• Vous êtes peut-être un grand chirurgien, mais vous n’êtes pas très futé pour le reste, se gaussa Taylor dont les yeux brillaient d’une ironie malicieuse dont elle seule avait le secret. Y a rien qui vous a frappé dans ce que vous venez de voir ? Les yeux de Derek s’écarquillèrent avant de se plisser. Vous ne trouvez pas ça étrange, vous, que Meredith se jette dans les bras d’un type avec autant de passion et que lui, il ne l’embrasse même pas ? Même pas un tout petit bisou ? Un sourire satisfait naquit sur les lèvres du chirurgien. Miracle ! s’exclama l’adolescente en levant les bras au ciel. Il a compris. Oui, il avait compris. Bien sûr, il avait remarqué que Meredith n’avait guère apprécié sa proximité avec Lindsay, pas plus que l’évocation de leurs souvenirs. Mais de là à imaginer qu’elle allait se livrer à une telle comédie, se jeter dans les bras d’un garçon qui ne lui était rien, uniquement pour rendre son ex jaloux ! Il en était tellement heureux qu’il ne se sentit nullement mortifié par les moqueries de Taylor. Si je peux me permettre un conseil, vous devriez éviter de jouer avec elle, reprit celle-ci sur un ton plein d’assurance. Enfin, je veux dire, vu la raison pour laquelle elle vous a quitté… le truc avec votre copine, là… – l’adolescente se tourna vers Lindsay, qui continuait à raconter sa vie à Mark, et fit une grimace – les sourires, les œillades, les allusions au passé, à votre place, je m’abstiendrais. Elle planta son regard franc dans celui, un brin étonné, de Derek. Meredith n’a pas besoin de ça. C’est pas de son amour dont vous devez vous assurer, parce que ça… Elle vous aime encore, c’est pas ça, le problème. A aucun moment, Taylor n’eut l’impression de trahir la confiance de Meredith en révélant ses états d’âme à Derek. Au contraire, de son point de vue, elle lui rendait service. Meredith aimait Derek et inversement. Ils avaient manifestement envie de se retrouver. Mais l’une était trop orgueilleuse et l’autre, un véritable empoté. Si personne ne leur donnait un coup de main, leur situation n’évoluerait jamais. Le problème, c’est la confiance qu’elle a perdue, expliqua Taylor. Et c’est pas en flirtant avec une autre devant elle que vous allez la lui rendre. Enfin, moi, j’vous dis ça… Elle défia Derek du regard. J’suis qu’une gamine, après tout.

    Peut-être pas tant que ça finalement, reconnut-il avec un sourire contrit. Il avait sans doute jugé un peu trop rapidement cette fille qui semblait bien plus finaude que ce qu’il avait cru au premier abord. Alors, c’est qui, ce garçon ? lui demanda-t-il.

    C’est Jonas, le petit ami de Jackson, lui apprit-elle. Il est gay, quoi ! précisa-t-elle immédiatement pour qu’il n’y ait aucune équivoque, puisqu’il semblait qu’avec Derek, il valait mieux mettre les points sur i.

    Oui, j’avais compris, merci, répondit-il, amusé par l’insolence de la lycéenne que, manifestement, il n’impressionnait pas beaucoup. Par certains côtés, elle lui rappelait Meredith, au début de leur rencontre. Elle non plus n’avait jamais eu peur de lui. Pas étonnant qu’elles se soient liées d’amitié.

    Je vous dis ça pour que vous compreniez que vous n’avez rien à craindre de lui, insista Taylor. En plus, il connait à peine Meredith. Il a dû se demander ce qui se passait. Alors inutile de vous jeter sur lui pour le tuer, hein !

    Derek hocha la tête. Non, ça, pas de danger. Ce n’est pas mon genre. Il se pencha et déposa un léger baiser sur la joue de la jeune fille. Merci. Et à charge de revanche !

    En parlant de ça… L’adolescente se tourna ostensiblement vers Mark qui faisait toujours la conversation avec Lindsay.

