• Eh bien, on va faire un marché, déclara la jeune fille. A chaque truc que tu me diras sur toi, je mangerai un bout de pizza. Elle inclina la tête sur la droite en faisant une bouche en cul de poule et des yeux charmeurs.

    Derek ne put s’empêcher de rire. Tu te rends compte que tu es en train de me faire du chantage, là ?

    Oui, comme toi, avec le tiramisu, tout de suite, objecta Meredith avec un grand sourire exagéré.

    Derek marqua son désaccord en secouant la tête de gauche à droite. Rien à voir ! Moi, je fais ça pour ton bien.

    Oh mais moi aussi, je fais ça pour toi, certifia Meredith avec un air ingénu. Ça fait beaucoup de bien de s’ouvrir aux autres, de leur parler. D’ailleurs, c’est ce que tu n’arrêtes pas de me dire, que je dois te parler de ce qui m’est arrivé, parce que ça va me soulager. Elle redevint sérieuse et planta son regard dans celui de son amant. On sort ensemble depuis des semaines et je ne sais rien de toi, sauf ton nom, ton âge, ton métier, que tu es né ici, que tu es exigeant avec ton personnel et que tu es un bourreau des cœurs. Il sourit en l’entendant décrire l’image qu’elle avait de lui. Y a pas de quoi rire ! protesta-t-elle. En fait, sortir avec toi, c’est comme signer un chèque en blanc.

    Derek la dévisagea quelques instants, comme s’il la voulait la sonder pour connaitre ses motivations profondes. Il ne vit rien d’autre qu’un désir sincère de mieux le connaitre. Qu’est-ce que tu veux savoir ? s’enquit-il d’une voix douce.

    Meredith eut envie de lui dire qu’elle voulait tout savoir sur lui, de ses premiers balbutiements à son accession au titre de meilleur neurochirurgien du pays, en passant par ses relations amoureuses, et sans oublier bien sûr ce qui l’avait amené à couper les ponts avec sa famille. Mais elle pressentait que si elle se montrait trop gourmande, elle repartirait bredouille. Alors, il valait mieux se montrer raisonnable. Dis-moi quelque chose sur ton père. Ce que tu veux.

    C’est un connard égocentrique et manipulateur, fut tenté de répondre Derek mais il s’en abstint parce que parler de son géniteur en ces termes l’aurait obligé à se lancer dans des explications qu’il voulait à tout prix éviter. Mon père était neurochirurgien, dit-il sur un ton presque atone. Il s’est reconverti dans l’enseignement à la suite d’un problème de santé. Il désigna la part de pizza de Meredith. Mange !

    Elle s’exécuta immédiatement. Il était prof à Berkeley ? demanda-t-elle, la bouche encore pleine.

    Oui. Malheureusement.

    Pourquoi malheureusement ?

    Derek se laissa aller contre le dossier du canapé en soupirant. Je voulais faire Harvard, ou à défaut John Hopkins. Ce sont les meilleures facs de médecine du pays, précisa-t-il. J’avais d’excellentes notes. Je m’étais constitué un dossier en béton, j’avais des lettres de référence. J’étais certain d’être admis. Mais lui… La mâchoire du chirurgien se contracta au point que Meredith entendit les dents grincer. Lui, il voulait que je reste ici.

    Il avait peur que tu lui manques, une fois de l’autre côté du pays ? Après avoir posé sa question, Meredith mordit machinalement dans sa pizza.

    Le regard dur, Derek hocha lentement la tête. Non. Il voulait que je reste pour pouvoir me contrôler et pour me mettre des bâtons dans les roues. Il ne pouvait pas supporter l’idée que j’aille dans une meilleure université que lui, que je fasse mieux peut-être, que je devienne meilleur que lui. Alors, il a saboté mon inscription dans les facultés de mon choix – Meredith resta bouche bée de stupéfaction – et je n’ai pas eu d’autre choix que de m’inscrire à Berkeley où il avait déjà tout arrangé pour moi, poursuivit Derek, plein d’amertume.

    C’est dingue ! s’exclama Meredith. Saboter son propre fils ! Derek partagea son indignation par un simple hochement de la tête. Ceci dit, Berkeley, c’est pas mal quand même, reprit la jeune fille avec circonspection. C’est une très bonne université. Beaucoup de gens aimeraient avoir la chance d’y étudier.

