• Je ne crois pas que Derek Shepherd s’abaisserait à ça pour une fille à laquelle il ne tiendrait pas, fit remarquer Jackson.

    Peut-être. Meredith baissa la tête pour cacher son émotion. Tous les témoignages étaient unanimes. Leur rupture avait rendu Derek malheureux comme les pierres. Il regrettait ses erreurs et était bien décidé à se faire pardonner. Dans les nombreux textos qu’il continuait malgré tout de lui envoyer, comme dans les messages qu’il lui laissait quotidiennement sur la boite vocale de son téléphone, il ne cessait de lui crier son amour. C’était tendre, c’était désespéré, c’était beau, c’était tout ce qu’elle avait envie d’entendre mais elle ne savait toujours pas si elle pouvait y croire. Sa méfiance restait plus forte que tout. Sa peur aussi. Elle avait tellement souffert en réalisant que Derek n’était pas le prince charmant qu’elle avait imaginé. Si elle décidait de lui donner une autre chance et qu’il la déçoive encore une fois, elle n’y survivrait pas.

    En tout cas, moi, à ta place, je sais ce que je ferais, déclara Taylor d’un ton sans réplique.

    Jackson fit un clin d’œil en direction de Meredith. Je suis curieux d’entendre ça.

    La jolie lycéenne les dévisagea avec un air supérieur. Je repartirais dare-dare à San Francisco, j’irais sonner chez Derek et je lui apprendrais ce que c’est qu’une vraie réconciliation sur l’oreiller.

    Les deux autres pouffèrent de rire. C’était amusant de voir cette jeune fille jouer les femmes expérimentées. Je doute que tu aies quoi que ce soit à apprendre à Derek Shepherd, surtout en ce domaine, plaisanta Jackson. Meredith eut un sourire entendu. Oui, pour tout ce qui concernait le sexe, Derek n’avait de leçon à recevoir de personne.

    Taylor jeta les yeux au ciel. Toujours est-il que si j’avais la chance de connaître un mec comme celui-là, je ne perdrais pas mon temps dans ce bled. J’irais m’éclater avec lui. Elle regarda Meredith d’un air sévère. En plus, c’est pas le genre de gars qu’on laisse tout seul aussi longtemps, Mer. Tu joues un jeu dangereux.

    Ça veut dire quoi, ça ? demanda Jackson, le front barré de plis.

    Ça veut dire que ce mec est canon, Jacks, s’égosilla Taylor. Il était déjà sexy sur les photos de Momsy, mais maintenant… maintenant, il est torride, s’exclama-t-elle. Tu le verrais… Il est… tellement… tellement… Elle soupira. Il a de ces yeux… d’un bleu et son sourire ! Celui de la jeune fille était extatique et son regard brillait. Meredith sentit l’énervement la gagner. Elle était bien consciente de l’effet que Derek avait sur les femmes mais le constater en direct, c’était difficilement supportable, surtout compte tenu des circonstances. Cela lui rappelait que, si elle décidait de renouer avec lui, il lui faudrait supporter ce type de comportement au quotidien et elle doutait d’y arriver. Elle se tassa sur son siège, l’air contrarié. Tu vois ce mec, t’as envie de coucher avec lui, j’te jure, Jackson, conclut Taylor, toujours aussi exubérante.

    Le jeune homme sourit. Ah ça, je veux bien te croire. D’après le témoignage de Taylor, les années n’avaient pas nui au charme de ce cher Derek, que du contraire. Il semblait avoir fait autant d’effet à la lycéenne qu’il lui en avait fait douze ans plus tôt. Si je me souviens bien, il était plutôt… pas mal.

    Pas mal ? Ben, oublie tes souvenirs. Ça n’a plus rien à voir ! s’enthousiasma la jeune fille d’une voie aigüe. Ce mec est une tuerie. Moi, il ne devrait pas me le demander deux fois.

    Cette fois, Meredith ne put plus se taire. Hé, ça va, vous deux ? Je ne vous dérange pas ? C’est de mon copain dont vous êtes en train de parler.

    Taylor et Jackson la corrigèrent de concert. Ton ex-copain.

    Ouais, ben, peu importe, grogna-t-elle. Ex ou pas, il n’est pas pour vous. On ne vous a jamais dit que ça ne se faisait pas de vouloir sortir avec l’ex petit-ami d’une amie ?

