• Derek sortit de la chambre de son patient et regarda sa montre. Il était déjà 14h30. Il avait espéré avoir le temps de faire une pause qu’il aurait mise à profit pour rejoindre Meredith au Sweet Dream. Il adorait la surprendre en plein travail et passer un moment avec elle. C’était comme une récréation. Mais aujourd’hui, bien qu’il l’ait espéré, ce ne serait pas possible. Une réunion avec Richard Webber, quelques consultations, une intervention, voilà quel avait été son programme du matin. Et l’après-midi ne serait guère mieux. S’il voulait terminer à une heure décente et ne pas compromettre ses projets avec Meredith, il allait devoir mettre les bouchées doubles. Il décida pourtant de s’octroyer le temps de boire un café avant de regagner son bureau. Malheureusement, être chirurgien, ce n’était pas qu’inciser, retirer et recoudre. C’était aussi faire de la paperasse et il en avait des tonnes qui l’attendaient. Il aurait juste le temps de compléter quelques dossiers avant d’enchaîner sur une autre intervention.

    Il venait à peine de prendre sa tasse que Callie entra dans la pièce. C’est ici que tu te caches ! s'exclama-t-elle. Ça fait des heures que je te cherche partout.

    Derek se tourna vers elle et l’accueillit avec un sourire. C’est que tu as mal cherché, alors. Tu veux ? proposa-t-il en lui tendant son café.

    Je veux bien, merci. Elle s’approcha de lui et déposa un baiser sur sa joue tout en prenant la tasse. Ça s’est bien passé à Miami ? demanda-t-elle en portant le café à ses lèvres.

    Ouais, pas trop mal. C’était intéressant. Derek appuya sur un des boutons de la machine automatique. Tu sais où est Mark ? s'enquit-il soudain sans quitter des yeux le breuvage fumant qui coulait. J’ai voulu l’appeler hier soir mais il avait éteint son téléphone et ce matin, je ne l’ai trouvé nulle part.

    Ouais, il a demandé un jour de congé. Callie fit un sourire légèrement ironique. Je crois savoir que notre ami a quelques difficultés à se remettre de la nuit dernière. Elle observa Derek qui commençait à siroter son café. Comme tout le monde, elle avait eu des échos de la brouille qui avait éloigné les deux hommes quelques jours plus tôt. Quand elle avait demandé à Mark ce qu’il en était, il s’en était tiré par un sec et sans réplique Laisse tomber, c’est qu’un connard ! Elle n’avait pu en tirer rien de plus. Ça va mieux, vous deux ? demanda-t-elle.

    Je crois que maintenant, ça va aller, oui, dit Derek d’une voix douce en pensant aux recommandations que lui avait faites Mark avant son départ pour Miami. Il m’a dit ce que j’avais besoin d’entendre. Je m’égarais et il m’a remis dans le droit chemin.

    Mark t’a remis dans le droit chemin ? répéta Callie, éberluée. A sa connaissance, Mark était plutôt le genre de personne qui vous attire dans les chemins de traverse.

    Oui, oui, je t’assure. Derek eut un petit rire avant de se laisser tomber dans le vieux canapé qui ornait la pièce. Callie s’assit à côté lui et le scruta avec attention, s’étonnant de cette paix qui imprégnait ses traits. Elle ne l’avait encore jamais vu comme ça. Il sentit son regard peser sur lui et se tourna vers elle. Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai un bouton sur le nez ?

    Elle secoua la tête. Non, pas de bouton. Quoique… - Derek fronça les sourcils – c’est tout aussi bizarre, presque plus même.

    Quoi ? Qu’est-ce que j’ai ? demanda-t-il en se passant la main sur le visage dans l’espoir d’y déceler quelque chose.

    Callie sourit avec une expression presque maternelle. Non, tu es parfait. Comme d’habitude. Elle considéra à nouveau les yeux de Derek qui brillaient, cet air serein qu’il affichait et qui faisait qu’elle avait du mal à voir en cet homme celui qu’elle avait toujours connu. C’est juste que… tu as l’air tellement… - elle hésita un instant avant de dire le fond de sa pensée - tellement heureux.

    T’es bête ! Après avoir déposé sa tasse sur la table basse, Derek se laissa aller contre le dossier du canapé avec un doux sourire. Non, tu as raison. Je suis heureux.