    Oh ça, n’y compte pas ! répliqua Derek en éclatant de rire. Ce ne serait pas te rendre service.

    Taylor lui décocha un sourire diablement charmeur. Et à lui ? Vous ne voulez pas lui rendre service, à lui ?

    Le rire de Derek redoubla, attirant sur le chirurgien les regards curieux de ses amis. Dites donc, qu’est-ce que vous êtes en train de comploter, vous deux ? s’inquiéta Mark, qui aurait nettement préféré participer à leur discussion plutôt que subir le papotage incessant de Lindsay.

    T’inquiète, je t’expliquerai, promit Derek avant de sortir de la pièce.

    Dans les écuries, l’ambiance était nettement moins joyeuse. Quand Meredith y était entrée au bras de Jonas, Jackson avait dardé sur eux un regard assassin. Qu’est-ce qu’il vient foutre ici ?

    Jonas avait regardé Meredith avec un air embarrassé. Certes, il était venu pour s’expliquer avec Jackson mais il n’avait aucune intention de le faire devant témoins. La jeune fille comprit très bien le massage. Je sais, vous avez des choses à vous dire mais je ne peux pas sortir d’ici directement. Sa voix se fit implorante. Alors, je vous en prie, laissez-moi encore quelques minutes. Jackson la dévisagea, les sourcils froncés. Ou diable voulait-elle en venir ? Une des ex de Derek est là et il fait le beau. J’en ai marre de passer pour une conne, Jacks ! Le jeune palefrenier lui sourit mais son regard redevint dur quand il se posa sur Jonas. Il se remit au travail, sans plus s’occuper de ses visiteurs. Jonas se tourna vers Meredith avec désespoir. Elle lui sourit pour le rassurer. Bon, je pense que je suis restée assez longtemps, dit-elle après quelques minutes. Alors…

    Emmène-le avec toi, la pria Jackson sans même se retourner.

    Il fera ce qu’il veut, riposta-t-elle sans se démonter. Et s’il veut rester ici, eh bien, à toi de te débrouiller ! Elle fit un clin d’œil à l’attention de Jonas. Merci d’avoir joué la comédie, dit-elle à ce dernier. Et ne te laisse pas faire surtout. Il joue les gros bras mais, au fond, il est content que tu sois là.

    Dehors ! éructa Jackson, furieux d’avoir été démasqué.


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  • En sortant du bâtiment, Meredith jeta un coup d’œil discret à la maison et fut désappointée de ne pas apercevoir Derek derrière les fenêtres du salon. Sans doute était-il déjà retourné auprès de son amie, cette chère Lindsay. Autant se résigner, il ne changerait jamais, pour personne, et pour elle moins que pour toute autre. Bien décidée à s’enfermer dans sa chambre jusqu’au lendemain, pour ne pas s’infliger le triste spectacle de son ex en train de flirter avec une autre femme, elle posait le pied sur la première marche de l’escalier de la terrasse lorsque Derek sortit de la maison. Salut, dit-elle en prenant un air détaché.

    Salut, répondit-il sur le même ton. Alors, ce garçon ? C’est ton petit ami, m’a dit Taylor.

    Meredith nota avec satisfaction qu’il s’était renseigné mais elle ressentit également de l’étonnement mêlé à de la déception devant sa réaction, bien trop tiède à son goût. Elle avait espéré qu’il lui redemanderait pardon, qu’il lui redirait son amour, ou qu’il lui ferait des reproches, qu’il s’énerverait, qu’il se précipiterait sur Jonas pour régler l’affaire à coups de poing – pardon, Jonas – mais pas qu’il afficherait un tel flegme, comme si cela lui était égal. Oui, mon petit ami, confirma-t-elle néanmoins pour ne pas perdre la face, tout en continuant à avancer.

    Hmm, je vois. Et pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais quelqu’un ? demanda encore Derek.

    Meredith frémit devant le regard bleu océan qui semblait la transpercer. Mais parce que ça ne te regarde pas, répliqua-t-elle. Et de toute façon, depuis quand on se raconte tout ce qu’on fait ? Toi par exemple, tu ne m’as jamais parlé de ta double vie.

