• Mark afficha un sourire moqueur. Dit le mec qui sort avec une fille qui vient tout juste d’avoir vingt-et-un ans. 

    Ne compare pas ce qui n’est pas comparable ! répliqua Derek avec une totale mauvaise foi. Meredith, elle est exceptionnelle.

    Oui, tu n’as pas tort, concéda Mark. Ah on est bien avec nos nanas !

    Meredith n’est pas une nana, s’insurgea Derek. Et Taylor n’est pas la tienne et ne doit jamais le devenir, tu m’entends !

    Quel putain de rabat-joie ! s’écria Mark, tout en sachant que Derek avait pertinemment raison.

    Qui est rabat-joie ?

    En entendant la voix de Meredith, Derek, dont la chaise tournait le dos à l’entrée, sursauta violemment. Il se leva précipitamment, faisant tomber son siège dans le mouvement, et découvrit la jeune fille, vêtue seulement d’un tee-shirt qui lui arrivait à mi-cuisses. Il sentit une bouffée de chaleur l’envahir. Pour dissimuler son émotion, il se pencha pour relever sa chaise. Momsy est morte, se répéta-t-il plusieurs fois, très vite, en espérant que cette triste évocation suffirait à empêcher toute manifestation extérieure trop visible de son trouble. Effectivement, le souvenir de la vieille dame, ainsi que la certitude que le moindre faux pas pouvait tout compromettre, parvint à le calmer. Tu ne dors pas ? bafouilla-t-il en se redressant. Elle est conne, ta question, se dit-il. Si elle est là, c’est qu’elle ne dort pas ! Il vit Meredith qui secouait la tête et, sans savoir pourquoi, il saisit la boite de brownies pour la lui tendre. Tu en veux un ? Il entendit Mark pouffer de rire. Mais qu’est-ce qui te prend ? T’as l’air d’un débile avec ta boite de gâteaux ! hurla-t-il intérieurement. Ils sont délicieux. Cette Frances est un fin cordon bleu, fut pourtant tout ce qu’il trouva à ajouter.

    C’est vrai mais, ceux-là, c’est moi qui les ai faits, répondit Meredith, rougissante. Ce n’était pas l’éloge qui la bouleversait, mais la vision de Derek en boxer. Elle avait toujours admiré sa prestance. Même nu, ce salaud avait de l’allure. T’as pas honte ! se morigéna-t-elle. Un mec à moitié à poil et voilà que tu mouilles ta culotte. Cette dernière pensée, qui ne lui ressemblait pas, la fit devenir écarlate.

    Woaw ! s’extasia Derek qui se méprit sur la cause de la confusion de Meredith. Il n’aurait jamais imaginé qu’un compliment sur son talent culinaire lui ferait autant plaisir. Si, pour se faire bien voir d’elle, il fallait qu’il se fasse exploser en dévorant tous les brownies de la boite, il n’hésiterait pas. Il reprit le gâteau qu’il n’avait pas terminé. J’en ai jamais mangé de meilleur, dit-il en mordant dedans. Tu devrais en prendre un, conseilla-t-il à Mark. Ils sont géants. Mark secoua la tête en souriant. Derek et ses gros sabots ! Il en faisait trop mais cela avait quelque chose de touchant.

    Meredith avança vers la table, en prenant bien garde à ce que son regard ne tombe pas sur son ex pratiquement nu. Alors, c’est qui le rabat-joie ? demanda-t-elle à nouveau.

    C’est lui, répondit Mark, le doigt pointé vers son ami, tout en suivant de son œil appréciateur la jeune fille qui marchait. Cela n’échappa pas à Derek qui passa derrière lui pour venir lui donner une forte tape à l’arrière de la tête. Aie ! cria Mark en se frottant le crâne. Il prit Meredith à témoin. Tu vois ce que je te disais ?

