• Meredith n'insista plus. D'une part, elle avait l'impression que Derek n'avait pas envie de lui dévoiler sa surprise à l'avance, d'autre part, elle n'y attachait pas plus d'importance que ça. Peu importait l'endroit où il l'emmenait, ce qui comptait vraiment, c'était d'être avec lui, d'obtenir des explications et, si celles-ci étaient valables, de poser de nouvelles règles pour que leur relation puisse reprendre sur des bases plus saines. En attendant, autant profiter du voyage !

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    Une fois qu’ils furent sur le Golden Gate, Meredith découvrit avec surprise les ferries qui sillonnaient le détroit. Jamais elle n’aurait cru que le trafic maritime était aussi important dans la baie. C’était impressionnant, tout autant que le nombre de véhicules qui circulaient sur le monstre métallique. D’ailleurs, cela avait pour conséquence que le rythme de la circulation s’était singulièrement ralenti. Cela permit à la jeune fille de contempler le paysage à son aise. Elle aperçut à sa droite une petite île surmontée par ce qui ressemblait à un phare. C’est Alcatraz, là, non ?

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    Derek regarda dans la direction qu’elle lui indiquait. Oui. Si tu veux, on pourrait aller la visiter un de ces jours.

    Elle ne répondit pas. Ils n’en étaient pas encore à faire ce genre de projets. Et là-bas, qu’est-ce que c’est ? se renseigna-t-elle en montrant une île plus grande, qui se trouvait derrière Alcatraz.

    C’est Treasure Island, la renseigna Derek. C’est une île artificielle qui a été construite pour l'Exposition universelle de 1939. Et puis, la grande île là-bas, c’est Angel Island. C’est un parc national. Sausalito est juste en face.

    Maintenant, Meredith était impatiente d’arriver à destination. Cette petite escapade était plus qu'appréciable, après le drame de ces dernières semaines. Après avoir ouvert la vitre de sa portière, la jeune fille sortit la tête et leva le nez vers un des pylônes en acier auxquels s’accrochaient les câbles de suspension. Pas étonnant qu’il s’agisse du pont le plus célèbre du monde !

    Tout à coup, sans trop savoir pourquoi, elle éclata de rire. Peut-être un effet de l’air marin et du vent dans ses cheveux. Elle se rassit normalement et regarda Derek avec un air confus – ils venaient d’enterrer Momsy tout de même ! – mais néanmoins heureux. Il se sentit béni des dieux. Cela faisait tellement longtemps que l’ambiance n’avait plus été si détendue entre eux. Il voulut y voir un signe positif. Il émit un petit rire lorsqu’elle se tordit le cou pour essayer de voir ce qui l’attendait de l’autre côté du pont et qu’elle fit une grimace parce qu’il n’y avait rien d’autre que de la verdure.

    En quittant le pont, la Porsche suivit un moment la route 101 avant de prendre la Alexander Avenue puis la South Street, pour bifurquer ensuite sur Bridgeway qui longeait l’eau de la baie. Meredith ne cacha pas son admiration devant les magnifiques demeures qui bordaient la route. Il était clair que leurs propriétaires n’avaient aucun souci d’argent.

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    Dans le centre de la ville, la jeune fille se montra impressionnée par le nombre de boutiques, galeries d'art et magasins de spécialités qui y étaient concentrés. Comme elles étaient gaies, ces maisons aux couleurs pastel ! Mais ce qui la frappa le plus, ce fut l’étroitesse de certaines rues et le fait qu’elles soient reliées par des escaliers en bois. Elle n’avait jamais vu quelque chose de semblable. Cela donnait à la ville un cachet vraiment particulier.

    Ils venaient de quitter le centre lorsqu’apparurent les premiers bateaux de plaisance, autre signe que ceux qui habitaient là faisaient partie des privilégiés. Meredith se surprit à envier ces personnes qui avaient la chance de vivre dans un endroit aussi idyllique, se demandant toutefois si elles arrivaient à l’apprécier pleinement. Remarquait-on encore la beauté et le luxe quand on y avait toujours baigné ?