    Derek leva les yeux au ciel devant ce qui était pour lui une énorme exagération. Bon sang ! Je n’avais pas de double vie. J’ai fait…

    Meredith s’empressa de lui couper la parole. Tu n’as aucun compte à me rendre, Derek. Et moi non plus. C’est chacun sa vie, maintenant ! Et moi, je suis avec Jonas maintenant. Finalement, elle ne devait pas être si mauvaise comédienne puisqu’il avait totalement donné dans le panneau. Et il pouvait bien jouer les indifférents, il ne l’était pas tant que ça puisqu’il lui posait toutes ces questions. Elle ressentait une satisfaction certaine à l’idée qu’il était jaloux, même s’il était trop orgueilleux pour l’avouer franchement. Mais en même temps, elle lui en voulait de croire aussi facilement à cette histoire qui ne tenait pas debout, comme s’il était possible qu’elle l’ait remplacé si rapidement après leur rupture. Comme si trois semaines pouvaient suffire à ce qu’elle oublie l’amour qu’elle avait éprouvé pour lui.

    Néanmoins… Derek plissa le front comme s’il cherchait à comprendre quelque chose. C’est étrange. Je vous ai regardés et… – il prit un air intrigué – tu t’es jetée dans ses bras et il ne t’a même pas embrassée.

    C’est parce qu’on n’aime pas s’exhiber, affirma Meredith avec un aplomb qu’elle ne ressentait pas du tout. Elle détestait mentir. Si elle le faisait, c’était à cause de lui, parce qu’il l’avait humiliée et qu’elle voulait lui rendre la pareille. Elle voulait le faire souffrir autant qu’elle avait souffert et autant qu’elle souffrait encore.

    Elle tenta de passer pour entrer dans la maison mais Derek se mit en travers de son chemin. Oui, bien sûr. Pourtant… ça ne te dérangeait pas trop de t’exhiber – il insista fortement sur le mot - quand tu étais avec moi.

    Oui, mais les gens changent et Jonas n’est pas comme toi, dieu merci ! claironna Meredith avec un air triomphant.

    Et puis, surtout, les filles, c’est pas trop son truc, à ce brave Jonas, se moqua gentiment Derek en la couvant d’un regard tendre. Elle sut alors qu’il était au courant de l’imposture et elle se sentit terriblement mortifiée de lui avoir encore donné une occasion de la bafouer. Elle essaya encore de passer mais il la retint par le poignet. Meredith, cette femme, Lindsay…

    Tu es sorti avec elle, je sais, lâcha-t-elle avec mépris. Et tu pourrais bien recommencer, d’après ce que j’ai vu. Te gêne surtout pas pour moi.

    Mais qu’est-ce qui te fait croire que j’ai envie d’être avec elle ? s’exclama Derek.

    Tu te fous de moi, là ? Meredith se mit à le singer. Notre baiser, c’était un si grand moment. Comment l’oublier ? Elle sentit des larmes de rage poindre à ses paupières et elle tenta de les réfréner, ne voulant pas lui donner cette victoire supplémentaire. Lâche-moi maintenant, cria-t-elle, irritée de ne pas être capable de garder son sang-froid.

    Derek n’obéit pas, resserrant même légèrement son étreinte, et se rapprocha. Bébé… Il se pencha encore un peu. Leurs visages étaient tout proches maintenant et elle pouvait sentir son souffle sur sa peau. Je l’ai embrassée, oui, murmura-t-il. C’est vrai. On devait avoir quoi… treize ans environ. C’était mon premier baiser, alors… Bien sûr que c’était un grand moment pour moi. Les vacances suivantes, elle était passée à autre chose et moi aussi. La confusion s’empara de la jeune fille. Jamais, elle n’avait envisagé que Derek était à peine sorti de l’enfance quand il avait connu Lindsay. Elle s’était imaginé une relation torride, relativement récente, qui l’avait marqué au point qu’il en parlait encore, alors qu’il ne s’agissait que d’un flirt innocent entre deux adolescents à peine pubères. Il y a prescription, maintenant, je crois. Tu n’étais même pas née, poursuivit Derek avec un tendre sourire. Tu n’as vraiment aucune raison d’être jalouse de Lindsay.