    Les lèvres de Callie s’étirèrent en un sourire dont elle sentit qu’il s’agissait plus d’un rictus. J’ai l’impression que Meredith y est pour quelque chose, dit-elle sur un ton plus caustique que ce qu’elle aurait voulu.

    Absorbé dans les pensées qu’avait éveillées l’évocation de sa petite amie, Derek ne perçut pas l’ironie. Oui, Meredith, murmura-t-il. Avec elle… - il prit une grande inspiration - je me sens vivant, tellement vivant et ça ne m’était plus arrivé depuis… depuis des années. Il réfléchit un instant. En fait, je ne pense même pas que ça me soit déjà arrivé. Pas à ce point. Il s’enflamma soudain. Si tu savais, Cal… Par certains aspects, elle est encore une toute petite fille mais pour d’autres, c’est déjà une femme, totalement.

    Oh oui, j’imagine sans peine quels aspects, persifla Callie, en se plantant les ongles dans les paumes sous l’effet de la nervosité. Jamais encore Derek n’avait été aussi clair avec elle quant à ce qu’il ressentait pour cette petite bécasse.

    Non, non, pas du tout. Je ne te parle pas de sexe, là, même si – il s’interrompit soudain avec, à nouveau, cette sensation que ce qui se passait entre lui et Meredith dans un lit relevait du domaine du sacré et ne pouvait donc être dévoilé – enfin bref. Ce que je veux dire, c’est qu’elle a une telle maturité. Je lui ai mené la vie dure, parfois, tu sais. Il y a des moments où j’ai même été carrément abject avec elle et, jamais, jamais, elle ne m’en a voulu. Callie ne put se retenir de hausser les épaules. Où était l’exploit ? Qui pouvait en vouloir à Derek ? Toujours inconscient des réactions que son discours suscitait, celui-ci poursuivit. On pourrait prendre ça pour de la faiblesse mais pas du tout. Elle est forte au contraire. Il faut être fort pour pouvoir pardonner le mal qu’on te fait. Et je lui ai fait du mal, je le sais.


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  • Callie gronda gentiment son ami. Oh arrête, Derek, tu exagères. Quand elle pensait à l’attitude de Derek envers Meredith, elle ne voyait que les regards amoureux dont il enveloppait la jeune fille, ses sourires épanouis quand il était en sa compagnie, les cadeaux dont il la couvrait, Aspen, la maison du parc et tout ce à quoi il avait renoncé pour être avec elle. La liste était sans fin mais ne recelait rien de mauvais.

    Malheureusement non, murmura Derek en se redressant. J’y ai beaucoup pensé ces derniers jours et le bilan n’est vraiment pas en ma faveur. Il regarda Callie avec un sourire triste. Tu vois, elle me pousse à réfléchir à mes actes, à me demander si ce que je fais est bien ou mal. C’est la première fois que ça m’arrive. Je crois qu’avec elle, je peux devenir quelqu’un de meilleur.

    Callie haussa les sourcils. Meilleur ? Moi, je trouve que tu es déjà très bien. Depuis quand devenir meilleur l’intéressait-il ? Où était passé le Derek arrogant et égoïste qu’elle avait toujours connu ? C’était cet homme-là qui était devenu son meilleur ami et dont elle était tombée amoureuse. Pas ce loukoum dégoulinant de bons sentiments.

    Il hocha lentement la tête. Tu dis ça parce que tu es mon amie, mais je sais que je ne suis pas quelqu’un de bien. Je l’ai toujours su mais maintenant… Je veux que ça change. Pour Meredith. Elle mérite quelqu’un de bien et moi… - ses yeux se teintèrent un instant de désespoir - moi, je ne veux pas la perdre. Alors, je n’ai pas le choix, conclut-il avec un sourire contrit.

    Eh bien, dis donc, ça m’a l’air très sérieux ! s’exclama Callie avec entrain, trop pour que cela sonne de façon sincère. Chaque mot de Derek était comme un uppercut à l’estomac.

    Oui, ça l’est. Enfin, ça l’est devenu. Je ne m’attendais pas du tout à ça, chuchota-t-il, une expression ravie sur le visage.

    Tu es vraiment amoureux alors ? Callie connaissait déjà la réponse mais il fallait qu’elle pose la question. Peut-être que d’entendre la vérité de la bouche de l’intéressé l’aiderait à tirer un trait définitif sur toutes ces chimères qu’elle entretenait depuis tant d’années.