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    Derek tourna dans une rue perpendiculaire et la suivit jusqu’à arriver sur un parking où il gara le Hummer. Meredith poussa un cri d’étonnement en découvrant des centaines et des centaines de péniches de toutes tailles, tous âges et styles, qui étaient amarrées les unes à côté des autres, le long des quais, formant ainsi une sorte de village en bois. Oh qu’est-ce que c’est ?

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    C’est le quartier des maisons flottantes. Derek sortit du véhicule, imité aussitôt par Meredith, un peu perplexe quant à la raison de leur présence en un lieu aussi étrange. Il n’y avait rien dans les environs qui ressemble aux restaurants ou aux bars que Derek avait l’habitude de fréquenter. En avril 1906, il y a eu un terrible tremblement de terre à San Francisco et une grande partie de la ville a été anéantie, lui apprit-il. Bon nombre d’habitants ont trouvé refuge à Sausalito et ils ont aménagé tant bien que mal de vieilles péniches qui étaient amarrées aux barges. Autant dire qu’à l’époque, le quartier était assez miséreux. Il la regarda avec un sourire timide, n’osant plus prendre sa main, comme il l’avait fait à Santa Rosa. Tu viens ? Elle accepta l’invitation par un léger signe de tête et ils avancèrent côte à côte en direction des quais. Après la seconde guerre mondiale, c’est devenu une casse pour bateaux, poursuivit-il. Les hippies ont débarqué à la fin des années soixante. Ils ont rafistolé les péniches qui étaient encore là puis, peu à peu, ils en ont construit de nouvelles. Il pointa un doigt vers les maisons flottantes. Tout ce que tu vois là, c’est en grande partie à eux qu’on le doit. Enssuite, ils ont été rejoints par des artistes sans le sou qui voulaient fuir la ville. Avec les années, l’endroit est devenu plus sélect et les prix ont explosé. Maintenant, il y a pas mal de gens qui ont fait fortune dans la Silicon Valley, qui vivent ici.

    Meredith l’interrompit pour lui montrer un panneau. Derek… C’est une propriété privée, on ne peut pas entrer, tu vois bien.

    Hmm… Effectivement. Il regarda le panneau, comme s’il ne l’avait jamais vu, semblant mesurer le risque qu’ils allaient prendre s’ils poursuivaient leur promenade. Mais bon… Qu’est-ce qui pourrait nous arriver ? On ne fait rien de mal après tout. Il lui dédia un sourire éblouissant auquel elle était incapable de résister. Et puis, il faut vivre dangereusement, non ? Cette fois, il osa lui tendre la main et elle la saisit sans hésiter.

     


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  • Au fur et à mesure que Meredith avançait sur le quai Liberty, abondamment garni de plantes en bacs devant chaque demeure, elle découvrait avec étonnement ce monde à part qu’était le quartier des maisons flottantes de Sausalito. Des péniches dont on se demandait comment elles tenaient encore debout avoisinaient des constructions récentes qui surprenaient par leur gigantisme : plusieurs étages, terrasses, jardins suspendus, serres…

    On ne peut plus appeler ça une péniche, fit remarquer la jeune fille en montrant à Derek une maison flottante à deux étages, avec une immense terrasse. Celle-là est magnifique.

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    Il paraît que son propriétaire l’a achetée plus d’un million de dollars, lui apprit-il sur un ton détaché, comme s’il trouvait ce prix tout à fait normal.

    Meredith écarquilla les yeux sous l’effet de la stupéfaction. Tu plaisantes ? Derek hocha la tête. C’est dingue ! s’exclama-t-elle. Un million de dollars ! Il y avait tant de choses à faire avec une telle somme, à commencer par aider les plus nécessiteux, ou encore découvrir le monde ou bien... Si on a autant d'argent, pourquoi ne pas acheter une vraie maison alors ?

    Derek haussa légèrement les épaules. Parce qu’il y a ici un mode de vie qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

    À ce prix-là, j’espère bien ! ironisa Meredith. Personnellement, je ne mettrais pas autant d’argent dans une péniche.

    Tu viens de dire qu’on ne pouvait pas l’appeler comme ça, lui rappela Derek, légèrement moqueur.

