• Meredith bondit hors de la voiture et, sous l’œil amusé de Jackson, courut jusqu’à la maison, en brandissant un papier. Elle avait à peine pénétré dans l’entrée qu’elle se mettait à crier J’ai réussi. Je l’ai. Elle se précipita dans la cuisine, où Frances était en train d’écosser des petits pois, tandis que Momsy était plongée dans la lecture du journal local. J’ai réussi. Je l’ai, répéta Meredith, haletante d'excitation, en agitant le document. J’ai obtenu mon permis, précisa-t-elle en se laissant tomber sur une chaise, les yeux brillants de fierté

    Oh Meredith, c’est magnifique, s’exclama Frances en s’essuyant les mains sur son tablier, avant d'embrasser la jeune fille sur les deux joues. Félicitations !

    C’est bien, ma fille, dit Momsy, plus sobre. Je suis très fière de toi.

    Merci mais tout le mérite revient à Mark, vous savez, assura Meredith, rose de plaisir. Sans lui, je n’aurais jamais été capable de réussir. Elle alla s’asseoir à la table, en face de Momsy.

    Frances lui lança un regard légèrement désapprobateur. Pourquoi dis-tu ça ?

    Parce qu’elle éprouve toujours le besoin de se rabaisser, ronchonna Momsy, ses yeux pleins de contrariété visant la coupable par-dessus les verres des lunettes.

    Non, parce que c’est la vérité, affirma Meredith en riant. Et puis, franchement, j’ai eu de la chance, parce que l’examinateur, c’était une vraie peau de vache. Figurez-vous que…

    Elle allait se lancer dans le récit de ses aventures automobiles lorsque Taylor déboula dans la cuisine en hurlant. Merediiiith ! Il est venu. Il voulait te voir. Cela faisait une heure qu’elle était postée à la fenêtre de sa chambre, à guetter le retour de sa camarade pour être sûre qu’elle serait la première à lui apprendre la grande nouvelle du jour et, manifestement, elle venait de réussir parfaitement son coup.

    Blême, Meredith se tourna vers Momsy qui resta impassible. De qui parle-t-elle ? lui demanda-t-elle, bien qu’elle sache déjà quelle allait être la réponse.

    Mais de ton Derek bien sûr, cria Taylor, un peu vexée qu’elle ne s’adresse pas à elle pour avoir les détails de l’histoire. Il n’a pas pu t’attendre, une interv… Un coup de torchon donné par sa mère la fit taire brutalement.

    Cesse de te mêler des histoires des autres ! lui ordonna Frances, les sourcils froncés de mécontentement. Dommage que tu ne mettes pas autant d’ardeur pour étudier tes cours. Elle retira prestement son tablier avant de pousser sa fille aux épaules pour la faire sortir de la pièce. Pour ta peine, viens m’aider à étendre le linge.

    Comment a-t-il su que j’étais ici ? questionna sèchement Meredith en fixant Momsy dans les yeux. Celle-ci choisit d’ignorer le ton agressif de la jeune fille et se contenta de sourire. C’est Mark qui le lui a dit, n’est-ce pas ? insista Meredith qui sentait l’adrénaline monter en elle. Momsy opina de la tête. Il m’avait pourtant promis, ragea Meredith.

    Quand tu as disparu, Derek a paniqué, argumenta Momsy. Vraiment paniqué. Il avait peur que tu aies fait une bêtise. Alors, Mark a voulu le rassurer. Derek est son meilleur ami, enchaîna-t-elle. Depuis toujours. Il ne pouvait pas le voir dans cet état et ne rien faire, tu comprends ?

    Mais il m’avait promis ! couina Meredith, la gorge serrée à l’idée que son meilleur ami, son dernier rempart, l’avait trahie, lui aussi.

    Meredith, soupira la vieille dame. Il n’a pas été capable de garder le secret, c’est vrai, mais il a fait promettre à Derek qu’il ne viendrait pas ici.

    La jeune fille ricana. Oui, on voit ce que ça donne. Je sais maintenant ce que les promesses valent pour eux. Rien ! Nada ! Que dalle !

    Tu exagères, ma petite fille, constata Momsy qui, même si elle comprenait que la colère fasse dire un peu n’importe quoi à Meredith, ne pouvait guère admettre que cette dernière mette en doute la probité de son petit-fils.

    Non ! s’exclama Meredith. Vous savez que j’ai raison. La vieille dame secoua la tête. Si, j'ai raison, s’entêta Meredith. Elle commença à élever la voix. Parce que, moi, quand je promets le secret, je le garde. Et rien ni personne ne pourrait me faire parler. Mais eux… eux, ils n’ont pas de parole, pas plus l’un que l’autre.

