• Oh il ne paraît pas ! C’est le cas. Et comme il sait s’en servir, vous imaginez… Meredith pouffa de rire en se rendant compte de ce qu’elle venait de dire. Son hilarité redoubla en voyant que Momsy aussi était secouée par les rires. Il leur fallut un certain temps pour se calmer. Ensuite, elles recommencèrent à passer l’album en revue, découvrant le petit Mark sur un vélo, à la plage, à cheval, jouant au ballon, assis dans une petite voiture, ou absorbé par un jeu de construction. C’est vous qui avez pris toutes ces photos ? questionna Meredith.

    Oui. S’il avait fallu compter sur sa mère, maugréa Momsy. Ah là, c’est le jour où il est rentré à l’école maternelle. Il a absolument voulu que je prenne une photo à la maison et devant l’établissement. Meredith sourit devant l’image du petit garçon de trois ans, portant avec assurance son cartable sur le dos, vêtu de ce qui ressemblait à un uniforme, et la tête coiffée d’une casquette marquée au logo de ce qui était certainement une école privée. Regarde comme il est heureux ! nota Momsy. Il voulait tellement aller à l’école comme les grands. Il n’a même pas pleuré.

    Meredith reconnut la fierté dans la voix de la vieille dame. Cela l’émut. Il était super, votre petit-fils et il l’est toujours. Ça n’a pas changé, dit-elle en serrant Momsy dans ses bras. On continue ?

    Si tu n’en as pas marre…

    Oh non, j’adore. Suivirent ensuite quelques photos prises à l’école, Mark posant seul assis à son banc, absorbé par un dessin à colorier, soufflant sur les bougies d'un gâteau d'anniversaire, entouré d’une bande de bambins tous habillés comme lui, ou lors de la représentation d’un spectacle de fin d’année. Oh il est déguisé en Robin des Bois, souligna Meredith, tout attendrie, en pointant le doigt sur une photo. Il est vraiment trop mignon. Elle tourna la page et le petit Mark tout souriant lui apparut, assis aux côtés d’un très sérieux petit garçon aux boucles brunes et aux yeux bleus perçants, dont l’identité ne lui laissa aucun doute.

    Tu l’as reconnu, je suppose, demanda Momsy d’une voix douce.

    Oui, bien sûr, c’est Derek. Même si elle n’y avait pas pensé en commençant à regarder les photos d’enfance de Mark, Meredith n’était pas étonnée que Derek soit présent dans l’album. Autant Mark que lui avaient toujours insisté sur l’ancienneté de leur amitié, depuis leur naissance, disaient-ils toujours. C’est à l’école qu’ils se sont connus ? 

    Oh non, bien avant ça. A l'époque, leurs parents étaient voisins, précisa Momsy. Leurs mères se sont retrouvées enceintes plus ou moins en même temps alors, ça a créé des liens entre elles. Après la naissance des petits, elles ont pris l’habitude de se retrouver tous les après-midis, l’une chez l’autre, avec les gamins. Petit à petit, leurs relations se sont refroidies, beaucoup à cause de la conduite de ma belle-fille, je dois bien l’avouer. Mais les garçons… Momsy pensa avec ravissement à ce lien fort et unique qui était né entre ces deux êtres et qui, surtout, ne s’était jamais brisé. Ils ne supportaient pas de ne pas être ensemble, un peu comme des vrais jumeaux, vois-tu. Une année, à la rentrée, ils étaient dans des classes différentes. Je te dis pas la crise. Il a fallu les réunir. Elle se mit à rire doucement.

    Touchée malgré elle, Meredith sourit. Oui, s’il y a bien quelque chose qu’on ne peut pas reprocher à ces deux-là, c’est de ne pas avoir le sens de l’amitié. Elle l’aurait nié si on le lui avait demandé mais elle était heureuse de découvrir par le biais de ces photos tout un pan de la vie de Derek. Ils étaient sortis ensemble pendant des mois mais elle ne savait rien de lui en dehors de ce qu’ils avaient partagé. Elle était convaincue qu’une partie du mystère Derek trouvait son origine dans son enfance. Peut-être que ces quelques images et les commentaires de Momsy lui permettraient d’y voir plus clair. Elle regarda les clichés suivants avec une attention accrue et fut très vite frappée par un détail récurrent. Comme il a l’air triste ! Derek, je veux dire.

