• Meredith plissa légèrement le front. Vous couchez ensemble mais vous n’êtes pas ensemble ? Donc, vous êtes des sex friends ?

    C’est ça, confirma Mark. On est des amis qui couchent ensemble. Parfois. Quand on n’a rien de mieux à faire. précisa-t-il en résistant difficilement à l’envie d’éclater de rire devant l’air réprobateur qu’elle ne pouvait s’empêcher d’avoir.

    Mais tu n’es pas du tout amoureux d’elle ? Même pas un petit peu ? s’enquit Meredith qui n’arrivait pas vraiment à admettre que deux personnes puissent faire ce qu’elle et Derek faisaient, sans éprouver aucun sentiment.

    Non, pas du tout, déclara Mark sans hésitation. Et elle n’est pas amoureuse de moi. C’est mon amie, ma meilleure amie même, et je crois qu’elle pense la même chose de moi, mais c’est tout.

    Meredith afficha un air de totale incompréhension. C’est aussi l’amie de Derek et pourtant, ils ne couchent pas ensemble.

    Mark fit un gros effort pour n’avoir aucune réaction. C’est vrai. Ce n’serait pas du tout le genre de Derek de coucher avec une amie, persifla-t-il avec un petit sourire.

    Meredith hocha la tête de haut en bas. Je sais. Il est tellement entier. Avec lui, tout est blanc ou noir, jamais gris. Et il déteste les compromis.

    Comme à chaque fois qu’elle parlait de son amant, elle avait un air attendri, un peu extatique aussi. Ce jour-là, sans doute parce qu’il savait la vérité sur le sujet de leur conversation, Mark en fut agacé. Derek n’est pas un saint, tu sais.

    Meredith émit un petit rire amusé. Oh ça, je sais ! Je ne suis tout de même pas aussi naïve. Je sais qu’il a eu de nombreuses aventures. A son âge, c’est normal. Et puis, il est tellement beau !

    Mark fit la moue. Ouais enfin, faut rien exagérer !

    Meredith tourna la tête vers lui avec un sourire moqueur. Oh mais c’est qu’il est jaloux ! Mark reconnut en lui-même qu’elle avait raison. Cependant, ce n’était pas le physique avantageux de son ami qu’il enviait, mais l’amour quasiment inconditionnel qu’il avait réussi à faire naitre chez cette fille. Celle-ci lui pinça la joue. Faut pas ! T’es très mignon aussi. Mark eut l’impression d’avoir reçu un prix de consolation. Mais Derek… Meredith soupira. Tu as déjà vu ses yeux ?

    La question sembla tellement saugrenue à Mark qu’il ne put s’empêcher de rire. Oui, souvent même, mais manifestement ils n’ont pas le même effet sur moi.

