• CHAPITRE 926

    Je sais que vous avez raison, reconnut Derek, la gorge nouée. Mais j’ai passé tellement de temps à essayer de refouler tout ça et maintenant il faut que… Il allait falloir tout ressortir, toute cette merde, il n’avait pas d’autre mot pour caractériser ce qui s’était passé dans sa vie jusqu’à présent. C’est dur.

    Bien sûr que c’est dur, bien sûr. Momsy hésita quelques secondes avant de poursuivre. Après avoir écouté ton message, Meredith est venue dans ma chambre et… ne m’en veux pas mais je lui ai parlé d'Abigail et de ton père. Et de ta mère aussi, sans entrer dans les détails. Derek prit la main de la vieille dame et la porta à sa bouche, y appuyant longuement ses lèvres, pour qu’elle comprenne qu’il ne lui en voulait pas. Les détails, je te les laisse. Premièrement, je ne suis pas au courant de tout et puis, je crois qu’elle préfère que ça vienne de toi. C’est de toi qu’elle attend des réponses, Derek.

    Il opina doucement de la tête. J’aimerais bien être plus vieux de quelques heures, dit-il soudain. Il était conscient que ces quelques heures ne suffiraient pas pour que Meredith passe l’éponge mais au moins il l’aurait revue – c’était ce qui lui importait le plus – et il aurait pu poser les premiers jalons de sa tentative de reconquête. Il se tourna vers Momsy avec un sourire presque enfantin, qui la fit fondre. Dites, par hasard, vous ne connaîtriez pas un moyen de faire avancer le temps ?

    Elle renversa légèrement la tête en arrière avec un petit rire chevrotant. Je suis pleine de ressources mais je n’en suis pas encore à faire des miracles, sinon je ne serais pas ici à me trainer comme une vieille tortue. Ils échangèrent un sourire complice. Les années ne t’ont pas rendu plus patient, dis donc !

    Que du contraire ! Derek regarda sa montre et fut surpris de l’heure qu’il était déjà. Il ne lui restait pas beaucoup de temps avant de devoir repartir. Il commença à redouter que Meredith ne rentre pas avant son départ. Momsy, si jamais je dois partir avant le retour de Meredith, vous lui direz que je suis venu, n’est-ce pas ?

    Bien sûr, mon petit, promit-elle, attendrie. Tu peux compter sur moi.

    J’ai tellement peur qu’elle pense que je me désintéresse d’elle, confessa Derek. Mark lui avait demandé de laisser du temps et de l’espace à la jeune fille mais maintenant, il regrettait de l’avoir fait. Il craignait que Meredith ne prenne ça pour de l’indifférence. Dites-lui aussi que je l’aime, plus que tout, que rien d’autre ne compte qu’elle…

    Momsy lui plaça une main sur la bouche pour le faire taire. Tu le lui diras toi-même, mon garçon. Ces mots-là n’auront pas la même valeur pour elle si c’est moi qui les dis.

    Malgré l’assurance affichée par Momsy, Derek continuait à douter et il ressentit un énorme besoin d’être rassuré. Vous croyez vraiment que j’ai encore une chance avec elle ? demanda-t-il fébrilement. Je l’ai tellement déçue. C’est possible qu’elle m’aime encore ? Enfin, assez pour me pardonner et me reprendre ?

    Momsy s’étonna de le sentir si peu confiant, lui qu’elle avait toujours connu tellement sûr de lui, trop parfois d’ailleurs, jusqu’à en être arrogant. Ecoute, je ne peux pas parler à sa place. En plus, je ne la connais pas très bien mais… – son sourire se fit rassurant – de ce que j’ai pu voir, elle t’aime encore. Alors, tant qu’il y a de l’amour, rien n’est perdu !

    Ah j’espère. Derek soupira encore une fois, en jetant un nouveau coup d’œil à sa montre. En tout cas, je vous remercie de m’avoir écouté.