    Momsy laissa échapper un gros soupir. Faut dire qu’il était pas à la fête tous les jours, le pauvre ! Mon petit poussin, au moins il avait son père pour s’occuper de lui, en tout cas quand il était petit. Après… Elle fit un geste vague de la main. Ensuite, la dépression avait pris le dessus, plongeant Andrew Sloan dans les médicaments et l’alcool, avec la mort comme seule issue. Et puis, j’étais là aussi, reprit-elle, refusant de s’appesantir sur ces moments douloureux. Derek, lui, il était tout seul.

    Tout seul ? répéta Meredith sur un ton étonné. Et ses parents ?

    Pfft ! C'est eux qui ont fait celui qu'il est devenu. Ils l’ont démoli. Momsy se tut, pour se replonger dans le passé, à cette époque où elle était devenue une mère de substitution pour ces deux enfants, essayant, en les gâtant horriblement, de leur faire oublier les problèmes, les drames parfois, qu’ils vivaient au quotidien. Jouets, spectacles, cinéma, cirques, visites au zoo, petites excursions, elle n’avait pas lésiné, tout en n’étant pas dupe. Rien de ce qu’elle faisait ne compenserait jamais le désert affectif dans lequel ils grandissaient tous les deux, Derek surtout. C’était un brave petit, tu sais, assura-t-elle avec une tendresse infinie dans la voix. Vraiment un charmant enfant, gentil, poli, affectueux, avec le cœur sur la main. Et à côté de ça, un vrai petit diable qui était capable des pires bêtises. Mais c’était impossible de lui en vouloir. Il mettait tout le monde dans sa poche avec son regard charmeur et son sourire. Meredith soupira. Elle voyait très bien ce à quoi Momsy faisait allusion. Elle ne l’avait que trop souvent expérimenté elle-même. Quand il arrivait chez moi, il se précipitait pour que je le prenne dans mes bras et que je l’embrasse, expliqua Momsy. Encore des câlins, Momsy, qu’il criait. Encore… Il ne connaissait pas ça chez lui. Tu te rends compte ?

    Mais pourquoi ? Ses parents ne l’aimaient pas ? interrogea Meredith, interloquée.

    Le mépris s’inscrivit sur le visage de Momsy. Son père n’aimait personne, à part lui-même. Quant à sa mère… Je crois qu'elle l'a aimée au début. En tout cas, elle s’est occupée de lui quand il était bébé, comme le faisait les femmes de son milieu, bien sûr, c'est-à-dire en laissant les corvées à la nounou. Mais enfin, elle s’en occupait. Trop aux yeux de son mari. Cet imbécile a estimé que le temps qu’elle consacrait à Derek, elle le lui volait. Alors, il l’a forcée à choisir entre lui et le petit. Elle a fait son choix, sans hésiter, déplora la vieille dame. Et du jour au lendemain, elle a quasiment abandonné son gamin.


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  • Comment est-ce possible ? s’étonna Meredith. Elle ne parvenait pas à comprendre qu’une mère puisse abandonner son enfant, pour quelque raison que ce soit et certainement pas pour plaire à un homme.

    Elle était folle de son mari. C’en était même malsain. Elle était comme possédée. Il aurait pu lui faire faire n’importe quoi et d’une certaine façon, c’est ce qu’elle a fait. Elle a eu deux filles après Derek. Elles, elles ont eu un peu plus de chance. Leur père n'a pas eu le même comportement envers elles qu'envers Derek. Le pauvre petit, il a été élevé à la dure.

    Vous voulez bien me raconter ? demanda timidement Meredith. Depuis le début, je sens qu’il y a des secrets dans sa vie. J’ai essayé de cuisiner Mark mais il n’a pas été très bavard. Quant à Derek, j’avoue que je n’ai jamais vraiment osé le questionner à ce sujet. Encore un point négatif de leur relation, une preuve supplémentaire du gros problème de communication qui existait entre eux. Normalement, elle aurait dû pouvoir évoquer tous les sujets avec lui, sans crainte de s’attirer ses foudres

    Momsy nota avec plaisir que Meredith n’essayait plus de faire croire que son ex petit-ami lui était devenu indifférent et qu’elle ne cachait pas son désir d’en apprendre plus sur lui. Eh bien, vois-tu, le père de Derek était un sacré coureur de jupons.

    Tel fils, tel père, pensa Meredith avec amertume.