    Non, je ne suis pas amoureux, déclara Derek contre toute attente. Callie le regarda avec un air interloqué. Il lui sourit. C’est bien plus fort que ça. Amoureux, je l’ai déjà été, il y a longtemps, très longtemps et c’était tout à fait différent de ce que j’éprouve maintenant. Meredith… je l’aime. Je l’aime vraiment. Dire que quelques jours plus tôt, cette seule pensée l’épouvantait et le voilà maintenant qui le clamait à qui voulait bien l’entendre. Tu fais de sacrés progrès, mon vieux, se félicita-t-il mentalement.

    C’était presque du masochisme mais Callie avait besoin qu’il mette des mots sur ce qu’elle devinait. Et au lit ? Il ne répondit pas. J’imagine que ça se passe bien, avança-t-elle en prenant soin toutefois de paraître détachée.

    Derek haussa les épaules. Oui évidemment mais ce n’est pas le plus important. Ce qui est important… Ses yeux se perdirent au loin. Ce qui est important, c’est d’être avec elle tout simplement. Ce sont tous ces petits moments qu’on partage. Il se pencha en avant et fixa son pied qui battait une mesure imaginaire. Se retrouver tous les deux dans la salle de bains le matin. La regarder choisir ses vêtements. Prendre notre petit-déjeuner ensemble. L’observer quand elle sert à la boutique, essayer de deviner ce qu’elle pense. L’écouter me parler de sa journée, de ses problèmes avec les filles, ou de ce qu’elle veut faire comme études. Tenir sa main quand on se promène. Rien que la regarder manger une glace, c’est dément. Il sourit à l’idée que cela ne devait rien évoquer de particulier pour Callie. Il se tourna vers elle. Je sais que tu dois trouver tout ça ridicule et ça l’est sûrement, d’ailleurs, reconnut-il sans en éprouver la moindre honte cependant.

    Non, ça ne l’est pas, répondit-elle en sentant les larmes lui monter aux yeux. Tu l’aimes vraiment. Enchanté de cette évidence, Derek opina de la tête en souriant. Anéantie, Callie baissa la tête pour qu’il ne devine pas son émoi. Il n’y aura plus de câlins, n’est-ce pas ? Pour nous, je veux dire, ajouta-t-elle d’une voix étranglée.

    Non, c’est fini, tout ça. Je n’en ai plus envie. Derek vit soudain une larme s’écraser en une tache sombre sur le tissu du pantalon de son amie. Il se souvint alors de tout ce que Mark lui avait dit à Aspen, de ce qu’il avait essayé de lui faire comprendre à plusieurs reprises depuis que Meredith était entrée dans leur vie. Il réalisa tout à coup que si lui n’avait jamais vu en Callie qu’une amie un peu particulière, ce sentiment n’était pas réciproque. Il s’en voulut de lui faire du mal, à elle aussi, et tenta d’atténuer ses propos. Ça n’a rien à voir avec toi, Cal. Je ne renie rien de ce qui s’est passé entre nous mais c’est fini. Je ne peux plus. Il y a Meredith maintenant. Il prit la main de son amie et la serra.

    Elle osa relever la tête vers lui. Elle était pathétique, elle le savait. Elle pouvait le lire dans ses yeux. Il la regardait avec un petit sourire qui se voulait tendre mais qui en fait n’était empreint que de pitié. C’était intolérable et, malgré cela, elle ne put s’empêcher d’insister. On pourrait se débrouiller pour qu’elle n’en sache rien.

    Mais, moi, je le saurais. Il soupira en se passant la main sur le visage. Tu vois, juste avant de partir à Miami… - il souffla tant ce souvenir était dur à évoquer – j’ai fait une connerie. Je suis allé dans un bar et je me suis tapé une inconnue, comme avant, tu vois. Callie acquiesça d'un hochement de tête. Oh oui, elle connaissait bien les habitudes de Derek. Parfois même, elle l’avait accompagné dans certaines de ses expéditions nocturnes et l’avait vu à l’œuvre. Elle n’ignorait rien des excès dans lesquels il avait parfois besoin de se plonger pour oublier ce mal-être dont il était la proie. Je l’ai repérée, je l’ai draguée, poursuivit Derek d’une voix sourde. J’ai couché avec elle et j’y ai même pris du plaisir.

