se sentait vraiment trop vulnérable.

    Il fit le tour de la jument en restant à une distance respectable. Il est beau. Comment il s’appelle ?

    Elle. Elle s’appelle Bluebelle. Elle est adorable. Meredith prit la tête de l’animal entre ses mains pour déposer un baiser juste au-dessus de ses naseaux. On s’entend bien toutes les deux, n’est-ce pas, ma jolie ?

    Tu ne m’as jamais dit que tu aimais les chevaux, déplora Derek en la suivant pendant qu’elle passait de l’autre côté de sa monture.

    La réponse fusa, telle un éclair. Parce que tu ne me l’as jamais demandé. La fleur toujours à la main, Meredith mit le pied à l’étrier.

    C’est vrai, reconnut Derek, tout penaud. Je ne t’ai jamais vraiment posé de questions sur toi. Sans doute parce que j’avais peur que tu m’en poses aussi, murmura-t-il d’une voix sourde.

    Meredith s’arrêta dans son élan pour se tourner vers lui. Ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait comprendre qu’il était prêt maintenant à parler de lui mais elle ne se sentait pas encore prête à saisir cette perche qu’il lui tendait, tout simplement parce qu’elle savait qu’une fois cette conversation entamée, il leur faudrait aller jusqu’au bout, avec tout ce que cela impliquerait de douleurs ravivées, pour l’un comme pour l’autre. Il faut que j’y aille.

    Derek se dépêcha de lui poser une main sur le bras, pour la retenir. Je te propose un marché. Tu me laisses t’accompagner dans ta promenade et en échange, je réponds à toutes tes questions.

    Toi ? Mais tu détestes les chevaux ! s’exclama Meredith, amusée, en reposant le pied à terre.

    Derek fut heureux qu’elle ne rejette pas directement sa proposition. C’était donc qu’elle n’y était pas opposée. Jamais, depuis qu’il l’avait retrouvée, il ne s’était senti aussi proche d’obtenir ce qu’il souhaitait, à savoir s’expliquer et plaider sa cause. Moi, détester les chevaux ? Qui dit ça ?

    Pas besoin de le dire. Ça se voit.

    Ce n’est pas que je les déteste mais… Il dévisagea Bluebelle avec méfiance. C’est plutôt eux qui ne m’aiment pas. Quand j’étais petit, je me suis fait mordre plusieurs fois. Alors depuis… j’en ai un peu peur, finit-il par lâcher.

    Meredith fut attendrie par cet aveu qui lui coûtait, elle le savait. Et puis, il y avait ce regard tour à tour tendre et implorant qu’il posait sur elle, et auquel elle ne savait pas vraiment résister. OK. Je te propose un autre marché. Je renonce à ma balade et en échange, tu réponds à mes questions, sans te défiler.

    Marché conclu ! s’écria Derek, heureux d’avoir remporté cette manche en échappant à la corvée de la promenade équestre. Immédiatement après, le stress l’envahit à l’idée de tout ce qu’il allait devoir remuer pour satisfaire la jeune fille. Et honnêtement, quoiqu’il lui ait promis, il n’était pas certain d’y arriver.

    Meredith passa la main sur le flanc de Bluebelle. On ira se promener un peu plus tard, ma belle. D’accord ? La jument secoua la tête en hennissant légèrement. Tu es gentille. Tu veux bien la rentrer pour moi ? demanda Meredith à Curtis qui revenait pour nourrir les chevaux. Elle lui passa les rênes et revint à Derek. Ça te va, là ? lui demanda-t-elle en pointant du doigt le banc où il s’était assis quelques jours plus tôt avec Momsy. Il acquiesça et la suivit avec l’impression qu’il allait enfin pouvoir essayer de boucler la boucle.