    J’essaie de lui remettre les idées en place, précisa Derek pour répondre à l’interrogation contenue dans le magnifique regard vert de Meredith. Et les yeux aussi, ajouta-t-il sèchement à l’intention de son ami.

    Meredith plongea son regard dans celui de Mark. Là, au moins, elle ne risquait rien. Cela devenait intenable. Depuis qu’elle était entrée dans cette pièce, elle ne pensait plus qu’à Derek, à sa langue dans sa bouche, à ses mains qui la caressaient si bien, à son sexe qui lui donnait tant de plaisir, à son corps contre lequel elle aimait se blottir, après l’amour. Ce même corps qui s’exhibait maintenant sans vergogne, avec ses épaules solides, ses bras musclés juste comme il le fallait, son ventre plat, ses petites fesses rondes, cette légère bosse à l’avant… Oh seigneur ! A quoi pensait-elle ? Non, non, ne pense pas à ça, s’encouragea-t-elle. Pense plutôt à Madelina et aux autres, à toutes les autres. Il leur a fait la même chose qu’à toi, voilà ce que tu dois te dire. Son sexe a été dans leur bouche, à elles aussi ! Il a joui dans leur corps. Mais au même moment, elle entendit, dans un coin de sa tête, la voix de Momsy, et son petit rire. Tu sais, une fois que c’est lavé, c’est comme neuf. Elle se sentit perdue. Qui avait raison ? Que devait-elle écouter ? Sa raison ou son cœur ? Là, tu aurais plutôt tendance à écouter ton sexe, se fustigea-t-elle. Alors, tu te calmes !

    Mer, ça va ? s’inquiéta Mark qui avait compris, à sa mine tourmentée, qu’elle était en train de mener un combat intérieur.

    Elle émergea de ses pensées dans un léger tressaillement. Oui, ça va. Elle lui sourit affectueusement. Alors, tu as besoin qu’on te remette les idées en place ?

    Il paraît, d’après ce monsieur, répondit-il en désignant Derek du menton. Il s’est mis en tête de m’apprendre ce que c’est que la vie, l’amour. Meredith ne put s’empêcher de tourner un regard ironique vers l’intéressé.

    Celui-ci se sentit contraint de se justifier. J’essayais juste de lui faire comprendre qu’il était un peu trop vieux pour faire la sortie des lycées, si tu vois ce que je veux dire.

    Meredith comprit immédiatement l’allusion. Mark ! Tu m’avais promis. Tu as juré, lui rappela-t-elle, le ton de sa voix teinté de reproches.


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  • Hé, je n’ai rien fait ! Je n’ai fait qu’envisager, se défendit Mark.

    C’est encore trop, objecta Derek. Il vint se rasseoir à la table, juste en face de Meredith, à la fois pour l’admirer à loisir et ne rien perdre de ses réactions.

    Il a raison, reconnut-elle, même si cela lui écorchait la bouche de le dire. Taylor est une fille intelligente. Elle a compris que tu – elle leva les deux mains en l’air et agita ses index et majeur collés l’un à l’autre, pour mimer le signe des guillemets –"envisageais", si ce n’est qu’elle pense que c’est bien plus que ça. Elle s’est mis en tête des tas de choses et ce ne sont pas les mêmes que celles que tu envisages, Mark.

    Elle n’est pas comme toutes ces filles qu’on a sautées. L’intonation de Derek fit se tourner Meredith vers lui. Elle vit alors qu’il la fixait intensément et comprit que ce n’était pas de Taylor qu’il parlait. Elle est jeune et pleine d’illusions. Elle a confiance en toi. Et si tu la blesses, elle en souffrira et toi… toi, tu ne pourras plus te regarder dans un miroir. Touchée malgré elle par ces paroles, la jeune fille baissa la tête, ce qui ne découragea nullement Derek. Si elle ne voulait pas le regarder, au moins ne pouvait-elle pas éviter de l’entendre. Il arriverait bien, un jour, à la convaincre de sa bonne foi. On ne peut pas jouer avec les sentiments. C’est quelque chose que j’ai appris il y a longtemps, à mes dépens, mais je l’avais oublié. Quelqu’un me l’a rappelé récemment, conclut-il dans un murmure avant de se tourner vers Mark. Ne fais pas la même erreur que moi. Meredith frissonna. Les paroles de Derek, ainsi que sa façon de les dire, l’atteignaient en plein cœur. Pourtant, quelque chose, tout au fond d’elle, la faisait toujours douter qu’il soit totalement sincère.