    Il avait ce petit air satisfait de celui qui savoure sa victoire et Meredith s’en voulut de la lui avoir apportée sur un plateau. Jalouse ? Oh ça, sûrement pas ! se récria-t-elle en se dégageant vivement. Libérée, elle rentra directement dans la maison. Partir, aller se cacher quelque part, pour ne plus voir cet air triomphant qui était la preuve de son ultime humiliation.

    Derek la suivit et la vit courir vers sa chambre. Oh si, tu es jalouse ! lui cria-t-il, transporté de bonheur. Et j’adore ça ! C’est génial ! C’est vraiment génial !


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  • Le jour commençait à tomber lorsque Meredith sortit de sa chambre. La maison était totalement silencieuse, comme si elle avait été désertée par tous ses habitants. Seules les odeurs qui émanaient de la cuisine attestaient d’une présence. En passant devant le salon, la jeune fille aperçut Mark, debout devant la fenêtre. Comme s’il avait senti sa présence, il se retourna et lui sourit. Elle le rejoignit et s’accrocha à son bras. Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda-t-elle en appuyant la tête contre son épaule.

    Mark posa les lèvres sur la chevelure de son amie qui fleurait bon la lavande. Rien de spécial. J’admirais le paysage. Cette propriété est magnifique. Il avait toujours adoré cet endroit mais, depuis la disparition de sa grand-mère, il éprouvait l’étrange sensation de ne plus être vraiment chez lui.

    Oui, Jackson fait du bon travail, dit Meredith en guettant sa réaction.

    Il resta impassible. Ouais, il se débrouille pas trop mal, il faut lui reconnaître ce mérite. Il se tourna vers elle et lui sourit encore. Alors, il paraît que cette brave Lindsay t’a donné des sueurs froides.

    Elle soupira. Evidemment, il a fallu qu’il s’en vante ! Elle n’avait aucun mal à imaginer Derek rapportant avec satisfaction à son meilleur ami la comédie qu’elle lui avait jouée quelques heures plus tôt.

    Evidemment ! répéta Mark, hilare. Il était tellement heureux que tu sois jalouse.

    Je n’étais pas jalouse ! s’insurgea Meredith.

    Mark la prit par les épaules et l’amena contre lui. Pas à moi, Mer. J’étais assis juste à côté de toi et je pouvais sentir la jalousie irradier tout autour. Il pouffa de rire. Si tes yeux avaient été des mitraillettes, Lindsay serait morte à l’heure qu’il est.

    Meredith s’écarta, en affichant un air maussade. Ça n’aurait pas été une grande perte, grommela-t-elle.

    Cette fois, Mark rit franchement. Méchante ! s’exclama-t-il en ébouriffant ses cheveux. Tu n’as rien à craindre d’elle. Elle est très heureuse avec son mari, je pense, et puis, de toute façon, Derek n’est pas du tout intéressé.

    Pourtant, il m’a semblé le contraire, répliqua Meredith, de mauvaise foi. Il n’a pas arrêté de la draguer.

    Mark leva légèrement les yeux au ciel. Oh la draguer, comme tu y vas. Il a juste un peu flirté avec elle et on sait tous les deux très bien pourquoi il l’a fait. Meredith fit une moue boudeuse. Tu ne lui parles pas, lui reprocha Mark avec douceur.

    Mais c’est faux ! s’indigna-t-elle. On s’est parlé tout à l’heure. Longtemps même !

    Et de quoi vous avez parlé ?

    D’un tas de trucs.