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  • Ils s’assirent sur le banc, Meredith, toute droite, les yeux fixés sur la maison, Derek, de travers, la jambe légèrement repliée sur le banc, pour être totalement tourné vers son ex petite-amie. Tendu à l’extrême sous ses dehors décontractés, il attendit qu’elle ouvre le feu. Elle continua à regarder devant elle, tout en faisant rouler la tige de la tulipe entre ses doigts, commençant déjà à regretter d’avoir accepté ce tête-à-tête qui la mettait mal à l’aise. Je ne peux pas, murmura-t-elle soudain. Je sais ce que tu attends mais je ne peux pas. Derek eut l’impression que son cœur se brisait en mille morceaux. Si Meredith refusait de lui parler, d’évoquer ce qui les avait séparés, comment allaient-ils pouvoir se retrouver ? Je sais… je sais que tu veux discuter de nous, poursuivit-elle, la voix éraillée par l'émotion. Et on devrait le faire, c’est vrai, mais - elle tourna enfin la tête vers lui – quand je suis arrivée ici, j’ai passé les quatre premiers jours à pleurer. Plongé dans ses yeux, il se mit à trembler. Après, j’en ai parlé à Momsy et j’ai pleuré de nouveau, bien sûr. Ensuite, il y a eu tes messages - elle soupira profondément - et j’ai encore pleuré. La culpabilité que Derek ressentait lui fit baisser la tête. Et maintenant, la mort de Momsy… La voix de la jeune fille se brisa soudain. Derek releva les yeux et vit qu’elle luttait de toutes ses forces pour ne pas craquer. Il voulut lui prendre la main mais elle la retira aussitôt. Je n’ai presque pas arrêté de pleurer depuis que je suis ici, Derek, et si on se met à parler de ce qui s’est passé, je vais recommencer. Et franchement, j’en ai marre de pleurer. En plus, demain, il y a l’enterrement. Elle essuya rapidement une larme qui menaçait de couler. Alors, là, tu vois, je voudrais parler de quelque chose qui ne me fasse pas pleurer.

    On peut parler de ce que tu veux, dit fébrilement Derek, heureux qu’elle ne mette pas simplement fin à leur aparté. Il était prêt à tout, à disserter de la culture du riz en Chine même, dont il ne savait pourtant rien, pourvu que Meredith reste avec lui.

    Elle le remercia avec un léger sourire avant d’observer dans le plus grand silence, Jackson qui venait de sortir des écuries, en tirant Spitfire derrière lui, pour le mener dans son enclos. Après quelques minutes qui lui permirent de reprendre le contrôle d’elle-même, elle se tourna à nouveau vers Derek. Je peux quand même te poser une question ? l’interrogea-t-elle avec un peu d’embarras.

    Bien sûr !

    Je te préviens, tu vas sûrement trouver que je suis horriblement curieuse.

    Elle eut subitement un air mutin et espiègle qui fit sourire Derek. Maintenant, elle semblait presque détendue et il en fut soulagé. Il ne supportait plus cette tension qui existait entre eux et qui lui donnait parfois l’impression que Meredith avait peur d’être avec lui. J’adore les filles horriblement curieuses, prétendit-il. Alors, c’est quoi, cette fameuse question ?

    Eh bien… Elle s’arrêta quelques secondes avant de reprendre. Je sais que ça ne me regarde pas mais j’ai remarqué certains trucs depuis que je suis arrivée ici et ça m’intrigue. Je sens qu’il y a quelque chose mais je ne parviens pas à savoir ce que c’est. Derek sourit de la voir si volubile. J’ai demandé à Taylor mais elle ne sait pas non plus, lui confia-t-elle en fronçant les sourcils. Et pourtant, elle, elle est toujours au courant de tout. Une vraie fouine ! commenta-t-elle avec un petit rire. Alors voilà, je me lance, hein !