    Mark aussi était conscient que ce message s’adressait bien plus à leur amie qu’à lui. Mais comme elle ne réagissait pas, il embraya. Bah ne vous en faites pas ! Il ne se passera rien avec Taylor. Il soupira pour exprimer ses regrets. Quand je suis venu… le week-end dernier, ajouta-t-il à l’intention de Meredith, j’ai juré à Momsy que je ne toucherais jamais à la petite. Je ne reviendrai pas sur ma parole. C’est vrai qu’elle est mignonne, Taylor, mais elle ne vaut pas la peine que je trahisse la confiance que ma grand-mère avait en moi. Meredith lui sourit avec satisfaction.

    Et garde tes distances aussi, l’adjura Derek. Qu’elle ne puisse plus se faire de film !

    Promis ! clama Mark.

    Tout à coup, Meredith bailla à s’en décrocher la mâchoire. Quoi ? demanda-t-elle aux deux hommes qui la regardaient en souriant.

    Tu ne penses pas que tu serais mieux dans ton lit ? suggéra Mark avec tendresse.

    Les épaules de la jeune fille se soulevèrent légèrement. Je n’arrive pas à dormir. Je pense à des trucs… à la mort de Momsy, à tout ce qui s’est passé depuis et… Ses yeux s’emplirent soudainement de larmes. Je ne peux pas…

    Qu’est-ce que tu ne peux pas ? questionna Mark, déconcerté par le ton grave qu’elle avait pris et la tristesse qui marquait ses traits.

    Accepter l’argent de ta grand-mère. Je ne peux pas. Les deux hommes échangèrent un regard entendu. A la fin de la journée, l’avocat de Momsy s’était présenté à l’Hacienda afin de procéder à la lecture du testament. A son grand étonnement, Meredith avait été conviée à y assister, au même titre que les autres habitants de la maison. C’était avec une grande émotion que tous avaient pris connaissance des dernières volontés de Susan Lee Sloan. Sans surprise, elle laissait à Mark tout ce qu’elle possédait, à savoir différentes maisons à San Francisco, un appartement à New York, sur Central Park, un cottage à Martha’s Vineyard, la propriété de Santa Rosa bien sûr, de même que tous les avoirs en argent. Il y avait cependant quelques clauses particulières à respecter. Une confortable rente mensuelle serait versée à Frances, jusqu’à la fin de ses jours, et les frais d’études de Taylor seraient intégralement couverts par un fonds spécialement créé à cet effet. Frances était également autorisée, si elle le souhaitait, à demeurer aussi longtemps qu’elle le désirerait à l’Hacienda, où elle conserverait son emploi de gouvernante. Mère et fille avaient fondu en sanglots devant tant de générosité. Quant à Jackson, Momsy espérait qu’il accepterait de rester le régisseur de la propriété et que Mark et lui pourraient s’entendre pour que cette dernière continue à prospérer. Elle insistait sur le fait qu’un de ses vœux les plus chers était que les deux hommes fassent la paix, comme ultime preuve de l’amour qu’ils avaient eu pour elle. Meredith avait été rassurée de constater qu’ils avaient été tous deux particulièrement émus à la lecture de ce passage. C’était sûrement de bon augure. Avaient ensuite suivi différents legs d’argent, de bijoux ou autres objets aux employés de Momsy, à quelques personnes que Meredith ne connaissait pas, ainsi qu’à diverses œuvres de charité. La jeune fille continuait à se demander ce qu’elle faisait là lorsque l’avocat avait annoncé qu’une dernière clause avait été ajoutée au testament trois jours plus tôt. Quelques minutes avaient été nécessaires pour qu’elle comprenne qu’elle héritait d’une somme de deux cent cinquante mille dollars destinée à financer les études universitaires dont elle rêvait. Tout ce dont elle se souvenait après, c’était le sourire à la fois ému et heureux que lui avait décoché Mark. Il lui avait fallu du temps pour digérer la nouvelle et prendre une décision. Je ne peux pas accepter cet argent, Mark, reprit-elle de sa voix douce mais néanmoins pleine d’assurance. C’est extrêmement généreux de la part de Momsy et je lui serai toujours très reconnaissante de m’avoir fait ce magnifique cadeau mais je ne peux pas l’accepter.