    Meredith lui lança un regard sarcastique. Allons, Derek, ne me dis pas que tu habiterais ici !

    Et pourquoi pas ? répliqua-t-il, curieux de connaitre sa réponse. Elle se faisait tellement d’idées fausses à son sujet. Mais sans doute en était-il le seul responsable.

    Parce que c’est… c’est trop… c’est trop bohème, lâcha-t-elle enfin, après avoir réfléchi au terme le plus approprié. Ça ne te ressemble pas du tout.

    Si tu le dis. D’une légère poussée de la main dans son dos, Derek entraina la jeune fille vers la gauche, devant une péniche recouverte de lattes imitation bois.

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    Perplexe, Meredith le regarda s’engager sur la passerelle. Qu’est-ce que tu fais ?

    Ne reste pas là. Viens, répondit-il avec un petit sourire.

    Mais où est-on ? s’inquiéta Meredith en regardant aux alentours, parce qu'elle s’attendait à voir surgir quelqu’un qui viendrait leur demander ce qu’ils faisaient là. Elle rejoignit son ex petit-ami d'un pas pressé. Tu connais les gens qui habitent ici ?

    Il sourit. Un peu, oui, dit-il en ouvrant la porte avec la clef qu’il avait retirée discrètement de sa poche quelques secondes plus tôt. Entre, je t’en prie.

    Meredith franchit le seuil avec défiance en s’accrochant au bras de son compagnon. Où sommes-nous ? chuchota-t-elle, de plus en plus stressée.

    Chez moi. Derek se dégagea avec douceur pour enlever sa veste qu’il jeta négligemment sur une chaise en osier qui se trouvait dans l’entrée. On est chez moi, répéta-t-il avec un sourire dont il ne réalisa pas qu’il était ému. A la seconde même où Meredith avait pénétré chez lui, il avait eu l’impression que tout se mettait en place et que sa vie prenait enfin un sens. Il regretta de ne pas l’y avoir amenée plus tôt.

    Chez toi ? ânonna-t-elle, stupéfaite. Soudain, elle se remémora la conversation qu’ils avaient eue quelques instants plus tôt. Comment n’avait-elle pas compris ? Bien sûr ! Tu me fais un cours d’histoire sur l’endroit, tu me parles des prix…

    Et j’ouvre la porte avec une clé, ajouta Derek avec une tendre ironie. Il passa derrière son amie pour l’aider à enlever sa veste.

    Oui, j’aurais dû comprendre, admit-elle en dégageant son bras de la manche. Pour la première fois depuis qu’elle était à l’intérieur, elle regarda timidement autour d’elle. Ça fait longtemps que tu vis ici ?

    Un peu plus de cinq ans. Derek la poussa doucement vers l’intérieur de la pièce. Un soir, j’ai raccompagné une fille qui habitait ici et j’ai eu le coup de foudre.

    Pour la fille ? questionna Meredith, en prenant toutefois soin de ne pas avoir l’air trop concernée.

    Derek sourit. Non, pour l’endroit. Il se souvint de l’étrange impression qu’il avait eue à l’époque en découvrant la Marina et toutes ces péniches. Pour la première fois de sa vie, il s’était senti vraiment à sa place. Dès le lendemain, j’ai pris contact avec une agence immobilière, j’ai lu les annonces et j’ai traîné dans le coin jusqu’à ce que je trouve ce que je voulais.

    Et cette fille ? Meredith aurait tellement aimé pouvoir encore jouer l’indifférente mais elle n’était plus capable de donner le change. Dès que Derek avait fait mention de cette autre conquête, elle avait senti la jalousie l’envahir. Elle ne supportait pas l’idée qu’il continue à fréquenter cette femme, même en tant que simple voisine. Elle habite toujours dans le coin ?