    Non, répondirent-ils en riant. T’es au courant de ça, toi ? feignit de s’inquiéter Jackson. Taylor lui répondit en faisant de grands hochements de la tête, les yeux écarquillés, comme si elle venait d’entendre une insanité. Puis, il est célibataire, non ? insista le jeune homme. Il est libre de faire ce qu’il veut, il me semble.

    Ta gueule ! laissa échapper Meredith, au comble de l’énervement.

    C’était tellement incongru dans sa bouche que ses deux camarades éclatèrent de rire. Bon, ben, maintenant, c’est clair, décréta Taylor, une fois son hilarité calmée. Meredith et Derek, c’est pas fini.

    Pour le moment, si, répliqua Meredith. Et ça le sera tant que je ne serai pas sûre que je peux lui faire confiance.

    Ce n’est pas en restant cachée ici et en l’évitant que tu vas le savoir, souligna Jackson. Tu ne crois pas que ce serait mieux pour vous deux de vous voir et de mettre tout à plat ?

    Je ne sais pas, répondit Meredith d’une toute petite voix. Peut-être bien. Elle savait, bien sûr, qu’elle ne pourrait pas profiter éternellement de l’hospitalité de Momsy, qu’il lui faudrait un jour affronter la réalité, c’est-à-dire Derek. Mais elle voulait rester à l’abri encore un peu. Elle l’aimait encore. Elle l’aimait tellement qu’elle redoutait qu’une fois en face de lui, elle n’ait plus la force d’être en colère. Or cette colère était la seule chose qui la retenait de rentrer à San Francisco et de se jeter dans les bras de celui qui lui avait fait tant de mal. Rester à Santa Rosa lui permettait d’entretenir cette colère et de ne pas pardonner. Rester à Santa Rosa lui permettait de ne pas perdre la face.


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  • Meredith regarda Taylor entrer dans la maison, après leur avoir adressé un dernier signe de la main. Tu crois qu’on a réussi à la convaincre, pour Mark ?

    Jackson fit un signe de dénégation. Non. Quand elle a une idée en tête, elle ne l’a pas ailleurs. Elle sait qu’elle lui plait, regretta-t-il avec une expression de dégoût sur le visage. Dès qu’il remettra les pieds ici, elle passera à l’attaque.

    Meredith souffla de dépit. Pfft ! Ça promet ! Déjà que j’ai passé mon week-end à les coller, pour éviter qu’ils se retrouvent en tête-à-tête. Je connais des façons plus agréables de passer son temps.

    Pourquoi tu fais ça ? s’étonna le jeune homme. Ils n’ont qu’à se débrouiller après tout.

    J’ai pas vraiment envie de voir Mark derrière des barreaux, figure-toi, répliqua Meredith.

    Jackson lui sourit. Ça n’arrivera pas. Si Sloan ne craint pas la taule, il a peur de sa grand-mère. Il ne franchira pas certaines limites.

    Meredith soupira. On n’a plus qu’à l’espérer. Tu ne l’aimes pas beaucoup, hein ! lui dit-elle dans l’espoir qu’il lui révèlerait les dessous de son histoire avec Mark.

    Non, pas beaucoup, reconnut-il. Et c’est réciproque. On n’a pas grand-chose en commun, lui et moi. C’était faux, et il le savait. Il était étroitement lié à Mark Sloan et c’était précisément la cause de leur inimitié.

    A son air fermé, sa camarade comprit qu’il ne lui en dirait pas plus. Bon, je vais aller me coucher. Toi, essaie d’aller dormir un peu, tout de même, lui conseilla-t-elle en sautant en bas du pick-up.

    Il fit la grimace. Si je vais me coucher maintenant, je n’aurai plus le courage de me lever quand il sera l’heure. Alors, autant continuer sur ma lancée.

    Après l’avoir salué d’un sourire, Meredith referma la portière. Elle regarda la voiture s’éloigner avant de se diriger vers la maison. Jackson était vraiment un chouette garçon, attentif aux autres et de bon conseil. Elle se sentait en confiance avec lui. Elle n’avait peut-être pas de chance en amour mais en revanche, elle avait le nez fin pour ce qui était de choisir ses amis, du moins depuis qu’elle avait débarqué à San Francisco. Mark et puis Jackson… Etonnant d’ailleurs que ces deux-là ne s’entendent pas. Meredith, votre prochaine mission, si toutefois vous l’acceptez, sera de réconcilier ces deux hommes, chuchota-t-elle en parodiant la série "Mission Impossible".