    Je crois bien qu’il a sauté à peu près tout ce qui portait jupon dans San Francisco. Ma belle-fille, par exemple. Je les ai surpris ensemble un jour. L’expression de Momsy se durcit. Dans la propre maison de mon fils, les salopards ! L’expression de Meredith prouva, si c’était besoin, qu’elle était choquée par cette révélation. Momsy lui prit la main et la serra fortement. Les garçons ne le savent pas et ils ne doivent jamais l’apprendre. Ils ont déjà une assez piètre image de leurs parents pour ne pas en rajouter. Alors, je compte sur ta discrétion.

    Bien sûr. Vous pouvez être certaine que je ne leur dirai jamais rien, promit Meredith. 

    Merci, mon enfant. J’ai confiance en toi. Derek, il a toujours eu un sacré caractère, tu sais, reprit Momsy. Déjà tout petit. Il était fier, entier, un peu rétif à l'autorité. Meredith le voyait sur les photos. Même tout petit, l’enfant avait dans les yeux un éclat qui prouvait à quel point il savait ce qu’il voulait et qu’il ne laisserait rien ni personne se mettre au travers de sa route. Et impossible de l’empêcher de dire ce qu’il pensait, insista Momsy. Il a vu certaines choses, il en a entendu d’autres. Comme il était loin d’être bête, il a vite compris ce qui se passait. Il était encore tout jeune mais ça ne l’a pas empêché de se confronter à son père. Quand il a su que sa mère était au courant et qu’elle l’acceptait… Elle soupira. Il lui en a beaucoup voulu, je pense. Mais il n’y avait pas que ça. Petit à petit, le fils a fait de l’ombre au père. Elle eut un sourire débordant de tendresse. En grandissant, Derek a commencé à avoir du succès avec les filles. Il était très beau, solitaire, mystérieux, insaisissable. Donc, il plaisait. Il plaisait énormément. De plus, il était brillant. Ses résultats scolaires étaient excellents et tous ses professeurs lui prédisaient un grand avenir. Shepherd ne supportait pas de ne pas être le premier en tout. Il est devenu encore plus jaloux de son fils. Alors, il a commencé à lui mettre des bâtons dans les roues. C’était parfois assez violent. A l’époque, Momsy avait été le témoin indirect du calvaire de Derek. Par après, avec les évènements qui avaient suivi, elle s’était maintes fois reprochée de ne pas l’avoir aidé autrement qu’en lui témoignant son affection ou en lui prodiguant quelques conseils.

    Et sa mère n’a jamais rien dit ? Elle n’a jamais rien fait pour empêcher ça ? Cette conversation n’en finissait pas de stupéfier Meredith. Elle avait bien deviné, à quelques conversations, que Derek n’avait pas eu une enfance des plus roses, cependant elle n’aurait pas pu imaginer que c’était à ce point.

    Momsy secoua la tête. Non, rien. Elle était folle de son mari, je te l’ai dit. Et puis, quand il était contrarié, ce qui arrivait très souvent à cause de Derek, c'était sur elle qu'il se défoulait. Il l'accusait de ne pas être capable d'élever correctement son fils. Alors, elle a commencé à en vouloir à Derek. A partir de là… Il a vécu un enfer. Momsy ne parvenait toujours pas à comprendre comment Carolyn Shepherd, tout aussi désaxée qu'elle fût, avait pu prendre ainsi en grippe celui qui se battait autant pour elle.

    Meredith recommença à tourner en silence les pages de l’album. Au fil des photos, Derek et Mark devenaient des petits garçons, puis des adolescents et enfin des jeunes hommes. Leur complicité éclatait à chaque image, leur tristesse aussi. Elle eut la certitude que Momsy n’avait rien exagéré. Ces deux-là n’avaient pas été des enfants heureux. Momsy, qu’est-ce qui s’est passé il y a douze ans ? demanda-t-elle soudain. Elle vit que son interlocutrice était surprise par sa question. Dans son message, Derek m’a dit qu’il s'est passé quelque chose il y a douze ans, quelque chose de grave qui l’a changé. Il n’a pas voulu m’en parler au téléphone et moi… Je ne suis pas prête à le revoir ni à lui parler mais j’ai besoin de savoir.