    Ça suffit ! cria Momsy, soudain hors d’elle. Elle déposa brutalement sur la table le journal qu’elle tenait toujours en main. Je ne te permets pas de dire ça. Tu n’en as pas le droit. Mark… Son cœur s’emballa soudain et elle haleta un moment, jusqu’à ce qu’elle sente qu’il s’apaise un peu. Mark est ton ami, tu peux me croire. Il ne t’aurait pas amenée ici, si ça n’avait pas été le cas. Mais Derek… Elle ferma les yeux quelques secondes et, quand elle les rouvrit, son regard était empli de douleur. Derek est plus que son ami. Ils ont partagé tellement de choses, des épreuves surtout. Il existe entre eux un lien tellement fort, tu n’en as même pas idée. Alors, tu ne peux pas exiger de Mark qu’il fasse un choix entre Derek et toi.

    Mais je ne lui ai jamais demandé de choisir entre nous, protesta Meredith, scandalisée.

    Si, tu l’as fait, lui asséna durement Momsy. Sans t’en rendre compte peut-être mais tu l’as fait ! En faisant appel à lui quand tu as eu des problèmes avec Derek, en lui demandant de te mettre hors de sa portée, en le forçant à mentir à son meilleur ami pour te couvrir, c’est comme si tu lui avais demandé de faire un choix, comme si tu voulais qu’il prenne parti. A nouveau, elle reprit son souffle. Tu n’as pas le droit de te mettre entre eux, de quelque manière que ce soit !


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  • Choquée, infiniment blessée même, par les accusations de Momsy, Meredith s’était enfuie de la cuisine avec le sentiment d’y avoir reçu une leçon qu’elle ne méritait pas. Jamais au grand jamais, elle n’avait essayé de séparer Derek et Mark. Au contraire, elle admirait leur amitié, elle enviait sa force, son côté inaltérable. Elle aurait aimé connaître la même chose, elle qui avait vu ses amis d’enfance se détourner d’elle peu à peu, jusqu’à presque devenir ses ennemis. Elle n’attendait pas de Mark qu’il tourne le dos à son meilleur ami pour elle, mais simplement qu’il comprenne ce qu’elle ressentait et qu’il la soutienne. Il avait juré qu’il la protégerait, mais, en révélant à Derek où elle se trouvait, avec pour conséquence que maintenant elle avait l'impression d'être en danger, il avait failli à sa promesse. Elle se sentait trahie, une fois de plus. Pourtant, comble de l’ironie, c’était elle qu’on accusait de trahison. De la part de Momsy qu’elle appréciait tant, qu’elle considérait un peu comme sa propre grand-mère, cela lui faisait très mal.

    Elle avait couru jusqu’aux écuries où elle s’était réfugiée dans la stalle de Bluebell, s’accrochant au cou de la jument pour lui confier ses états d’âme, comme par exemple son étonnement d’avoir ressenti de la joie en apprenant que Derek était venu entre deux interventions pour la voir, joie aussitôt annihilée par une peur rétrospective à l’idée que si elle était rentrée quelques minutes plus tôt peut-être, elle serait tombée nez à nez avec lui. Comment aurait-elle réagi alors ? Elle n’en savait rien. Elle était écartelée entre une foule de sentiments contradictoires qui l’empêchaient de se définir clairement par rapport à Derek. Elle lui en voulait pour le mal qu’il lui avait fait, pour toutes ses illusions perdues, terriblement, jusqu’à l’en détester parfois, mais en même temps, il lui était impossible d’oublier le bonheur qu’elle avait connu avec lui, ce presque état de grâce dans lequel elle avait baigné depuis leur rencontre. C’était ce qui faisait sans doute que le manque de lui devenait de plus en plus intolérable. Elle avait cru que l’éloignement et le temps lui permettraient de l’oublier, mais c’était tout le contraire qui se produisait.

    Après avoir passé un temps qu’elle n’aurait pu évaluer, assise dans la paille, au pied de la jument, à se torturer les méninges sur ce qu’il convenait de faire, elle se résolut à sortir de sa cachette. Ce fut sa bonne éducation, autant que sa curiosité, qui la poussa à aller frapper à la porte de Momsy. Elle tenait à s’excuser pour la façon dont elle s’était conduite, mais aussi elle voulait savoir si Derek s’était confié à la vieille dame et ce qu’il lui avait dit. Elle entra dans la chambre après y avoir été invitée et trouva Momsy, assise dans le fauteuil qui faisait face à la fenêtre, en train de contempler le paysage. Je vous présente mes excuses pour mon attitude, tout à l’heure, commença-t-elle, sincèrement ennuyée de s'être comportée de façon aussi irrespectueuse. Je n’avais pas à vous parler comme ça.