    Meredith pouffa de rire. Le contraire serait inquiétant. Mark approuva d’un signe de tête. La jeune fille regarda distraitement le paysage par la vitre de sa portière pendant quelques minutes avant de reprendre ses confidences. Tu sais, je ne me fais pas d’illusions sur lui. Je suis parfaitement consciente qu’il a couché avec des tas de femmes sans avoir le moindre sentiment pour elles. Il ne me l’a pas caché d’ailleurs. De toute façon, la toute première fois que je l’ai vu, j’ai su que c’était un séducteur. Elle se tut et Mark devina qu’elle revivait la scène. Elle avait les yeux perdus dans le vague et ce petit sourire tendre qui le faisait complètement craquer. Est-ce qu’un jour une femme penserait à lui de cette façon ? Tout à coup, elle se tourna à nouveau vers lui. Je sais qui il est. J’ai vu son attitude avec cette infirmière avec qui il a couché, Rose. Il a été horrible. Et j’ai entendu des conversations à la boutique. Alors, je sais comment il a agi avec ces femmes. Mais honnêtement, je m’en fous, parce qu’avec moi, il n’est pas du tout comme ça. Il ne l’a jamais été. Quand tu penses qu’au début, il m’a repoussée parce qu’il ne voulait pas profiter de moi ! C’est moi qui ai insisté pour qu’on fasse l’amour. J’aurais fait n’importe quoi pour être avec lui, avoua-t-elle. Et je n’ai aucun regret. Il est tellement gentil. Et doux, et attentionné, et tendre aussi. C’est avec étonnement que Mark la vit se recroqueviller sur elle-même, les bras refermés sur sa poitrine, ses mains accrochées à ses propres épaules, comme si, à cet instant même, elle s’imaginait dans les bras de l’homme dont elle parlait avec autant d’éloquence. Bon dieu ! Elle était vraiment mordue. Mark ne s’était pas encore rendu compte à quel point. Pourvu qu’elle n’ait jamais à en souffrir ! Meredith, qui était totalement plongée dans ses pensées, ne remarqua pas que son voisin l’observait avec un air étrange. Je sais qu’il se conduit comme un salaud avec beaucoup de femmes, reprit-elle. Comme toi d’ailleurs. Mark sentit son cœur se serrer. Voilà donc ce qu’elle pensait de lui ! Oh bien sûr, il ne pouvait pas lui donner tort. C’est ce que tout le monde pensait de lui, lui le premier d’ailleurs. Mais il aurait aimé qu’elle au moins ait une image différente. La jeune fille se mit à rire, d’un rire sans joie, un peu amer même. Je crois que j’ai un faible pour les salauds. L’homme que j’aime en est un. Elle regarda Mark avec ce qu’il interpréta comme de l’affection. Mon ami en est un. Et pourtant, ils n’ont jamais essayé de me tabasser ou de me violer, comme mon super ami d’enfance qui a toujours été considéré par tout le monde comme le garçon le plus gentil du monde. Cherchez l’erreur ! 

    Mark lâcha le volant d’une main pour saisir celle de Meredith. Hé, pas d’idées noires, hein !

    La jeune fille sourit vaillamment. Non, non, ne t’inquiète pas. Elle lui retira sa main.

    Tu veux en parler ?

    Elle secoua la tête. Explique-moi plutôt comment on fait pour coucher avec ses amis, dit-elle sur un ton plus léger.


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  • Rassuré de voir qu’elle avait repris le dessus, même s’il n’était pas entièrement dupe, Mark lui lança un regard coquin. Oh ça, c’est facile. On se fout à poil et on se met dans un lit. Tu veux qu’on essaie ?

    Meredith se mit à rire. T’es con ! s’écria-t-elle. Elle fit une petite mimique de dégoût. Quelle horreur ! Ce serait comme coucher avec un frère.

    Après le salaud, voilà le frère ! se dit Mark. Décidément, ce n’était pas sa soirée. Mais il n’aurait jamais la première place dans la vie de Meredith, il en était conscient. Alors, tout ce qu’elle voudrait bien lui donner serait bon à prendre. Comme je n’ai pas envie de finir ma vie en prison, on va s’abstenir, frangine, plaisanta-t-il.

    Je crois que ça vaut mieux, frérot, répondit Meredith avec un grand sourire. Très naturellement, elle se laissa aller contre lui et posa sa tête contre son épaule. Sans se douter à quel point ce simple geste ravissait Mark – son sourire allait d’une oreille à l’autre – elle pensa encore une fois à la chance qu’elle avait de l’avoir comme ami. Et dire qu’au début, elle ne pouvait pas du tout le supporter ! Il était parfois un peu lourd, son humour n’était pas toujours des plus fins mais il avait vraiment un grand cœur. Subitement, elle se redressa. Tu as déjà été amoureux ?

    L’espace d’une seconde, Mark se demanda pourquoi elle lui posait cette étrange question qui sortait de nulle part. Mais elle avait l’air tellement innocente qu’il se dit qu’elle était simplement motivée par la curiosité. Ce n’était pas pour autant qu’il allait la satisfaire. Il leva les yeux au ciel en soufflant bruyamment. Pfft Mer ! J’ai franchement pas envie de me livrer à une séance d’analyse.

    D’accord, je n’insiste pas. Pour le moment, ajouta-t-elle avec un sourire espiègle.