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  • En temps normal, Derek aurait apprécié l’inquiétude de Meredith et il en aurait même joué. Mais elle était trop fragile et l’enjeu trop important. Non. Elle a déménagé peu après mon arrivée, ce qui m’a bien arrangé au demeurant, répondit-il franchement. Je ne suis pas très bon dans le service après-vente. Il vit que son humour n’avait pas fait mouche et que Meredith restait toujours aussi inquiète. Bébé… je te jure que cette fille n’a pas du tout compté pour moi, pas plus que les autres d’ailleurs. Je ne reconnaitrais même pas la plupart d’entre elles si je devais les croiser dans la rue aujourd’hui.

    Et Madelina, tu la reconnaitrais ? demanda-t-elle sur un ton sec.

    Derek soupira. Meredith… je me…

    Elle le coupa dans son élan, comme si ce qu’il allait lui dire ne l’intéressait pas. Tu me fais visiter ? Surpris par son intonation presque guillerette qui contrastait totalement avec l’expression dure, presque méchante, qui avait été la sienne quelques secondes plus tôt, il la regarda avancer dans le living d’un pas sautillant, sa tête s’agitant dans tous les sens, très nerveusement. Elle se retourna brusquement. Eh bien, tu ne fais pas le guide ?

    Si, bien sûr. Il la rejoignit avec l’impression qu’une crise pouvait éclater à tout moment. Le problème était qu’il n’était pas en mesure de la prévoir et surtout, il n’était pas certain de pouvoir la désamorcer. Il était clair que sa méconduite lui avait fait perdre beaucoup de son pouvoir d’influence sur Meredith. Là, tu as la cuisine, dont je ne me sers pas souvent, je l’avoue, précisa-t-il avec un petit sourire. Et puis, la salle de séjour.

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    Meredith fit quelques pas dans la pièce avant de se tourner vers Derek, en le dévisageant avec attention. Au fond, elle ne le connaissait pas vraiment. A chaque fois qu’elle avait pensé à l’endroit où il vivait, elle avait imaginé un intérieur très moderne, tout en verre et acier, un peu froid comme il savait l’être parfois. Quelque chose de luxueux aussi, assez tendance, snob pour tout dire. Or, maintenant qu’elle était là, elle constatait que c’était simple, dépouillé même, et elle trouvait l’ensemble assez sympa et chaleureux. Elle reprit son avancée, se penchant légèrement au-dessus de la rambarde qui protégeait des escaliers menant vers l’étage du dessous, avant d’aller jusqu’à la fenêtre pour regarder à l’extérieur. Des péniches et plus loin des bateaux, à perte de vue. Je ne t’imaginais pas dans un tel endroit, lui avoua-t-elle enfin. Je te voyais dans quelque chose de plus… – elle le regarda en faisant une grimace un peu embarrassée – de moins…

    Bohème ? avança Derek avec un sourire amusé.

    Meredith sourit aussi. C’est ça. Au fond, tu es bien moins conventionnel que je ne le croyais. Elle se pencha pour passer délicatement la main sur un coffre en osier qui faisait office de table de salon. C’est beau, ça. Et c’est original. Elle revint lentement vers le chirurgien. Et en bas, qu’est-ce qu’il y a ?

    Le bureau, les chambres… Tu veux voir ?

    Bien sûr ! Elle le précéda dans l’escalier et déboucha dans une pièce qu’elle identifia immédiatement comme le bureau. A nouveau, elle fut frappée par la simplicité des lieux. Une table, un ordinateur qui n’était même pas du dernier cri, un bureau, quelques chaises qui semblaient avoir été mises là pour ne pas encombrer ailleurs… Sans faire aucun commentaire, elle passa dans l’autre pièce, une chambre au décor encore plus minimaliste que le bureau.

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    C’est ta chambre ? s'enquit Meredith, en se fustigeant intérieurement de se sentir aussi émue.

    Non, c’est la chambre d’ami. Derek afficha soudain un large sourire. L’expression convient tout à fait d’ailleurs puisqu’il n’y a que Mark qui ait dormi ici, quand il était trop bourré pour rentrer chez lui.

    Et ta chambre ? insista Meredith avec le sentiment obscur et étrange qu’elle saurait qui il était vraiment une fois qu’elle aurait vu l’endroit où il dormait. Il sortit de la pièce et elle le suivit, le cœur battant, avec l’étrange impression qu’elle allait pénétrer dans un lieu sacré. Derek ouvrit une porte et s’effaça pour la laisser entrer.