    Derek prit conscience du fait que ses récriminations pouvaient paraitre déplacées à son amie, elle qui n’avait même pas pu faire des études. Oui, bien sûr, je sais, Berkeley est une université prestigieuse. Je n’ai pas à me plaindre, concéda-t-il. Mais c’est pour le principe, tu vois. J’étais son fils, il aurait dû me soutenir dans mes rêves, pas les briser, conclut-il, pleine d’amertume.

    Meredith lui serra la main. Ça ne t’a pas empêché de devenir un excellent neurochirurgien. Tu es encore si jeune et tu es déjà tellement renommé. Je suis sûre que ton père est très fier de toi aujourd’hui.

    Je ne crois pas, non, dit froidement Derek en se servant un autre verre de vin. Tu veux quelque chose ?

    Non, pas pour le moment. Même si elle n’avait pas du tout faim, Meredith s’obligea à avaler une nouvelle bouchée de pizza, tout en observant son amant qui était perdu dans ses pensées. Et Mark, il a fait ses études où ? lança-t-elle subitement.  

    Le visage de Derek s’éclaira. Ici, avec moi. Lui aussi voulait aller à Harvard. On avait les mêmes objectifs, les mêmes ambitions. Sa voix se teinta d’une forte émotion. Par amitié, il a fait ce que personne n’aurait fait, il a renoncé à ses rêves.


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  • Et il est devenu le plus grand chirurgien plasticien du monde ! clama Meredith sur un ton léger, pour détendre l’atmosphère.

    Cependant, Derek resta imperméable à son humour. Quand toute ta vie, on te traite comme le plus parfait des crétins, ça te motive à prouver le contraire.

    Meredith le regarda avec commisération. Il était évident qu’il avait beaucoup souffert de sa relation avec son père. C’est à cause de Berkeley que tu as coupé les ponts avec ta famille ? l’interrogea-t-elle. Il fit signe que non.

    Même si elle s’attendait à être rembarrée, Elle ne résista pas à l’envie de poser une autre question. L’étudiante avec qui ton père est parti… Si elle suivait ses cours, je suppose que tu la connaissais.

    Le bleu des yeux du chirurgien se fit à nouveau plus froid. J’ai eu cette chance, effectivement, ironisa Derek. J’étais aux premières loges. Il prit la main de la jeune fille dans la sienne et noua leurs doigts. Ne m’en veux pas, mais je n’ai pas envie de parler de ça, avoua-t-il en fixant leurs mains unies. Je te l’ai dit, je n’aime pas remuer la merde, et cette histoire, c’est vraiment de la merde.

    Oui, bien sûr, je comprends. Certes, Meredith aurait aimé qu’il poursuive ses confidences mais elle s’estimait déjà heureuse qu’il lui en ait dit autant. Cela ne servait à rien de vouloir aller trop vite. Maintenant qu’il avait accepté de lui parler de lui, il recommencerait, elle en était convaincue.  

    Il la regarda intensément. Tu sais, je suis conscient de t’en demander beaucoup. Je t’ai imposé une relation impossible avec un mec encore plus impossible dont tu ne sais pas grand-chose, tu as raison.

    Tu ne m’as pas imposé, estima Meredith. Tu m’as fait une proposition, j’ai accepté. J’aurais pu refuser.

    Oui, bien sûr, mais… Derek soupira. C’est toi qui as fait le plus de concessions. Alors, j’espère qu’un jour, j’arriverai à te parler de moi. Vraiment te parler. Mais pour le moment, je ne peux pas. Mais je veux que tu saches que ça n’a rien à voir avec toi, assura-t-il avec fougue. Ce n’est pas parce que je ne te fais pas confiance ou quelque chose comme ça. Pas du tout. C’est moi, c’est juste moi. Je ne suis pas prêt à parler de ça.

    D’accord. Meredith lui sourit. En attendant, tu ne m’avais pas parlé d’un tiramisu ?

    Soulagé qu’elle cède aussi facilement, Derek se sentit d’humeur farceuse. J’avais dit aussi qu’il fallait que tu manges, lui rappela-t-il en regardant, avec un sourire goguenard, ce qui restait du morceau de pizza.