    Souriante, Momsy lui fit signe d’approcher. Ah ne t’en fais donc pas pour ça. Moi-même, je n’ai pas été très diplomate, je crois. J’ai sans doute même été injuste. Je n’arrive pas à prendre du recul quand Mark est concerné. Elle caressa les cheveux de la jeune fille qui venait de s’asseoir à ses pieds. Pas plus que toi, quand il s’agit de Derek. Alors, oublions ça.

    D’accord. Meredith posa sa tête sur les genoux de l’aïeule. Alors, il était comment ? demanda-t-elle d’une voix sourde.

    Ah mais je croyais que ça ne t’intéressait pas, plaisanta Momsy. Meredith haussa légèrement les épaules. Eh bien, puisque tu veux savoir, je l’ai trouvé bien amaigri, reprit Momsy. Bon, en même temps, je ne l’avais plus vu depuis douze ans alors, si ça se trouve, ça ne date pas d’hier mais il est vraiment maigre comme un clou. Et là, ça doit faire quelques jours qu’il n’a plus vu un rasoir de près mais, pour le reste – elle afficha un large sourire – c'est le même superbe enfant de salaud qu’il a toujours été ! Meredith soupira. Oui, superbe, Derek l’était, il fallait le lui laisser. Il suffisait qu’il apparaisse et le monde tombait à ses pieds. Il séduirait une chaise, ajouta Momsy comme si elle avait deviné ses pensées.

    Meredith acquiesça d'un léger signe de tête. Elle était tout à fait conscience de la force du pouvoir de séduction de Derek. C’était d’ailleurs pour cela qu’elle craignait de le revoir. Un seul de ses sourires, un de ses regards tendres et intenses dont il était le spécialiste et elle risquait bien de voir sa détermination s’évanouir comme neige au soleil. Pourquoi est-ce qu'il est venu ? murmura-t-elle, un peu honteuse de ne pas réussir à dissimuler plus longtemps son envie de savoir.

    Ben, il voulait me voir, pardi ! ironisa la vielle dame. Je lui manquais, depuis douze ans, tu penses. C’qu’il faut pas entendre, grogna-t-elle en donnant une légère tape sur la tête de la jeune fille. Il est venu pour toi, tiens ! Pour te voir, pour te parler, pour te récupérer surtout.

    Meredith ne savait plus que penser et elle était totalement perdue. Ce que Derek lui avait dit dans son dernier message téléphonique, le fait qu’il se soit déplacé jusque Santa Rosa pour la voir, qu’il n’abandonne pas l’idée de la reconquérir, tout cela tendait à prouver qu’il tenait vraiment à elle. Mais était-ce suffisant pour qu’elle lui pardonne ? Qu’est-ce que je dois faire ? dit-elle d’une toute petite voix en se redressant. Le regard qu’elle posa sur Momsy était désespéré.

    Celle-ci secoua la tête. Ça, ne compte pas sur moi pour te le dire.

    Momsy, je vous en prie, supplia Meredith en saisissant nerveusement la main décharnée de la vieille dame.

    Oh non, ma petite fille, insista Momsy en lui rendant son étreinte. Là, il va falloir que tu te débrouilles toute seule. Il faut que tu écoutes ce que ton cœur te dit.

    Ah mon cœur ! Il me dit tellement de choses, déplora la jeune fille, les yeux embués de larmes. Tant de choses tellement différentes, contradictoires mêmes, qu’elle n’arrivait plus à les analyser et qu’elle se retrouvait dans l’incapacité de prendre quelque décision que ce soit.


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  • Est-ce que ton cœur te parle encore d’amour ? l’interrogea Momsy, la voix empreinte d’une tendre sollicitude.

    Bien sûr, avoua Meredith. J’ai eu un copain avant Derek, et je croyais en être amoureuse mais maintenant, je sais que ce n’était pas le cas. Ce n’était rien en fait, rien comparé à ce que j’ai éprouvé pour Derek. Elle frissonna en pensant à la révolution qu’avait été sa rencontre avec le chirurgien. Lui, je l’ai aimé à la folie. Et encore maintenant… Elle se mordit les lèvres pour ne pas éclater en sanglots. L’amour est toujours là, bien sûr, arriva-t-elle enfin à articuler.

    Eh bien, je crois que tu as ta réponse, dit Momsy, ses doigts s’enroulant autour des mèches blondes.

    Non, soupira Meredith. Parce que même si je l’aime encore, je n’arrive pas à oublier qu’il a couché avec d’autres filles. A nouveau, les larmes envahirent ses yeux.

    Bon, il a trempé son engin un peu n’importe où, c’est vrai, concéda Momsy. Mais tu sais, une fois que c’est lavé, c’est comme neuf.

    Pas pour moi, affirma Meredith d’un ton douloureux. Je… Je ne… je ne sais pas comment passer au-dessus de ça.