    D’un tas de trucs sauf de votre relation, souligna Mark. A chaque fois qu’il essaie de lancer le sujet, tu te bloques. Je le sais, il me l’a dit. Meredith le fusilla du regard ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre. Il sait que tu es encore fâchée et il le comprend, bien sûr. Il ne s’attend pas à ce que tu lui pardonnes pour le moment. Mais il voudrait quand même savoir si tu envisages de lui donner une autre chance, un jour. Seulement, toi, tu ne lâches rien, alors il cherche à savoir, par tous les moyens. Quand il te provoque et que tu réagis comme tu l’as fait tout à l’heure, il se dit que, quelque part, tu dois l’aimer encore un peu et qu’il a encore ses chances. Ce serait peut-être plus simple que tu le lui dises franchement. Elle ne répondit pas. Il comprit qu’elle n’était toujours pas prête à affronter cette vérité et il n’insista pas. Il commençait à bien la connaître. Il savait qu’il ne fallait pas la brusquer, ce que Derek avait encore quelque peine à assimiler. Ils restèrent, immobiles et silencieux, perdus dans leurs pensées, jusqu’à ce que Mark pointe son doigt vers l’extérieur. Tiens, voilà ton amoureux qui s’en va.

    Meredith regarda au-dehors et vit Jonas qui remontait dans sa voiture. Pfft ! Moque-toi de moi ! Elle donna un coup de coude dans les côtes de son ami.

    Avoue que tu n’as pas été futée sur ce coup-là ! se moqua-t-il gentiment.

    Oh ça va ! J’ai fait avec les moyens du bord, se défendit Meredith. J’ai agi sur une impulsion et comme je n’avais que lui sous la main… Si Taylor avait été capable de tenir sa langue, ça aurait très bien pu marcher. Elle s’en voulait cependant de s’être livrée à cette mascarade qui n’avait servi qu’à rassurer Derek sur le pouvoir qu’il avait encore sur elle, et à la couvrir de ridicule auprès de tous les autres.

    Mark la regarda avec indulgence. Tu ne crois pas qu’il serait temps que vous discutiez tous les deux plutôt que de jouer à ces petits jeux stupides ?

    Elle soupira. Je ne suis pas prête. Elle n’avait que cette réponse à donner. Elle avait l’impression d’être devant un jeu de construction, dont elle avait réussi à assembler toutes les pièces, et il n’en fallait plus qu’une pour que le mécanisme fonctionne. C’était cette pièce manquante qu’elle attendait. Lorsqu’elle l’aurait reçue, peut-être que son histoire avec Derek pourrait reprendre, ou, au contraire, elle devrait faire son deuil de leur relation. Découragée par cette perspective, elle alla jusqu’au canapé et y découvrit un album photo ouvert sur l’image, qu’elle connaissait déjà, de Mark, bébé joufflu assis sur les genoux d’une jeune femme qui affichait le sourire fier d’une jeune maman. C’est une belle photo, dit-elle en se laissant tomber sur les coussins. Elle prit l’album sur ses genoux et regarda le cliché de plus près avec un sourire attendri. Elle n’avait aucun mal à retrouver dans les traits de ce poupon aux grosses joues et aux yeux rieurs, ceux de son ami.


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  • Mark vint s’installer à côté de Meredith et jeta un regard désillusionné à la photo. Oui, bel exemple d’hypocrisie, constata-t-il sur un ton las. Elle sourit à l’objectif parce que c’est ce qu’elle doit faire. C’est ce qu’on attend d’elle. Il faut soigner les apparences, tu vois. En réalité, elle n’en a rien à faire. Elle ne m’a pas désiré. Si elle avait été libre de faire ce qu’elle voulait, elle aurait avorté.

    Meredith ne cacha pas qu’elle était choquée par ces propos. Tu ne peux pas dire ça, Mark.

    Je ne fais que répéter ce qu’elle m’a dit, Mer, rétorqua Mark. C’est dur, tu sais, de grandir en sachant que ta mère ne t’aime pas. Il y avait mon père, bien sûr, mais ce n’est pas la même chose. Rien ne remplace l’amour d’une mère.

    Mais tu avais Momsy, fit remarquer Meredith d’une voix douce.