    Elle lui jeta un regard scandalisé. Hé ! J’ai mangé un morceau de pizza à chaque fois que tu as dit quelque chose. J’ai respecté ma part du marché, alors, respecte la tienne. Elle pointa son index vers lui. De toute façon, tu ne peux rien me dire. Tu as mangé encore moins que moi.

    Touché ! Derek se leva et se rendit à la cuisine. Tu vas l’avoir, ton dessert ! Il rit en entendant la jeune fille applaudir frénétiquement.

    Elle l’applaudit encore quand il lui tendit l’assiette sur laquelle il avait servi la pâtisserie. Oh ça a l’air trop bon, gémit-elle avec gourmandise. Sans plus perdre de temps, elle plongea sa cuiller dans le gâteau. Derek s’assit devant elle en se félicitant de l’excellent choix qu’il avait fait, parce que non seulement la jeune fille semblait avoir retrouvé son appétit, mais aussi parce qu’il allait assister au spectacle qui l’avait déjà ravi à plusieurs reprises. Et effectivement, Meredith, les yeux mi-clos, lécha avec délectation la cuiller remplie de crème au mascarpone, en passant ensuite le bout de sa langue sur ses lèvres pour ne pas en perdre une miette. Un gémissement discret s’échappa de sa gorge avant qu’elle ne replonge sa cuiller pour une deuxième bouchée. Derek était dans un tel état de manque qu’il ne lui en fallut guère plus pour être en proie à l’excitation. En cet instant, il aurait tant aimé être à la place de la cuiller. Absorbé dans sa contemplation, il ne réalisa pas qu’il laissait échapper un long et profond soupir. C’était trop dur d’être là avec elle, et de ne pas pouvoir l’approcher, enfin, pas réellement. Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle en le regardant avec un air un peu suspicieux. 

    Rien. Je réfléchissais, prétendit-il.

    A quoi ? Meredith recommença à lécher sa cuiller.

    Pour tenter de calmer ses ardeurs, Derek prit la boite de pizza pour la ramener à la cuisine. Je me disais qu’on pourrait sortir.  

    Meredith eut l’air paniqué. Sortir ? Où ça ?

    Derek fit une petite moue. Je ne sais pas. On pourrait faire une petite balade dans le quartier.

    Meredith posa son assiette sur la table. Pourquoi ? On est bien ici. Moi, je n’ai pas du tout envie de sortir, annonça-t-elle sur un ton presque cassant.

    Derek devina la raison de son refus. Tourmentée par son apparence, gênée même sans doute, elle préférait se cacher pour ne pas affronter les regards des gens. C’était une réaction qu’il comprenait mais qu’il se refusait à encourager. Il décida donc de transiger. On pourrait se promener dans le parc, proposa-t-il en revenant dans le salon. C’est juste derrière la maison.


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  • Agacée, Meredith leva les yeux au ciel. Tu n’as pas une meilleure idée ? Aller dans un parc le soir ? Il fait froid, humide. De quoi attraper une bonne crève, quoi ! Et je ne parle même pas des moustiques.

    Amusé par sa mauvaise foi, Derek se détourna pour qu’elle ne le voit pas sourire. Si tu préfères, on peut aller sur la plage. En voiture, on y sera en dix, quinze minutes.

    Ah non, pas la plage ! protesta Meredith.

    Très bien. Alors, le parc, s’obstina Derek.

    Meredith prit un air buté. Je ne comprends pas pourquoi tu tiens tellement à sortir.

    Mais parce que ça va nous faire du bien de prendre l’air, marcher un peu, rétorqua Derek, obstiné. On ne va quand même pas rester enfermé dans cette maison, jour et nuit. Il lui montra le dessert qu’elle avait abandonné. Tu n’en veux plus ?

    Non, tu m’as coupé l’appétit, bougonna-t-elle. Elle le suivit à la cuisine pour continuer à faire valoir ses arguments, tandis qu’il mettait les restes de tiramisu au frigo. Pour ce qui est de prendre l’air, tu as eu l’occasion de le faire cet après-midi quand tu es rentré chez toi. Et si tu veux marcher, tu n’as qu’à la faire le tour de la maison. Elle est immense. 