    Avoir parlé avec Derek pendant quelques heures avait convaincu Momsy de la force et de la sincérité de ses sentiments. Voilà pourquoi elle était bien décidée à défendre sa cause. Il a des torts, Meredith, je ne cherche pas à les nier, et lui non plus d’ailleurs. Mais ce garçon est vraiment fou de toi ! s’écria-t-elle.

    Et ça excuse tout ? demanda Meredith, étonnée de la désinvolture avec laquelle Momsy jugeait l’attitude de Derek.

    Agacée par son entêtement, la vieille dame fit claquer sa langue contre son palais. Ce que je veux dire, c’est que tout le monde fait des erreurs. Le principal, c’est d’être capable de les admettre et d’en tirer des leçons. Je pense que c’est ce qu’il est en train de faire. Pour toi, parce qu’il t’aime, parce qu’il ne veut pas te perdre.

    Meredith réfléchit un instant. Oui, tout le monde faisait des erreurs et, sans doute, en avait-elle fait, elle aussi. Mais s’il fallait dresser un classement, celles de Derek lui semblaient bien plus graves, et donc plus difficiles à pardonner. Et vous, comment auriez-vous réagi si votre mari vous avait trompée ?

    Moi ? Les yeux de Momsy se plissèrent jusqu’à ne plus faire qu’une fente. Ah moi, je lui aurais arraché les couilles avec mes dents et je les aurais jetées aux chiens !

    Ah vous voyez ! s’exclama Meredith, triomphante.

    Mais oui, bien sûr ! Seulement, après… Momsy sourit devant le regard intrigué de Meredith. Après, je lui aurais pardonné. Parce que, au final, vois-tu, Edward, c’était l’homme de ma vie. Je n’aurais pas pu aimer un autre que lui. Et je lui aurais fait greffer de nouvelles coucougnettes, parce que le sexe avec lui, c’était grandiose, ajouta-t-elle, malicieuse.

    Meredith ressentait exactement la même chose. Derek était sans conteste l’homme de sa vie et elle était certaine de ne plus jamais pouvoir aimer quelqu’un d’autre. Quant au sexe, oui, c’était fantastique. Mais l’amour, le désir, le plaisir, c’était une chose, la confiance en était une autre et pour elle, le tout était indissociable. Je sais que le sexe est important dans un couple, très important, commença-t-elle à expliquer. Et faire l’amour avec Derek… Elle releva vers sa confidente un regard embarrassé. Evidemment, je n’ai aucun point de comparaison. Pourtant, je sais que ce que j’ai vécu avec lui à ce niveau était exceptionnel. Mais ça ne me suffit pas, Momsy. A quoi ça sert qu’il soit un dieu dans mon lit s’il l’est dans tous les autres ?

    Ça, j’ai des doutes, tu vois, répliqua Momsy en se rappelant ce que Derek lui avait dit au sujet de ses infidélités. En tout cas, ce n’est pas ce qu’il m’a dit.

    Qu’est-ce qu’il vous a dit ?

    Que tu l’avais comblé au-delà de ce qu’il espérait. Qu’il n’avait pas couché avec ces filles par désir mais par peur. Avec ce qu’il a vécu, ça peut se comprendre, décréta Momsy.

    Oh vous, vous lui trouvez toujours toutes les excuses, lui reprocha Meredith avec agressivité.

    Et toi, tu es en colère, fit remarquer Momsy avec un grand sourire.

    Bien sûr que je suis en colère ! cria Meredith en sautant sur ses pieds. Je lui ai tout donné, poursuivit-elle d’un ton légèrement plus calme, en tournant en rond dans la pièce. J’ai toujours fait tout ce qu’il voulait. J’ai commencé cette relation avec des a priori, je l’avoue. Il y avait des trucs qui ne m’emballaient pas, que je n’avais pas envie de faire, mais que j’ai fait quand même, parce que je savais qu’il aimait ça – la façon dont elle exprimait les choses fit sourire Momsy – justement pour qu’il n’ait pas besoin d’aller se les faire faire ailleurs. Et la première pétasse qui passe… Meredith s’arrêta un instant devant Momsy. Vous me parlez d’amour, de sexe, mais le respect et la confiance, vous en faites quoi ? Moi, je ne peux pas avoir une vraie relation sans ça.

    Momsy regarda avec tendresse la jeune fille qui revenait s’agenouiller devant elle. Cette petite avait des principes et cela lui plaisait. Elle comprenait maintenant plus que jamais ce qui avait tant séduit Derek. Ne te méprends pas, Meredith. Je ne suis pas en train de te dire que ce que Derek a fait n’a pas d’importance et que tu dois l’accepter sans broncher. Pas du tout ! Elle passa affectueusement sa main sur la longue chevelure blonde. Seulement, je pense qu’il faut que tu fasses la part des choses. Il a fait une erreur, c’est vrai, mais ça ne veut pas dire qu’il recommencera. Il faut que tu réfléchisses, que tu réfléchisses bien. Parce que s’il est vraiment l’homme de ta vie et que tu ne lui donnes pas sa chance, tu risques bien d’être malheureuse le reste de tes jours.