    Elle entra dans la maison encore endormie et avança sur la pointe des pieds dans le couloir qui menait à sa chambre. En passant devant celle de Momsy, elle vit qu’un rai de lumière filtrait en-dessous de la porte. Rien d’étonnant à cela. Momsy était insomniaque et elle passait le plus clair de ses nuits à bouquiner ou à regarder de vieux films. Je vais la prévenir qu’on est rentré, se dit Meredith. Elle frappa deux petits coups mais n’obtint pas de réponse. Elle ouvrit précautionneusement la porte, s’efforçant de faire le moins de bruit possible, et passa sa tête dans l’entrebâillement. Elle aperçut alors, éclairée par un rayon de lune, la silhouette de la vieille dame, assise dans son fauteuil qui était tourné vers la fenêtre dont les rideaux n’étaient pas tirés. A côté, par terre, gisait un album photo. Meredith entra et referma derrière elle. Momsy ? chuchota-t-elle, au cas où son hôtesse serait endormie. Il n’y eut pas de réaction. Momsy, redit-elle à peine plus fort, en déposant son sac à l’entrée de la pièce. N’obtenant toujours pas de réponse, elle souffla en secouant la tête. Vous n’êtes pas raisonnable tout de même, maugréa-t-elle entre ses dents, en avançant à pas de loup, de peur de réveiller trop brusquement Momsy. Regarder des photos jusqu’à pas d’heure et vous endormir dans votre fauteuil, à votre âge ! Vous seriez mieux dans votre lit tout de même. Elle arriva près de l’aïeule dont la tête était légèrement inclinée en arrière, un doux sourire flottant sur ses lèvres. La jeune fille la regarda avec tendresse. Peut-être rêvait-elle de ses jeunes années à Hollywood ou, plus vraisemblablement, d’Edward, sujet qu’elle s’était plu à évoquer souvent, ces derniers jours, pour le plus grand plaisir de sa jeune amie.

    Après avoir ramassé l’album qui était resté ouvert sur les images de ce bonheur passé, Meredith hésita un instant sur ce qu’il convenait de faire. Momsy dormait si bien que c’était dommage de la déranger. Mais d’un autre côté, la laisser dans ce fauteuil, c’était lui assurer de douloureuses courbatures. Ce fut à contrecœur qu’elle se décida à la réveiller. Momsy, appela-t-elle à voix basse, en posant sa main sur le bras de l'endormie pour la secouer doucement. La tête de Momsy tomba sur son épaule sans que l’expression de son visage ne change en rien. Meredith se sentit blêmir. Refusant de croire à ce que son instinct lui disait, elle parla un peu plus fort, en intensifiant sa pression. Momsy. Cette fois, ce fut tout le buste de la vieille dame qui s’affaissa. Momsy, répéta la jeune fille bien que convaincue maintenant qu’elle n’obtiendrait plus jamais de réponse. Et pourtant, elle ne pouvait s’y résoudre. Momsy, je vous en prie, non, se mit-elle à supplier, en commençant à pleurer. Ne me laissez pas. Vous ne pouvez pas. Pas encore. Revenez, Momsy. J’ai encore besoin de vous. Et Mark aussi. Pensez à lui. Mais Momsy était déjà partie et plus rien ne pourrait la ramener. Meredith le savait, il n’y aurait pas de miracle. De grosses larmes roulant sur ses joues, elle marcha à reculons jusqu’à buter contre un tabouret, sur lequel elle se laissa lourdement tomber. Elle avait l’impression d’être seule au monde, comme orpheline. La vieille dame avait l’habitude d’évoquer son prochain départ et pourtant, Meredith n’avait jamais envisagé que cela se produise, pas si vite. Elle venait à peine de la rencontrer, elle avait encore tant de choses à apprendre d’elle. Mais c’était fini, il n’y aurait plus de soirée devant la télévision, plus de révélations sur les anciennes stars de cinéma, plus de débats sur les hommes et l’amour, plus de confidences. Tout cela appartenait déjà au passé.

    Meredith se releva péniblement, comme si elle avait tout le poids du monde sur les épaules. Le pire restait à venir : prévenir Mark que sa grand-mère chérie était partie pour un monde que l’on disait meilleur. Elle se traîna jusqu’à l’endroit où elle avait abandonné son sac et ramassa celui-ci pour y prendre son téléphone. Ses yeux étaient tellement noyés de larmes qu’elle dut se reprendre à trois fois pour composer le numéro.