    Oui, heureusement. Mark soupira longuement. Elle me manque, bon sang. Quand je pense à demain… Demain, il porterait sa grand-mère en terre et elle ne serait plus qu’un souvenir. J’aspire à ce que tout ça soit derrière moi et, en même temps, je voudrais que demain ne vienne jamais, parce qu’après… Pour le moment, elle est encore là. De temps, en temps, je passe la voir, je lui parle. Il baissa la tête, un peu gêné de cet aveu qu’il n’aurait d’ailleurs fait devant personne d’autre que Meredith. Mais après l’enterrement, je n’aurai plus personne. Je serai seul.

    Le cœur de la jeune fille se serra devant tant de détresse. Voyons, tu n’es pas seul, Mark.

    Il lui prit la main et noua ses doigts aux siens, un bref instant avant de les libérer. Oui, il y a toi et Derek, bien sûr, mais… Momsy était tout ce qui me restait de ma vraie famille. Mon père est mort. Ma mère – il grimaça – je ne sais même pas où elle est. Je n’avais plus que ma grand-mère.

    L’occasion était superbe et il ne pouvait être question que Meredith la laisse passer. Il te reste ton frère tout de même. Jackson, précisa-t-elle, en guise de réponse à l’interrogation contenue dans les yeux de Mark.

    L’étonnement se mua en colère. Ce n’est pas mon frère, gronda Mark. Enervé, il se leva et fit quelques pas dans la pièce.

    Ton demi-frère si tu préfères, rectifia Meredith. Mais…

    Ni mon demi, ni mon tiers, ni même un quart, éructa Mark, les yeux flamboyants de rage. Ce type n’est rien pour moi et je trouve honteux qu’il se soit vanté auprès de toi de faire partie de ma famille.

    Jackson ne s’est pas vanté, protesta Meredith, surprise par la hargne dont il faisait preuve et à laquelle elle n’était pas habituée de sa part. Il ne m’a rien dit du tout.

    Mark secoua la tête avec véhémence. Ne cherche pas à le défendre, s’il te plait.

    Meredith allait contester cette accusation lorsqu’elle vit le regard de Mark passer au-dessus d’elle et marquer une certaine contrariété. Au même moment, la voix de Derek s’éleva, cassante. Cesse de t’en prendre à elle. C’est moi qui lui ai dit, pour Jackson. Elle se retourna et découvrit son ex petit-ami dans l’encadrement de la porte. Sa première pensée fut qu’il était diablement sexy. Ses boucles brunes étaient encore humides, preuve qu’il venait de sortir de la douche, et il portait un jean moulant et une chemise d’un bleu parfaitement assorti à la couleur de ses yeux. Il lut l’admiration dans son regard et eut l’impression d’avoir été touché par la grâce. Il lui décocha un sourire si tendre, débordant de tant d’amour, qu’elle se sentit fondre et ne put faire autrement que de le lui rendre, de façon plus réservée toutefois. Il avança en ne la quittant pas des yeux et vint prendre la place que son ami avait libérée quelques minutes plus tôt. Rendu audacieux par cet échange qu’ils venaient d’avoir, il se pencha vers elle pour lui effleurer la joue avec ses lèvres. Tu n’es plus fâchée ? murmura-t-il. Rose de plaisir et de confusion tout à la fois, Meredith secoua la tête. Il lui sourit encore une fois, heureux qu’elle ne l’ait pas repoussé. Ah si Mark n’avait pas été là… Subitement irrité par la présence de son ami qui ne comprenait pas qu’il était de trop, il se tourna vers lui. Alors, c’est quoi, ton problème ?

    Mon problème ? s’étrangla Mark, furieux parce qu’il était clair que Derek allait prendre le parti de Meredith et, par extension, celui de Jackson. Mon problème, c’est que tu n’as pas été capable de tenir ta langue ! Quel besoin as-tu eu de lui dire que ce type était mon demi-frère ?

    Et pourquoi je ne l’aurais pas fait ? répliqua Derek. Je n’ai pas menti, à ce que je sache.

    C’est mon histoire et, si je ne lui en ai pas parlé moi-même, ce n’est pas pour que toi tu le fasses ! martela Mark.