    Oui, ça, ça ne m’étonne pas, répliqua Mark en feignant d’être contrarié. Il lui donna un léger coup du plat de la main sur le bras. Tu ne renonces jamais, toi ! 

    Jamais ! Elle regarda autour d’elle pour essayer de voir où ils étaient. Tu ne m’as pas dit où tu m’emmenais.

    A Fishersman Wharf.

    La jeune fille sembla soudain apeurée. On n’pourrait pas aller dans un endroit où il y a moins de monde ?

    En voyant son expression, Mark opta pour une attitude décontractée. Ben non, répondit-il avec une petite moue. Je ne vois pas l’intérêt de sortir dans des endroits déserts. Si c’est pour faire ça, je reste chez moi.

    Oui mais on pourrait peut-être couper la poire en deux et choisir un endroit un peu moins fréquenté que celui-là, proposa Meredith. Je n’sais pas, tu dois bien connaitre un petit resto sympa ou un bar un peu sombre.

    Mark lui reprit la main. Mer, qu’il y ait dix ou cent personnes, qu’est-ce que ça va changer ? Personne ne fera attention à toi, je te le promets. Meredith ne dit plus rien mais en apercevant les lumières des quais, elle eut l’impression que l’air lui manquait. Elle comprit qu’elle était sur le point de faire une crise de panique et qu’elle ne serait pas assez forte pour l’éviter. Quelques minutes plus tard, Mark garait son véhicule. Quand ce fut fait, il se tourna vers Meredith et posa une main rassurante sur son épaule. Tu es prête ?

    Meredith observa la foule qui marchait en direction du ponton. Elle entendit des cris d’enfants et des rires sonores. Cela suffit à la faire trembler. Je ne peux pas, Mark. Je n’y arriverai pas. Je veux rentrer, le supplia-t-elle d’une petite voix mal assurée. 

    Bah, on n’est pas pressé, on va attendre un peu, lui promit-il en la prenant par les épaules pour la ramener contre lui. Calme-toi.

    Tu ne comprends pas. Ça ne va rien changer qu’on attende, se lamenta-t-elle. Je n’y arriverai pas. Je suis totalement paralysée. Il y a trop de monde. Tous ces gens… J’ai peur, Mark.

    Il lui fit poser la tête contre sa poitrine et lui caressa les cheveux, dans l’espoir que ça la calmerait. Je sais, Mer. Mais tu as tort, je t’assure. Parce que justement, se perdre dans la foule, c’est le meilleur moyen de passer inaperçu.

    De ses doigts tremblants, Meredith agrippa le tee-shirt de son ami. Je sais bien que non. Dès qu’on va sortir de la voiture, les gens vont me voir et ils vont se moquer de moi.

    Mark eut mal au cœur de la voir dans cet état. Elle ne jouait pas la comédie, il le savait. Elle avait vraiment peur. Jamais je ne laisserai personne se moquer de toi, Mer. Tu m’entends, personne ! Je suis ton ami. Alors, fais-moi confiance. Quoiqu’il se passe, je te protégerai. Tu es en sécurité avec moi. Il lui fit relever la tête vers lui et lui sourit. On fait un essai ?

    Bien qu’elle soit toujours tenaillée par la peur, elle acquiesça d’un signe de tête. Oui, d’accord, on fait un essai. Mais promets-moi, si ça ne va pas, on rentre. 

    Promis.


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  • Mark sortit de sa voiture pour aller ouvrir la portière à Meredith. Pour l’aider à descendre, il lui tendit une main qu’elle saisit nerveusement. Une fois sortie du véhicule, elle remonta rapidement la capuche de sa veste sur sa tête. Ce désir évident de se soustraire aux regards contraria Mark. Mer, lui dit-il sur un ton un peu réprobateur. Les gens sont ici pour se détendre, pour passer un bon moment en famille. Ils se moquent pas mal de nous, tu sais.

    Peut-être mais… mais je me sens mieux comme ça. Elle reprit la main de Mark.