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  • Son interlocuteur décrocha après seulement deux sonneries. Meredith ?

    Oui, c’est moi, répondit-elle d’une voix blanche.

    Derek bondit hors du fauteuil où il s’était installé pour attendre le début du jour. Depuis que Meredith l’avait quitté, il souffrait d’insomnie. Cette nuit comme toutes celles qui l’avaient précédée, il s’était tourné et retourné dans son lit, ne réussissant à fermer l’œil que par intermittence, avant de se résoudre à se lever. Il ruminait sur la vanité de son existence lorsque la sonnerie de son téléphone avait résonné. Il avait cru que son cœur allait exploser lorsqu’il avait vu s’afficher sur son écran le prénom de celle qui occupait toutes ses pensées. Meredith, répéta-t-il dans un soupir. Enfin… La jeune fille ne réagit pas. Derek remarqua alors qu’il était presque cinq heures du matin. Il comprit qu’elle ne l’appelait pas pour parler de leur relation. Meredith, qu’est-ce qui se passe ? lui demanda-t-il, subitement anxieux.

    Derek, j’ai… Elle s’arrêta, incapable d’en dire plus.

    Il sut en entendant sa voix étranglée que quelque chose n’allait pas. Meredith, qu’est-ce qu’il y a ? insista-t-il. Dis-moi.  

    C’est Momsy. Elle… Meredith eut un long sanglot.

    Derek chancela, avec la sensation que tout son corps se glaçait. Momsy ? répéta-t-il, redoutant déjà de connaitre la triste raison pour laquelle Meredith l’avait appelé.

    Elle est… elle est… partie, hoqueta celle-ci. On vient de rentrer d'une soirée et… je l'ai trouvée. Oh Derek. Elle essuya maladroitement, du revers de la main, les larmes qui inondaient son visage.

    Incrédule, désemparé, Derek ne dit rien. Il lui fallut un moment pour réaliser ce que ce départ – comme Meredith, il ne pouvait se résoudre à parler de mort – allait avoir comme conséquence. Sa première pensée fut pour Mark. Il imagina sans peine l’état dans lequel son ami serait une fois qu’il aurait appris la terrible nouvelle. Ce n’était pas exagéré que de dire que Momsy était la femme de sa vie. Mon dieu ! Ce pauvre Mark, dit-il sur un ton apitoyé.

    C’est pour ça que je t’ai appelé. Meredith prit une profonde inspiration pour tenter de retrouver son calme. Je voulais le prévenir moi-même mais je n’ai pas le courage et…

    Derek hocha lentement la tête. Non, non, c’est à moi de faire ça. Je vais… je vais m’occuper de tout, ne t’en fais pas.

    La jeune fille sentit son cœur s’alléger un peu. Merci. Elle revint s’asseoir sur le tabouret et regarda Momsy. Elle est assise dans son fauteuil, elle sourit, raconta-t-elle à Derek. On dirait qu’elle dort et qu’elle va se réveiller. On ne dirait pas que…

    Il l’entendit pleurer à nouveau et eut mal pour elle. Elle avait déjà subi tant d’épreuves ces derniers temps et il fallait qu’elle ait encore à endurer celle-ci. Bébé, tu ne dois pas rester là. Tu ne peux plus rien faire pour elle, maintenant.

    Meredith ne nota même pas le petit nom tendre qu’il venait de lui donner. Je ne peux pas la laisser toute seule, Derek, protesta-t-elle.

    Alors, va chercher quelqu’un. Il devinait que le décès de Momsy l’avait profondément atteinte, d’autant plus que c’était elle qui avait découvert le corps. Elle était tellement sensible. Il ne supportait pas l’idée qu’elle ait à vivre ça sans personne à ses côtés. Va prévenir Jackson ou qui tu veux, mais ne reste pas seule. D’accord ?

    D’accord, murmura-t-elle. Tu vas aller chez Mark maintenant ?

    Derek soupira. Oui. Oui, je vais y aller. Ils se turent un instant, pensant tous deux à leur ami et aux moments difficiles qu’il allait traverser. Je suis content que tu aies pensé à m’appeler, reprit enfin Derek.