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  • Au volant de son pick-up, Jackson suivait tranquillement la route sinueuse qui le ramenait, lui et ses camarades, à l’Hacienda. L’horloge du tableau de bord indiquait que le jour allait bientôt se lever. Le jeune homme pensa qu'il aurait juste le temps de prendre une douche et de se changer avant de commencer à s’occuper des animaux. Dire qu’à cette heure, il aurait pu encore être bien au chaud, sous la couette. Pourquoi diable avait-il cédé aux supplications de Taylor de les escorter, elle et Meredith, à cette soirée ? Il détestait ce genre de manifestations dans lesquelles il se sentait toujours en décalage. Il ne buvait pas d’alcool et ne dansait pas plus. Il n’appréciait pas vraiment la musique qu’on y jouait et le fait de devoir hurler pour se faire entendre l’incitait à ne pas entamer de conversation. Forcément, il ne sortait pas dans le but de rencontrer des filles et, à moins d’aller dans des bars gays, qu’il évitait aussi au demeurant, à cause de leur côté ghetto, il s’interdisait de draguer les garçons pour ne pas déclencher des réactions hostiles. Quant à jouer les chaperons, cela le mettait mal à l’aise car il discernait difficilement les situations où son intervention était nécessaire. En résumé, il se sentait beaucoup plus dans son élément à l’écurie, en compagnie des chevaux, que dans ce genre de réunion.

    Je n’avais pas réalisé qu’il était si tard, dit Meredith en le regardant d’un air confus. Tu aurais dû nous obliger à rentrer plus tôt.

    Hé ça va pas ! s’écria Taylor. J’ai passé une très bonne soirée, moi.

    Quoi, avec ton bouseux, là ? se moqua Jackson.

    Super bouseux même, renchérit la jeune fille. Mais il a payé toutes mes consommations. Grâce à lui, je n’ai pas dépensé un cent. Alors, on ne le critique pas !

    Le sourire de Jackson se teinta d’ironie. A quoi ça tient, une bonne soirée, tout de même. Je t’ai connue plus exigeante en matière de mec.

    Ah mais je le suis toujours, assura Taylor. Plus que jamais même. Je me suis fixé un but et je vais l’atteindre. Très bientôt !

    Ah ! Et on peut savoir ce que c’est ? demanda le jeune métis, curieux de savoir quelle nouvelle lubie avait encore frappé la fantasque adolescente.

    Mark Sloan ! Consciente qu’elle allait susciter leur désapprobation, Taylor se redressa et défia du regard ses deux compagnons de voyage.

    Meredith choisit de se taire. Elle avait déjà fait connaître son point de vue sur le sujet, autant à Taylor qu’à Mark. Ce dernier était venu passer le dernier week-end chez sa grand-mère et Meredith avait assisté aux multiples tentatives de séduction dont il avait fait l’objet de la part de l'adolescente, du moins dès que Momsy avait le dos tourné. Certes, il avait promis à Meredith de rester d’une sagesse exemplaire mais elle avait de sérieux doutes. Elle avait surpris quelques regards, entendu quelques phrases qui ne prêtaient à aucune équivoque. Mark trouvait Taylor plus qu’à son goût et la morale ne serait sans doute pas suffisante pour l’empêcher de succomber à la tentation. Quant à Taylor… eh bien, Meredith venait d’avoir la preuve que leur conversation n’avait eu aucun effet sur elle.

    Jackson se renfrogna. Sloan ? Tu fais la sortie des maisons de retraite maintenant ? grommela-t-il.

    Meredith est sortie avec Derek qui a le même âge que Mark et tu ne lui dis rien, à elle, objecta Taylor.

    Premièrement, je ne connais pas assez Meredith pour me permettre de lui faire des remarques sur sa vie privée, fit sèchement remarquer Jackson. De plus, elle est majeure, ce qui n'est pas ton cas. Il connaissait Taylor depuis qu’elle était toute gamine et il la considérait un peu comme sa petite sœur. Il n’avait déjà pas vu d’un bon œil qu’elle sorte avec son frère Nick, alors, qu’elle s’intéresse à ce don juan de Mark Sloan l’énervait considérablement. Il n’y avait pas grand-chose qu’il appréciait chez cet homme-là, même s’il était conscient que son jugement était plus que certainement influencé par leur histoire commune.