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    Une fois encore, Meredith fut surprise par la décoration. Les murs peints en blanc, des poutres en bois foncé qui soutenaient le plafond, un petit tapis en fausse fourrure blanche au bout du lit, d’imposantes lampes de chevet dont la couleur était coordonnée à celle des coussins qui gisaient sur le lit, un fauteuil original qui juxtaposait un coffre en bois, des livres entassés pêle-mêle sur les étagères d’un petit meuble… A nouveau, elle ne put que constater combien c’était différent de l’image qu’elle s’était faite. C’était simple, décontracté et néanmoins classe. Elle s’assit sur le bord du lit et passa lentement, plusieurs fois, sa paume sur la couette recouverte d'une simple housse blanche, ses yeux suivant le mouvement de sa main. Elle les releva en même temps qu’elle mettait fin à sa caresse. Un jour, Mark m’a dit que tu ne ramenais jamais aucune femme chez toi.

    Il ne t’a pas menti. Derek vint s’asseoir à ses côtés, pendant garde toutefois de ne pas être trop proche, comme s’il avait peur de l’effaroucher. Personne n’était encore jamais venu ici, à part Mark. Et ma femme de ménage. Elle a quarante-cinq ans et elle n’est pas du tout mon genre. Meredith resta imperturbable. Elle a de la moustache, se sentit-il obligé de préciser. Alors, tu vois…

    Cette fois, elle daigna sourire. Elle était heureuse qu’il se soit enfin décidé à l’amener chez lui mais en même temps, elle n’arrivait pas à s’ôter de l’esprit qu’il ne l’avait fait que parce qu’il voulait la faire fléchir en frappant un grand coup. Elle le connaissait assez pour savoir qu’il était prêt à tout pour remporter la bataille qu’ils étaient en train de se livrer. Pourquoi m’avoir fait venir chez toi, Derek ? Tu joues ton dernier va-tout ?


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  • Derek secoua la tête. Je sais que c’est l’impression que ça donne mais je te jure que ce n’est pas le cas. Il avança sa main, jusqu’à ce que le bout de ses doigts frôle ceux de Meredith. Tu te souviens, après notre dernière nuit dans la maison de Mark. Le jour où… Elle inclina légèrement la tête. Oui, elle ne se souvenait que trop bien de la journée où tout s’était arrêté pour elle. Ce matin-là, je me suis arrêté dans ce drugstore pour t’acheter la pilule, poursuivit-il.

    Oh je l’ai prise ! Ne t’en fais pas pour ça. Meredith se leva précipitamment, comme si soudain leur proximité lui était insupportable, et elle alla s’asseoir sur une chaise qui faisait face au lit.

    Derek souffla bruyamment. Que tu l'aies prise ou pas, je m’en fous, Meredith. Sincèrement, je m’en fous. Ce n’est pas de ça dont je veux te parler. Quand je me suis arrêté dans ce drugstore, j’avais une idée précise en tête. Il darda sur elle des yeux débordants de tendresse. J’avais prévu de te ramener à la péniche, ce soir-là. Je voulais te montrer où je vivais et… - il s’arrêta, subitement ému, s’étonnant de sentir les larmes picoter ses yeux – je voulais te dire que je t’aimais, reprit-il d’une voix rauque. Et que j’avais besoin que tu fasses partie de ma vie. Vraiment, sans réserve cette fois. Mais je n’en ai pas eu le temps et maintenant, évidemment, ça ressemble à une séance de rattrapage, déplora-t-il dans un soupir.

    Non, je sais que tu es sincère. Elle aussi était émue et, pour le cacher, elle regarda autour d’elle. C’est joli. Tu as beaucoup de goût. C’était banal, c’était plat, mais elle ne savait que dire d’autre qui ne soit pas trop révélateur de son état d’esprit.