    Pourquoi ? s’étonna Mark.

    Parce que je n’y ai pas droit, dit-elle avec simplicité. Je ne suis pas de la famille et…

    Mark lui coupa directement la parole. Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Ma grand-mère a légué une partie de ses biens à des gens dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Elle l’a fait parce qu’elle les appréciait, qu’elle les aimait et qu’elle voulait leur témoigner qu'ils étaient importants pour elle. C’est tout ce qui compte, à mes yeux.


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  • Meredith secoua la tête. Il y a une grande différence entre hériter d’une bague ou d’un livre, et une telle somme. Deux cent cinquante mille dollars, Mark ! Est-ce que tu te rends compte de ce que ça représente ? Bien sûr que non, il ne s'en rendait pas compte, comme en attestait son petit sourire amusé. Comment aurait-il pu, lui qui était né avec une cuiller en argent dans la bouche ? Mais elle qui avait toujours connu sa mère aux prises avec des difficultés financières, elle connaissait la valeur de l’argent. De plus, elle avait été élevée dans l’idée qu’il ne fallait compter que sur soi et sur son travail pour gagner sa vie. Alors, cette somme astronomique qui lui tombait du ciel, sans qu’elle n’ait rien fait pour la mériter, la mettait mal à l’aise. Il y a trois semaines, je ne connaissais même pas ta grand-mère. Je me suis imposée dans sa maison, j’ai vécu à ses crochets. Elle fit abstraction d’un bruyant soupir que Derek venait de pousser pour manifester son énervement. Elle a déjà été d’une telle générosité pour moi que je ne peux plus rien accepter. Et puis, si je prenais cet argent, j’aurais l’impression de te voler.

    Me voler ? s’exclama Mark avant de pouffer de rire. T’en fais pas pour ça, va. Premièrement, ma grand-mère m’a demandé ce que j’en pensais et je lui ai dit que c’était une excellente idée. Et puis… Je vais sans doute te paraitre prétentieux mais deux cent cinquante mille dollars de plus ou de moins, je ne verrai même pas la différence.

    Meredith savait qu’il avait raison. Elle avait compris, à la lecture du testament, par l’énoncé de tous les biens que sa grand-mère lui laissait, que Mark était désormais à la tête d’une fortune considérable. Sans doute même, son salaire de chirurgien lui tiendrait-il lieu dorénavant d’argent de poche. Pourtant, elle ne changerait pas d’avis. Il était hors de question qu’on lui fasse la charité. Eh bien, alors, tu n’as qu’à prendre ces deux cent cinquante mille dollars et les offrir à une association, bougonna-t-elle.

    Tu dis des bêtises. Mark saisit la main de son amie et la serra dans la sienne. Momsy t’aimait, Mer. Elle t’aimait comme sa propre petite-fille et elle voulait que tu le saches. C’est sa façon de te le dire.