    Oh c’est bon, Jackson, tu me fais chier avec tes leçons de morale. De toute façon, quand on aime, l’âge ne compte pas ! déclara Taylor avec emphase.

    Jackson ricana. Quand on aime ? J’ai dû rater un épisode, je pense. Depuis quand Sloan est-il amoureux de toi ?

    Depuis qu’il m’a vue, quand il a amené Meredith, affirma la jeune fille. J’ai tout de suite compris que je lui plaisais vachement.

    Cette fois, Meredith se sentit obligée d’intervenir. Tu sais, je connais plutôt bien Mark, et avec les filles… enfin, je veux dire, c’est rare quand elles ne lui plaisent pas.

    T’es gentille. Avec lui, tout est bon ! C’est pire qu’une poubelle, ce mec, aboya Jackson.

    Meredith le regarda avec un air surpris. D’habitude si calme, presque philosophe, le jeune homme se montrait carrément agressif, et même insultant. Elle réalisa alors que, pendant tout le temps que Mark était resté à l’Hacienda, Jackson s’était fait plus que discret, comme s’il avait voulu éviter de le croiser. Elle en conclut que les deux hommes ne s’entendaient guère et elle se promit de se renseigner discrètement auprès de Momsy pour en connaitre la raison. Tu exagères, dit-elle doucement. Mais bon – elle se tourna vers Taylor – ce n’est pas parce que tu lui plais qu’il est amoureux.

    Mais merde ! éructa Jackson. Qu’il soit amoureux ou pas, on s’en fout. Il est beaucoup trop vieux pour toi, martela-t-il à l'intention de Taylor. Vous deux, ce serait indécent.

    Mais Meredith a juste quatre ans de plus que moi, rappela Taylor, au bord des larmes, parce qu’elle ne comprenait pas l’acharnement de celui qui avait toujours été si bienveillant avec elle. C'est pas énorme, quatre ans.

    Jackson lui jeta un regard dur. Tu calcules mal. C’est pas entre Meredith et toi que ça compte, mais entre Sloan et toi, et là, il y a dix-huit ans d’écart. Ça, oui, c’est énorme ! Il pourrait être ton père, nom de dieu ! grogna-t-il entre ses dents.

    A nouveau, Meredith opta pour le silence. Elle n’était pas d’accord avec Jackson mais elle ne voulait pas avoir l’air d’encourager la lycéenne dans ses chimères. Elle était la première à douter d’une réelle relation entre cette dernière et Mark, pour toute une série de raisons, mais l’âge n’en faisait pas partie. Sa propre expérience la poussait à approuver Taylor sur un point : quand on aimait, l’âge n’avait aucune importance. Concernant sa relation avec Derek, c'était un paramètre qu'elle n'avait jamais pris en considération, premièrement parce que, physiquement, Derek était loin de paraître ses trente-cinq ans et que pour le reste, il se conduisait souvent comme un gamin. Ses caprices, ses sautes d’humeur, sa fougue, tout chez lui était plus caractéristique de l’enfant que de l’homme. Elle avait souvent eu l’impression d’être la plus adulte des deux. Et puis, elle était tombée amoureuse de lui, tel qu’il était. Qu’importaient les années quand on était en phase avec la personne ?

    Pendant qu’elle réfléchissait à sa propre situation, la discussion avait continué sans qu’elle y fasse attention et, manifestement, Taylor n’avait pas désarmé, vu la réaction de Jackson dont l’éclat de voix fit sursauter Meredith. Oh et puis merde, fais ce que tu veux ! De toute façon, il te jettera dès qu’il t'aura sautée. J’t’aurais prévenue, alors faudra pas venir te plaindre.

    Mais oui, c’est ça, rétorqua Taylor sur un ton ironique, car elle était absolument convaincue qu’une fois qu’elle aurait pris Mark dans ses filets, il ne pourrait plus et ne voudrait plus s’en dégager.

    Pfft ! Arrêtez de vous disputer, intervint Meredith, excédée. On a passé une bonne soirée tous les trois. C’est dommage que ça se termine comme ça.

    C’est pas moi qui ai commencé, ronchonna Taylor, ce qui provoqua un ricanement sarcastique de la part de Jackson.

    Bon, ça suffit, vous deux, ordonna Meredith. Quoiqu’il en soit, Momsy a vu clair dans ton jeu, lança-t-elle à Taylor. Et comme elle connaît bien Mark, elle lui a fait promettre qu’il ne s’approcherait pas de toi.

    Voilà qui règle l’affaire ! claironna Jackson. Sloan était un sale type mais il fallait lui reconnaître une qualité, il adorait sa grand-mère, il la respectait et il ne ferait jamais rien qui puisse la contrarier ou la décevoir. S’il lui avait promis de ne pas toucher Taylor, il respecterait sa parole.