    Il sentit qu’elle tremblait. Le temps étant relativement doux, cela ne pouvait être l’effet du froid. Pour la rassurer, il passa un bras autour de ses épaules. Tu permets ? Pour toute réponse, elle se colla à lui et l’enlaça par la taille. Ils commencèrent à avancer lentement, Meredith gardant la tête baissée, le menton presque sur la poitrine, pour ne pas prendre le risque de croiser les regards moqueurs des passants. Quant à Mark, s’il était ravi de sentir le corps de la jeune fille se serrer contre le sien, il regrettait que cet abandon ne soit motivé que par la peur. Après quelques mètres, il s’arrêta et se mit face à son amie, en posant les mains sur ses épaules. Mer, regarde-moi. Elle ne lui obéit pas. Regarde-moi, répéta-t-il avec plus d’autorité, en prenant son menton entre ses doigts, pour la forcer à le relever vers lui. Je veux que tu arrêtes de te cacher. Tu n’as pas à avoir honte, au contraire. Tu es une jeune femme ravissante, merveilleuse. Il secoua la tête avec un sourire tendre. Et ce ne sont pas quelques petites plaies et quelques pansements qui y changeront quelque chose. Alors, relève la tête, n‘aie pas peur. Il regarda autour de lui, dans une attitude de défi. De toute façon, si jamais quelqu’un ose faire le moindre commentaire, sois sûre que je lui enverrai mon poing dans la figure.

    Cette perspective dérida Meredith. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Si tu fais ça, tu risques de te faire arrêter et alors, moi, je me retrouverai toute seule.

    C’est vrai, admit Mark. Allez, viens, on continue. Ils reprirent leur promenade et Mark remarqua avec plaisir que la jeune fille redressait légèrement la tête. Pour l’encourager, il serra la main qu’elle avait à nouveau glissé dans la sienne.

    Elle lui répondit par une autre pression. Finalement, je suis contente que tu m’aies amenée ici. J’adore Fishersman Wharf. C’est le coin de San Francisco que je préfère, lui confia-t-elle. Quand on est arrivé, c’est le premier endroit où on est venu et j’ai trouvé ça fantastique, tous ces gens, les lumières, le bruit… Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai su que j’aimerais cette ville. Et après, on est revenu avec Derek. C’est ici qu’il m’a offert mon lion de mer, précisa-t-elle avec émotion. Mark ne put s’empêcher d’être contrarié. Evidemment, avec sa chance, il l’avait emmenée dans un endroit chargé de souvenirs avec Derek. C’était ce qu’on appelait avoir le nez fin !

    Bon, moi, j’ai faim maintenant, annonça-t-il après qu’ils aient déambulé sur les quais en faisant quelques arrêts pour visiter les boutiques ou pour assister aux spectacles offerts par les artistes de rues. On va essayer de trouver un resto sympa pour manger.

    Meredith, qui avait commencé à se détendre en constatant que personne ne lui prêtait vraiment attention, se raidit. C’était relativement facile de passer inaperçue dans la rue, au milieu d’une foule d’inconnus. Ça le serait beaucoup moins dans un restaurant bondé où tout un chacun observait ce que faisait son voisin de table. Elle désigna à son ami une échoppe où deux hommes d’un certain âge étaient en train de faire cuire des crabes. On pourrait aussi prendre quelque chose dans un truc comme ça et continuer à se promener. Qu’est-ce que tu en penses ?

    Mark feignit d’approuver la suggestion en hochant la tête de haut en bas. On pourrait. Mais vois-tu, à mon âge, on aime avoir un minimum de confort. Alors, on va aller manger dans un endroit convenable. Il vit à son expression qu’elle était à nouveau inquiète. Il la reprit par les épaules. T’en fais pas, va. Tout va bien se passer. Qu’est-ce que tu veux qu’il t’arrive avec moi ? Elle le suivit à contrecœur.

    Quelques mètres plus loin, elle reconnut la devanture du restaurant où Derek et elle avaient diné. Oh le Bubba Gump ! s’exclama-t-elle. Je connais. C’est là qu’on était venu avec Derek ! Ça te dérange si on mange là ?

    Ben, non, pourquoi ça me dérangerait ? répondit Mark, bien qu’il eût préféré un établissement où elle n’avait pas encore été avec Derek. Mais bon, autant se faire une raison, il passerait toujours derrière son ami. Allons-y. Il ouvrit la porte d’une main, tandis que de l’autre, il poussait légèrement Meredith dans le dos. Si Mademoiselle veut bien se donner la peine.

    A peine à l’intérieur, elle regretta son choix. La salle était abondamment éclairée et presque toutes les tables étaient occupées. Il faudrait un miracle pour que personne ne la remarque. Elle allait dire à Mark qu’elle avait changé d’avis quand une jeune femme surgit devant eux avec un grand sourire. Bonsoir. Une table pour deux ? Mark répondit par l’affirmative. Si vous voulez bien me suivre, dit la fille en faisant demi-tour pour les conduire dans le fond de la salle. Avant même que ses clients ne soient installés, elle posa deux cartes de menu sur la table. Je vous laisse choisir. On va venir prendre votre commande, déclara-t-elle avant de repartir.

    Tu vois que ça se passe bien. Elle ne t’a même pas remarquée, souligna Mark en s’asseyant sur la banquette de moleskine rouge.

    Elle, non, mais les autres ? riposta Meredith en prenant une des cartes.


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  • On ne croirait pas mais t’es vachement égocentrique, comme fille, plaisanta Mark. Pour se venger, elle lui tira discrètement la langue avant de consulter le menu. Qu’est-ce qui te fait envie ? s’enquit Mark après quelques minutes.

    Hmm… Je crois que je vais me laisser tenter par les crevettes panées Mama Blue’s avec des frites bien sûr. Et comme boisson, un Pepsi. Meredith referma sa carte avec des yeux brillants de gourmandise. Et toi, qu’est-ce que tu vas manger ?

    J’hésite, lui confia Mark. Entre les crevettes Mac and Cheese ou le hamburger All-American avec des frites. Il fit la moue avant de se décider. Allez, le hamburger, et une Bud. Il prit une pancarte où était écrit "Stop Forrest, Stop" et la mit en début de table.  

    Meredith regarda la pancarte avec curiosité. Qu’est-ce que c’est ?

    Ça sert à indiquer que tu as besoin d’un serveur, lui apprit Mark. Et quand tu mets celle-là – il lui montra une deuxième pancarte sur laquelle il y avait "Run Forrest, Run" – ça veut dire que tu n’as besoin de rien. 

    Cela étonna Meredith. Ah bon ! Quand je suis venue avec Derek, il ne les a pas utilisées.

    Sans doute parce qu’il ne connait pas le principe, présuma Mark. A mon avis, quand vous êtes venus, c’était la première fois qu’il mettait les pieds chez Bubba Gump.

    Meredith émit un petit rire. Oui, ce n’est pas tout à fait son genre ici. Un serveur s’arrêta devant leur table. Tandis que Mark passait la commande, la jeune fille regarda autour d’elle. C’est ainsi qu’elle vit que, comme Mark l’avait prédit, personne ne faisait attention à elle, à l’exception d’un jeune adolescent, qui détourna aussitôt les yeux, et d’une dame d’une soixantaine d’années qui lui adressa un sourire bienveillant. Meredith le lui rendit en se disant que si elle était à la place de la dame, elle se regarderait aussi. La curiosité faisait partie de la nature humaine, c’était indéniable, et si elle n’était pas malsaine, c’était gérable.

    Voyant qu’elle était plongée dans ses pensées, Mark se rappela à son bon souvenir. Ça va, Mer ?

    Elle lui sourit. Je viens de me rendre compte que si je n’éveillais que de la curiosité chez les gens, je pourrais le supporter.

    Mark tourna rapidement la tête dans tous les sens. Pourquoi ? Il y a des gens qui te regardent ?

    Non, ne t’en fais pas, le rassura Meredith. Enfin, si. Juste une vieille dame. C’était pas méchant. Je gère.

    Mark eut l’air sincèrement réjoui. Ah tant mieux, tant mieux.