    Bah, c’est à ça que ça sert, la famille, non ? Derek approuva d’un signe de tête. Oui, cette vieille dame et Mark étaient sa famille, bien plus que ne l’étaient les personnes à qui il était lié par la génétique. A ce propos, enchaina Momsy, j’ai quelque chose à te demander, moi aussi, une faveur en quelque sorte. Il fronça un peu les sourcils. Je voudrais que tu veilles sur Mark quand je ne serai plus là, lâcha-t-elle.

    Le ton de Derek se chargea de reproches. Momsy, ne dites pas ça. Il lui passa un bras autour des épaules. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, non ?

    Elle leva directement sa main en l’air. Ah non, pas toi ! s’écria-t-elle. Ne me dis pas que je vais m’en sortir. Nous savons tous les deux que ce n’est pas vrai.

    Derek comprit qu’il était inutile de lui mentir. Oui, concéda-t-il en soutenant son regard insistant.

    Je préfère ça. Momsy se détourna un instant, regardant en silence cet endroit qu’elle aimait tant et qu’elle allait devoir quitter très bientôt. Edward le lui avait offert pour son trentième anniversaire, afin qu’elle puisse laisser libre cours à sa passion pour les chevaux. Lorsqu’elle s’était retrouvée subitement veuve, voilà un peu moins de quarante ans, elle avait quitté leur maison de San Francisco pour se retirer ici, où ils avaient été si heureux. C’était ici qu’elle voulait mourir et reposer pour l’éternité. Elle posa à nouveau son regard fatigué sur Derek. Promets-moi de ne jamais le laisser tomber. Il va avoir besoin de toi. Emu aux larmes par cette confiance qu’elle lui témoignait, le chirurgien ne put répondre que par un signe de tête. Tu comprends, quand je serai partie, il va se retrouver tout seul. Toi, tu as Meredith, lui, il n’aura plus personne, à part toi. Elle soupira. La mort ne lui faisait pas peur. Certains jours, même, elle l’espérait de toutes ses forces, tant sa lassitude était grande. Mais que Mark se retrouve livré à lui-même était devenu, au fil des derniers mois, une véritable hantise qui l’avait empêchée d’envisager sereinement son départ. C’est un oiseau pour le chat, mon petit, expliqua-t-elle à Derek avec un sourire tendre. Que veux-tu, il est comme son père, trop bon, trop con. S’il tombe sur la mauvaise personne, il va se faire avoir sans s’en rendre compte, dit-elle avec fatalisme. Toi, tu es lucide. Tu vois ce genre de choses. Il faudra lui ouvrir les yeux. Je sais qu'il t'écoutera. Après ma mort, il sera le seul dépositaire de la fortune des Sloan. Alors, méfie-toi des vautours, à commencer par sa mère, ajouta-t-elle, soudain plus fébrile. Elle lui serra la main de toutes les forces qui lui restaient. Et il faudra que tu l’obliges à s’occuper de Jackson. Ce ne sera pas facile, je sais, c’est un sujet épineux, mais il doit le faire. Ce sera son rôle en tant que chef de famille.

    Derek sentit qu’elle s’énervait. Momsy, ne vous inquiétez pas, dit-il doucement. Je veillerai sur Mark. Le jour où vous… – il s’arrêta soudain, se refusant à employer des mots qui auraient un caractère par trop inéluctable – vous pouvez être tranquille. Je ne le laisserai jamais tomber. C’est un frère pour moi, vous le savez bien.

    Merci, répondit simplement Momsy. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit sereine. Maintenant qu’elle avait revu ses deux garçons et qu’elle avait confié son petit-fils chéri à Derek, en qui elle avait toute confiance, elle pouvait rejoindre son mari et son fils.


  • Commentaires

    1
    Butterfly
    Mercredi 8 Mai 2019 à 20:11

    J'aime beaucoup ce Derek sensible, je le trouve très émouvant. Et Momsy aussi. Je sais qu'elle est vieille et malade mais j'espère qu'il ne va rien lui arriver 

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :