• Ce fut le froid qui réveilla Meredith. Instinctivement, elle se tourna, encore somnolente, vers l’autre côté du lit, à la recherche de la chaleur du corps de son amant. Comme elle ne le sentait pas, sa main tâtonna pour le trouver. Derek, l’appela-t-elle dans un murmure. Seul le silence lui répondit. Elle ouvrit les yeux et s’aperçut qu’elle était seule dans le lit. Tout lui revint alors en mémoire, comme une énorme gifle en pleine figure, et à nouveau cette douleur effroyable, cette sensation d’avoir tout perdu, de n’être plus rien, cette envie que tout s’arrête pour simplement ne plus avoir aussi mal. Elle s’assit et alluma la lampe de chevet. Sa montre lui indiqua qu’il était minuit et demi. Elle s’en étonna. Son dernier souvenir remontait à l’après-midi lorsqu’elle était dans la voiture de Mark. Et maintenant, elle se réveillait en pleine nuit dans une chambre qui lui était inconnue. Elle regarda autour d’elle. Des boiseries, des meubles anciens, du bleu pour les tissus et papiers peints, des estampes représentant des chevaux… Le tout donnait un certain cachet à la pièce. Frigorifiée malgré ses vêtements, Meredith courut à la fenêtre dont elle écarta les tentures pour voir à l’extérieur. Elle s’étonna de ne pas retrouver les lumières de la ville et se demanda où elle était. L’obscurité qui régnait dehors l’empêchait de repérer quelque chose de significatif. Mais finalement, peu importait l’endroit où elle se trouvait. Le principal était d’être loin de Derek. Elle eut un élan de reconnaissance envers Mark qui avait fait ce qu’elle lui demandait, sans poser de questions, sans craindre non plus de compromettre sa relation avec son meilleur ami.

    Elle repartit à l’autre bout de la pièce et alla coller son oreille contre la porte, pour tenter de distinguer un bruit quelconque. Où était-elle ? Pas chez Mark, en tout cas. Elle avait la certitude de ne plus être en ville et, de toute façon, il ne l’aurait pas conduite à son appartement qui serait, à coup sûr, un des premiers endroits où Derek ne manquerait pas de venir la chercher. Une autre des maisons familiales ? Un hôtel à la campagne ? La curiosité de la jeune fille fut plus forte que son appréhension et elle ouvrit doucement la porte de la chambre, juste assez pour glisser sa tête dans l’entrebâillement. La maison était plongée dans le silence et la pénombre. Meredith s’enhardit à sortir et se retrouva dans un couloir à peine éclairé par la lune qui y entrait par une petite fenêtre. Il y avait une série de portes, toutes closes, et la jeune fille se demanda à laquelle frapper pour trouver Mark. Elle avança sur la pointe des pieds, regardant tout autour d’elle, comme si elle s’attendait à trouver un indice quelconque de la présence de son ami. Mark, chuchota-t-elle si bas que même une personne qui se serait trouvée tout à côté d’elle ne l’aurait pas entendue. Elle n’obtint évidemment pas le signe qu’elle attendait. Épuisée, apeurée, fragilisée par ce qu’elle avait vécu plus tôt dans la journée, elle se mit à pleurer. Où es-tu, Mark ? chouina-t-elle. J’ai besoin de toi. Elle arriva enfin au bout du couloir et déboucha dans un grand hall. Apercevoir un rai de lumière sous une porte la soulagea fortement. Elle n’était donc pas seule dans cette maison qui lui semblait immense. Elle essuya du revers de sa manche les larmes qui inondaient son visage et, reniflant comme une petite fille, courut vers cette porte derrière laquelle elle espérait retrouver son complice. Elle s’arrêta pourtant, la main déjà sur la clenche, hésitant à pénétrer dans l’inconnu. Elle se décida enfin et passa légèrement la tête par l’entrebâillement. Mark, dit-elle à voix basse, à nouveau au bord des larmes.

    Viens, ma fille, lui répondit une voix qu’elle devina usée par les années. Entre, n’aie pas peur. Meredith poussa la porte et découvrit une vieille dame aux cheveux gris et au sourire bienveillant, le nez chaussé de lunettes, qui guettait son entrée par-dessus son journal. Entre, petite, insista Momsy en accompagnant son invitation d’un geste de la main.

    Meredith fit deux pas à l’intérieur. Je… je ch… cherche… Mark… Mark Sloan, bredouilla-t-elle, luttant de toutes ses forces pour ne pas pleurer devant cette inconnue. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu passer, en quelques heures seulement, de la femme folle de rage, qui avait pris la décision de tout plaquer pour échapper à son amant, à la petite fille craintive qui fondait en larmes pour un rien. Elle ne se reconnaissait pas dans cette pleurnicheuse mais, même si elle se détestait dans cet état, elle ne parvenait pas à se maîtriser.

    Mark est reparti à San Francisco. Momsy n’eut pas le temps d’en dire plus. Meredith se cacha la tête dans les mains et éclata en sanglots. Derek l’avait trahie et voilà maintenant que Mark l’abandonnait dans cet endroit perdu où elle ne connaissait personne, sans même prendre la peine de lui expliquer, de lui dire au revoir. Elle se sentit seule, inutile, avec un sentiment de vide comme elle n’en avait jamais éprouvé. L’amour, l’amitié, elle avait tout perdu. A qui, à quoi allait-elle pouvoir se raccrocher ? Elle sentit soudain qu’on la prenait par les épaules. C’est tout, c’est tout, ce n’est rien, lui assura la voix douce et apaisante de la vieille dame. Calme-toi, petite. Tu n’es pas toute seule, je suis là. Meredith se laissa docilement emmener vers le canapé dans lequel elle se laissa tomber, toujours en sanglotant. Momsy s’assit à côté d’elle et lui prit la main. Mark a plusieurs interventions prévues. C’est pour ça qu’il est rentré, expliqua-t-elle. Il aurait aimé te voir avant de partir, seulement tu dormais. Alors, il n’a pas voulu te déranger. Mais il m’a demandé de te dire qu’il t’appellerait dans la matinée.

    Meredith la regarda, les yeux éperdus de désespoir. Il va m’appeler ? Mais… j’ai… j’ai éteint mon téléphone et… Elle s’arrêta de parler, ne sachant comment s’exprimer sans paraître tout à fait idiote. Comment dire à cette dame qu’elle ne pouvait pas, qu’elle ne voulait pas rallumer son téléphone ? Elle savait qu’elle y trouverait des messages de Derek, qui lui diraient soit qu’elle avait raison, qu’elle ne lui suffisait pas, qu’il ne voulait plus d’elle, soit qu’il l’aimait et qu’elle devait lui laisser une chance. Que ce soit l’une ou l’autre version, elle ne voulait pas l’écouter, elle n’en aurait pas la force. Elle avait l’impression que si elle entendait le son de la voix de Derek, elle allait se mettre à hurler sans plus jamais pouvoir s’arrêter. Il ne va pas pouvoir me joindre, se contenta-t-elle de dire, le cœur serré par la tristesse.

    Oh je crois que si, répondit Momsy en souriant. Il connaît par cœur le numéro de la maison.

    Meredith poussa un soupir de soulagement. Tant mieux. Mark était la seule personne en qui elle avait encore confiance. Savoir qu’il restait son ami, qu’il continuait à la soutenir était, en cet instant, ce qui lui importait le plus.


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  • Meredith surprit tout à coup le regard presque tendre que la dame posait sur elle et fut frappée d’y retrouver la même étincelle que celle qui brillait parfois dans les yeux de Mark, lorsqu’il la regardait. Vous êtes sa grand-mère, n’est-ce pas ? demanda-t-elle alors, bien qu’elle connaisse déjà la réponse. Vous êtes sa Momsy.

    Oui, confirma son hôtesse. Donc, si tu sais qui je suis, ça veut dire qu’il t’a parlé de moi ?

    Meredith sentit que son stress diminuait un peu. Que Mark ait décidé de la mettre à l’abri chez sa grand-mère lui faisait chaud au cœur. Oui, répondit-elle. Quand nous étions à Aspen. Il m’a raconté tout ce que vous aviez fait pour lui.

    Oh ce que j’ai fait pour lui… Momsy haussa les épaules. J’ai fait ce que j’avais à faire. C’était mon rôle de veiller sur lui. C’est mon petit, tu comprends.

    Meredith hocha la tête. Il vous aime vraiment beaucoup, vous savez. C’est quelqu’un de bien, ajouta-t-elle après un petit moment de silence. A nouveau, l’émotion l’envahit et les larmes revinrent noyer ses yeux. C’est tellement rare d’avoir quelqu’un en qui on peut avoir réellement confiance. Les gens sont tellement… tellement moches. On croit qu’ils sont bien et puis un jour, on se rend compte qu’ils sont… pourris, lâcha-t-elle en tentant de réfréner ses pleurs. George, Izzie, Cristina, Derek, tous l’avaient trahie, les uns après les autres, à des niveaux différents bien sûr mais pour finir, le résultat était le même. Elle avait l’impression de n’avoir été qu’un instrument entre leurs mains, d’avoir été utilisée pour servir leurs ambitions ou leur bon plaisir. S’il n’y avait pas eu Mark, elle aurait désespéré de la nature humaine. Je suis heureuse qu’il soit mon ami, conclut-elle en déglutissant, pour essayer de faire disparaître la boule d’angoisse qui obstruait sa gorge. Momsy la regarda avec compassion. Si jeune et déjà tellement désabusée… Elle lui prit les mains et les comprima entre les siennes, sans rien dire. Meredith releva la tête. Vous devez me trouver bien impolie, supposa-t-elle avec un air coupable. Je suis ici chez vous et je ne vous ai pas saluée. Je ne me suis même pas présentée.

    Te bile pas pour ça, recommanda Momsy, à qui cette gamine commençait à plaire. Mon petit-fils m’a dit tout ce que je devais savoir. Tu t’appelles Meredith et tu es son amie. Pour le reste… - elle leva sa main en l’air et lui fit faire une sorte de pirouette – on aura tout le temps de faire connaissance.

    Pour montrer sa gratitude, Meredith se força courageusement à lui sourire. Merci de m’accueillir chez vous, Madame.

    Ah non ! Pas Madame ! s’écria la grand-mère avec de grands yeux faussement scandalisés. Appelle-moi Momsy comme tout le monde. Et pour ce qui est de t’accueillir, tout le plaisir est pour moi. C’est toujours les mêmes têtes qu’on voit par ici. Le docteur, le pasteur – elle fit une grimace – ils ont toujours une de ces tronches quand ils viennent me voir, bougonna-t-elle. J’ai à chaque fois l’impression qu’ils sont là pour suivre mon enterrement. Ou alors ils me font la morale. Elle grossit sa voix pour qu’elle ressemble un peu à celle d’un homme. Vous êtes imprudente, M’âme Sloan. Faut vous reposer ! Et faudrait penser à manger moins de viande, à boire moins de vin, à éviter le chocolat. Pfft ! Elle haussa les épaules avec un air buté. Qu’ils aillent se faire foutre ! Je vais mourir de toute façon. Tu voudrais pas que je me prive en plus !

    Cette fois, le sourire de Meredith s’étira franchement. Elle voyait parfaitement de qui Mark tenait son caractère bien trempé et son franc-parler. Elle sut d’emblée qu’elle s’entendrait aussi bien avec la grand-mère qu’avec le petit-fils. En ces temps difficiles, où elle avait l’impression que l’honnêteté avait disparu de ce monde, cette franchise ne pouvait que lui plaire. Elle sauta au cou de la boudeuse. Je suis vraiment contente de vous connaître, Momsy.

    Oh moi aussi, ma petite, s’exclama Momsy, soudain toute guillerette, en lui rendant son étreinte. Je sens qu’on va bien s’entendre toutes les deux. Elle commençait à réaliser ce qui avait pu charmer Mark dans cette femme-enfant. Certes, Meredith était jolie comme un cœur mais elle était bien plus que ça. Douce, gentille, naturelle, spontanée, pas du tout calculatrice, ne cachant pas ce qu’elle ressentait, elle était comme un grand bol de fraîcheur. Nul doute que les filles comme elle ne devaient pas être légion dans l’entourage de Mark. Quant à Meredith, la marque d’affection prodiguée par Momsy, cette tendresse même qu’elle sentait dans les mots comme dans les gestes, la touchèrent au plus haut point. Les larmes revinrent perler à ses yeux. Elle serra Momsy un peu plus fort avant de s’écarter. Pour donner le change, elle regarda autour d’elle, en espérant pouvoir se reprendre. La grand-mère de Mark s’en rendit compte. Tu devrais aller dormir, petite, conseilla-t-elle avec douceur. Moi aussi, d’ailleurs. Elle tapota le genou de la jeune fille. Nous aurons tout le temps de papoter demain. Meredith se mit aussitôt debout et aida la vieille dame à se relever. Et je demanderai qu’on te fasse visiter la propriété, promit celle-ci. Elle s’appuya sur le bras que Meredith lui présentait pour avancer. Mark m’a dit que tu aimais les chevaux. On en a quelques-uns qui devraient te plaire.

    Ah il vous a dit ça ? s’étonna Meredith. Moi aussi, il m’a dit que vous aviez des chevaux. Il y a très longtemps. Parce qu’aujourd’hui, il ne m’a pas dit grand-chose, ajouta-t-elle avec une moue, en omettant de préciser que c’était elle qui n’avait pas été encline à faire la conversation. Je ne sais même pas où je suis.

    Mais tu es chez moi, déclara Momsy avec un grand sourire amusé. Les gens de la région l’appellent l’Hacienda. C’est un peu pompeux mais bon… Elle fit un clin d’œil à Meredith. J’avoue que ça me plait. A part ça, tu à Santa Rosa, à proximité du moins.

    Meredith sursauta. Si ses connaissances en géographie n’étaient pas trop mauvaises, Santa Rosa n’était situé qu’à une centaine de kilomètres de San Francisco. Autant dire rien. Une quarantaine de minutes de route pour quelqu’un qui roulait en Porsche. Totalement paniquée, elle se remit à bafouiller. Ce… ce n’est … ce n’est pas… pas assez loin.

    Momsy comprit immédiatement ce à quoi elle faisait allusion. Calme-toi. Shepherd ne viendra pas jusqu’ici, affirma-t-elle catégoriquement, montrant par-là même qu’elle était au courant de tout. Mark l’en empêchera. Et si lui ne le fait pas, moi, je le ferai. Tu es en sécurité ici, Meredith. Maintenant, c’est moi qui veille sur toi.


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  • En passant devant son immeuble, juste avant de tourner pour accéder au garage souterrain, Mark aperçut à sa gauche une Porsche noire qui lui était plus que familière. En soupirant, il fit marche arrière et gara son véhicule dans le premier emplacement libre. La confrontation allait donc avoir lieu maintenant. Il se doutait qu’elle ne tarderait pas. D’ailleurs, il s’y était préparé pendant le voyage du retour, se construisant une ligne de défense, dressant à voix haute la liste de ses arguments, les développant au fur et à mesure qu’il les répétait, en trouvant d’autres toujours plus forts que les précédents. Dans cette simulation, contrairement à ce qu’avait annoncé sa grand-mère, il réussissait à tenir tête à Derek et ne lui dévoilait pas où Meredith s’était réfugiée. Il espérait avoir autant de force de caractère dans la réalité.

    Il sauta en bas de son Hummer et marcha vers la Porsche, vérifiant au passage que son conducteur ne s’y trouvait pas. Il regarda un peu plus loin devant lui et aperçut la silhouette de son ami, assise sur les marches de l’entrée, la tête entre les mains. Alerté par le bruit des pas, Derek se redressa avant de se mettre debout. Mark eut un choc en arrivant près de lui, comme s’il était revenu douze ans en arrière, lorsqu’il avait ouvert la porte de sa chambre d’étudiant et qu’il s’était trouvé face à son meilleur ami venu lui annoncer la plus terrible des nouvelles. C’était le même garçon perdu et ravagé qui se trouvait aujourd’hui devant lui.

    Elle m’a quitté, murmura Derek avec du désespoir dans la voix. Elle est partie.

    Même s’il lui en voulait pour la légèreté avec laquelle il s’était comporté envers Meredith, Mark était incapable de rester insensible à la détresse de son ami. Trop de choses les liaient pour qu’il refuse de lui tendre la main. Allez, viens, dit-il en soupirant. Derek le suivit sans dire un mot. Y a longtemps que tu m’attends ? s’enquit Mark en le regardant à la dérobée.

    Derek ne répondit pas, se contentant de hausser les épaules. Ce n’est que dans l’ascenseur que, adossé à la paroi, le regard fixé sur ses chaussures, il se remit à parler, d’une voix sourde, presque inaudible, au point que son camarade dut se pencher vers lui pour tenter de le comprendre. Je ne sais pas où elle est. Elle ne répond à aucun de mes appels. Je l’ai cherchée partout, à la boutique, chez elle, à la maison du parc. J’ai fait le tour de tous les endroits où je pensais qu’elle pourrait être, là où on a été ensemble. A partir du moment où Gloria l’avait éconduit, il avait passé son temps dans la voiture, faisant le tour de la ville, sillonnant les rues, s’arrêtant dans les quelques hôtels où il avait emmené Meredith, dans l’espoir que quelqu’un pourrait peut-être enfin le renseigner. Mais ses attentes avaient sans cesse été déçues. Après ça, je me suis dit qu’elle avait peut-être pensé repartir à Crestwood, alors j’ai été au terminal des bus mais là, non plus, personne ne l’avait vue. En même temps… Il leva imperceptiblement les épaules. Vu le nombre de personnes qui, quotidiennement, arrivaient à San Francisco et en repartaient, que quelqu’un se souvienne avoir vu la jeune fille aurait été un miracle.

    Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et les deux hommes sortirent de la cabine. Derek continua de monologuer tandis que Mark ouvrait la porte de son loft. J’ai voulu appeler sa mère mais il n’y a aucun Grey dans l’annuaire de Crestwood, et je ne connais pas son nom de jeune fille. Il avança dans le grand salon où Mark venait d’allumer les lumières mais il resta planté au milieu de la pièce, totalement désorienté. Je suis retourné chez sa tante pour le lui demander mais on ne m’a pas ouvert et je n’ai pas osé insister. J’entendais la vieille hurler de l’autre côté de la porte. Alors, j’ai refait le tour. La boutique, la maison du parc, passer et repasser dans la Mason Street en espérant apercevoir enfin de la lumière à la fenêtre de la chambre de Meredith. Il hocha la tête de bas en haut pour répondre à Mark qui brandissait la bouteille de whisky avant d’avancer jusqu’à un fauteuil dans lequel il se laissa tomber lourdement. Il regarda distraitement son ami qui remplissait leurs verres. A part nous, elle ne connait personne ici. Elle s’est peut-être réfugiée dans un hôtel mais lequel ? Au fil des heures, l’inquiétude de Derek avait grandi et il avait commencé à imaginer le pire. Pour finir, j’ai téléphoné aux hôpitaux mais aucun n’a admis une personne qui corresponde à son signalement. Mal à l’aise, Mark évita le regard de son ami en lui tendant son whisky mais il ne put faire sans voir la main tremblante qui saisissait le verre. S’il cela n’avait pas été Derek, il aurait pu penser qu’il se trouvait devant un alcoolique en état de manque. Son malaise s’accentua. J’ai pensé prévenir la police, continua Derek, mais je ne l’ai pas fait. Il releva vers Mark un regard où se lisait la plus grande des craintes. Je crois que j’ai peur de ce que je pourrais apprendre.

    Tu dramatises, là. Elle ne va pas se suicider tout de même, grommela Mark en s’asseyant dans un fauteuil. Il avait promis le secret à Meredith mais voir son ami se torturer l’esprit et ne pouvoir rien dire pour le rassurer était un fardeau bien lourd à porter.

    Elle sait ce que j’ai fait, Mark, révéla alors Derek, la gorge serrée. Elle m’aimait et elle avait confiance en moi ! Il revit Meredith telle qu’elle était encore la veille quand, pour la première fois, elle lui avait avoué ses sentiments. Pourquoi n’avait-il pas trouvé le courage de faire comme elle ? Tu imagines son état ? Après ce qu’elle a vécu avec O’Malley, ce coup de pute que je lui fais… S’il lui est arrivé quelque chose… Les larmes lui montèrent soudain aux yeux. Il se détourna brutalement et tenta de se reprendre tout en contemplant l’alcool qui dansait dans son verre.

    Aussi rapide qu’il ait été pour tourner la tête, Mark avait vu qu’il pleurait. La pudeur était la pierre de voûte du caractère de Derek. Déjà d’une nature réservée, il avait été éduqué dans l’idée qu’il ne fallait jamais montrer ses sentiments, quelles que soient les circonstances, et les évènements de sa vie n’avaient fait que renforcer cette attitude. Qu’il se laisse ainsi aller à ce qui était pour lui la plus grande des faiblesses prouvait à quel point il était affecté par la disparition de Meredith. Mark ne s’y trompa pas. Il ne lui est rien arrivé, avoua-t-il tout de go. Derek redressa aussitôt la tête. Elle va bien, ajouta Mark. Enfin… elle ne va pas bien du tout mais elle n’a rien. Elle est à Santa Rosa, lâcha-t-il enfin sous la pression des yeux bleus qui le fixaient.


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  • Santa Rosa ? Chez ta grand-mère ? demanda Derek dont le nouveau calme apparent cachait un bouillonnement intérieur. Mark acquiesça. Derek vida d’un trait le whisky auquel il n’avait pas encore touché. Tu vois, pendant que je retournais toute la ville pour la retrouver, commença-t-il en jouant avec son verre vide pour paraître détaché, j’ai essayé de t’appeler sur ton téléphone. De minute en minute. Pour te prévenir. Et aussi parce que j’aurais bien aimé avoir mon meilleur ami à mes côtés. Il vit Mark qui ouvrait la bouche pour parler et haussa le ton pour l’en empêcher. Et je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à joindre ce meilleur ami – il insista lourdement sur le terme – le seul que j’aie d’ailleurs. Il planta son regard plein de colère refrénée dans celui de Mark. Puis, je me suis mis à réfléchir. Je me suis dit que, dans l’état où elle était, tellement bouleversée… – il se leva et alla se resservir au bar – Meredith s’était sûrement tournée vers quelqu’un, quelqu’un en qui elle avait toute confiance, qu’elle appréciait. Alors, forcément, j’ai pensé à toi.

    Oui, elle m’a appelé, reconnut Mark. Il but un peu de whisky en se préparant mentalement à la bataille qui allait suivre.

    Derek poursuivit comme s’il n’avait rien entendu, en déambulant à travers la pièce, son verre à la main. Mais immédiatement, je me suis dit que c’était insensé. Tu es mon meilleur ami. On est comme deux frères. On se connait par cœur. Mark leva les yeux au ciel en soupirant. Derek allait faire vibrer la corde sensible, celle de l’amitié, celle de la fraternité, pour mieux le culpabiliser, et il détestait cela. Tu es le seul à savoir à quel point je tiens à cette fille. Je ne pouvais pas imaginer que, si tu étais au courant de ce qui se passait, tu ne m’aurais pas prévenu. Derek s’arrêta de marcher un instant pour boire une gorgée d’alcool, puis repartit. Pourtant, en même temps, il y avait le fait que tu ne répondais jamais au téléphone, que personne ne savait où tu étais. Comme si tu avais disparu. Comme Meredith. Alors, oui, j’ai douté, j’ai douté de toi, mon meilleur ami, répéta-t-il sur un ton ironique. Mais je m’en suis voulu de l’avoir fait, parce que j’avais toujours pu compter sur toi. Il vint se rasseoir devant Mark et son ton changea, se faisant incisif, réprobateur, sans pitié. Et là, tu m’apprends que tu savais depuis le début et que tu m’as laissé dans la merde tout ce temps ? C’est donc ça, ton sens de l’amitié ? Et si je n’étais pas venu, Mark ? Si tu ne m’avais pas trouvé devant ta porte, tu aurais attendu combien de temps pour me dire la vérité ?

    Ce fut au tour de Mark de se lever et d’arpenter le salon. Mets-toi à ma place aussi, protesta-t-il, atteint par les reproches de son ami qu’il trouvait justifiés par certains aspects. Il était vrai qu’ils avaient toujours été présents l’un pour l’autre, dans les bons comme les mauvais moments. Leur amitié ne s’était jamais démentie depuis plus de trente ans. Et d’une certaine façon, en aidant Meredith, Mark avait eu l’impression de lui porter un coup qui, il l’espérait, ne serait pas fatal. Elle m’a appelé à l’aide, se défendit-il. Elle m’a demandé de l’emmener là où tu ne pourrais pas la retrouver. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ?

    Mais que tu me préviennes, nom de dieu, éructa Derek, hors de lui au souvenir des heures horribles qu’il venait de vivre, et à l’idée du temps qu’il avait perdu, alors que Mark aurait pu tout résoudre par un simple appel téléphonique.

    Son ami vint se planter devant lui. Et tu aurais fait quoi ? Tu aurais débarqué pour l’empêcher de partir ?

    Derek se leva pour lui faire face. Evidemment, oui !

    Eh bien, tu aurais fait pire que mieux, assura Mark.

    Mais c’est pas ton problème, ça, mon vieux ! s’énerva Derek. Tout ce que tu avais à faire, c’était m’appeler et me dire que tu étais avec elle.

    Elle ne voulait pas te voir, Derek. Elle ne voulait pas te voir, insista Mark avec un air buté.

    Depuis quand tu la fais passer avant moi ? s’insurgea Derek. Depuis que tu es passé de l’autre côté ? persifla-t-il. De son côté ? Trente-cinq ans d’amitié pour en arriver là ?

    Mark ne cacha pas qu’il était outré. Arrête ton cinéma, Shepherd ! Etre son ami ne m’empêche pas d’être le tien.

    Ah mais on dirait bien que si ! Derek lui lança un regard douloureux. Est-ce que tu as seulement pensé à l’état dans lequel je devais être ?

    Oui, bien sûr, soupira Mark. Mais j’ai vu aussi l’état dans lequel elle était. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous, je ne sais pas comment elle a appris…

    Derek ne le laissa pas terminer sa phrase. Elle a trouvé un papier avec les coordonnées de la fille.

    Mark le regarda, médusé. Il connaissait les règles de conduite et les méthodes de son ami. Depuis quand tu prends les coordonnées des nanas avec qui tu couches ? Derek haussa les épaules. T’avais l’intention de remettre ça ?

    Mais non, pas du tout. Derek passa la main dans sa chevelure, en soufflant. Je me fous de cette gonzesse. Je ne sais même plus à quoi elle ressemble. Elle m’a donné son numéro de téléphone et je l’ai mis dans ma poche, comme ça, machinalement. Je l’avais complètement oublié jusqu’à ce que Meredith me montre ce foutu papier de merde.

    Et tu ne pouvais pas nier ? s’étonna Mark qui avait connu son ami plus réactif. Comment Derek, qui était le champion de la manipulation quand il s’agissait d’arriver à ses fins, avait-il pu se faire avoir de cette façon ?

    Derek secoua lentement la tête. Ça n’aurait servi à rien. Elle m’a entendu parler avec Callie, quelques phrases qui, sorties de leur contexte, ont dû lui paraître épouvantables. 

    La moue que fit Mark exprima le doute qu’il éprouvait. Si tu veux mon avis, le contexte, elle s’en fout. Tu l’as trompée, Derek, c’est tout ce qui compte à ses yeux.


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  • Accablé par cette évidence, Derek se tassa sur lui-même en baissant la tête. Tu vois, le plus con, c’est que j’avais prévu de l’emmener chez moi ce soir. Sa voix se cassa à nouveau sous l’effet de l’émotion. Je voulais lui parler, lui raconter mon histoire, lui dire que je l’aime aussi… 

    Ouais, c’est ballot. Pendant quelques secondes, Mark observa son camarade dévasté. Si ce n’était pas une pitié d’en arriver là ! Je t’avais prévenu, bordel. Je te l’avais dit, que ça allait faire du grabuge si elle l’apprenait.

    Il y avait tellement peu de risques que ça se passe, Mark, geignit Derek. Et puis, sur le moment même, je n’ai pas pensé à ça. Je voulais juste me la sortir de la tête, ne plus penser à elle tout le temps.

    Tu parles d’une réussite, commenta Mark avec ironie.

    Tu sais, cet après-midi, je n’ai pas pu opérer, lui apprit Derek. J’étais au bloc, j’avais les instruments en main… et je n’ai pas pu. Il entrevit le regard stupéfait de son camarade. Tu te souviens, lâcha-t-il soudain. Il y a douze ans… le jour de son enterrement ? Mark hocha la tête en guise d’approbation. Je l’aimais, tu le sais bien. Je l’aimais, malgré tout. Mais le jour de son enterrement, je suis allé en cours et j’ai disséqué un cadavre. J’ai toujours fait passer la médecine avant tout. Il eut soudain un petit sourire. Quand je suis au bloc, je suis bien. Il peut se passer n’importe quoi à l’extérieur, j’oublie tout. Je me concentre seulement sur l’intervention. Rien ne m’a jamais ébranlé quand j’étais au bloc. Derek étendit ses mains et les regarda trembler. Jusqu’à hier.   

    Nom de dieu ! murmura Mark à qui cet aveu permettait seulement maintenant de mesurer à sa juste valeur l’amour que Derek portait à Meredith.

    Derek lança un regard suppliant à son ami. Tu ne veux pas l’appeler ? Elle te répondra, à toi. Je veux juste savoir comment elle va.

    Mal ! Pas la peine de téléphoner pour ça. De toute façon, elle a éteint son téléphone pour être sûre que tu ne pourrais pas la joindre. Mark agita son index en direction de son camarade. Et inutile de me demander d’appeler le ranch, c’est non. Il est 1h du mat’. C’est un coup à tuer ma grand-mère, ça.

    Je ne t’ai même pas demandé comment elle allait, regretta Derek, penaud.

    Ben c’est pas la grande forme, c’est clair, mais ça va, ça va. Elle tient bien le coup, dit Mark plus pour se rassurer que par réelle conviction.

    Tu retournes la voir quand ? s’enquit Derek, qui voyait dans un éventuel séjour de Mark à Santa Rosa la possibilité non seulement d’avoir des nouvelles de Meredith, mais surtout d’avoir un allié dans la place, une sorte de messager.

    Je ne sais pas trop, répondit Mark, un peu embarrassé. Momsy pense qu’il vaut mieux que je ne me ramène pas trop souvent, pour laisser un peu d’espace à Meredith, parce que, tu vois, euh… toi, moi, pour elle, en ce moment, c’est un peu la même chose. Il mentait. En réalité, sa grand-mère lui avait conseillé de ne pas revenir à l’hacienda pendant un moment, pour prendre du recul vis-à-vis de Meredith, afin de pouvoir enfin tirer un trait sur elle et renoncer à un rêve qui, de toute façon, n’avait aucune chance de se réaliser. Si l’idée lui avait fortement déplu dans un premier temps, parce qu’il ne voulait pas avoir l’air d’abandonner son amie à son triste sort, Mark s’était pourtant incliné. Son aïeule avait, sans doute raison. Etre sans cesse dans les parages de Meredith ne l’aiderait pas à l’oublier.

    Derek écarquilla les yeux. Ah bon ? Pourtant, c’est toi qu’elle a appelé.

    Mark balaya l’argument du revers de la main. C’est normal, ça. Elle ne connait personne d’autre. Mais selon Momsy, toi et moi, on est dans le même sac, alors… faut la laisser respirer.

    La mâchoire de Derek se contracta. Je ne vais pas tenir, Mark. Je ne peux pas rester là, sans nouvelles, sans savoir. Il faut que je lui parle, il faut que je lui explique. Demain, je vais à Santa Rosa. Il se leva d’un bond, comme s’il allait se mettre en route immédiatement.

    Mark l’imita aussitôt et se plaça devant lui. Tu n’iras nulle part et certainement pas à Santa Rosa. Il posa une main sur l’épaule de son ami. Ecoute, hier, j’étais avec elle, mon téléphone a sonné. Elle a deviné que c’était toi. J’ai vu comment elle a réagi. Ne va pas là-bas, Derek.

    Ce dernier accusa le coup. Elle me déteste donc tellement ? Accablé, il se laissa à nouveau tomber sur son siège.

    C’est clair que pour le moment tu n’es pas le numéro un de son hit-parade. Mais te détester ? Mark eut un sourire presque tendre à son adresse. Non. Elle t’aime, espèce de con. Dieu m’est témoin que je ne comprends pas pourquoi mais elle t’aime. C’est pour ça que c’est si dur pour elle.

    Qu’est-ce que je dois faire, Mark ? demanda Derek, totalement désemparé.

    Pour commencer, tu vas dormir ici, décréta Mark d’un ton sans réplique. Ici, au moins, tu ne feras pas de conneries. Et demain, tu vas bosser. Parce que tu es peut-être amoureux, mais tu es chirurgien aussi. Tu ne peux pas laisser tomber. Et pour le reste… laisse faire le temps, conseilla-t-il d’un ton plus doux.

    Laisser faire le temps ? Derek eut un petit rire sans aucune joie. Je n’ai pas le temps. Il lui sembla soudain qu’il manquait d’air. Je ne voulais pas l’aimer parce que j’avais peur de souffrir. Je ne savais pas que ce serait bien pire de ne plus pouvoir être avec elle.


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