    Pourtant, je n’ai pas fait grand-chose. Je voulais juste que ce soit fonctionnel. Je n’ai ni le temps ni l’envie de me prendre la tête avec des problèmes de déco, confessa Derek. Pour ce que j’y suis en même temps… Ses yeux se promenèrent à travers la pièce. Ça manque certainement d’un peu de chaleur, comme toutes les maisons où on ne vit pas vraiment. Il regarda son amie à la dérobée. Peut-être qu’une touche féminine…

    Nous n’en sommes pas encore là, répliqua-t-elle en souriant. Quoiqu’elle en dise, elle aimait qu’il ne s’avoue pas vaincu.

    Tu ne peux pas m’en vouloir d’essayer, se défendit-il, soudain plus détendu. Quand elle souriait, son visage s’illuminait et il retrouvait alors un peu de la Meredith d’avant, d’avant le malheur. Il refusait de croire que cette époque était totalement révolue.

    Il se leva du lit et fit deux pas en direction de la jeune fille, avec ce petit sourire charmeur qu’elle connaissait si bien et auquel elle résistait toujours difficilement. Pour l’éviter, elle quitta sa chaise et alla jusqu’à la fenêtre. Il n’y avait rien à voir, à part le mur de la péniche voisine. Elle repartit vers la petite bibliothèque et fit semblant de s’intéresser aux livres. Quand tu es allé au drugstore, ce jour-là, tu as acheté des trucs, lâcha-t-elle soudain en feuilletant machinalement un ouvrage sur la Seconde Guerre Mondiale. Tu as refusé de me dire ce que c'était, tu as dit que c'était une surprise. Je peux savoir maintenant ?

    Derek vint s’adosser au mur, juste à côté du meuble devant lequel elle se trouvait, dans l’espoir qu’elle daignerait lui accorder un peu d’attention. Eh bien, ça faisait partie de l'idée que j'avais en tête. Elle me semblait bonne à l’époque mais maintenant, avec le recul, les évènements… Je ne sais pas. Ça n’a plus le même impact. Ça risque même de te sembler stupide.

    Meredith referma enfin le livre et le reposa là où elle l’avait pris. Laisse-moi en juger par moi-même, tu veux bien ? dit-elle en se tournant vers Derek.

    Puisque tu insistes. Ce fut presque avec réticence que le chirurgien se dirigea vers une porte qui donnait sur une autre pièce. Curieuse de découvrir cette partie qu’elle ne connaissait pas encore, Meredith le suivit avec empressement. Elle arriva dans la salle de bains qui la surprit par sa grandeur, mais surtout son originalité. C’était sans aucun doute la pièce la plus sophistiquée de la demeure. D’un côté, il y avait une grande baignoire ovale et de l’autre, une douche à l'italienne. Entre les deux, en guise de lavabo, une vasque ronde en grès qui reposait sur une armoire en bois exotique. Deux meubles du même bois complétaient le mobilier.

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    Derek ouvrit un de ces meubles et en retira le fameux sac en papier auquel il n’avait pas touché depuis le jour fatidique. C’est ridicule, ça n’a plus aucun sens, grogna-t-il en le tendant de mauvaise grâce à Meredith.

    Elle l’examina d’abord sommairement, ses yeux plissés s’écarquillant peu à peu en découvrant le contenu. Après avoir jeté un regard intrigué à Derek qui semblait tout penaud, ce qui la fit sourire malgré elle, elle retourna dans la chambre et alla se rasseoir sur le lit. D’une main dont elle s’efforçait de maîtriser le tremblement – ma pauvre fille, tu es débile de t’affoler pour si peu – elle commença à retirer les objets un à un. Une brosse à dents, un tube de dentifrice, du shampoing, des produits de beauté et de soin pour le visage et pour le corps et deux grands flacons de parfum, "Coco Mademoiselle" et "Miss Dior". Elle ne les connaissait pas, mais le nom de leurs créateurs, de célèbres couturiers français, évoquaient pour elle le luxe et le chic parisien.