    Cet aveu fit monter les larmes aux yeux de la jeune fille. Je l’aimais aussi. Mais ne m’oblige pas à le prouver en acceptant son argent, Mark. De toute façon, deux cent cinquante mille dollars, c’est beaucoup trop, même pour des études universitaires.

    Tout dépend de l’université, objecta Mark. Momsy voulait que tu puisses faire ton choix sans te préoccuper de ce que ça coûterait.

    C’est adorable mais je ne peux pas accepter, s’entêta Meredith.

    Très bien, décréta Derek qui était sur des charbons ardents depuis le début de la conversation. Refuse cet héritage puisqu’il te gêne tant. Tu as raison. Mark lui jeta un regard stupéfait. Il espérait compter sur son appui pour convaincre Meredith et le voilà qui torpillait tous ses efforts. En revanche, Meredith se tourna vers son ex-amant, pleine d’espérance mais de méfiance aussi. Avait-il compris sa motivation ou voulait-il seulement rentrer dans ses bonnes grâces ?

    Mais… et ses études ? objecta Mark, désarçonné. Comment elle va faire pour aller à l’université sans cet argent ?

    Presque enthousiaste, Meredith lui posa une main sur le bras. Il y a les banques. Je peux toujours faire un prêt. Elle foudroya du regard Derek qui ricanait.

    Et te coller des dettes pendant des années ? C'est justement ce que tu ne voulais pas faire, lui rappela Mark. En plus, avec la crise financière, les banques n’octroient plus si facilement ce genre de prêt. Si tu n’as pas de contrepartie à donner, tu ne l’obtiendras pas.

    Mais il y a cette nouvelle mesure prise par le gouvernement, argua Meredith. Je me suis renseignée. Maintenant, à cause de la crise justement, tu peux demander un prêt directement au Département de l’Education et les intérêts sont beaucoup plus intéressants.

    Mark fit une grimace. Je sais, Mer. Mais ça représente des démarches à n’en plus finir.

    Je me débrouillerai, répondit précipitamment Meredith. De toute façon…

    Derek lui coupa la parole. De toute façon, si ce n’est pas l’argent de Momsy qui finance tes études, ce sera le mien. Il défia Meredith du regard. Fin de la discussion ! Enervé, il se leva et alla au frigo prendre deux bières pour lui et Mark. Tu veux quelque chose ? demanda-t-il à Meredith, tout en se préparant à la riposte. Il la connaissait assez pour savoir qu’elle n’adhérerait pas à son initiative.

    Non ! cria-t-elle. Et la discussion n’est pas finie. Il est hors de question que j’accepte ton argent.

    C’est ce qu’on verra ! Derek revint s’asseoir et ouvrit sa bouteille, les yeux pleins de hargne. Il vida la moitié de sa bière en une gorgée. En ce moment, il était tellement irrité qu’il ne pensait plus à ménager la susceptibilité de la jeune fille. Il ne réfléchissait pas au fait que sa franchise risquait de compromettre définitivement les maigres chances qui lui restaient de se réconcilier avec elle. Depuis qu’il était là, il avait forcé sa nature en surveillant le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles. Mais la diplomatie ne faisait pas partie de ses vertus premières et, ses efforts n’ayant pas payé, il en avait assez de louvoyer.

    Meredith ouvrit de grands yeux scandalisés. C’est tout vu ! Et à quel titre je devrais accepter ton argent d’ailleurs ?


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  • Au titre que tu es une fille intelligente ! tonna Derek. Et que ce serait un sacré gâchis de ne pas faire les études de ton choix. Alors, je ne laisserai pas de foutus problèmes d’argent t’empêcher de réaliser tes rêves.

    Ils n’empêcheront rien du tout, assura Meredith, en se tournant vers Mark dans l’espoir d’avoir son appui. Son regard alla de Derek à Mark tandis qu’elle faisait valoir son point de vue. C’est pour ça que je suis venue à San Francisco, pour qu’ils se réalisent. Je travaille, je mets un maximum de côté et le jour où…

    Quand, Meredith ? l’interrompit Derek avec violence. Quand estimeras-tu avoir assez d’argent pour te lancer ? Dans dix ans ? Parce qu’avec ce que tu gagnes à la boutique…

    Meredith s’énerva. Mais de quoi je me mêle ? De toute façon, je ne veux rien te devoir !