    Le serveur revint avec deux plateaux recouverts d’une feuille plastifiée qui avait l’apparence du papier journal, sur laquelle étaient servis leurs plats. Mark ne perdit pas un instant pour prendre une frite. Meredith le regarda faire avec amusement. Eh bien, toi, tu n’es pas comme Derek. Tu ne t’occupes pas de tes acides polymachins.

    Polyinsaturés, la corrigea Mark en souriant. Non, moi, je m’en fous totalement. La vie est beaucoup trop courte pour m’emmerder avec des considérations de ce genre.

    Meredith poussa un long soupir sonore. Si tu pouvais faire en sorte que Derek devienne comme toi, ça m’arrangerait. A chaque fois que j’ai le malheur de dire que j’ai envie d’un hamburger, il me parle des dangers de la malbouffe.

    Mark acquiesça d’un signe de tête. Ouais, je sais. Faut pas lui en vouloir, c’est dû à son éducation. Sa mère était très à cheval sur tout ça, expliqua-t-il en trempant une frite dans la sauce. Elle l’a bassiné tout le temps avec des discours sur les bienfaits de la diététique. Un corps sain pour un esprit sain ! déclama-t-il avec une voix de fausset. Il lui tendit le ravier contenant les oignons frits qui accompagnaient son hamburger. Elle le refusa d’un signe de la main. Moi, la mienne, j’aurais pu bouffer les croquettes du chien, elle s’en moquait totalement, ajouta Mark sur un ton amer. De toute façon, elle n’était jamais là.

    Bien qu’elle ait mal au cœur d’entendre ça, Meredith s’efforça de ne manifester aucune émotion. Montrer de la tristesse ou de la compassion aurait comme effet de mettre fin aux confidences involontaires de Mark. Or s’il y avait bien une chose qu’elle voulait plus que tout, c’était connaitre l’histoire de ses amis, et surtout de Derek. J’aurais bien aimé vous connaitre quand vous étiez petits, dit-elle sur un ton léger pour relancer la conversation.

    Mark plissa le nez. Je ne crois pas que tu nous aurais apprécié. On était des sales gosses dans notre genre.

    Meredith découpa une crevette en deux. Pourquoi ? Vous avez fait beaucoup de bêtises ?

    Oh rien de bien méchant. Mark eut un sourire nostalgique. Des conneries de gamins livrés à eux-mêmes.

    Meredith décida de revenir sur le sujet qui lui tenait tant à cœur. Alors ? Tu ne m’as pas répondu tout à l’heure. Elle but une gorgée de soda. Tu as déjà été amoureux ?


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  • Mark hocha la tête avec un petit sourire narquois. Laisse tomber, Sherlock Holmes ! Il mordit avec appétit dans son hamburger.

    Meredith lui jeta un regard suppliant. Allez, quoi, Mark ! Je veux juste savoir si tu as déjà été amoureux. Je ne te demande pas de me décrire ta vie sexuelle.

    Marc écarquilla les yeux. Ah mais ça, je préfèrerais ! Avec les détails même, si tu veux. Il haussa ses sourcils de façon coquine. Et travaux pratiques après, pour voir si tu as été bien attentive.

    Meredith prit un air excédé. Mais qu’il est bête ! Alors, tu as été amoureux ? Mark sourit malicieusement. Allez, dis-moi, insista-t-elle encore. Pourquoi tu fais ta mauvaise tête ? C’est le genre de truc qu’on se raconte entre copines, tu sais.

    Hé ! Au cas où tu l’aurais oublié, je ne suis pas une fille et je peux te le prouver, répliqua Mark en abaissant son regard vers son entrejambe.

    Meredith le fixa du regard. Tu peux être sérieux une minute et répondre à ma question toute simple ?