    Callie se leva pour reprendre un café, légèrement rassurée par cet aveu. Donc, malgré tout l’amour qu’il avait pour sa gamine, Derek avait éprouvé le besoin de la tromper ! S’il l’avait fait une fois, il recommencerait. Rien n’était perdu. Tu l’as dit à Meredith ? l'interrogea-t-elle sur un ton le plus neutre possible.


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  • Depuis qu’elle était arrivée au Sweet Dream ce matin-là, Meredith était comme dans un état second. Elle ne voyait rien, elle n’entendait rien, ni les mines renfrognées de ses collègues de travail, ni leurs commentaires désobligeants. Elle planait littéralement. Elle n’avait jamais expérimenté la moindre drogue mais elle était sûre que même plusieurs doses de l’héroïne la plus pure n’auraient pu la rendre plus euphorique. Elle dressait les tables en fredonnant, passant de l’une à l’autre en dansant légèrement, tournoyant parfois dans un petit éclat de rire, sans se soucier aucunement des regards interloqués de ses camarades. Elle avait trouvé l’homme de ses rêves, elle l’aimait et en était aimée. Rien d’autre ne comptait.

    Depuis que Derek l’avait déposée à la boutique, elle se repassait en boucle les images des évènements de la veille, depuis le moment où elle l’avait aperçu au Gravity jusqu’à ce matin. Mon Dieu qu’elle avait été bête de douter de lui ! Tout n’avait été qu’enchantement, même les non-dits. Elle commençait à bien connaître son amoureux, à le comprendre, et elle savait que ses silences étaient tout aussi révélateurs que ses mots. Et hier soir, l’éclat de ses yeux quand il l’avait vue, son ironie mordante envers Hugh, l’invitation laconique à le rejoindre, son sourire quand il l’avait aperçue à la sortie du pub, la chanson qu’il avait hurlée à tue-tête, tout, absolument tout, signifiait qu’il l’aimait. Jamais sans doute, il ne le lui dirait franchement. Elle devinait qu’il n’était pas homme à faire des déclarations enflammées. Mais après tout, cela importait peu tant que la passion transpirait de chacun de ses actes.

    Et le sexe ! Oh oui le sexe ! Meredith se sentit rougir. Si on lui avait dit, quelques mois plus tôt, qu’elle se livrerait un jour, sans retenue, mais surtout avec autant de plaisir, aux jeux de l’amour, elle n’en aurait rien cru, pas plus qu’elle n’aurait cru que cela prendrait autant d’importance dans sa vie. Réfugiée dans l’arrière-boutique, heureusement déserte, elle s’assit sur un tabouret et ferma les yeux. Aussitôt, les images l’assaillirent. Derek nu sous la douche, leurs baisers, leurs caresses, leurs soupirs, leur jouissance… Cette remémoration fit frissonner la jeune fille. Comme si la scène était en train de se dérouler sous ses yeux, elle se revit lécher et sucer la verge de son amant. Le souvenir fut si vivace qu’elle eut l’impression d’avoir le membre gonflé dans sa bouche, de le sentir palpiter contre son palais. Elle gémit et ses jambes se mirent à trembler sous l’effet de l’excitation. Elle rouvrit les yeux et se leva, tentant de se concentrer sur son travail pour oublier ce qui l’avait mise dans un tel état. Mais le désir était là, et bien là, et Meredith ne parvenait plus à penser à autre chose qu’au plaisir que Derek lui donnait. C’était merveilleux et horrible à la fois. Elle sut qu’elle ne pourrait pas attendre la fin de la journée. Il fallait qu’elle le voie. Maintenant ! Bien sûr, il était sûrement fort occupé et il n’aurait pas de temps à lui consacrer. Mais l’apercevoir, ne fût-ce qu’une seconde, au détour d’un couloir, lui parler, seulement quelques mots, le serrer dans ses bras et, si la chance était avec elle, échanger un furtif baiser, elle ne demandait rien de plus.

