• CHAPITRE 928

    Choquée, infiniment blessée même, par les accusations de Momsy, Meredith s’était enfuie de la cuisine avec le sentiment d’y avoir reçu une leçon qu’elle ne méritait pas. Jamais au grand jamais, elle n’avait essayé de séparer Derek et Mark. Au contraire, elle admirait leur amitié, elle enviait sa force, son côté inaltérable. Elle aurait aimé connaître la même chose, elle qui avait vu ses amis d’enfance se détourner d’elle peu à peu, jusqu’à presque devenir ses ennemis. Elle n’attendait pas de Mark qu’il tourne le dos à son meilleur ami pour elle, mais simplement qu’il comprenne ce qu’elle ressentait et qu’il la soutienne. Il avait juré qu’il la protégerait, mais, en révélant à Derek où elle se trouvait, avec pour conséquence que maintenant elle avait l'impression d'être en danger, il avait failli à sa promesse. Elle se sentait trahie, une fois de plus. Pourtant, comble de l’ironie, c’était elle qu’on accusait de trahison. De la part de Momsy qu’elle appréciait tant, qu’elle considérait un peu comme sa propre grand-mère, cela lui faisait très mal.

    Elle avait couru jusqu’aux écuries où elle s’était réfugiée dans la stalle de Bluebell, s’accrochant au cou de la jument pour lui confier ses états d’âme, comme par exemple son étonnement d’avoir ressenti de la joie en apprenant que Derek était venu entre deux interventions pour la voir, joie aussitôt annihilée par une peur rétrospective à l’idée que si elle était rentrée quelques minutes plus tôt peut-être, elle serait tombée nez à nez avec lui. Comment aurait-elle réagi alors ? Elle n’en savait rien. Elle était écartelée entre une foule de sentiments contradictoires qui l’empêchaient de se définir clairement par rapport à Derek. Elle lui en voulait pour le mal qu’il lui avait fait, pour toutes ses illusions perdues, terriblement, jusqu’à l’en détester parfois, mais en même temps, il lui était impossible d’oublier le bonheur qu’elle avait connu avec lui, ce presque état de grâce dans lequel elle avait baigné depuis leur rencontre. C’était ce qui faisait sans doute que le manque de lui devenait de plus en plus intolérable. Elle avait cru que l’éloignement et le temps lui permettraient de l’oublier, mais c’était tout le contraire qui se produisait.

    Après avoir passé un temps qu’elle n’aurait pu évaluer, assise dans la paille, au pied de la jument, à se torturer les méninges sur ce qu’il convenait de faire, elle se résolut à sortir de sa cachette. Ce fut sa bonne éducation, autant que sa curiosité, qui la poussa à aller frapper à la porte de Momsy. Elle tenait à s’excuser pour la façon dont elle s’était conduite, mais aussi elle voulait savoir si Derek s’était confié à la vieille dame et ce qu’il lui avait dit. Elle entra dans la chambre après y avoir été invitée et trouva Momsy, assise dans le fauteuil qui faisait face à la fenêtre, en train de contempler le paysage. Je vous présente mes excuses pour mon attitude, tout à l’heure, commença-t-elle, sincèrement ennuyée de s'être comportée de façon aussi irrespectueuse. Je n’avais pas à vous parler comme ça.

    Souriante, Momsy lui fit signe d’approcher. Ah ne t’en fais donc pas pour ça. Moi-même, je n’ai pas été très diplomate, je crois. J’ai sans doute même été injuste. Je n’arrive pas à prendre du recul quand Mark est concerné. Elle caressa les cheveux de la jeune fille qui venait de s’asseoir à ses pieds. Pas plus que toi, quand il s’agit de Derek. Alors, oublions ça.

    D’accord. Meredith posa sa tête sur les genoux de l’aïeule. Alors, il était comment ? demanda-t-elle d’une voix sourde.

    Ah mais je croyais que ça ne t’intéressait pas, plaisanta Momsy. Meredith haussa légèrement les épaules. Eh bien, puisque tu veux savoir, je l’ai trouvé bien amaigri, reprit Momsy. Bon, en même temps, je ne l’avais plus vu depuis douze ans alors, si ça se trouve, ça ne date pas d’hier mais il est vraiment maigre comme un clou. Et là, ça doit faire quelques jours qu’il n’a plus vu un rasoir de près mais, pour le reste – elle afficha un large sourire – c'est le même superbe enfant de salaud qu’il a toujours été ! Meredith soupira. Oui, superbe, Derek l’était, il fallait le lui laisser. Il suffisait qu’il apparaisse et le monde tombait à ses pieds. Il séduirait une chaise, ajouta Momsy comme si elle avait deviné ses pensées.

    Meredith acquiesça d'un léger signe de tête. Elle était tout à fait conscience de la force du pouvoir de séduction de Derek. C’était d’ailleurs pour cela qu’elle craignait de le revoir. Un seul de ses sourires, un de ses regards tendres et intenses dont il était le spécialiste et elle risquait bien de voir sa détermination s’évanouir comme neige au soleil. Pourquoi est-ce qu'il est venu ? murmura-t-elle, un peu honteuse de ne pas réussir à dissimuler plus longtemps son envie de savoir.

    Ben, il voulait me voir, pardi ! ironisa la vielle dame. Je lui manquais, depuis douze ans, tu penses. C’qu’il faut pas entendre, grogna-t-elle en donnant une légère tape sur la tête de la jeune fille. Il est venu pour toi, tiens ! Pour te voir, pour te parler, pour te récupérer surtout.

    Meredith ne savait plus que penser et elle était totalement perdue. Ce que Derek lui avait dit dans son dernier message téléphonique, le fait qu’il se soit déplacé jusque Santa Rosa pour la voir, qu’il n’abandonne pas l’idée de la reconquérir, tout cela tendait à prouver qu’il tenait vraiment à elle. Mais était-ce suffisant pour qu’elle lui pardonne ? Qu’est-ce que je dois faire ? dit-elle d’une toute petite voix en se redressant. Le regard qu’elle posa sur Momsy était désespéré.

    Celle-ci secoua la tête. Ça, ne compte pas sur moi pour te le dire.

    Momsy, je vous en prie, supplia Meredith en saisissant nerveusement la main décharnée de la vieille dame.

    Oh non, ma petite fille, insista Momsy en lui rendant son étreinte. Là, il va falloir que tu te débrouilles toute seule. Il faut que tu écoutes ce que ton cœur te dit.

    Ah mon cœur ! Il me dit tellement de choses, déplora la jeune fille, les yeux embués de larmes. Tant de choses tellement différentes, contradictoires mêmes, qu’elle n’arrivait plus à les analyser et qu’elle se retrouvait dans l’incapacité de prendre quelque décision que ce soit.


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