    C’est normal. Je sais que tu feras ce qu’il faut pour Mark. Meredith raccrocha de peur qu’il n’aborde un sujet qu’elle ne se sentait pas la force de discuter maintenant. Contrairement à ce qu’elle lui avait promis, elle ne bougea pas, le regard fixé sur Momsy. Lorsqu’elle était arrivée à l’Hacienda, celle-ci l’avait aussitôt adoptée comme un membre de sa famille. Elle l’avait écoutée, sans jamais la juger. Elle l’avait conseillée, de façon toujours judicieuse, sans vouloir lui imposer quoi que ce soit. Grâce à elle, Meredith avait l’impression d’avoir mûri. Mais ce qu’elle retiendrait surtout des moments partagés avec Momsy, c’était leur complicité et leurs rires. Malgré les quelque soixante années qui les séparaient, Meredith avait trouvé en elle une véritable amie.

    Tout à coup, elle se revit la veille, quand elle était entrée dans sa chambre, juste avant de partir. Momsy était dans son fauteuil, quasiment dans la même position dans laquelle la mort allait la surprendre quelques heures plus tard. Elle avait examiné Meredith de haut en bas. Te voilà bien jolie !

    La jeune fille s'était esclaffée. Jolie, moi ? Première nouvelle !

    Bien sûr que tu es jolie ! Si ce n’était pas le cas, Derek ne serait pas tombé amoureux de toi, avait affirmé Momsy. A propos, quand est-ce que tu l’appelles ?

    Meredith l’avait regardée avec une tendresse mêlée d'amusement. Vous n’abandonnez jamais, vous ! Momsy lui avait rendu son regard, avec un grand sourire. Un klaxon s’était fait entendre et Meredith s’était penchée pour déposer un baiser sur la joue de Momsy. Je dois y aller. Je vous raconterai tout demain.

    Mais j’y compte bien ! C’était sur ces mots que Meredith était partie, après avoir fait un dernier signe de la main.

    Dans cette chambre où le jour pénétrait peu à peu, elle décida de respecter sa promesse. Après l’avoir réinstallée convenablement, elle s’assit aux pieds de la vieille dame, prit sa main déjà froide entre les siennes et posa sa tête sur ses genoux, comme elle en avait l’habitude. Je suis sûre que vous êtes impatiente de savoir comment ça s’est passé, commença-t-elle en sanglotant. C’était bien, vraiment bien. Il y avait beaucoup de monde et…


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  • Recroquevillée dans un fauteuil, Meredith, les yeux gonflés d’avoir trop pleuré, échangea un regard avec Taylor, qui s’était postée à la fenêtre pour guetter l’arrivée de Mark. L'adolescente fit un signe de dénégation. Meredith soupira. Voilà presque trois heures qu’elle avait prévenu Derek. Pourquoi Mark n’était-il pas encore là ? Elle releva la tête à l’entrée de Frances. Ils ont fini ? lui demanda-t-elle, la voix éteinte.

    Oui, répondit la gouvernante, le regard chaviré. Elle est très belle. Tu peux aller la voir, si tu veux.

    Meredith secoua la tête. Elle avait passé un long moment avec Momsy, lui racontant sa soirée dans les moindres détails. Elle ne l’avait quittée que pour annoncer à Frances la triste nouvelle. Maintenant, elle ne se sentait plus le courage d’y retourner pour admirer l'œuvre des pompes funèbres. Vous savez où est Jackson ? s’enquit-elle. Après avoir averti Frances, elle s’était rendue aux écuries. Il avait suffi que Jackson la voie pour qu’il comprenne. Il avait couru jusqu’à la maison pour aller s’effondrer en pleurs aux pieds de Momsy. Il n’en était sorti qu’à l’arrivée du médecin, venu constater le décès. On ne l’avait plus revu depuis.

    Frances eut un sourire triste. A l’écurie, je suppose. C’est toujours là qu’il se cache, quand il ne va pas bien.

    Meredith fronça légèrement les sourcils. Je devrais peut-être aller le voir.

    Mer ! s’écria brusquement Taylor. Il est là, sa voiture remonte l’allée. Meredith comprit à son expression qu’elle parlait de Mark. Elle s’élança pour aller à la rencontre de son ami. Oh ! Derek est avec lui, ajouta sa camarade, avec une légère intonation d’étonnement.