    Elle se releva d'un bond et, sans même prendre le temps d’enfiler sa veste, revint dans la salle principale pour passer derrière le comptoir, saisir un sachet et y jeter quelques muffins. Une livraison pour la clinique, dit-elle pour répondre à l’interrogation muette qu’elle lisait dans les yeux de Cristina. Elle sut que celle-ci ne la croyait pas mais cela lui était complètement égal. Rien n’aurait pu l’empêcher de courir jusqu’à la clinique. Ce qu’elle fit à toutes jambes, pressée de retrouver cet homme qui lui faisait perdre toute commune mesure. Elle arriva, essoufflée, dans le grand hall de l’établissement hospitalier et se dirigea immédiatement vers la cage d’escalier, trop impatiente pour attendre l’ascenseur. Elle grimpa à toute vitesse les marches qui la conduisirent au troisième étage, où se trouvait le bureau de Derek. Normalement, elle n’était pas autorisée à pénétrer dans cette partie du bâtiment, réservée uniquement au personnel. Mais elle comptait sur sa chance pour ne pas faire de rencontres inopportunes. Et puis, qui oserait s’en prendre à la petite amie du peu commode Dr Shepherd ?

    Comme elle s’y attendait un peu, elle ne le trouva pas dans son bureau. Sans trop savoir pourquoi, elle y pénétra néanmoins, allant s’installer dans le grand fauteuil de cuir noir qui trônait derrière l’imposante table tout en verre et métal. Elle se cala bien au fond et fit tourner le siège plusieurs fois sur lui-même, en fermant les yeux. N’aurait été ce besoin impérieux de voir son amant, elle serait bien restée là jusqu’à la fin de la journée. Elle rouvrit les yeux et se leva, souriant à l’idée de la surprise que Derek aurait en la voyant. Elle allait avancer quand elle remarqua un bout de papier qui était tombé au pied du bureau. Elle le ramassa et le déplia machinalement, sans vraiment y prêter attention. Il y avait une note manuscrite au dos mais Meredith ne s’y arrêta pas. Elle retourna le papier, déjà prête à le jeter, lorsqu’elle remarqua qu’il portait un en-tête au nom d’un hôtel. Le Sir Francis Drake. Si elle ne se trompait pas, il s’agissait d’un palace situé au centre-ville. Cette fois, elle examina le papier plus attentivement, réalisant qu’en fait c’était une note de bar. Elle fronça les sourcils en découvrant la nature des consommations, whisky et champagne. Soudain alertée, elle regarda plus attentivement le verso et constata que la note manuscrite était en fait un prénom féminin, Madelina, suivi d’un numéro de téléphone. Le cœur de Meredith se mit à battre plus vite. Les mains tremblantes, elle tourna une fois encore le papier pour voir quand la note avait été établie. 21h30, quelques jours plus tôt. Juste avant Miami. Elle fit immédiatement la relation avec la mauvaise humeur de Derek et son silence prolongé. La tête lui tourna et elle dut s’appuyer un instant au bureau pour ne pas tomber.

    Le papier serré au creux de sa paume, elle sortit de la pièce comme une folle, sans savoir ce qu’elle voulait faire, ce qu’elle devait faire. Tout juste si elle savait encore où elle se trouvait. Elle se mit à courir, se heurtant aux murs, bousculant des personnes qu’elle ne voyait même pas, à cause des larmes qui noyaient ses yeux. Ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai. Je me fais des idées, il ne peut pas avoir fait ça, tenta-t-elle de se raisonner. Elle s’arrêta net au milieu d’un couloir, regardant autour d’elle, totalement égarée. Après quelques secondes, elle sut ce qu’elle devait faire. Elle devait trouver Derek et lui parler de cette note. Il lui expliquerait, il la rassurerait, il se moquerait d’elle et ils finiraient par en rire tous les deux.


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  • Meredith reprit plus calmement sa marche à travers l’hôpital, ne sachant pas très bien où trouver Derek, priant pour qu’il ne soit pas au bloc. Elle ne supporterait pas de devoir attendre pour qu’il lui dise qu'elle s'était fait de fausses idées. Oh sans doute la gronderait-il un peu, parce qu’elle avait douté de lui, mais elle était prête à lui présenter des excuses, à se jeter à ses genoux même s’il le fallait, pourvu qu’il lui dise que cette Madelina n’était rien, juste une vague relation professionnelle, une patiente, ou pourquoi pas une cousine venue lui rendre visite, n’importe quoi, mais surtout pas ce qu’elle avait imaginé. Elle le trouva par hasard, en passant devant une salle dont la porte était restée ouverte. Il était assis aux côtés de Callie, dans un canapé qui tournait le dos à l’entrée. Ils ne pouvaient donc pas la voir. Elle allait leur signaler sa présence lorsqu’elle entendit des mots qui la firent se figer. Je suis allé dans un bar et je me suis tapé une inconnue, comme avant, tu vois. Je l’ai repérée, je l’ai draguée. J’ai couché avec elle et j’y ai même pris du plaisir.