    Refusant de croire que tous ses espoirs venaient de s’évanouir, l’adolescente haussa ostensiblement les épaules. Dans un peu plus d'un an, elle entrerait à l’université de Californie. Autrement dit, elle passerait le plus clair de son temps à San Francisco. A partir de ce moment-là, Momsy ne pourrait plus faire grand-chose pour l’empêcher de fréquenter son petit-fils chéri. Mais, en attendant, Taylor n’avait pas envie de laisser le dernier mot à Jackson. Au lieu de t’occuper de mes affaires de cœur, tu ferais mieux d’arranger les tiennes. Y a assez à faire.

    Meredith vit la mâchoire de Jackson se contracter. Quelques jours plus tôt, les murs de l’écurie avaient tremblé des éclats de la dispute qui avait opposé le régisseur de l'Hacienda à son petit ami. Toutes les personnes présentes dans les environs l'avaient entendu reprocher à Jonas de ne pas avoir le courage d'assumer leur relation. Le ton était monté et les deux hommes s’étaient quittés fâchés. A voir la réaction de Jackson à la suite de la remarque de Taylor, il paraissait évident qu’il n’y avait pas eu de réconciliation depuis. Meredith foudroya Taylor du regard. C’est méchant, ce que tu viens de dire. A nouveau, la jeune fille haussa les épaules avant de se tourner vers la vitre, faisant semblant de s’absorber dans la contemplation d’un paysage que, pourtant, elle connaissait par cœur. Meredith préféra s’en désintéresser pour faire la conversation à Jackson. Il ne t’a toujours pas donné de nouvelles ?

    Non et je n’en attends pas, affirma le jeune homme, péremptoire.

    Il faut sans doute que tu lui laisses un peu de temps, suggéra Meredith avec douceur.

    Jackson secoua la tête avec obstination. Du temps ? Je lui en ai déjà assez donné. C’est fini. Il se pencha légèrement pour regarder en direction de Taylor. Tu vois, ça, c’est ce qui se passe quand il y a une trop grande différence d’âge dans un couple. On n’a pas les mêmes envies, les mêmes attentes et ça foire. Taylor ne releva pas.

    Meredith sourit. Quels qu’ils soient, quel que soit leur âge ou leur origine, tous les hommes avaient quelque chose en commun : leur mauvaise foi ! Tu caricatures, là. Il n’y a pas une si grande différence entre Jonas et toi. Et puis… – elle réfléchit quelques instants à sa propre histoire – je crois que c’est plus une question de maturité que d’âge. Regarde, Derek, il a quinze de plus que moi et pourtant, c’est lui qui s’est conduit comme un adolescent. C’est lui qui a eu peur de s’engager, pas moi. Tu ne peux pas faire de généralités, Jacks.

    L’occasion était trop belle pour que Taylor la laisse passer. Et toc ! répliqua-t-elle avec énergie.

    Jackson ignora sa remarque. Je ne peux pas juger pour toi et Derek, Meredith. Tout ce que je sais, c’est que, moi, je ne veux plus d’un mec qui n’assume pas ce qu’il est.


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  • Meredith fit une légère moue. Ben, ça ne doit pas être évident tout de même.

    Quoi ? D’être pédé ? demanda Jackson avec agressivité.

    Oui, répondit franchement Meredith. Je sais que les mentalités ont évolué et pourtant… L’homosexualité reste un délit dans plusieurs états de ce pays, Jacks. On est au vingt-et-unième siècle et on vit en Californie, qui est connue pour sa tolérance, mais il y a tout de même cinquante-deux pour cent des électeurs qui se sont prononcés contre le mariage gay. Révoltée, elle commença à parler plus fort et plus vite. Et il y a seulement deux ans, cet adolescent qui a été assassiné en plein cours par un de ses camarades, uniquement parce qu’il affichait ouvertement son orientation sexuelle ! Ça a peut-être été facile pour toi, Jackson…

    Il l’interrompit, le regard douloureux. Facile ? Tu le crois vraiment ? La patrie des homos, c’est à San Francisco, Meredith, dans les milieux branchés, pas ici, s’emporta-t-il soudain. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis fait traiter de tapette, pédale et autres amabilités du même genre. Je t’épargne le couplet sur ma couleur de peau, hein ! Et ça, encore, c’était un moindre mal. Certains soirs, je suis rentré couvert de sang, parce que ça divertissait certains petits cons de casser du pédé. Enervé par ces mauvais souvenirs, il serra ses mains sur le volant si fort que Meredith crut que les jointures de ses doigts allaient éclater. J’étais encore un gamin quand j’ai compris de quoi ma vie serait faite, poursuivit-il. Il avait douze, treize ans quand il avait pris conscience qu’il était bien plus troublé par la nudité des garçons avec lesquels il prenait sa douche, après le cours de sport, que par celle des filles qui s’étalaient dans les magazines que ces mêmes garçons aimaient regarder entre les cours. C’était aussi dans les douches du collège qu’il avait entendu toutes ces blagues homophobes qui lui avaient fait comprendre ce qui l’attendait. Pendant longtemps, je me suis demandé si ce ne serait pas plus facile de me cacher, expliqua-t-il à Meredith. Mais cela aurait impliqué que je vive dans le mensonge et ça, il n’en était pas question. Alors, j’ai assumé et je me suis imposé, parfois à la force de mes poings. Ça n’a pas été évident, crois-moi, mais c’était le prix à payer pour pouvoir être moi-même.