    Meredith s’arrêta net. Elle revint en arrière et rejoignit Taylor à la fenêtre, juste à temps pour voir le Hummer s’arrêter devant la maison. Elle reconnut la silhouette de Derek au volant du véhicule et sentit aussitôt son cœur qui s’emballait. Elle ne s’attendait pas à revoir son ex petit-ami maintenant. Elle savait qu’il assisterait à l’enterrement, bien sûr, mais elle n’avait pas pensé à la possibilité qu’il accompagne son ami. Rien de ce qu’il avait dit au téléphone ne l’avait laissé supposer. Mais au fond, elle n’était pas vraiment surprise. Il aimait et respectait Momsy. Mark était son meilleur ami. Il était donc normal qu’il soit là. Meredith observa les deux hommes descendre de voiture et ressentit une peine extrême en voyant Mark qui, à peine le pied posé par terre, tournait les yeux vers la fenêtre de la chambre de sa grand-mère. Elle se dit alors, que, par rapport à l’épreuve qu’il était en train de vivre, ses problèmes personnels avec Derek ne pesaient pas bien lourd. Il était hors de question de les laisser interférer. Mark était leur ami et il allait avoir besoin d’eux. Elle ferait donc bonne figure. Il serait toujours temps de régler les comptes après. Malgré son appréhension – comment allait-elle réagir face au chagrin de Mark, et aussi devant Derek qu’elle n’avait plus vu depuis leur rupture ? – elle décida d’aller les accueillir. Elle arriva sur le perron au moment où Jackson, qui venait de l’écurie, rejoignait les chirurgiens pour leur serrer la main, avec plus de chaleur envers Derek qu’envers Mark, lui sembla-t-il. Pendant qu’ils échangeaient quelques mots, elle ne put quitter des yeux le dos de Derek. Etre seulement à quelques mètres de lui, lui procura une émotion intense. A nouveau, elle espéra avoir la force de gérer les sentiments très contradictoires qu'elle ressentait.

    Tout à coup, Jackson tourna la tête et l’aperçut. Je crois que Meredith vous attend, dit-il simplement, avec un léger signe du menton dans sa direction. Mark et Derek se retournèrent dans un même mouvement. Derek eut l’impression que tout son corps se tendait vers la jeune fille. Elle était si belle, plus encore qu’avant, trouva-t-il, comme si le chagrin avait magnifié sa beauté. Si les circonstances avaient été différentes, il aurait couru vers elle pour la prendre dans ses bras, lui dire qu’il l’aimait et implorer son pardon. Il se contenta de rester en retrait tandis que Mark allait à sa rencontre. L’heure n’était pas aux explications. Ils n’étaient là que pour aider leur ami à surmonter la douloureuse épreuve qu’il était en train de traverser.

    Au bas de l’escalier, Meredith courut pour se jeter dans les bras de Mark. Je suis tellement désolée, lui murmura-t-elle, se faisant violence pour ne pas éclater en sanglots. Emu, la gorge trop serrée pour dire quoi que ce soit, il la serra fortement contre lui, ses lèvres effleurant ses cheveux. A nouveau, il regarda la bâtisse, ne parvenant pas à se faire à l’idée que, derrière ces murs, sa grand-mère n’était plus qu’un corps sans vie. Meredith le sentit trembler et leva la tête vers lui. Mark… Il la rassura d’un faible sourire et s’écarta pour se tourner vers Derek. Celui-ci s’avança lentement vers eux, sans quitter une seconde Meredith des yeux. Elle sut alors qu’elle avait eu raison d’avoir peur de se retrouver en sa présence. La magie était toujours la même et le revoir, en n’étant plus avec lui, était une véritable épreuve. Bonjour, lui dit-elle simplement, tout en restant collée à Mark, de crainte qu’il ne s’approche plus près. Elle avait beau être déterminée, elle craignait que son cœur, et surtout son corps, ne prenne le dessus sur sa raison.

    Derek comprit parfaitement le message et garda ses distances. Bonjour, Meredith, se contenta-t-il de répondre, une expression douloureuse dans les yeux. Il ne s’attendait certes pas à des effusions mais au moins à un salut un peu plus amical, un baiser sur la joue même, en tout cas pas à une telle froideur. Sans doute s’était-il fait trop d’illusions après son appel. Face à la jeune fille, il se rendait compte que si le temps avait quelque peu émoussé sa colère, le pardon n’était pas encore à l’ordre du jour. Il se raccrocha avec l’énergie du désespoir à ce que Momsy lui avait dit, quelques jours plus tôt. Rien n’est perdu, tu sais. Elle t’en veut, bien sûr, mais ça ne signifie pas qu’elle ne t’aime plus. Tant qu’il serait convaincu qu’il avait une chance, même infime, de reconquérir Meredith, il n’abandonnerait pas. Il emboîta le pas au couple qui avançait, enlacé, vers la maison. Pour cela, il aurait tout donné pour être à la place de Mark.