    Meredith eut l’impression que son corps se vidait de tout son sang. Elle était là, sans force, ne pouvant rien faire d’autre que d’assister à la scène. Le souffle coupé, elle vit, comme dans un brouillard, Callie se lever et aller jusqu’à la machine à café. Tu l’as dit à Meredith ? l’entendit-elle demander.

    La réponse de Derek finit de l’achever. Non, grands dieux non ! C’est pas ça le problème, de toute façon. J’ai fait ça pour me sentir mieux et… Il n’en dit pas plus. Pendant qu’il parlait, Callie s’était retournée et avait découvert Meredith. Son air horrifié avait alerté Derek qui s’était retourné à son tour. Il comprit que sa petite amie avait surpris leur conversation, du moins la fin, le pire. A le voir perdre toutes ses couleurs en une fois, la jeune fille sut que ses soupçons, qu’elle pensait absurdes la minute d’avant, étaient justifiés. Une douleur incommensurable, plus forte que toutes celles qu’elle avait éprouvées jusqu’alors, la traversa, la faisant se plier en deux, comme si on venait de lui donner un violent coup de poing dans l’estomac. Meredith, commença Derek. Elle se redressa d’un coup et l’arrêta d’un geste de la main. Elle ne voulait pas l’écouter. De toute façon, qu’aurait-il pu dire qui efface ce qu’elle venait d’entendre ? Les mots résonnaient sans fin dans sa tête. J’ai couché avec elle et j’y ai même pris du plaisir. J’ai fait ça pour me sentir mieux. Elle sentit la colère monter en elle, comme un raz-de-marée, enfouissant sa douleur bien loin au fond d’elle. Elle jeta à Derek un regard haineux qui le cloua sur place, et ensuite elle fit demi-tour et repartit en courant. Elle ne pouvait pas rester près de lui. Elle ne supportait pas de le voir pâle, défait, perdu, le regard affolé, comme si c’était lui qui souffrait. Elle ne lui reconnaissait pas ce droit. Elle seule pouvait avoir mal, c’était elle qui avait été trompée, bafouée, humiliée. Son monde venait de s’écrouler, par sa faute à lui.

    Dans la salle, Derek restait le regard fixé sur la porte par laquelle Meredith venait de disparaître, incapable de bouger d’un pouce, comme frappé par la foudre. Il fallut que Callie se mette à crier pour qu’il sorte de sa torpeur. Mais vas-y ! Qu’est-ce que tu attends ? Il faut que tu lui parles. Dépêche-toi, bon sang.

    Il se rua hors de la pièce. Evidemment, Meredith avait déjà disparu. L’accès aux ascenseurs était bloqué par un groupe d’infirmières qui plaisantaient bruyamment. Derek devina que Meredith n’était pas passée par là. Il s’engouffra dans la cage d’escalier. Son instinct ne l’avait pas trompé. Il entendit le bruit de ses pas qui couraient. Meredith, cria-t-il en se lançant à sa poursuite. Attends. Elle répondit quelque chose qu’il ne comprit pas. Meredith, s’époumona-t-il, descendant les marches quatre à quatre. Il la rattrapa enfin sur le palier du premier étage et la saisit par le bras pour l’obliger à s’arrêter. Mer…

    Lâche-moi ! hurla-t-elle en se dégageant violemment. Ne me touche pas ! Tu me dégoûtes.

    Derek la libéra et recula d’un pas, les mains levées en signe d’apaisement, prenant soin toutefois de se mettre devant l’escalier pour l’empêcher de continuer sa descente. Meredith, laisse-moi t’expliquer, je t’en prie, la supplia-t-il, conscient que son destin était en train de se jouer.

    Expliquer ? Il n’y a rien à expliquer, espèce de sale type, vociféra-t-elle. Tout est déjà très clair. Elle ouvrit sa main qui était restée serrée jusqu’à présent et la lui tendit. Je suppose que ça te dit quelque chose.

    Il prit la note du bar et devint blanc comme un linge en découvrant ce dont il s’agissait. Il avait complètement oublié que Madelina lui avait laissé ses coordonnées et il se maudit de ne pas s’en être débarrassé directement. Où est-ce que tu as trouvé ça ? demanda-t-il d’une voix d’outre-tombe.