    Installé en face d’elle, sur la chaise, Derek la regardait faire, le ventre noué par l’angoisse. Il s’attendait à la voir éclater de rire devant l’absurdité de son présent. Ah il était joli, le cadeau ! Des produits d’hygiène corporelle ! Il repensa à l’excitation qu’il avait ressentie le jour où il les avait achetés, à son envie de voir la fin de la journée arriver rapidement, pour pouvoir les offrir à Meredith et surtout lui expliquer ce que cela signifiait pour lui. Maintenant, ce n’était plus que de banals produits achetés dans un drugstore de quartier. Le geste avait perdu toute signification. Sa connerie et sa lâcheté avaient tout gâché. C’est grotesque, marmonna-t-il. C’est même risible.


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  • Je ne trouve pas, répondit Meredith avec douceur. C’est plutôt mignon. Elle retira le bouchon du flacon de "Coco Mademoiselle" et répandit quelques gouttes du parfum sur l’intérieur de son poignet, qu’elle porta ensuite à ses narines. Ça sent merveilleusement bon. Elle fixa son ex de son regard à la fois candide et pénétrant. Qu’est-ce que tu voulais me dire avec tout ça, Derek ?  

    Encouragé par son attitude, il se mit à parler. Il y a eu ce soir où je t’ai retrouvée au Gravity, et puis notre dernière nuit à la maison de la plage et ce moment où tu m’as dit que tu m’aimais. C’était la première fois que tu me le disais, lui rappela-t-il avec une voix enrouée qui dénotait son émotion. Elle hocha la tête, sans chercher à cacher les larmes qui envahissaient ses yeux. Si je ne t’ai pas dit que je t’aimais aussi, c’est parce que je… Il hésita un instant, craignant de ne pas s’exprimer correctement. C’est quelque chose que je n’ai presque jamais dit, Meredith. Pour moi, c’est lourd de sens. Je ne voulais pas avoir l’air de le dire par obligation. Je t’aime, oui, moi aussi. Tu vois le genre. Je voulais que, quand je te le dirais, ce ne soit pas banal. Parce que quand, toi, tu l’as dit, c’était tout sauf ça. Quand tu m’as dit que tu m’aimais, je me suis senti libre comme je ne l’avais jamais été. La jeune fille étouffa un sanglot et il quitta sa chaise pour venir s’agenouiller devant elle. Je n’ai plus eu envie de lutter contre ce que j’éprouvais. Et ce que j’éprouvais… – il prit timidement la main de son amie – c’est que je pouvais enfin faire tomber toutes ces barrières que j’avais élevées pour me protéger. Cette péniche – ses yeux firent le tour de la chambre – c’est mon antre, mon jardin secret. Je n’y ai jamais admis personne, à part Mark. Doucement, il s’enhardit à jouer avec les doigts de Meredith. Ce matin-là, à la maison de la plage, quand tu m’as dit je t’aime – ses lèvres s’étirèrent en un doux sourire ému – j’ai su que je voulais que tu viennes ici. C’était ça, mon idée au drugstore. Te dire qu’on n’avait plus besoin de se voir à l’hôtel ou à la maison de la plage, qu’on pouvait se retrouver ici. Je t’aurais fait de la place dans les armoires, pour que tu y mettes quelques affaires. Comme ça, tu n’aurais pas été obligée de rentrer aussi souvent chez ta tante. Et tous ces trucs – il fit un geste vers les produits qu’elle avait éparpillés sur l’édredon – c’était pour que tu te sentes ici comme chez toi. C’était ma façon de te dire que je t’aimais et que tu comptais pour moi.

    Meredith l’avait écouté en silence, buvant chacune de ses paroles. Il venait de lui dire ce qu’elle rêvait d’entendre depuis le premier jour de leur relation. Il était certain que, lorsque Derek Shepherd se décidait à parler d’amour, c’était tout sauf ordinaire. Cependant, aussi beaux que soient ces mots, ils ne suffisaient pas à répondre à toutes les interrogations qui la minaient depuis qu’elle avait surpris les confidences faites à Callie. Si tu m’aimes autant que tu le dis, comment as-tu pu coucher avec ces femmes ? lui demanda-t-elle, la voix tremblotante des pleurs qu’elle avait de plus en plus de mal à contenir.