    Momsy n’hésita pas. Cette jeune fille devait savoir la vérité. Cela l’aiderait peut-être à pardonner. Il y a douze ans, commença-t-elle avant de laisser échapper un gros soupir. Il y a douze ans, Derek sortait avec une étudiante. Abigail qu'elle s'appelait. Un beau brin de fille mais… Elle fit une grimace. Mark ne l’aimait pas beaucoup. Il me disait toujours, je ne la sens pas Momsy, je ne sais pas ce qui cloche chez elle mais je ne la sens pas. Mais comme Derek en était amoureux – elle haussa légèrement les épaules - il a fait contre mauvaise fortune bon cœur. Un jour, une rumeur a commencé à courir sur le campus. Mark a fouillé un peu et il s’est avéré que la rumeur n’en était pas une. Il m’en a parlé et je lui ai dit qu’il devait la vérité à son ami. Elle regarda Meredith avec désolation. Cela fait douze ans que je me demande si nous avons pris la bonne décision, ce jour-là. Au fond de moi, je sais bien que oui. Derek avait le droit de savoir, mais quand je pense à tout ce que ça a déclenché…

    Mais il avait le droit de savoir quoi ? interrogea Meredith, haletant légèrement tellement elle était impatiente de savoir.


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  • Il y avait longtemps que Momsy parlait et sa bouche devenait de plus en plus sèche. Elle prit la bouteille d’eau qui se trouvait sur sa table de chevet pour s’en verser un grand verre, avant de reprendre sa narration. Abigail couchait avec le fils et le père en même temps, lâcha-t-elle enfin. Meredith porta la main à sa bouche en poussant un petit cri. Momsy marqua sa compréhension par un léger hochement de tête. Ça a été terrible pour Derek, tu t’en rends bien compte.

    Cette fille était tombée amoureuse du père de Derek ? Meredith était plus que sceptique. Quand on avait un homme comme Derek dans sa vie, et dans son lit pour dire les choses clairement, comment pouvait-on être attirée par un homme qui avait le double de son âge ? Qu’est-ce qui avait amené cette Abigail à commettre cette folie ?

    Momsy fit la moue. J'en doute. Elle se remémora ce que Mark lui avait toujours dit. Et je ne crois pas non plus qu'elle était amoureuse du fils. A mon avis, elle n’est sortie avec Derek que pour ce qu’il pouvait lui apporter par sa famille. Et quand elle a vu qu’elle pouvait obtenir plus du père… Shepherd était un chirurgien assez renommé. En plus, il donnait des cours à l’université. Elle a dû se dire que coucher avec lui donnerait un coup d’accélérateur à ses études et qui sait, à sa carrière par après.

    Ce serait pour ça alors qu’il se conduit comme ça avec les femmes, murmura Meredith.

    Momsy posa sa main sur l’avant-bras de la jeune fille. Tu sais, petite, quand tu es trahi de cette façon par celle que tu aimes, ça doit être difficile par après d’éprouver du respect pour les femmes. Et encore, s’il n’y avait eu que ça…

    Meredith la regarda avec un air intrigué. Qu’est-ce qu’il y a eu de plus ?

    Momsy se fit la remarque que, elle qui avait parfois des défauts de mémoire, ne devait faire aucun effort pour se souvenir de ces évènements. Ils avaient été tellement marquants, traumatisants même, qu’ils s’étaient gravés dans son esprit. C’était pour cela qu’ils lui revenaient un à un sans aucun problème, comme s’ils venaient de se produire. Derek a cru que, cette fois-ci, sa mère ouvrirait les yeux et qu’elle se révolterait, qu’elle le soutiendrait aussi. Ça a été tout le contraire. Elle l’a accusé de tous les maux. Après tout, c'était lui qui avait introduit Abigail dans le cercle familial. Mais surtout, elle s'est mis en tête que son mari allait la quitter pour l'étudiante, ce qu'il n'aurait jamais fait entre nous soit dit. Elle ne l’a pas supporté, alors, elle s’est suicidée. Momsy s’arrêta un instant. Jamais elle n’avait pu oublier le ton de la voix de Mark lorsqu’il lui avait appris les circonstances du drame. Derek lui était tellement proche qu’il avait vécu la mort de sa mère comme s’il s'agissait de la sienne. Derek ne s’en est jamais remis, poursuivit-elle d’une voix chargée de chagrin. Du jour au lendemain, il n'a plus été le même. Il a coupé tous les ponts avec sa famille et il est devenu quelqu'un de cynique et dur, qui ne fait pas de sentiment, comme s’il voulait faire payer au monde entier tout ce qu’on lui avait fait. Abigail, sa mère, c’était beaucoup, que veux-tu. Ça n’excuse pas ce qu’il t’a fait mais ça peut peut-être l’expliquer.

    Meredith ne dit plus rien, essayant de digérer toutes les informations qu’elle venait de recevoir. Voilà donc sans doute quelle était la peur de Derek. Qu’elle se comporte comme cette Abigail ! Elle se sentait habitée par des sentiments contradictoires. Oh bien sûr, elle compatissait. Qui n’aurait pas compati avec ce que Derek avait vécu ? Mais en même temps que la compassion, elle ressentait une immense déception. Pourquoi ne lui avait-il jamais parlé de tout cela ? Bien sûr, ce qu'il avait vécu l'avait traumatisé et elle comprenait qu’il n’avait pas eu envie de raviver ses souvenirs mais lorsqu’on aimait quelqu’un, qu’on se sentait vraiment en confiance, n’arrivait-il pas un moment où on avait envie de se confier, de lui faire partager son vécu, ses sentiments ? Outre la compassion et la déception, il y avait le doute. Si cette histoire, qui datait de plus de dix ans, était encore aussi pénible à évoquer pour Derek, est-ce que cela ne signifiait pas qu'il aimait encore Abigail ? Momsy avait dit qu’il ne s’était jamais remis de la mort de sa mère. Mais s’était-il remis de la perte de cet amour ? Peut-être s’était-il fermé aux sentiments parce qu’il ne pouvait en avoir que pour cette femme. Et si ce n’était pas ça, cela confirmait qu’il y avait un gros problème de confiance entre eux. Ce que Meredith ne comprenait vraiment pas, ce qu’elle ne pouvait pas pardonner, ce qui la mettait vraiment en colère, c’était que, bien qu’il semblait avoir souffert horriblement de l’infidélité de son amie, Derek ait pu malgré tout infliger la même chose à quelqu'un d'autre. Elle eut soudain l’impression d’avoir payé pour la faute commise par une autre. Mais il y avait encore plus grave, l’idée que Derek avait abusé d’elle, de sa naïveté, de sa confiance. Il lui avait dit et répété que leur histoire était différente, mais il l’avait traitée comme toutes ces femmes qu’il avait fréquentées depuis douze ans, pire même, parce que ces autres, il ne leur mentait pas. Il était honnête avec elles, leur annonçant directement qu’il n’y aurait qu’un moment, qu’une nuit et pas plus. Il n’y avait donc pas tromperie lorsqu’il passait à la suivante. Mais elle… Il l’avait laissée s’attacher à lui. Il lui avait dit qu’il tenait à elle. Il lui avait fait croire qu’il avait changé alors qu’il n’en était rien.

    Devinant qu’elle se livrait à un débat intérieur, Momsy ne l’avait pas quittée des yeux, se demandant si elle avait bien fait de lui révéler ce qui n’était encore qu’une partie de l’histoire de Derek. Si ce dernier n’avait pas jugé utile de divulguer ses secrets de famille, était-ce à elle de le faire ? Il ne t’avait vraiment jamais parlé de tout ça ? demanda-t-elle doucement, comme si elle craignait de sortir trop brutalement Meredith de sa réflexion.

    La jeune fille hocha la tête. Si, d’une certaine façon. Un jour, il m’a dit que son père avait abandonné sa famille pour une de ses étudiantes mais il n’a pas précisé qu’il s’agissait de sa petite amie. A chaque fois qu’il m’a parlé de lui, de son enfance, de sa famille, il n’a lâché que le strict minimum, parce que j’avais insisté. Elle posa sur son hôtesse un regard où se lisait toute la détresse du monde.

    Momsy prit un mouchoir dans le tiroir de sa table de chevet et le tendit à Meredith pour qu’elle sèche les larmes qui perlaient à ses yeux. Tu sais, il a tellement, tellement souffert. Il ne veut certainement pas se rappeler de tout ça. Meredith opina de la tête en soupirant. Mais je suis sûre que si, maintenant, tu lui demandais…, suggéra Momsy.

    Non. Non, répéta Meredith, en se levant du lit. Non, j’en sais assez. Elle marcha d’un pas lourd vers la porte et se retourna juste avant de la franchir. Merci de m’avoir raconté tout ça mais ça ne change rien pour moi.


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  • Cela faisait cinq fois que, bien au chaud sous les couvertures, Meredith relisait le passage où Stephenie Meyer décrivait la première rencontre de Bella Swan et d’Edward Cullen. Mais aussi fascinante que soit la naissance des amours d’une humaine et d’un vampire, la jeune fille ne parvenait pas à y fixer son attention. Les révélations que Momsy lui avait faites quelques heures plus tôt résonnaient encore à ses oreilles. Avec les messages de Derek, cela faisait beaucoup pour une seule journée. Rien d’étonnant alors à ce qu’elle reste totalement imperméable au charme de Twilight.

    La porte de sa chambre s’entrouvrit et le visage de Taylor apparut dans l’entrebâillement. Je peux ? La jeune fille entra en voyant que Meredith refermait son livre et vint s’asseoir à côté d’elle. Je viens de coucher avec Nick, lui annonça-t-elle sans intonation particulière, comme s’il s’agissait d’un fait tout à fait banal.

    Ah bon, vous vous êtes remis ensemble ? demanda Meredith, légèrement étonnée, en posant le roman sur sa table de chevet.

    Non. J’avais envie, alors voilà. Taylor tendit sa main droite devant elle pour admirer ses ongles vernis de rose pastel. C’était juste pour le sexe. Ça s’arrête là.

    Vous vous êtes protégés au moins ? s’inquiéta Meredith.

    Oui, maman, se gaussa Taylor.

    Meredith sourit. L'adolescente avait raison de se moquer d’elle. En dépit de ses dix-sept ans, elle en savait certainement beaucoup plus qu’elle sur le sujet et n’avait nul besoin de ses conseils. Meredith aurait aimé lui ressembler. La vie devait être nettement plus facile lorsqu’on parvenait à séparer le plaisir des sentiments. Cependant, elle ne se faisait pas d’illusions. Le sexe pour le sexe, ce n’était pas pour elle. Elle était trop romantique, trop réservée aussi, trop cérébrale sans doute. Pas assez douée non plus. Elle n’avait même pas été capable de retenir l’homme qui avait des sentiments pour elle. Car, quoique Derek l’ait assurée du contraire, elle persistait à croire qu’une partie de leurs problèmes résidait dans son manque de talent érotique. Voilà ce qui arrivait lorsqu’on voulait attendre le grand amour pour sauter le pas. Lorsqu’on le rencontrait enfin, on faisait preuve d’une totale inexpérience et il allait s’ébattre dans d’autres draps. Dis, t’as eu combien de copains, toi ? demanda-t-elle soudain à Taylor.

    Avec qui j’ai couché ? l’interrogea celle-ci. Meredith opina de la tête. Deux avant Nick, répondit Taylor, ce qui étonna sa camarade. A l’entendre parler d’amour avec tant de désinvolture, elle lui aurait attribué un palmarès bien plus conséquent. Mais c’était pas génial, lui confia l’adolescente. Avec Nick, en revanche, c’est toujours le pied, faut bien le reconnaître.

    Pourquoi ça n’a pas marché entre vous ?

    Parce qu’à part le sexe, on n’a rien en commun, lui expliqua Taylor avec franchise. Nick est très beau, tu l’as vu, et c’est un très gentil garçon, vraiment. Je l’aime beaucoup mais… à part les chevaux et le foot, il ne s’intéresse pas à grand-chose. Et moi… Elle regarda Meredith avec une candeur désarmante. Moi, j’attends autre chose d’un homme.

    Meredith se dit que, sous ses apparences d’écervelée, Taylor était plus mûre qu’on ne le pensait au premier abord. Comme tout le monde, elle avait des envies, des désirs, des objectifs, mais en attendant de les réaliser, elle semblait profiter pleinement de la vie, ce que Meredith ne se sentait pas capable de faire, sans doute parce qu’elle se préoccupait trop de ce que les gens pouvaient penser d’elle. Mais surtout, la plus grande qualité de l'adolescente à ses yeux, outre la franchise, était qu’elle savait écouter sans porter de jugement. Est-ce cela qui fit qu’elle se décida à lui poser la question qui la taraudait depuis pas mal de temps ? Comment est-ce qu’on sait qu’un homme est satisfait ? Sexuellement, je veux dire ?

    Taylor pouffa de rire. Tu en es encore là ? Alors écoute, quand le monsieur a mis son zizi dans la foufoune de la madame…

    Meredith lui donna une tape. C’est bon. Le truc du quand il a du plaisir, il éjacule, je connais.

    Ouf ! Moqueuse, Taylor essuya du revers de la main une sueur imaginaire sur son front. Tu m’as fait peur.

    Arrête ton cinéma, grogna Meredith. Non, ce que je veux, c’est…

    Taylor ne la laissa pas terminer. Des recettes pour rendre un homme heureux ? C’est ça que tu veux ? Des trucs pour qu’il n’ait pas envie d’aller voir ailleurs ? Rougissante, Meredith fit signe que oui. Mon dieu, fallait-il qu’elle soit tombée bien bas pour demander des conseils en matière de sexualité à une adolescente, même expérimentée ! Et à quoi cela allait-il lui servir maintenant que Derek était sorti de sa vie ? Elle n’avait de toute façon aucune intention de le remplacer. Tu sais, un mec, au fond, c’est pas si compliqué à contenter, affirma Taylor, très sûre d’elle. Un p’tit dîner, une bonne bouteille de vin, une jolie robe avec un grand décolleté… La jeune fille fit soudain une parenthèse sans cacher qu’elle était un peu envieuse. En plus, avec les seins que tu as, tu aurais tort de te priver. Elle ne se montra guère impressionnée par le regard noir que lui lança sa camarade. Ensuite, un petit strip-tease et la moitié du boulot est faite. Meredith soupira. Elle n’avait pas suffisamment confiance en elle que pour se livrer à ce genre d’exhibition, même dans l’intimité. Jamais elle n’aurait le cran de faire ce genre de choses. Après, tu as la fellation. Ça, c’est le must du must, certifia Taylor. Meredith se renfrogna. Le must qu’elle avait sans doute trop tardé à pratiquer ! Pourtant, Dieu sait que Derek lui avait souvent fait comprendre qu’il était demandeur mais le manque de confiance en elle d’abord, son agression ensuite, avait freiné la jeune fille. Quand elle avait surmonté ses peurs, il était trop tard. Faut faire durer, conseilla Taylor. Avec ça, t’es jamais perdante. Rien ne semblait plus pouvoir l’arrêter dans son nouveau rôle de sexologue. Puis, évidemment, il faut de la variété. Dans les positions, les endroits, les moments. Si tu te contentes toujours du missionnaire ou de la levrette, dans un lit le samedi soir, ça devient vite rasoir. Et surtout, surtout, dis-lui des trucs ! conclut-elle avec ferveur.

    Ah ! Exprimer son ressenti ou ses envies ! Meredith savait que Derek en était plus qu’amateur. Combien de fois ne l’avait-t-il pas encouragée à se laisser aller pendant qu’ils faisaient l’amour ? Etait-ce cela qu’il était allé chercher chez cette salope de Madelina ? Et si on ne sait pas quoi dire ? laissa-t-elle tomber, presque découragée.


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  • T’es vraiment un cas désespéré ! s’exclama Taylor en riant doucement. Puisque je te dis qu’un homme, c’est pas compliqué ! Y a quelque chose que tu dois retenir, si tu leur parles de leur sexe, t’as tout bon. T’as juste trois trucs à dire : il est énorme, il est dur et tu le sens bien.

    Meredith haussa légèrement les épaules. Tu ne peux quand même pas te limiter à ça, fit-elle remarquer, sceptique quant au bien-fondé de cette recommandation. Une fois, deux fois, OK. Mais après… Et quand bien même, elle ne s’imaginait pas dire de telles choses. Ces propos tout de même un peu vulgaires heurtaient sa vision très romantique de l'amour.

    Te casse pas la tête ! conseilla Taylor. C’est amplement suffisant. Mais évidemment, tu peux apporter des variantes. Elle prit une voix chaude et haletante. Oh chéri ! Ta queue est vraiment troooooop énorme, troooooop dure, je la sens troooooop bien. Les deux filles échangèrent un regard avant d’éclater de rire. En fait, je crois que le secret, c’est de surprendre ton mec, dit Taylor, une fois qu’elles eurent repris leur sérieux.

    Oui, c’est bien là, le problème, murmura Meredith en faisant une grimace. Pour étonner, il fallait savoir quoi faire et ce n’était malheureusement pas son cas. Comment ça pourrait marcher avec quelqu'un d'aussi nul que moi ?

    Je suis sûre que tu exagères, la gourmanda gentiment Taylor. Si t’es pas sûre de toi, tu peux aller sur le net ou lire des bouquins. Elle comprit à la mine de Meredith qu’elle ne l’avait pas convaincue. Tu sais, Mer, je crois que tu dois surtout essayer de te sentir à l’aise, ne pas avoir peur, ne pas être gênée, ne pas te soucier de ce que l’autre va penser. De toute façon, dis-toi que si tu es entreprenante, ça va lui plaire. Et si tu ne sais pas comment t’y prendre, suis ton instinct. Il faut faire ce que tu as envie de faire, ce qui t’apporte du plaisir à toi aussi.

