• CHAPITRE 1008

    Oui. Derek prit une cuillère de confiture et la répartit sur le toast. C’est ce qui a permis à mon père, un jour, au cours d’une dispute, d’accuser ma mère de m’avoir conçu avec mon grand-père. Meredith resta bouche bée. Il savait que ce n’était pas vrai, il voulait juste la blesser, précisa Derek.

    Mais quel sale type ! s’écria Meredith, outrée. Quel malade ! Sa sincère indignation fit sourire Derek. Comment peut-on dire des horreurs pareilles ? Elle imaginait sans peine les sentiments du petit garçon qui avait surpris de tels propos.

    Il haussa les épaules. Oh avec lui, tu sais… Il a fait bien pire. Il surprit le regard de son amie. Non, pas ça, Meredith, grogna-t-il entre ses dents en hochant la tête. Je ne veux pas de ta pitié. Je déteste ça. Il lui tendit un toast dégoulinant de confiture.

    Ce n’est pas de la pitié, Derek, se défendit-elle en prenant la tartine. C’est de la compassion. Ça ne devait pas être facile à vivre, tout ça. Grandir dans une telle atmosphère…

    Oui, ce n’était pas évident tous les jours, admit-il. Il ressentit une énorme bouffée de tendresse envers elle – elle était si attentionnée et elle le comprenait tellement bien – et il lui déposa un baiser furtif sur la tempe, n’osant se permettre plus pour le moment.

    Elle rosit de plaisir et mordit avec appétit dans le toast. Mmm c’est bon ! De l’autre main, elle reprit la photo et se pencha, collant presque son nez dessus, dans l’espoir de mieux voir le bébé. Alors, c’est toi. Tu es trop mignon. Et ils ont l’air tellement fier, tous les deux. Elle regarda Derek avec un air attendri.

    Il fixait obstinément l’image. C’est aussi pour cette raison que j’ai gardé cette photo. Je crois que c’est la seule où ma mère parait heureuse d’être avec moi. Peut-être qu’elle m’aimait un peu à ce moment-là.

    Oh Derek ! La voix de Meredith s’altéra sous le coup de l’émotion. Je suis sûre qu’elle t’aimait énormément, et qu’elle t’a aimé jusqu’à son dernier jour. C’est juste que… d’après Momsy, ton père l’a forcée à choisir entre toi et lui.

    Oui, et elle l’a choisi, lui, laissa froidement tomber Derek. Il prit la première photo et s’abîma dans sa contemplation, sans que Meredith n’ose plus l’en distraire. Elle mordit discrètement dans sa tranche de pain. Je l’adorais, tu sais, reprit soudain Derek après un long silence. Je l’idolâtrais même. Un sourire nostalgique naquit sur ses lèvres. Quand j’étais petit, j’aimais la regarder se préparer pour une soirée où elle devait accompagner mon père. Surprise par la douceur de sa voix, Meredith se sentit étrangement émue, avec la sensation qu’elle allait enfin découvrir le vrai Derek. Elle n’eut soudain plus faim et reposa ce qui restait du toast sur le plateau. Elle mettait des heures à choisir sa robe, ses bijoux, poursuivit Derek. Elle se maquillait avec soin et quand elle avait terminé, j’avais l’impression d’avoir une vraie princesse en face de moi. Il se revit, enfant, quand il restait des heures, bouche bée, dans un coin de la chambre de sa mère, à épier le moindre de ses gestes, se faisant tout petit pour qu’elle ne le remarque pas jusqu'au moment où elle avait terminé et où il se jetait sur elle en criant, Comme vous êtes belle, Maman ! Vous êtes la plus belle de tout le monde entier. Les bons jours, elle le remerciait d’un sourire et d’un furtif baiser sur la joue. Tant d’efforts pour plaire à ce connard qui n’en avait rien à foutre ! Il ne faisait même pas attention à elle, lâcha-t-il avec rage. Son corps se raidit subitement. Interdite, Meredith resta immobile, ne sachant comment réagir. C’est vrai qu’elle était belle, s’écria-t-il. Mais elle n’était pas que ça. Elle était cultivée et brillante. Elle s’intéressait à tout, à l’histoire, à la littérature, à la politique, aux sciences, à l’art. Il s’arracha enfin à la photo et se tourna vers Meredith. Sa mère est morte en la mettant au monde. Alors, mon grand-père l’a élevée seul. Il s’est vraiment consacré à elle. Il ne s’est jamais remarié parce qu’il ne voulait pas lui imposer une belle-mère avec laquelle elle aurait pu ne pas s’entendre. Mais à cause de son métier, il n’était pas très présent. Tu vois, je crois qu’il se sentait coupable de ne pas être souvent là et donc, il a compensé en lui passant tous ses caprices. Le léger embarras qui transparaissait sur son sourire se transforma en tendresse. Les nounous avaient pour consigne d’exaucer le moindre de ses désirs. Je crois qu’elle a été très gâtée, trop sans doute. En revanche, mon grand-père a été intraitable sur les études. Il regorgeait d’ambition pour elle. Il voulait qu’elle fasse de grandes choses. Meredith buvait ses paroles, excitée à l’idée de découvrir enfin ce mystère que semblait être l’histoire familiale de Derek. Elle ne le quittait pas des yeux, ne voulant manquer aucune des émotions qui se reflèteraient sur son visage. Il remarqua son attention et lui sourit, profitant du moment pour se rapprocher un peu d’elle. Il l’a surprotégée aussi. Elle était tout ce qui lui restait, alors, il avait tout le temps peur qu’il lui arrive quelque chose. Quand elle est devenue adolescente, je crois que ça n’a pas été facile pour elle. Les sorties entre amis, le cinéma, les boums, son père n’aimait pas ça. Pour lui, c’étaient des risques inutiles et aussi du temps perdu, volé aux études. Quant aux garçons… Il fit une grimace. A chaque fois que quelqu’un s’est intéressé à elle, ça n’a pas duré. Mon grand-père ne les trouvait jamais assez bien. Il fallait qu’ils soient de bonne famille, fortunés, bien élevés, intelligents, cultivés, ambitieux, que sais-je encore. Aucun n’a jamais rempli tous les critères.

    Mais ton père, oui ? demanda timidement Meredith.

    Lui moins que tous les autres, ironisa Derek. Il était intelligent, oui, et ambitieux, de façon démesurée. Pour le reste… Mais va savoir pourquoi, pour lui, elle a tenu tête à son père.

    Elle l’aimait vraiment, présuma la jeune fille.

    Oh ce n’était même plus de l’amour mais de la rage, maugréa Derek avec acrimonie. Ils se sont rencontrés dans une des rares soirées à laquelle elle avait été autorisée à participer. Lui, il n’avait même pas été invité. Il ne faisait qu’accompagner son coloc’, qui se trouvait être un lointain cousin de ma mère. A quoi tenait le destin parfois ? Au hasard le plus souvent. Mais contrairement à ce qu’on prétendait, celui-ci ne faisait pas toujours bien les choses. Le cousin a fait les présentations et elle a eu le coup de foudre.

    Et lui ?


  • Commentaires

    1
    Butterfly
    Vendredi 30 Août 2019 à 09:38

    Effectivement, Derek idolâtrait sa mère et je pense que c'est toujours un peu le cas, malgré l'indifférence qu'elle lui a manifestée. Mais on sent dans ses propos une énorme souffrance qui est toujours là. Il est clair qu'il ne s'est toujours pas remis de son enfance. J'espère que Meredith va lui permettre de laisser tout ça derrière lui pour aller vraiment de l'avant

    Hâte de connaitre la suite de l'histoire familiale

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