    Alors, accepte l’argent de Momsy, répliqua Derek. Mets ton orgueil de côté pour une fois.

    Ça te va bien de dire ça ! riposta la jeune fille.

    Ce fut plus fort que lui. Il ne parvint plus à taire ce qu’il avait sur le cœur. Qu’est-ce que tu crois que je fais pour le moment ? cria-t-il. Ça fait trois semaines que je me comporte comme un mendiant, juste pour un signe de ta part. En se levant brusquement, il fit tomber sa chaise par terre mais n’y prit garde. Le bruit fit sursauter Meredith.

    Derek, dit Mark pour mettre en garde son ami qui tournait en rond dans la pièce.

    Qu’est-ce que tu veux, Meredith ? continua Derek qui ne l’avait même pas entendu. Qu'est-ce que tu attends de moi ? Que je mette à genoux ? Que je rampe ? 

    Surprise par cette réaction qu’elle n’avait pas vu venir, Meredith blêmit. Je… je ne… je ne veux… pas… parler de ça, bégaya-t-elle.

    Mais alors quand, nom de dieu, se mit à hurler Derek, en écartant les bras. Quand voudras-tu en parler ? Choquée par ce qu’elle ressentait comme une agression, Meredith se mit à pleurer. Derek se calma instantanément. Meredith…

    T’es content ? fulmina Mark. T’as eu ce que tu voulais ? Il passa son bras autour des épaules de la jeune fille pour la ramener contre lui. Calme-toi, Mer.

    Derek n’avait pas prévu que la conversation prendrait cette tournure et, maintenant, il s’en voulait de s’être laissé emporter. Ce que je veux, c’est seulement qu’elle me laisse lui parler, dit-il d’un ton las. Il eut mal au cœur en voyant Meredith pleurer à chaudes larmes. C’était peut-être la seule chose au monde qu’il était incapable de supporter. Je ne veux pas te faire du mal, bébé.

    Tu l’as déjà fait ! lança Meredith en essuyant rageusement les larmes qui mouillaient son visage. Et je t’ai déjà dit de ne plus m’appeler bébé !

    Mark les regarda l’un après l’autre, avec commisération. Était-il possible de s’aimer autant que ces deux-là et de ne pas être capable de se le dire autrement qu’à travers des cris et des larmes ? Moi, je pense que vous devriez vous parler, tous les deux, et parler calmement, vous dire les choses… seul à seul.

    Je ne demande que ça, murmura Derek, avec un regard plein d’espoir vers Meredith. Celle-ci ne bougea pas.

    Eh bien, alors, je vais vous laisser, hein ! claironna Mark sur un ton qui se voulait guilleret. Discutez bien et surtout discutez posément. Ça ne sert à rien de gueuler. Après avoir déposé un baiser sur le front de Meredith, il se leva et fit quelques pas en direction de la porte.

    Non, je ne veux pas discuter. Il n’y a rien à dire, de toute façon. Meredith se leva à son tour. Tu peux rester, Mark.

    Derek baissa la tête. Voilà, une fois encore, elle venait de le rejeter. Au moment où elle passait à côté de lui, il l’attrapa par le poignet. Meredith, murmura-t-il en posant sur elle un regard plein de détresse qui la fit frémir. Je sais que j’ai fait une épouvantable erreur et que je t’ai fait du mal. Mais est-ce que tu ne crois pas que je l’ai déjà payé assez cher ?