    Je… je ne… voulais pas… créer… de problèmes, balbutia Meredith, surprise par la réaction de Mark. Si j’avais su…

    Ne t’excuse pas. Tu n’as rien fait de mal, la rassura Derek. C’est lui qui en fait tout un drame.

    Oh toi et ton Jackson ! Depuis qu’il y a eu ce truc entre vous, laissa tomber Mark, perfide.

    Meredith se retourna vivement vers Derek et il éclata de rire devant son regard choqué. Qu’est-ce que tu es en train d’imaginer, toi ? fit-il en lui passant la main dans les cheveux. Quand il avait treize, quatorze ans, Jackson était devenu la tête de turc d’une bande de jeunes, lui indiqua-t-il. J’ai pris quelquefois sa défense et il s’est mis en tête qu’il était amoureux de moi. Quand il me l’a avoué, je lui ai dit que je n’étais ni disponible, ni intéressé. Voilà, c’est tout. Meredith fit un large sourire. Ce petit cachottier de Jackson ! Elle comprenait mieux maintenant certains de ses commentaires, lorsque Taylor avait vanté le charisme et la beauté de Derek. Il était bien placé pour en connaître l’impact.


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  • Et depuis, tu as pour ce type une indulgence que tu n’as pas pour les autres, conclut Mark.

    Mais je n’ai rien à lui reprocher, mon vieux ! s’exclama Derek. Outre que sa déclaration était sympathique et même émouvante, j’ai toujours trouvé que c’était un garçon charmant et correct. Et d’après ce que j’ai pu voir depuis que je suis ici, il n’a pas changé. Tu lui fais un faux procès, avoue-le.

    Ce n’est pas sa faute, Mark, renchérit Meredith. Ce qui s’est passé avec ton papa… Jackson n’y est pour rien.

    Tu ne peux pas comprendre, Mer, murmura Mark. Mon père… il avait plein de défauts et la vie n’était pas facile avec lui, mais il m’aimait. Même dans ses pires moments, il a essayé d’être là pour moi. Il a fait du mieux qu’il a pu. Quant à ma mère… Sa moue exprima son amertume. C’est une garce, j’en conviens, mais ça reste ma mère tout de même. Ce n’est pas facile de la détester. Alors….

    Alors, c’est plus facile de détester Jackson, c’est ça ? supposa Meredith, les yeux écarquillés d’indignation. Vous êtes terribles, tous les deux, dit-elle en se tournant vers Derek. C’est votre spécialité de faire payer les innocents !

    Derek soupira. Tu ne sais pas ce que c’est. Quand tu es enfant, un petit enfant, insista-t-il, et que tu te rends compte que ta mère ne t’aime pas… Il s’arrêta de parler et déglutit. Sa mère ! Sujet tabou s’il en était ! Il plongea ses yeux dans ceux de Meredith pour y trouver le courage de se remémorer tout ce qu’il avait refoulé depuis si longtemps. Un père qui ne t’aime pas, c’est très dur à vivre aussi, bien sûr, cependant tu peux t’en remettre. Mais ta mère… – il secoua la tête – c’est dévastateur. La jeune fille fut frappée par son intonation, tellement grave qu’elle en déformait presque sa voix. Tu te sens seul, terriblement seul. Abandonné. Et ça te fait peur, tellement peur. Parce que si même ta mère ne t’aime pas, qui t’aimera ? Il se tut un instant, retrouvant soudainement toutes ces sensations familières, venues du passé. Mais tu ne peux rien faire, tu ne peux même pas lui dire ce que tu ressens parce que tu sais qu’elle ne t’écoutera pas. Il eut un sourire triste. Elle s’en moque. Tu n’existes pas à ses yeux, ou si peu. Meredith sentit les larmes lui monter aux yeux. Comment une mère pouvait-elle faire cela à son enfant ? Le porter pendant neuf mois, le mettre au monde et ensuite, le rejeter sans jamais éprouver de remords ! Quoi que tu fasses, tu n’arriveras jamais à t’en faire aimer, poursuivit Derek. Que n’avait-il fait, lui, pour que sa mère lui donne un peu d’affection ? Jusqu’au dernier jour, il avait espéré un mot, un geste, une quelconque manifestation d’amour maternel mais elle était partie avec la haine au cœur, le détruisant un peu plus. Tu n’as pas d’autre choix que d’accepter. Mais en même temps, il y a cette colère qui grandit en toi, parce que tu sais que ce qu’on t’inflige est tellement injuste. Et cette colère que tu ne peux pas exprimer à ceux qui te font du mal, elle t’étouffe, elle te ronge. Et quand elle explose, oui, c'est vrai, ce sont les autres qui paient.