    Le moins qu’on puisse dire, c’était que la gamine avait de la suite dans les idées. Mark savait qu’elle ne le lâcherait pas le morceau tant qu’elle n’aurait pas eu satisfaction. Mais comme il n’avait pas envie de lui accorder la victoire, il décida de la prendre à son propre jeu. Très bien, soupira-t-il en reposant son hamburger sur le faux papier journal. Elle s’appelait Emily. J’en étais fou. Si j’avais su… Il prit un air triste. Suspectant un drame, Meredith s’arrêta de manger. Craignant qu’elle ne surprenne ses yeux rieurs, Mark baissa la tête. Elle était très jolie, avec de longs cheveux blonds. Sa mère avait l’habitude de lui faire des boucles pour aller à l’église, le dimanche. Surprise, Meredith fronça les sourcils mais ne dit rien. Nous avons vécu une passion dévorante, poursuivit Mark, maîtrisant si difficilement son envie de rire que sa voix en trembla, ce que la jeune fille prit pour un excès d’émotion. Elle posa sa main sur celle de Mark. Un jour, elle a disparu. Elle avait dû partir pour l’Alabama, où son père avait obtenu un emploi mieux rémunéré. Je ne l’ai jamais revue, ajouta-t-il avec des trémolos dans la voix. Elle avait sept ans, j’en avais neuf. Il releva la tête et reprit son hamburger dans lequel il mordit un grand coup. Voilà l’histoire du seul grand amour de ma vie !

    Comprenant qu’il s’était joué d’elle, Meredith ouvrit de grands yeux outrés. Non mais j’y crois pas ! Tu t’es foutu de moi !

    Mark rit de bon cœur. Et pas qu’un peu ! Si tu crois que je ne t’ai pas vue venir ! Tu commençais à me questionner sur ma vie, mes amours, et petit à petit, tu aurais dérivé sur Derek.

    Dépitée qu’il ait deviné ses intentions, Meredith fit une moue. Absolument pas ! 

    Tu n’espères tout de même pas que je vais te croire ? Il lui désigna son assiette. Mange ! Froid, c’est indigeste.

    Elle prit une crevette entre l’index et le pouce et la plongea dans la sauce. Dis-moi au moins s’il y a quelque chose de vrai dans ton histoire. Emily, elle a existé ?

    Pfft ! souffla Mark mais ses yeux rieurs prouvaient que la ténacité de la jeune fille l’amusait. Mais t’abandonnes jamais toi ! Meredith, qui avait la bouche pleine, secoua la tête. D’accord, je vais te répondre, promit Mark. Mais à une seule condition !

    Méfiante, Meredith fronça les sourcils. Laquelle ? 

    Je te réponds à propos d’Emily mais après, tu n’essaies plus de me tirer les vers du nez sur mon enfance, ma famille, mes amours. Et sur Derek non plus. Mark lui tendit la main pour qu’elle tope dedans. 

    Elle le fit après quelques secondes d’hésitation. D’accord. 

    Alors, sache que mon histoire a été inventée de bout en bout, lui révéla Mark. Emily n’existe pas. Il se mit à rire en voyant à quel point elle était déçue. Tel est pris qui croyait prendre, très chère.

    Elle ne pouvait rien faire d’autre que de reconnaitre sa défaite. Tu m’as eue. Elle mangea une frite en observant Mark qui continuait de ricaner à ses dépens. Rira bien qui rira le dernier, pensa-t-elle. Je voudrais te poser encore une question, continua-t-elle à voix haute. Rien à voir avec ta vie privée ou celle de Derek, précisa-t-elle en voyant le regard méfiant de son camarade. Je voudrais juste savoir ce que tu pensais de moi, au début. La première fois que tu m’as vue, par exemple.

    Rien de bien, répondit franchement Mark. Et tu le sais. Faut dire que tu n’étais pas au top ce jour-là. Tu t’imposais vachement dans le genre niaise mal fagotée.

    Tout de même ! De là à me désigner comme la fille la plus moche de la ville, lui reprocha Meredith. Elle pointa son index vers lui. Et n’essaie pas de nier.

    Mark rit encore une fois. Je n’y pensais même pas. Mais reconnais que tu n’étais pas terrible dans tes jeans trop larges et tes horribles tee-shirts informes. Qui aurait pu deviner que… Il ne termina pas sa phrase mais fit un geste éloquent de la main dans sa direction.


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