    Elle prit une grande inspiration avant de lui répondre. Il ne s’agit pas de te faire payer, Derek. Elle l’aimait, elle l’aimait encore, envers et contre tout, et elle l’aimerait toujours, elle en était convaincue. Pourtant, même cette certitude, et la perspective de ne jamais pouvoir l’oublier, ni le remplacer, ne lui permettaient pas de passer au-dessus de l’immense déception qu’elle avait ressentie en découvrant qu’il s’était joué d’elle. Je ne cherche pas à me venger. Il s’agit seulement d’accepter ce qui s’est passé. Et ça, malgré tout ce que j’éprouve encore pour toi, je n’y arrive pas. Et je ne sais pas si j’y arriverai un jour. Elle rejoignit Mark et sortit après l’avoir embrassé sur la joue au passage.

    Mark vint se rasseoir devant son ami. Elle est dure, putain ! s’exclama-t-il sans se rendre compte de l’admiration qui perçait dans sa voix. Elle est têtue, c’est fou. Il s’aperçut soudain que Derek était blanc comme un mort. T’en fais donc pas. Ça va s’arranger.

    Désillusionné, Derek secoua la tête. Je ne vois pas comment.

    T'as perdu une bataille, mon vieux. Ça ne veut pas dire que tu as perdu la guerre, assura Mark avec conviction. Il faut seulement t’armer de patience. Derek leva les yeux au ciel. Mark sourit. Oui, je sais, ce n’est pas ton point fort, mais va falloir t’y faire. Je t’avais prévenu. Elle va t’en faire baver.


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  • Installé sur la terrasse, Jackson se balançait doucement dans un rocking-chair, sans quitter des yeux le paysage qui s’étendait à perte de vue devant lui. Les nuages blancs du matin avaient disparu pour faire place au doux soleil de printemps. L’air fleurait bon les jeunes pousses de crocus et de primevère qui commençaient à poindre dans les parterres. Un peu plus loin devant la maison, derrière les barrières, de chaque côté, les haies de ligustrum frissonnaient au moindre souffle d’air. La silhouette élancée des palmiers se détachait sur le ciel bleu tandis que les ombres des chevaux, que les palefreniers faisaient sortir un à un des écuries, dansaient sur l’herbe d’un splendide vert émeraude. Pour Jackson, il n’y avait pas de plus bel endroit au monde. De plus, il se sentait vraiment chez lui à l’Hacienda, en sécurité, à l’abri des bassesses qui foisonnaient dans le monde extérieur. Il n’imaginait pas vivre ailleurs mais le décès de Momsy allait peut-être le contraindre à changer ses plans. Il avait l’impression d’être maintenant à la merci des humeurs de Mark Sloan et cela ne lui plaisait guère.

    Il tourna la tête à l’arrivée de Derek et le salua, sans un mot, simplement en relevant le menton vers lui, avant de revenir à sa contemplation. Derek avança sur le devant de la terrasse et admira le paysage, lui aussi. Jackson apprécia que le chirurgien ne ressente pas le besoin de parler. Il aimait les gens qui, comme lui, ne se sentaient pas obligés de meubler le silence. Ne l’ayant plus vu depuis douze ans, il avait de Derek le souvenir d’un homme extrêmement respectueux et à l’écoute. Ce fut ce qui l’incita à exprimer ce qu’il ressentait. Presque deux jours déjà, murmura-t-il si bas que Derek peina à comprendre ce qu’il disait. Je ne parviens toujours pas à croire qu’elle est partie. On savait qu’elle était vieille et qu’elle avait des problèmes de santé, bien sûr, mais on croyait qu’elle allait toujours être là, comme si elle était indestructible, tu comprends ? Derek opina de la tête. Jackson, Meredith, Mark, lui-même, tous ceux en fait qui avaient connu Momsy, ne fût-ce que brièvement, ressentaient la même incompréhension, le même vide devant sa mort. Jackson se leva et rejoignit Derek, embrassant toute la propriété en un seul coup d’œil, avant de se retourner vers la maison. J’avais six ans quand je suis arrivé ici. Je ne me souviens même plus de ce qui s’est passé avant, où j’ai vécu et tout ça. C’est comme si j’étais né le jour où j’ai franchi cette porte. Il refit demi-tour et observa le ballet des hommes qui s’affairaient autour des chevaux. C’est chez moi ici. Je ne me vois pas vivre ailleurs.