    La gorge serrée par l’émotion, Meredith fut incapable de dire quoi que ce soit. Grâce à Momsy, elle savait que, du fait de ses parents, l’enfance de Derek n’avait pas été rose. Mais ce qu’il venait de lui dire, la façon dont il l’avait fait lui permettait de mesurer pleinement dans quel désert affectif il avait grandi. Pas étonnant qu’il soit devenu si dur. Pendant qu’il parlait, ce n’était pas la voix du trentenaire qu’elle avait entendue mais celle du petit garçon en manque d’amour. Ce fut à cet enfant que fut destiné le baiser qu’elle déposa sur la joue de Derek. Et c’était parce qu’elle devinait l’effort que lui avait coûté cette confession qu’elle ne retira pas sa main quand il la lui prit.

    Moi, ma mère, elle ne me détestait pas, embraya Mark. Je lui étais seulement totalement indifférent. Sauf quand je faisais des conneries et je peux vous dire que j’en ai fait vraiment beaucoup, en étant gamin, parce que j’avais remarqué que c’était les seuls moments où elle remarquait mon existence. Il regarda ses amis avec des yeux pleins de malice. Plus la bêtise était importante, plus elle s’énervait et plus longtemps durait la séance d’engueulade. Alors, je n’y suis pas allé de main morte. Au moins, quand elle me grondait, elle s’intéressait à moi. Derek eut un petit rire et Meredith comprit qu’il avait vraisemblablement usé du même stratagème pour attirer l’attention de sa mère. Là, ça fait des années que je ne l’ai plus vue, lui apprit Mark avec détachement. Je ne sais même pas où elle vit exactement. De temps en temps, elle m’envoie une carte postale d’Afrique ou d’Asie, avec juste écrit "Bons baisers de… Maman" et c’est tout.

    Tu en as de la chance ! Ils se retournèrent tous les trois et découvrirent Jackson à la même place que Derek, quelques minutes plus tôt. Moi, elle m’ignore totalement, déplora le jeune homme. Dépité, Mark détourna la tête avec ostentation. Il n’avait pas la moindre envie de voir Jackson s’immiscer dans la conversation et de l’entendre gémir sur son sort.

    Mais c’était sans compter avec Meredith et Derek. Viens t’asseoir avec nous. Entre, mon vieux, s’écrièrent-ils quasiment en chœur. Ils se sourirent avant que Derek ne se lève pour aller jusqu’au bar. Un apéro, ça vous dit ? Meredith, un Martini ?

    Oui, s’il te plaît, répondit-elle tout en tentant d’intercepter le regard de Mark, dont l’attitude la révoltait.

    Les gars, un scotch, ça vous va ? proposa Derek. Les deux frères acquiescèrent.

    Meredith fit signe à Jackson de venir s’asseoir à côté d’elle. Alors, tu n’as jamais de nouvelles de ta mère ? lui demanda-t-elle, tout en défiant du regard Mark qui hochait la tête de droite à gauche, en soufflant de consternation.

    Ce n’est pas ma mère, Meredith. C’est la sienne, répliqua Jackson en désignant vaguement Mark de la main. Pour moi, c’est seulement ma génitrice. Il remercia d’un petit sourire Derek qui lui tendait son verre, après avoir servi Meredith. Je me suis souvent demandé pourquoi elle n’avait pas avorté. Ça aurait arrangé tout le monde que je ne sois pas là, ajouta-t-il avec un regard en coin vers son demi-frère.


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