    Derek referma la porte du frigidaire et regarda son amie avec un air narquois. Ça y est ? Tu as fini ? On va pouvoir aller la faire, cette promenade ?

    Oh tu m’énerves ! s’écria-t-elle. Pourquoi il faut toujours faire ce que tu as envie ?

    Parce que j’ai toujours raison, plaisanta Derek. Il la prit par la main. C’est le début de soirée et il ne fait pas très bon. A mon avis, il n’y aura personne dans le parc. Donc, personne pour te voir, pour te juger, si c’est ça qui t’inquiète.

    Embarrassée d’avoir été percée à jour, Meredith baissa la tête. Je ne veux pas être un objet de curiosité. C’est déjà assez dur comme ça.

    J’avais compris. Derek lui prit le visage entre ses mains pour l’obliger à le regarder. Tes blessures vont guérir, mais pas en quelques heures, ni même en quelques jours. Il lui sourit affectueusement. Tu ne peux tout de même pas rester cloîtrée à l’intérieur pendant des semaines.

    Pourquoi pas ? grommela-t-elle. Elle est très bien, cette maison. Elle posa sa tête contre le torse de son amant.

    Ce dernier la serra contre lui. Oui, très bien. Mais y rester enfermée serait le meilleur moyen de faire une dépression. Il embrassa le haut de son front. Allons faire cette petite balade. Je te promets qu’il n’y aura personne.  

    Comprenant qu’elle n’aurait pas gain de cause, Meredith abdiqua. D’accord. Mais n’essaie pas de m’emmener ailleurs.

    Promis ! Derek posa un autre baiser sur le bout du nez de son amie. Tu devrais aller t’habiller plus chaudement. Il risque de faire frisquet. La prenant par les épaules, il la poussa gentiment vers la porte, en lui donnant une légère tape sur les fesses. Allez, mauvaise graine, va vite te changer !

    Elle avança en trainant un peu des pieds mais juste avant de quitter la pièce, elle se retourna vers Derek. C’est chouette d’avoir ce grand parc pour nous deux. Il opina lentement de la tête en lui décochant ce petit sourire tendre qui la mettait quasiment en transe. Après avoir pris au passage le sac de Derek, elle monta dans la chambre avec une énergie dont elle fut la première surprise. Si ça n’avait pas été pour lui, elle se serait enfermée dans la chambre et elle n’en aurait plus bougé, mais pour lui, elle était prête à renverser des montagnes. Elle posa le sac de Derek sur le lit et prit le sien dans lequel elle fouilla à la recherche d’une tenue qui serait appropriée pour une promenade nocturne. Elle ne trouva rien qui lui convienne. Il est marrant, lui, ronchonna-t-elle en regardant avec dépit les quelques vêtements légers qu’elle avait étalés sur le lit. S’il croit que c’est avec ça que je vais aller me balader, quand il fait un froid de canard ! Sn regard tomba sur le sac de Derek. Elle l’ouvrit et après en avoir sommairement examiné le contenu, elle en retira un épais pull gris anthracite qu’elle s’empressa d’enfiler. La chaleur de la laine autant que l’odeur de l’eau de toilette de Derek qui s’en dégageait, lui procurèrent un sentiment de bien-être. C’est avec empressement qu’elle redescendit. Je suis prête, dit-elle sur un ton presque joyeux en entrant dans le salon

    Derek releva la tête du magazine automobile qu’il était en train de feuilleter et reconnut immédiatement le pull Versace qu’il s’était offert, lors d’une des dernières séances shopping où Callie avait réussi à le traîner. Hé là ! Voleuse ! s’écria-t-il. D’abord la chemise de Mark, maintenant mon pull. Ça devient une manie de piquer les vêtements des autres.

    Meredith lui tira la langue. Si tu ne voulais pas que je te pique tes vêtements, fallait me prendre autre chose que des tenues d’été. 

    Tu n’en as pas marre de râler ? répliqua-t-il en riant.

    Je ne râle pas, je constate, lança Meredith. Bon, on y va ?

    Derek se leva du fauteuil. On y va, sale gamine ! Il la rejoignit et baisa délicatement ses lèvres avant de la prendre par les épaules pour sortir de la maison.


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