    Au pied de ton bureau. Pas de chance ! lança Meredith, folle de rage. Je voulais te faire une surprise. Eh bien, on dirait que la surprise a été pour moi. Laisse-moi passer, ordonna-t-elle sèchement, en essayant de se faufiler entre lui et le mur. Il fallait qu’elle s’en aille, qu’elle lui échappe. Elle ne supportait plus d’être là. Elle n’arrivait même plus à le regarder en face.

    Il se déporta pour lui barrer le passage. Laisse-moi une chance, l’implora-t-il.

    Mais je n’ai fait que ça depuis le début, s’écria Meredith, exaspérée. A chaque fois que tu as pété les plombs, quand tu m’as plantée après notre première fois, ou à Aspen ou la semaine passée. Ses larmes se mirent à couler pendant qu’elle se remémorait la façon dont il l’avait traitée quelques jours plus tôt. Elle en connaissait la raison maintenant. Elle se recula précipitamment lorsqu’il voulut la prendre dans ses bras. Je t’ai tout donné, Derek. Il ouvrit la bouche mais elle ne le laissa pas parler. Je croyais… je croyais que tu étais comblé, bredouilla-t-elle. Mais je me trompais manifestement, sinon tu ne serais pas allé voir ailleurs, conclut-elle, à nouveau mordante.

    Non, non, protesta vigoureusement Derek. La voir dans cet état, par sa faute, sans rien pouvoir faire, c’était vraiment trop horrible. Il avait envie de la serrer contre lui mais il sentait que s’il faisait le moindre geste vers elle, il aggraverait encore les choses. Ça n’a rien à voir avec ça.

    Avec quoi alors ? Meredith regretta aussitôt d’avoir posé cette question. Aucune justification ne lui permettrait de pardonner la trahison dont elle était la victime.


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  • La porte du palier s’ouvrit sur une infirmière qui s’arrêta net en découvrant le couple. Un seul regard et elle sut qu’elle venait d’interrompre une dispute. Oops ! On dirait que je dérange, dit-elle avec un regard légèrement moqueur à l’adresse du chirurgien.

    Dégage, aboya Derek. L'infirmière referma la porte avec un grand sourire.

    Une de tes conquêtes, sans doute, ironisa Meredith. Elle avait toujours su que cet endroit était truffé de femmes avec lesquelles Derek avait couché. Il ne s’en était jamais caché par ailleurs. Mais en cet instant, elle ne pouvait plus le supporter, comme si elle ouvrait enfin les yeux sur la personne qu’il était vraiment : un infâme salaud usant des femmes pour son bon plaisir et les jetant après usage.

    Oui. Non. Enfin, c’était avant toi, se justifia-t-il, se reprochant immédiatement de ne pas avoir nié. Sa situation était suffisamment grave sans en rajouter. Il savait qu’au plus petit mot mal interprété, à la moindre maladresse, son cas serait réglé.

    Oh avant ou pendant, tu ne fais pas trop la différence, de toute évidence, se moqua douloureusement Meredith. Laisse-moi passer.

    Meredith, je t’en supplie. Ecoute-moi. Derek se pencha pour essayer de planter son regard dans celui de la jeune fille. Cela lui fit mal de la voir tourner la tête. Je t’aime, avoua-t-il en désespoir de cause.

    Meredith avait tellement attendu qu’il le lui dise et maintenant qu’il l’avait fait, ça n’avait plus aucune espèce d’importance. Tais-toi, gronda-t-elle. L’amour ? Tu ne sais pas ce que c’est.

    Derek avança la main pour lui prendre la sienne mais s’en abstint devant le regard furibond qu’elle lui lança. Tu as raison, je ne sais pas. Ou plutôt, je ne savais pas avant toi, précisa-t-il avec fougue. Et ça m’a pris du temps pour l’accepter…

    Meredith lui coupa vivement la parole. Oui, c’est vrai que c’est pénible, au point que tu doives te taper une inconnue pour te sentir mieux. Elle sentit la rage l’envahir à nouveau. Eh bien, rassure-toi, ça va être beaucoup plus facile pour toi maintenant. Nous deux, c’est fini. Elle le poussa avec force sur le côté pour reprendre sa descente.

    Il sauta trois marches et revint se planter devant elle pour l’empêcher de continuer. Non, non, ce… ce n’est pas possible, bafouilla-t-il, horrifié par ce qu’elle venait de dire. Tu ne peux pas me quitter justement le jour où je te dis je t’aime pour la première fois. 