    Dans le grand hall, celui-ci regarda autour de lui, comme s’il s’attendait à voir surgir sa grand-mère. C’était tellement bizarre d’être là et de se dire que plus jamais sa voix ne résonnerait dans ces murs, que sa petite silhouette ne trotterait plus dans les couloirs. Il se demanda s’il aurait la force d’encore revenir à l’Hacienda maintenant qu’elle avait perdu son âme. Il abaissa des yeux éperdus de douleur vers Meredith. C’est horrible comme elle me manque déjà, lui avoua-t-il dans un murmure. Elle opina de la tête, tandis que quelques larmes recommençaient à couler sur ses joues. Il se pencha vers elle et déposa un baiser sur son front avant de se retourner vers Derek. Le moment est venu de lui dire au revoir, mon ami.


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  • Frances regarda sa fille et Meredith d’un air indécis. Je devrais peut-être préparer le petit-déjeuner. Nous, on n’a pas faim, mais les garçons ? Je doute qu’ils aient pris le temps de manger ce matin.

    Les trois femmes sursautèrent en entendant la voix de Derek. C’est très gentil, Madame, mais je crains que nous n’ayons pas très faim, nous non plus.

    Meredith se retourna et le vit à la porte de la cuisine. Elle constata, non sans satisfaction, que Momsy avait vu juste, il avait maigri. En outre, il avait l’air fatigué d’un homme qui ne dort plus beaucoup et un voile de tristesse dans le regard. Malheureusement, cela ne faisait que rajouter à son charme. Où est Mark ? l’interrogea-t-elle en découvrant qu’il était seul. Elle se sentait plus à l’aise lorsque leur ami était dans les parages.

    Je l’ai laissé avec sa grand-mère, lui apprit Derek avec un regard si intense qu’elle ne put le soutenir. Elle se détourna et, pour se donner une contenance, se mit à jouer avec le sucrier qui traînait sur la table. Derek baissa la tête, totalement décontenancé. Comment allait-il pouvoir renouer le dialogue avec elle si elle continuait à l’éviter de la sorte ?

    Frances, à qui Momsy avait raconté leur histoire dans les grandes lignes, remarqua l'air abattu de Derek et eut pitié de ce dernier. Tu viens ? Il faut préparer les chambres pour ces messieurs, dit-elle à sa fille en lui posant une main sur l'épaule. Peut-être que si ces jeunes gens qui s’aimaient encore, c’était manifeste, se retrouvaient seuls, ils arriveraient à se dire les choses qui leur tenaient à cœur.

    Taylor jeta un regard épouvanté à sa mère. Quoi ? Tout de suite ? Elle n’avait aucune envie de quitter cette cuisine où risquait d’avoir lieu la première confrontation entre Meredith et Derek depuis leur séparation. Il y avait une telle tension, et pas seulement nerveuse, entre ces deux-là que cela ne pourrait qu’être intéressant à voir. De plus, Taylor espérait que Mark, qu’elle n’avait fait qu’entrevoir, ne tarderait pas à arriver. Elle était pressée de lui présenter ses condoléances mais, surtout, de vérifier que son impression du dernier week-end était la bonne.

    Oui, tout de suite, confirma énergiquement Frances, en lui faisant les gros yeux. Taylor se leva en soufflant. Pour une fois qu’il se passait quelque chose dans cette baraque ! Enervée par son attitude, Frances la saisit par le bras. Allez, dépêche-toi, je n’ai pas toute la journée devant moi, grogna-t-elle en la poussant devant elle. Elle s’adoucit pour s’adresser à Derek. Je viens juste de faire du café. Si ça vous dit, n’hésitez pas. Il la remercia d’un sourire. Elle sortit pour faire la leçon à sa fille qui pestait dans le couloir. Toi, tu commences sérieusement à m’énerver. Je te préviens, si tu continues… Le bruit de leur dispute s’amenuisa au fur et à mesure qu’elles s’éloignaient.