    Voilà, on y était ! La grande explication, la confession, le mea culpa… Derek appréhendait ce moment autant qu’il l’attendait. Se justifier n’était pas ce qu’il faisait de mieux – toujours son foutu orgueil – mais, maintenant que Meredith semblait prête à entendre ses arguments, il allait se faire violence pour avoir une chance de la convaincre et de la récupérer. Cela faisait trop longtemps qu’ils étaient dans une impasse. Il s’assit à ses côtés. Au tout début… je n’étais pas vraiment impliqué, je l'avoue. J’étais bien avec toi mais je n'envisageais pas du tout que ça s'inscrive dans la durée. Pour moi, ce n’était pas sérieux, nous deux. Et quand j’ai réalisé que ça commençait à le devenir… j’ai paniqué, reconnut-il, son regard planté dans celui de Meredith. J’ai voulu me convaincre que ce que je m’étais juré tenait toujours, que je n’avais pas changé, que je n’étais pas vraiment attaché à toi. J’ai couché avec ces femmes parce que… Il cessa brusquement de parler pour tenter de se remémorer quelles avaient été ses motivations à l’époque. Qu’avait-il cherché auprès de ces inconnues ? Du plaisir, de l’oubli, du réconfort ? Non, certainement pas. Je voulais seulement garder le contrôle, confessa-t-il. Il eut mal au cœur en voyant les larmes de la jeune fille couler sur son visage. Comme cela devait être douloureux pour elle de l’entendre dire qu’il avait commencé par bafouer leur relation, alors qu’elle s’y était investie totalement ! Pourtant il était obligé d’en passer par-là pour lui faire comprendre à quel point il avait évolué. Alors oui, je t’ai trompée, juste pour me prouver que j’étais toujours le même. Mais ce n’est arrivé que deux fois, ajouta-t-il immédiatement, s’accrochant à l’espoir que le nombre peu élevé de ses erreurs jouerait en sa faveur. Parce qu'à chaque fois, j'ai trouvé ça pathétique, horrible même, et surtout, ça me faisait me sentir vraiment mal vis-à-vis de toi. C'est comme ça que j'ai réalisé que je n’avais plus envie de ce genre de relation. Je n'avais plus envie de trahir ta confiance. Et c'était tellement mieux avec toi, alors… Il avança la main vers le visage de Meredith et lui prit une mèche de cheveux pour la faire glisser entre ses doigts. Ensuite, il y a eu ton agression qui m’a fait prendre conscience de tant de choses. Il s’emballa peu à peu. Puis, notre séjour à Aspen. Ça a été le plus beau moment de toute ma vie. Etre avec toi vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ça a vraiment été une révélation. Mais on est rentré et tu n’as pas voulu rester avec moi.

    Meredith l'interrompit sur un ton plein d'amertume. Et tu as été contrarié, alors tu t’es vengé. Elle se souvenait parfaitement des scènes que Derek lui avait faites parce qu’elle insistait pour rentrer chez sa tante et reprendre le travail à la boutique. Parce qu’elle n’avait pas cédé à ses prières, il avait voulu la punir. Pour cela, il n’avait pas lésiné sur les moyens : colère, bouderie, reproches immérités, fuite à Miami et, comme point d’orgue, Madelina.

    Non, protesta-t-il énergiquement. Je ne me suis pas vengé. Ce n’est pas du tout ça. Il prit le visage de Meredith entre ses mains pour qu’elle ne puisse pas se détourner de lui. C'est vrai que je n'ai pas compris pourquoi tu voulais repartir directement chez toi, et encore moins pourquoi tu ne voulais pas qu'on passe la soirée ensemble. Et c'est vrai que je me suis senti rejeté. Mais à aucun moment, je n'ai voulu me venger. Ça ne m’est même pas venu à l’idée, je te le jure. C'est juste que… Il déglutit avec peine. Me retrouver seul, sans toi, ça a été terrible. Je suis revenu ici et pour la toute première fois, je m'y suis senti mal, pas à ma place, comme si… je ne sais pas comment t'expliquer ce que j'ai ressenti. C'était comme si je n'étais plus rien sans toi. C’est comme ça que j’ai pris conscience que je t’aimais. Et ça, ça m’a fait peur, mais tellement peur !  


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