    Meredith ricana. On parie ? Ton je t’aime ne veut plus rien dire pour moi, Derek, se remit-elle à crier. Chez moi, quand on aime, on ne trompe pas. L’idée que cet homme qu’elle aimait tant, dont elle était encore si proche quelques heures auparavant, s’était abandonné dans les bras d’une autre lui était intolérable. Des images lui apparurent qu’elle chassa immédiatement. Elle remonta deux marches à reculons, pour mettre plus de distance entre eux. Il ne fallait surtout pas qu’il l’approche, qu’il la touche, qu’il tente quoi que ce soit. J’aurais peut-être pu comprendre si ça s’était passé au début de notre relation mais là… Après la maison du parc, après Aspen, après tout ce qu’on a vécu… Comment as-tu pu me faire ça, Derek ? Elle éclata en sanglots.

    Il était prêt à implorer son pardon quand il entendit des bruits confus venant des autres étages. Il comprit que l’infirmière avait donné l’alerte et que tout le personnel disponible s’était réuni dans la cage d’escaliers pour assister à la scène. Meredith, on devrait parler de tout ça plus tard, ailleurs, suggéra-t-il à mi-voix.

    Elle aussi avait entendu le remue-ménage et savait qu’ils n’étaient plus seuls dans cet espace où tout résonnait. Dans quelques heures, le récit de leur dispute aurait fait le tour de l’établissement, ajoutant un chapitre aux aventures du Dr Shepherd. Elle ne tenait pas à se donner plus en spectacle. Il n’y a plus rien à dire. Pour moi, cette histoire est terminée, annonça-t-elle d’un ton las. 

    Affolé, Derek revint vers elle, en brandissant son pouce en l’air. Une erreur, Meredith, une seule erreur ! Tu ne peux pas tout foutre en l’air juste pour ça, plaida-t-il.

    Elle secoua la tête. C’est toi qui as tout foutu en l’air, pas moi !

    OK, j’ai fait une connerie, reconnut Derek dans un murmure, pour ne pas être entendu des autres. Mais on n’avait jamais fixé de règles. On était dans une relation libre, je te rappelle.

    Les yeux de Meredith s’arrondirent sous l’effet de la surprise. C’est ça que tu appelais une relation libre ? Enervée, elle ne se rendit pas compte qu’elle haussait à nouveau le ton. Qu’est-ce que tu as cru, Derek ? Que je t’avais signé un chèque en blanc pour baiser qui tu voulais quand tu voulais ? Et puis, libre pour qui ? Juste pour toi, parce que moi, j’avais juste le droit d’être à ta disposition. Tu es à moi, le singea-t-elle, sans se soucier aucunement des rires étouffés émis par les témoins indiscrets. Mais toi, tu n’étais pas à moi, fulmina-t-elle.

    Si, bien sûr, chuchota Derek avec des regards inquiets vers les étages supérieurs. Ces filles n’ont absolument pas compté. Il réalisa immédiatement la bombe qu’il venait de lâcher. Mais c’était trop tard. Essayer de se rattraper ne ferait que renforcer son image de menteur.

    Meredith sursauta. Ces filles ? Parce qu’en plus il y en a eu plusieurs ? Alors, tu viens encore de me mentir, il n’y a pas eu qu’une seule erreur. Elle eut un haut-le-cœur. Il faut que je parte. Tu me donnes envie de vomir ! Laisse-moi passer maintenant.

    Derek allait à nouveau plaider sa cause lorsque son bipeur sonna. Il sortit son appareil de sa poche et vit qu’il était attendu de toute urgence en salle d’opération. Vraiment, ça ne pouvait pas plus mal tomber. Laisser Meredith partir maintenant, dans cet état, sans avoir pu obtenir d’elle qu’elle veuille bien écouter ses arguments, c’était comme condamner à mort leur relation. Bébé, gémit-il.

    Elle l’interrompit en criant. Ne m’appelle plus jamais comme ça. D’ailleurs, ne m’appelle plus jamais, exigea-t-elle sur un ton presque menaçant. Pour moi, c’est comme si tu n’avais jamais existé. Derek blêmit et s’adossa, tremblant, contre le mur. Cette fois, il ne tenta plus de la retenir tandis qu’elle dévalait les quelques marches qui la séparaient de la sortie.


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