    Meredith le considéra avec étonnement et confusion aussi. Jamais elle n’aurait pu imaginer que Jackson avait été victime d’homophobie ou de racisme. A le voir, épanoui et serein, elle avait supposé qu’il avait grandi dans l’harmonie et la tolérance. De toute évidence, c’était loin d’être le cas. J’ai encore perdu une occasion de me taire, on dirait, dit-elle avec une intonation gênée.

    C’est rien, la rassura Jackson avec un sourire empreint de gentillesse. Tu ne pouvais pas savoir. Il fixa un instant la route, réfléchissant encore à toutes ces épreuves qu’il avait traversées pour avoir le droit d’être lui. Tu sais, je comprends que ça ne soit pas facile pour Jonas mais… j’ai vingt-sept ans, Meredith. Je ne me suis jamais caché et je n’ai pas envie de commencer, même pour lui. S’il ne m’aime pas assez pour surmonter ses peurs, eh bien, alors, tant pis. C’est qu’il n’est pas fait pour moi. Meredith hocha doucement la tête. Voilà un sujet qu’elle connaissait bien. C’était aussi à cause des peurs qu’il n’avait pu surmonter que Derek lui avait fait du mal. Parce qu’il ne l’aimait pas assez ? Peut-être bien. Peut-être qu’il n’était pas fait pour elle, après tout.

    Taylor, qui était restée muette dans son coin, se redressa. Moi, je comprends que Jonas ait peur de lâcher le morceau. Qui n’aurait pas peur avec un père comme le sien ?

    Il n’a pas peur de son père, rectifia Jackson, bougon. Il a peur de le décevoir.  

    Et quand on connaît le Marshal Hunt, on sait que c’est ce qui va se passer, lâcha Taylor. Ça va le tuer d'apprendre que son fils est gay.

    C’est horrible de décevoir ses parents, murmura Meredith. Elle-même ne s’était jamais résolue à avouer à sa mère qu’elle sortait avec Derek. Celui-ci ne correspondait en rien à l’image qu’Anna Grey se faisait du gendre idéal. Avec sa voiture de sport, ses goûts de luxe, son mode de vie et sa conception très particulière du couple, le chirurgien lui serait apparu comme un bellâtre superficiel et dépravé et elle n’aurait pas compris que sa fille puisse en tomber aussi follement amoureuse, sans parler de la différence d’âge. Meredith se tourna vers Jackson avec des yeux suppliants. Laisse-lui une chance.

    Comme toi avec Derek ? railla Taylor, décidée à se venger pour toutes les remarques malvenues qu’on lui avait faites au sujet de Mark. Elle répondit par un grand sourire au regard noir de Meredith.

    Ça n'est pas comparable, riposta cette dernière.

    Vous en êtes toujours au même point, tous les deux ? s’enquit Jackson avec sollicitude.

    Meredith acquiesça. Voilà plus d’une semaine déjà que Derek avait débarqué à l’Hacienda et, malgré les conseils et encouragements de Momsy, elle n'avait pu se décider à prendre contact avec lui. Elle s’était contentée de lui envoyer un texto lui demandant de ne plus chercher à la voir, pour le moment du moins. Elle avait besoin de temps pour digérer ce qui s’était passé. Lors de son séjour, Mark lui avait appris que Derek avait été dévasté par son message. Il avait espéré qu’elle lui laisserait au moins une chance de s’expliquer. Elle avait promis d’y penser. C’était tout ce qu’elle était capable de faire pour le moment. J’ai tellement peur de me faire avoir encore une fois, avoua-t-elle dans un souffle.

    Si je peux me permettre, commença Taylor.

    Non, dirent en chœur les deux autres.

    M’en fous ! répliqua la lycéenne en leur tirant la langue. Je vais me permettre quand même. Le jour où Derek est venu, il m’a donné l’impression d’un homme qui jouait sa vie, dit-elle en s’adressant à Meredith. Quand il a dû repartir sans t’avoir vue, il a supplié Momsy de te dire qu’il t’aimait comme un fou et qu’il regrettait terriblement le mal qu'il t'avait fait.


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