    Personne ne t’y oblige, lui fit remarquer Derek.

    Jackson ne lui répondit pas directement. Je suis un homme de la campagne, moi. Les champs, les forêts, les animaux, l’air pur, le silence, ça me plaît. J’en ai besoin même. Il soupira. Parfois, je dois me rendre à San Francisco pour les affaires. Après quelques heures, j’ai l’impression d’étouffer. Déjà, rien que de devoir aller à Santa Rosa, ça me gave. Derek sourit. Lui, c’était exactement le contraire. Quelques heures à la campagne et il s’ennuyait ferme. Il avait besoin de l’agitation de la ville pour se sentir vivant. Pour mes vingt-et-un ans, Momsy m’avait offert un voyage de quelques jours à New York, poursuivit Jackson avec un sourire attendri. Elle pensait me faire plaisir et puis, elle voulait que je connaisse autre chose que mon bled, comme elle disait. Je n’étais pas vraiment intéressé mais, bon, j’y suis allé. Bon sang ! Les gens, le bruit, toute cette agitation, ça m'a stressé à mort. Et les gaz d’échappement, j’ai cru que j’allais crever ! Il jeta un regard incrédule en direction de Derek. Comment vous faites pour vivre là-dedans toute l’année ?

    Derek haussa les épaules en faisant une grimace. Question d’habitude…

    Moi, je ne pourrais pas, assura Jackson. Si je dois partir… L’Hacienda était sa maison, les gens qui y vivaient étaient sa famille. Si on le chassait de ce paradis, il redeviendrait l’orphelin qu’il était avant que Momsy le recueille.

    Je ne crois pas qu’il en soit question, avança prudemment Derek qui n’avait pas encore eu l'occasion de parler avec Mark de ses intentions au sujet de la propriété.

    Ce fut au tour de Jackson de grimacer. Si Sloan décide de vendre…

    Derek afficha une moue dubitative. Je ne vois pas pourquoi il vendrait.  

    Jackson reprit sa place dans son fauteuil. Allons, Derek, souffla-t-il. C’est un homme de la ville, comme toi. Il n’en a rien à foutre de l’Hacienda. Il ne venait ici que pour rendre visite à sa grand-mère alors, maintenant qu’elle n’est plus là…

    Derek secoua la tête. Il sait à quel point Momsy tenait à cette propriété. En plus, elle a expressément exigé que Frances puisse y vivre tant qu’elle le voudrait, alors, je suis certain qu’il va la garder. Et indépendamment de tout ça, vous êtes de la même famille. Il ne va pas te foutre à la porte tout de même !

    Tu parles ! grommela Jackson. Il me déteste. Si ça ne tenait qu’à lui… Comme souvent, le jeune homme laissa sa phrase en suspension.

    Il n’est pas aussi mauvais que tu le crois, dit Derek avec un petit sourire. Je pense que tu n’as rien à craindre de lui.

    La défiance se peignit sur les traits de Jackson. Que Dieu t’entende ! se contenta-t-il cependant de dire en faisant à nouveau balancer son rocking-chair. Il vit soudain que Derek, qui était mollement appuyé contre la rambarde, se redressait subitement et se tendait en avant. Surpris, le jeune métis suivit du regard la direction indiquée par le corps de son camarade. Il comprit immédiatement. Meredith, une selle à la main, venait de sortir des écuries avec Bluebelle, tout en discutant avec Curtis, le nouveau palefrenier, qui la suivait avec Abakan. Les deux hommes l’observèrent un instant, tandis qu’elle s’occupait de sa monture.


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