    Vas-y, l'encouragea Derek, à nouveau submergé par une vague de tendresse. En ce moment, elle lui faisait penser à une adolescente tout excitée de pouvoir colporter un ragot croustillant. Il aurait cloué au pilori n’importe quelle femme ayant le même comportement. Mais une fois qu’il s’agissait de Meredith, il avait toutes les indulgences. Elle aurait pu continuer sur le même mode futile jusqu’au lendemain, il l’aurait écoutée avec délectation.

    Qu’est-ce qui se passe entre Mark et Jackson ? lâcha-t-elle enfin en guettant la réaction de Derek avec anxiété. Comme il se contentait de la regarder avec étonnement, mais sans une once de désapprobation, elle se sentit libre de continuer. J’ai bien vu qu’ils s’évitaient tous les deux, et Jackson est très agressif à chaque fois qu’il parle de Mark. Ils se détestent, c’est évident, mais je ne comprends pas pourquoi. Je voulais le demander à Mark mais avec la mort de sa grand-mère… Alors – elle fit une petite grimace sensée exprimer sa désolation d’être aussi indiscrète – c’est à toi que je le demande. Tu es son meilleur ami. Je suis sûre que tu es au courant.

    Derek n’hésita qu’une seconde. Certes, ce n’était pas son habitude de divulguer les secrets des autres, et certainement pas ceux de Mark mais là, il avait l’occasion de prolonger ce moment avec Meredith, de rester tout près d'elle, de lui parler, de la regarder à loisir, de profiter de sa présence tout simplement. Contre cela, il le reconnaissait sans peine, l’argument de sa loyauté envers Mark ne pesait pas bien lourd. De plus, c’était la première fois depuis leur rupture que Meredith s’adressait volontairement à lui. Il ne pouvait pas la repousser. De toute façon, il aurait fait n’importe quoi pour rentrer dans ses bonnes grâces. Je ne pense pas qu’ils se détestent vraiment, commença-t-il. C’est juste que… Il s’arrêta de parler pour savourer le bonheur qu’il ressentait de voir la jeune fille, les joues roses et les yeux brillants, tout entière suspendue à ses lèvres. Bon sang, que c’était bon !

    C’est juste que quoi ? demanda-t-elle, frémissante d’impatience.

    Mais c’est vrai que tu es horriblement curieuse ! s’exclama Derek avec un petit rire. Elle lui tira la langue et il dut se faire violence pour ne pas lui sauter dessus pour l'embrasser. Jackson est le frère de Mark, enfin, son demi-frère, révéla-t-il enfin.

    Stupéfaite, Meredith lui agrippa la main, à la jointure du poignet et il dut résister à l’envie de nouer ses doigts aux siens. C’était, depuis qu’ils s’étaient revus, le premier contact physique voulu par elle et il était hors de question de la décourager de recommencer en se montrant trop entreprenant. Son frère, balbutia-t-elle. Mais… comment… qui… Allez, Derek, dis-moi, l’implora-t-elle.


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  • Derek ne se fit pas prier pour donner satisfaction à la jeune fille. Jackson est le fils de la mère de Mark. Tu sais sûrement qu’elle couchait avec un peu n’importe qui ? Meredith acquiesça d'un signe de tête. Le père de Jackson travaillait à l’Hacienda, précisa Derek. Ils se sont rencontrés ici, je suppose, et… enfin, tu devines la suite. Manque de bol, elle est tombée enceinte. Meredith lui lâcha la main et il regretta de ne plus sentir sa peau contre la sienne. Cela lui avait tellement manqué, plus que le sexe finalement. Dans l’immédiat, il ne voulait rien d’autre que de passer simplement du temps avec elle et ne plus la quitter.

    Et Momsy ? Et Mark ? Comment est-ce qu’ils ont réagi ? le questionna-t-elle, abasourdie par cette histoire.

    Mark et moi, on était encore gamins. Alors évidemment, on n’a pas tout compris, reconnut Derek. A l’époque, tout ce qu’on a remarqué, c’était que ses parents se disputaient beaucoup, enfin, plus que d’habitude, et que Momsy était de très mauvaise humeur. On s’est tenu à carreau pendant tout un temps, se souvint-il avec un sourire attendri. Bien plus tard, on a appris que le père de Mark était prêt à accepter l’enfant, comme s’il était le sien. Mais il y avait un problème. Le père du bébé était Afro-Américain.