    Derek regarda autour de lui. Tu peux me dire où se trouvent les tasses ? demanda-t-il à Meredith. Elle pointa son index vers une armoire. Il l’ouvrit et en tira un mug puis se tourna vers la jeune fille. Tu en veux ?

    Elle fit signe que non, craignant qu’il n’entende à sa voix qu’elle était troublée. Elle réalisait, maintenant plus que jamais, l’impact que la seule présence de cet homme avait sur elle. Elle lui en voulait encore, elle n’était vraiment pas prête à lui pardonner, mais l’amour qu’elle éprouvait pour lui était intact malgré tout. La logique aurait voulu qu’elle quitte la pièce, pour éviter ce tête-à-tête gênant, mais elle ne bougea pas d’un pouce, comme si une force supérieure la maintenait collée à sa chaise. Les battements de son cœur s’accélérèrent lorsque Derek vint s’asseoir en face d’elle. Cela faisait tellement longtemps qu’ils n’avaient plus été si proches. Elle sentit son regard peser sur elle avec une telle force qu’elle n’osa pas relever la tête. Elle connaissait le pouvoir de ses yeux, son arme la plus redoutable, la plus efficace. Pour peu qu’il lui sourie, elle était fichue. Après quelques secondes de cet épouvantable face-à-face, elle n’y tint plus. Elle se leva et se plaça devant la table de travail, déplaçant les quelques objets qui y traînaient. Et Mark ? dit-elle, pour rompre le silence qui devenait trop pesant. Comment il réagit ?

    Derek se renversa sur sa chaise en soupirant. Du mieux qu’il peut. Il ne lui dit pas que Mark avait craqué en apprenant le décès de sa grand-mère, ni qu’il venait de s’effondrer en voyant son corps. Ces moments de faiblesse n’appartenaient qu’à lui. C’est dur mais il s’en sortira. Il but une gorgée de café tout en regardant Meredith faire semblant de ranger. Cela faisait cinq fois qu’elle déplaçait le même objet, le posant tantôt à droite, tantôt à gauche. Il se leva et vint appuyer ses fesses sur la table, juste à côté d’elle. Et toi, ça va ? l'interrogea-t-il avec douceur. Elle fit signe que oui. Il se montra plus insistant. Tu es sûre ?

    Ça va, affirma-t-elle d’une toute petite voix, sans oser le regarder. Vraiment. C’est juste que… Il était si près qu’elle pouvait sentir le parfum de son eau de toilette, "L’Homme" d’Yves Saint-Laurent. Rien que cette odeur lui donnait envie de se jeter dans ses bras. Pour renforcer sa détermination qu’elle sentait de plus en plus chancelante, elle tenta de se souvenir de ce qu’elle avait éprouvé en apprenant qu’il l’avait trompée. Mais elle n’y parvint pas, comme si les senteurs de bergamote et de gingembre avaient annihilé sa rancœur.  

    Elle te manque, poursuivit Derek à sa place. Tu t’étais enfin trouvé une véritable amie, une amie sincère, et maintenant, elle n’est plus là.

    Emue et étonnée à la fois qu’il sache exactement ce qu’elle ressentait, Meredith releva enfin la tête vers lui et il fut dévasté de voir ses yeux inondés de larmes. Je savais qu’elle était malade. Et condamnée. Mark me l’avait dit, lui expliqua-t-elle. Mais je l’avais oublié. Elle était tellement… Elle essuya ses yeux du revers de la main. Elle paraissait aller bien. Je n’ai jamais imaginé qu’elle allait mourir, tu comprends ?

    On a beau savoir, on espère toujours qu’il y aura un miracle. Et quand ça arrive, ça fait mal. Lorsque Derek avait revu Momsy, quelques jours plus tôt, il avait senti que la fin était imminente, même s’il l’avait nié, comme on le fait avec un proche qu’on veut rassurer et qu’on veut se rassurer aussi. Il avait beau côtoyer la mort tous les jours, et l’accepter sans problème, savoir qu’elle était inéluctable pour tous, c’était tout autre chose lorsque les proches étaient concernés. Dans son esprit, Momsy était indestructible et qu’elle soit devenue vieille et malade n’y changeait rien. Il n’avait jamais pensé qu’elle ne serait plus là un jour. Lorsque Meredith lui avait annoncé son décès, il avait eu un vrai choc.


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