    Mais tu n’as jamais peur de choquer, toi ? s’étonna Meredith.

    Choquer qui ? l’interrogea Taylor, étonnée. Mon copain ? Meredith approuva d’un signe de tête. Ben, à moins que je ne commence à lui sortir les pires insanités ou à lui demander des trucs sado-masos, je ne vois pas pourquoi il se choquerait. Et s’il le fait, alors, laisse tomber ! s’exclama la jeune fille, scandalisée. C’est qu’il est con. Pourquoi est-ce qu’il n’y aurait que les hommes qui auraient le droit d’exprimer leurs désirs ? Quand il y a des tabous dans un couple, tu peux te dire que c’est mort. Elle remarqua que les lèvres de Meredith s’étiraient en un petit sourire. Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? 

    Meredith hocha doucement la tête. Rien. C’est juste que… tu as dix-sept ans, j’en ai vingt-et-un mais j’ai l’impression que c’est moi, la gamine.

    Merci pour la gamine, ronchonna Taylor avant de sourire à son tour. Alors si tu veux que la vieille te donne encore des conseils…

    Non, merci, ça ira, répliqua Meredith.

    Alors maintenant, à ton tour ! claironna Taylor, toute guillerette. Elle fit un bond sur le lit et se retrouva, assise en tailleur, plus ou moins face à Meredith. T’as eu combien de copains, toi ?

    Un seul, grogna Meredith, prête à affronter les moqueries de la jeune fille.

    Mais celle-ci n’eut pas la réaction attendue. T’as une photo que je vois à quoi il ressemble ?

    Non, soupira Meredith. S’échanger des photos, encore une chose que faisaient tous les amoureux du monde. Seulement, elle n’avait jamais osé demander à Derek de sacrifier à la tradition. De toute façon, avant leur rupture, il n’avait jamais été question d’amour entre eux, alors sa requête aurait été déplacée. Si tu veux le voir, tu n’as qu’à demander l’album photos de Momsy.

    Celui où il y a tout plein de photos de Mark ? interrogea Taylor, les sourcils froncés. Meredith opina de la tête. Ton copain, c’est le brun qui est toujours avec lui ? Depuis que sa mère avait été engagée au service de Momsy, dix ans plus tôt, elle avait eu maintes et maintes fois l’occasion de mettre son nez dans les photos de la famille Sloan et elle les connaissait par cœur. Woaw, Mer ! Il est trop canon ! s’extasia l’adolescente.

    Meredith baissa la tête. Ouais, canon. Oh oui, Derek était un très bel homme ! Tellement qu’elle était tombée follement, éperdument, irrévocablement amoureuse de lui. Malheureusement, elle avait eu la bêtise de croire que son esprit était aussi parfait que son physique et la désillusion n’en avait été que plus grande lorsqu’elle avait compris qu’il n’en était rien. Elle s’était laissé éblouir et cela lui avait fait perdre tout sens commun. Elle en avait oublié que la beauté, si elle était un bonus très agréable, était loin de suffire pour bâtir une relation telle qu’elle en rêvait.

    Et vous deux, pourquoi ça n’a pas marché ? se renseigna Taylor d'une voix douce.

    Les épaules de Meredith se soulevèrent imperceptiblement tandis qu’elle faisait une grimace. Tristement banal ! Il m’a trompée. Trois fois d’après lui, donc c'est pas important, persifla-t-elle. Comme si une faute était moins grave si on la commettait rarement !

    Ah merde ! fut le seul commentaire que se permit Taylor.

    Qu’est-ce que tu ferais à ma place ? demanda Meredith, totalement déboussolée.

    Moi ? Taylor éclata de rire. Moi, je lui rendrais la pareille. Mais bon – elle regarda Meredith avec ce qui ressemblait à de la tendresse - je doute que ce soit ton genre. Meredith secoua tristement la tête. Non effectivement, elle n’était pas une adepte de la loi du talion, et certainement pas dans le domaine amoureux. Pour elle, l’amour était synonyme de respect et de confiance, deux sentiments que l’infidélité de Derek lui avait fait perdre. Se venger en couchant avec tous les hommes de la terre ne les lui rendrait pas.


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