    Meredith hocha doucement la tête. L’enfant ne serait pas blanc et tout le monde saurait, murmura-t-elle.

    Oh tout le monde savait déjà ! Derek soupira. Tout San Francisco était au courant des frasques de Jane Sloan mais ils faisaient semblant de ne rien savoir. Tandis qu’avec un bébé de couleur… plus moyen de donner le change. Alors, Momsy s’en est mêlée. Elle a dit à son fils qu’il était hors de question qu’il accepte ça. Elle l’a poussé à divorcer mais il a refusé. Il était fou de sa femme, il ne pouvait pas vivre sans elle. C’est pour ça qu’il acceptait tout d’elle, même de la partager. Derek avait toujours ressenti un vague mépris pour Andrew Sloan. Un brave homme, certes, plein d’esprit et d’humour, un architecte talentueux, un intellectuel brillant, mais une vraie loque une fois qu’il était devant sa femme. Derek avait toujours estimé que le père de Mark avait accepté bien trop de choses inadmissibles. Mais maintenant qu’il était amoureux de Meredith, il comprenait mieux ce qu’on pouvait ressentir quand l’être aimé vous échappait. La fierté ne représentait plus grand-chose dans ces moments-là. Ne comptait plus que l’essentiel, garder celle sans laquelle on savait ne pas pouvoir être heureux.

    Qu’est-ce qui s’est passé alors ?

    Je te l’ai dit, nous, on était petit. On ne faisait pas trop attention à ce qui se passait. Tout ce dont je me souviens, c’est que la mère de Mark a disparu un long moment et que Mark était très content d’avoir son père rien que pour lui, se rappela Derek. Puis, elle est revenue comme si de rien n’était mais Andrew, le père de Mark, il aimait toujours sa femme, je crois, mais… quelque chose s’était cassé. Il a commencé à boire, à boire vraiment beaucoup. Après quelques années, elle a demandé le divorce et lui… lui, l’alcool l’a tué. Il soupira, repensant à ce triste jour où Mark avait forcé la porte de son père, dont il n’avait plus de nouvelles depuis quelques jours, pour trouver son cadavre gisant au milieu des bouteilles de bourbon.

    Meredith poussa un soupir plein compassion. Pauvre Mark. Ce que Derek venait de lui apprendre, lié à ce que Momsy lui avait raconté, en disait long sur le genre d’enfance que Mark avait vécue. Et cela devait être sensiblement la même chose pour Derek. Comment croire en l’être humain et en sa bonté lorsqu’on avait grandi dans un tel environnement familial ?

    Ça a été compliqué pour lui à l’époque, concéda Derek. Il aimait beaucoup son père.

    Meredith commençait à reconstituer le puzzle mais elle avait besoin de quelques pièces encore, pour tout comprendre. Et Jackson dans tout ça ?

    Derek allongea le bras, pour le poser sur le dossier du banc. S’il tendait légèrement les doigts, il pourrait toucher les cheveux de Meredith. Il en avait tellement envie. Et elle était si belle, avec son visage illuminé par les rayons du soleil qui perçaient à travers les branches de l’arbre. Il aurait donné tout ce qu’il avait pour pouvoir ne fût-ce qu’enfouir son nez dans la chevelure de son amie. Il avait tellement de choses à lui dire, autres que les secrets de famille de Mark, mais puisqu’elle n’était pas prête à les entendre, il patienterait le temps qu’il faudrait. Il est arrivé à l'Hacienda, il avait environ six ans, reprit-il. Son père venait de mourir. Il sourit en voyant le front de Meredith se plisser. A sa naissance, Jackson avait été confié à son père. Ne me demande pas les détails, je ne les connais pas, lui dit-il pour devancer sa question. Je sais seulement que le type l’a élevé, puis il s’est marié, il a eu un deuxième fils et puis, il est mort avec sa femme dans un stupide accident de voiture.

