• CHAPITRE 937

    Frances regarda sa fille et Meredith d’un air indécis. Je devrais peut-être préparer le petit-déjeuner. Nous, on n’a pas faim, mais les garçons ? Je doute qu’ils aient pris le temps de manger ce matin.

    Les trois femmes sursautèrent en entendant la voix de Derek. C’est très gentil, Madame, mais je crains que nous n’ayons pas très faim, nous non plus.

    Meredith se retourna et le vit à la porte de la cuisine. Elle constata, non sans satisfaction, que Momsy avait vu juste, il avait maigri. En outre, il avait l’air fatigué d’un homme qui ne dort plus beaucoup et un voile de tristesse dans le regard. Malheureusement, cela ne faisait que rajouter à son charme. Où est Mark ? l’interrogea-t-elle en découvrant qu’il était seul. Elle se sentait plus à l’aise lorsque leur ami était dans les parages.

    Je l’ai laissé avec sa grand-mère, lui apprit Derek avec un regard si intense qu’elle ne put le soutenir. Elle se détourna et, pour se donner une contenance, se mit à jouer avec le sucrier qui traînait sur la table. Derek baissa la tête, totalement décontenancé. Comment allait-il pouvoir renouer le dialogue avec elle si elle continuait à l’éviter de la sorte ?

    Frances, à qui Momsy avait raconté leur histoire dans les grandes lignes, remarqua l'air abattu de Derek et eut pitié de ce dernier. Tu viens ? Il faut préparer les chambres pour ces messieurs, dit-elle à sa fille en lui posant une main sur l'épaule. Peut-être que si ces jeunes gens qui s’aimaient encore, c’était manifeste, se retrouvaient seuls, ils arriveraient à se dire les choses qui leur tenaient à cœur.

    Taylor jeta un regard épouvanté à sa mère. Quoi ? Tout de suite ? Elle n’avait aucune envie de quitter cette cuisine où risquait d’avoir lieu la première confrontation entre Meredith et Derek depuis leur séparation. Il y avait une telle tension, et pas seulement nerveuse, entre ces deux-là que cela ne pourrait qu’être intéressant à voir. De plus, Taylor espérait que Mark, qu’elle n’avait fait qu’entrevoir, ne tarderait pas à arriver. Elle était pressée de lui présenter ses condoléances mais, surtout, de vérifier que son impression du dernier week-end était la bonne.

    Oui, tout de suite, confirma énergiquement Frances, en lui faisant les gros yeux. Taylor se leva en soufflant. Pour une fois qu’il se passait quelque chose dans cette baraque ! Enervée par son attitude, Frances la saisit par le bras. Allez, dépêche-toi, je n’ai pas toute la journée devant moi, grogna-t-elle en la poussant devant elle. Elle s’adoucit pour s’adresser à Derek. Je viens juste de faire du café. Si ça vous dit, n’hésitez pas. Il la remercia d’un sourire. Elle sortit pour faire la leçon à sa fille qui pestait dans le couloir. Toi, tu commences sérieusement à m’énerver. Je te préviens, si tu continues… Le bruit de leur dispute s’amenuisa au fur et à mesure qu’elles s’éloignaient.

    Derek regarda autour de lui. Tu peux me dire où se trouvent les tasses ? demanda-t-il à Meredith. Elle pointa son index vers une armoire. Il l’ouvrit et en tira un mug puis se tourna vers la jeune fille. Tu en veux ?