    Mais comment Jackson est-il arrivé chez Momsy ? s’enquit Meredith, sidérée par ce récit.

    Elle a appris la mort de son ancien employé et… Le visage de Derek fut inondé par une soudaine tendresse. C’était une grande dame, vraiment une grande dame. Malgré tout ce que la naissance de Jackson représentait pour sa famille, elle s’est dit qu’elle ne pouvait pas le laisser. C’était le demi-frère de son petit-fils, tu comprends ?

    Meredith hocha la tête, les yeux pleins de larmes. Elle regrettait de n’avoir pas été au courant de tout cela avant le décès de Momsy, elle ne l’en aurait que plus aimée. Et Nick ? demanda-t-elle tout en devinant déjà la réponse.  

    Elle ne pouvait pas sauver Jackson et envoyer son frère à l’orphelinat. Alors, elle les a recueillis tous les deux, expliqua Derek, en suivant des yeux Jackson qui sautait au bas d’un cheval. Et elle les a élevés. Je crois même qu’avec le temps, elle les a aimés un peu comme s’ils étaient ses petits-fils, eux aussi.

    Et c’est ça que Mark n’a pas supporté, conclut Meredith en observant Jackson, elle aussi.


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  • Derek se tourna vers Meredith en secouant la tête. Non, ce n’est pas de la jalousie. Mark a toujours su qu’il avait une place à part dans le cœur de Momsy. Ce qui se passe, c’est qu’à chaque fois qu'il voit Jackson, il pense à ce qui est arrivé à son père. C’est après la naissance de Jackson qu’Andrew a plongé dans la dépression, et qu’il s’est mis à boire. Alors, Mark se dit si que sa mère n’avait pas eu cet enfant, les choses auraient été différentes. Pour lui, Jackson est en quelque sorte responsable de la mort de son père.

    Meredith eut un léger sursaut. Mais c’est dégoutant ! s’indigna-t-elle, prenant garde toutefois de ne pas parler trop fort, pour ne pas être entendue du jeune métis qui travaillait toujours devant les écuries. Jackson n’était qu’un enfant. Il n’y pouvait rien, le pauvre.

    Je sais. Derek soupira. Andrew Sloan était un homme charmant mais c’était un faible. Plutôt que d’essayer de s’en sortir, il passait des journées entières à pleurer sur son sort, avec toujours un verre à la main. Le nombre de fois où Mark l’a retrouvé complètement bourré… Il n'était qu'un ado, ça n'était pas facile à vivre. Malgré tout, il adorait son père. Et quand celui-ci est mort, ça a été très dur pour lui. Le chirurgien plongea ses yeux dans ceux de Meredith. Tu vois, parfois, quand tu vis un drame, que c’est trop difficile à accepter, tu as besoin de trouver un coupable.

    Elle flaira que ces mots, qui semblaient coller parfaitement à l’histoire de Mark, avaient un sens caché, qui concernait le passé de Derek. Puisqu’ils en étaient à se lancer des messages subliminaux, elle n’allait pas se priver. Je veux bien, Derek, mais si tu as besoin d’un coupable pour te sentir mieux, autant prendre le bon ! Je ne sais pas si la vengeance soulage – son expression traduisait très clairement qu’elle en doutait – mais s’il faut vraiment en passer par là… autant s’en prendre à la personne qui vous a fait du mal, pas à un pauvre innocent qui a eu comme seul tort d’être là au mauvais moment. Elle lut dans le regard de Derek que son discours avait fait mouche.

    Tu as mille fois raison, murmura Derek, rongé par le remords. Le problème, c’est qu’on ne se rend compte de ça qu’après. Quand on est en colère…

    Meredith lui coupa sèchement la parole. Oh ne me parle pas de colère, Derek ! Je sais ce que c’est, crois-moi. Pourtant, je n’ai jamais pensé que cette colère me donnait le droit de blesser mon entourage.

    Meredith, gémit-il. Je ne…

    Elle devina qu’il allait profiter de l’occasion qu’elle venait de lui donner, sans trop y réfléchir, pour tenter à nouveau de discuter de leur situation. Je te parle de Mark, là, se dépêcha-t-elle de préciser, tout en détournant le regard pour ne pas croiser les yeux désespérés qui se posaient sur elle. Dans cette histoire, la seule coupable, c’est sa mère. Alors, c’est moche qu'il fasse payer Jackson pour une faute qu’il n’a pas commise. Il n’a pas demandé à naître, lui, et il n’a pas choisi ses parents non plus. Tu devrais le dire à Mark.

    Derek eut mal de se sentir rejeté une fois de plus. C’était comme si elle niait leur histoire et ce qu’ils avaient été l’un pour l’autre. Je le lui ai déjà dit, Meredith, lui apprit-il avec un ton plus cassant qu’il ne l’aurait voulu. Il était tellement frustré. Pas plus tard qu’il y a une demi-heure.

    Eh bien, répète-le-lui ! lui asséna-t-elle sans se laisser impressionner par sa soudaine mauvaise humeur. Toi, il t’écoutera. Il t’écoute toujours. Elle s’adoucit aussi soudainement qu’elle s’était énervée. Il est tout seul maintenant. Bien sûr, tu es là mais… Jackson est son frère. Il est sa seule famille. C’est important, la famille, Derek.

    Tout dépend de la famille, allégua-t-il sur un ton plein de colère. Il le regretta aussitôt. Il n’avait pas le droit de se montrer dur avec elle, déjà à cause de ce qu’il lui avait fait, et aussi parce qu’elle ne pouvait pas avoir la moindre idée de ce que c’était que de grandir au sein de familles telles que lui et Mark les avaient connues. Excuse-moi. Tu as raison pour Mark et Jackson. La famille, c’est important. J’essaierai de raisonner Mark, promit-il.

    Meredith le remercia d’un sourire et il se sentit fondre devant tant de beauté. Tout à coup, il vit une coccinelle qui atterrissait sur les cheveux blonds de la jeune fille. Attends, ne bouge plus. Il posa son index devant le coléoptère, attendant patiemment qu’elle monte dessus.

    Mais qu’est-ce que tu… ?

    Chuuuut ! souffla-t-il doucement. Il retira son doigt et montra l’insecte rouge à pois noirs à son amie. Tu sais ce qu’on dit à propos des coccinelles ? se renseigna-t-il avec un sourire facétieux. Meredith secoua la tête. On dit que celui qui aperçoit une coccinelle doit se dépêcher de faire un vœu, pour qu’elle l’emporte au ciel avec elle, lui apprit Derek en ne quittant pas la bête des yeux. Comme ça, on a plus de chances qu’il se réalise. Il releva la tête pour regarder la jeune fille avec adoration. Fais un vœu, Meredith.

    Et toi ? chuchota-t-elle, troublée par cette fièvre avec laquelle il la contemplait.

    Oh j’en ferai un aussi, susurra-t-il. Je ne vais pas laisser passer l’occasion, tu peux en être sûre. Les yeux plantés dans ceux de Meredith, il prononça son vœu intérieurement. Faites qu’elle m’aime encore assez pour me pardonner et que tout redevienne comme avant, parce que je ne peux pas vivre sans elle.

    Faites que je trouve la force de lui pardonner et que tout redevienne comme avant, parce que je l’aime plus que tout, se dit Meredith en y mettant toute la force de sa conviction. La coccinelle s’envola et ils la suivirent du regard tandis qu’elle montait vers le ciel, emmenant avec elle leur plus grand espoir.


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