    Elle fit signe que non, craignant qu’il n’entende à sa voix qu’elle était troublée. Elle réalisait, maintenant plus que jamais, l’impact que la seule présence de cet homme avait sur elle. Elle lui en voulait encore, elle n’était vraiment pas prête à lui pardonner, mais l’amour qu’elle éprouvait pour lui était intact malgré tout. La logique aurait voulu qu’elle quitte la pièce, pour éviter ce tête-à-tête gênant, mais elle ne bougea pas d’un pouce, comme si une force supérieure la maintenait collée à sa chaise. Les battements de son cœur s’accélérèrent lorsque Derek vint s’asseoir en face d’elle. Cela faisait tellement longtemps qu’ils n’avaient plus été si proches. Elle sentit son regard peser sur elle avec une telle force qu’elle n’osa pas relever la tête. Elle connaissait le pouvoir de ses yeux, son arme la plus redoutable, la plus efficace. Pour peu qu’il lui sourie, elle était fichue. Après quelques secondes de cet épouvantable face-à-face, elle n’y tint plus. Elle se leva et se plaça devant la table de travail, déplaçant les quelques objets qui y traînaient. Et Mark ? dit-elle, pour rompre le silence qui devenait trop pesant. Comment il réagit ?

    Derek se renversa sur sa chaise en soupirant. Du mieux qu’il peut. Il ne lui dit pas que Mark avait craqué en apprenant le décès de sa grand-mère, ni qu’il venait de s’effondrer en voyant son corps. Ces moments de faiblesse n’appartenaient qu’à lui. C’est dur mais il s’en sortira. Il but une gorgée de café tout en regardant Meredith faire semblant de ranger. Cela faisait cinq fois qu’elle déplaçait le même objet, le posant tantôt à droite, tantôt à gauche. Il se leva et vint appuyer ses fesses sur la table, juste à côté d’elle. Et toi, ça va ? l'interrogea-t-il avec douceur. Elle fit signe que oui. Il se montra plus insistant. Tu es sûre ?

    Ça va, affirma-t-elle d’une toute petite voix, sans oser le regarder. Vraiment. C’est juste que… Il était si près qu’elle pouvait sentir le parfum de son eau de toilette, "L’Homme" d’Yves Saint-Laurent. Rien que cette odeur lui donnait envie de se jeter dans ses bras. Pour renforcer sa détermination qu’elle sentait de plus en plus chancelante, elle tenta de se souvenir de ce qu’elle avait éprouvé en apprenant qu’il l’avait trompée. Mais elle n’y parvint pas, comme si les senteurs de bergamote et de gingembre avaient annihilé sa rancœur.  

    Elle te manque, poursuivit Derek à sa place. Tu t’étais enfin trouvé une véritable amie, une amie sincère, et maintenant, elle n’est plus là.

    Emue et étonnée à la fois qu’il sache exactement ce qu’elle ressentait, Meredith releva enfin la tête vers lui et il fut dévasté de voir ses yeux inondés de larmes. Je savais qu’elle était malade. Et condamnée. Mark me l’avait dit, lui expliqua-t-elle. Mais je l’avais oublié. Elle était tellement… Elle essuya ses yeux du revers de la main. Elle paraissait aller bien. Je n’ai jamais imaginé qu’elle allait mourir, tu comprends ?

    On a beau savoir, on espère toujours qu’il y aura un miracle. Et quand ça arrive, ça fait mal. Lorsque Derek avait revu Momsy, quelques jours plus tôt, il avait senti que la fin était imminente, même s’il l’avait nié, comme on le fait avec un proche qu’on veut rassurer et qu’on veut se rassurer aussi. Il avait beau côtoyer la mort tous les jours, et l’accepter sans problème, savoir qu’elle était inéluctable pour tous, c’était tout autre chose lorsque les proches étaient concernés. Dans son esprit, Momsy était indestructible et qu’elle soit devenue vieille et malade n’y changeait rien. Il n’avait jamais pensé qu’elle ne serait plus là un jour. Lorsque Meredith lui avait annoncé son décès, il avait eu un vrai choc.


  • Commentaires

    1
    Mdbailey
    Mercredi 22 Mai 2019 à 20:50
    En fait ils sont tous malheureux. Derek va devoir être la pour Mark et pour Meredith
    2
    Butterfly
    Mercredi 22 Mai 2019 à 22:44

    Au moins, ils se parlent et sans s'engueuler, c'est un bon début

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