• A partir de là, tout s’était enchaîné très vite. Le plus dur pour Meredith avait été de convaincre sa mère de la laisser partir à l’autre bout du pays. Au début, Anne Grey n’avait pas pris le projet au sérieux, le considérant comme une lubie d’adolescentes rêveuses en mal d’aventures. Mais en constatant que ni sa fille, ni les amies de cette dernière, ne renonçaient, elle avait commencé à paniquer. Bien sûr, Anne était consciente que l’avenir de Meredith n’était pas à Crestwood. La jeune fille était trop brillante que pour végéter dans cette petite ville où l’agriculture constituait la principale activité. Mais San Francisco ! Pourtant, en voyant que Meredith s’entêtait, Anna avait fini par s’incliner, se raccrochant à l’idée rassurante que George ferait partie de l’expédition. Un brave garçon que ce petit George, gentil, attentionné, courageux, les pieds sur terre… Anne espérait que sa fille finirait par réaliser que ce garçon était fou d’elle. Il ferait un très bon mari.

    Autre perspective rassurante pour Anne, c’était que Meredith envisage d’habiter chez sa tante. Anne avait donc appelé sa belle-sœur, Ellis, pour lui demander si elle voulait bien héberger sa nièce et les amis de celle-ci. Ellis avait immédiatement accepté à condition que les jeunes gens assument leur part de travaux ménagers, bien sûr, mais aussi qu’ils s’arrangent pour qu’elle ne soit jamais seule de 20h à 8h. Un an plus tôt, on lui avait diagnostiqué la maladie d’Alzheimer et si, pour l’instant, celle-ci ne se faisait pas trop sentir, il était inéluctable que les symptômes s’aggraveraient avec le temps. Jusqu’à présent, deux dames s’étaient relayées pour s’occuper d’elle mais l’une d’elles venait de quitter son service pour des raisons familiales. L’arrivée des quatre amis était donc une aubaine pour Ellis. Informés de ce qu’elle attendait d’eux, Meredith et ses camarades s’étaient empressés d’accepter le marché, sans vraiment avoir réfléchi aux contraintes que cela risquait d’impliquer. Anne non plus d’ailleurs. La seule chose à laquelle elle avait pensé, c’est à quel point ce serait tranquillisant pour elle de savoir Meredith chez un membre de la famille, sans compter qu’elle pourrait avoir très régulièrement de ses nouvelles sans même l’importuner. 

    Peu de temps après cet appel téléphonique décisif, Anne Grey avait rejoint sa fille, alors que celle-ci était dans sa chambre, en train d’écouter de la musique. Anne s’était assise sur le lit. Tu sais, ta grand-tante Harriet, elle t’aimait beaucoup. Meredith avait regardé sa mère avec étonnement, ne comprenant pas où elle voulait en venir en lui parlant de cette vieille dame qui était décédée six mois plus tôt. Juste avant de mourir, elle m’a remis quelque chose, avait poursuivi Anne. Quelque chose qu’elle voulait que tu reçoives pour tes vingt et un ans. Il s’agit d’une somme d’argent, oh pas une fortune, s’était-elle empressée de préciser en voyant la mine réjouie de Meredith. Mais il y en a assez pour que tu puisses tirer ton plan à San Francisco, sans dépendre de personne. Meredith avait halluciné en découvrant le montant de son héritage. Non seulement elle avait maintenant de quoi survivre dans la grande ville, mais aussi elle pouvait investir dans la future entreprise d’Izzie. Si celle-ci rencontrait le succès escompté, elle rapporterait peut-être assez d’argent pour qu’un jour, Meredith puisse aller à l’université. 

    Et voilà que le jour du départ était arrivé ! Il était 7h30 et une nouvelle vie pleine de promesses s’ouvrait à Meredith. Elle allait enfin quitter son Kentucky natal et partir à la conquête de San Francisco où elle aurait plus de chance, du moins elle l’espérait, de réaliser ses rêves. Avec un entrain inattendu après seulement trois heures de sommeil, elle sauta en bas de son lit et se rua sous la douche. Une demi-heure plus tard, elle était fin prête. Comme à son habitude, elle avait ramassé ses cheveux blonds, qu’elle avait longs, en une austère queue de cheval, et elle avait revêtu un jean et un sweat-shirt difformes qui ne mettaient guère en valeur sa fine silhouette. Mais elle s’en moquait. Elle ne faisait pas partie de ces filles qui soignent leur apparence. Elle était convaincue que, de toute façon, il n’y avait rien à mettre en avant chez elle. Quand on n’avait pas la chance d’être jolie, il valait mieux passer inaperçue. 

    Elle descendit à la cuisine où sa mère se trouvait déjà. Elles burent une tasse de café dans le silence le plus complet, parce qu’elles savaient que le moindre mot risquait de déclencher des torrents de larmes. Quand la sonnette de la porte d’entrée retentit, elles se regardèrent avec des yeux humides. C’est l’heure, maman, murmura Meredith d’une voix légèrement étranglée. 

    Je sais. Anne prit sa fille dans ses bras et la garda quelques secondes contre elle. Ecoute-moi bien, s’il se passe quoi que ce soit, si tu ne te plais bas là-bas, si tu te rends compte que tu as fait une erreur, tu prends le premier avion et tu rentres. Il n’y a pas de honte à renoncer à quelque chose qui ne te convient pas. Le principal, ce sera d’avoir essayé. Meredith approuva d’un signe de tête. Et surtout, surtout, tu fais attention à toi, recommanda Anne. Dans les grandes villes, les gens ne sont pas comme ici, et toi, tu es si confiante et si naïve. Je ne veux pas qu’on te fasse du mal. Elle essuya furtivement une larme qui coulait sur sa joue. Allez, va ouvrir à tes amis, sinon, on va se mettre à pleurer comme deux madeleines. 

    Meredith s’arracha à l’étreinte maternelle et sortit sur le seuil de sa maison. Elle aperçut Izzie, toute pimpante dans un joli tailleur pantalon crème, debout à côté de la camionnette, un énorme sac à la main. J’ai préparé de quoi manger dans l’avion, cria la jolie blonde à l’intention de son amie. J’ai lu dans un magazine que ce qu’ils proposaient était dégueulasse. 

    J’espère que tu as faim, lança Cristina, qui portait un vieux jean usé et un blouson de cuir. On a de quoi faire deux fois le tour du monde avec ce qu’il a là-dedans ! 


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  • George, un horrible chapeau en toile vissé sur la tête, se précipita pour prendre la valise de Meredith. Désolée, George ! dit celle-ci avec un sourire contrit. Je crois que c’est un peu lourd.

    Il lui fit un petit clin d’œil. T’inquiète pas ! C’est rien par rapport à ce que j’ai dû porter pour Izzie.

    Quand Meredith découvrit la multitude de bagages amoncelés à l’arrière de la camionnette, elle poussa un cri d’effroi. Mon Dieu, Izzie ! Mais qu’est-ce que tu vas faire avec tout ça ?

    Elle croit qu’il n’y a pas de magasins à San Francisco ! se moqua Cristina.

    Arrête de me prendre pour une conne, riposta Izzie. Je sais parfaitement qu’il y a des magasins à San Francisco. C’est même réputé pour être un haut-lieu de la mode ! Mais je ne veux pas être prise au dépourvu, c’est tout. D’autant plus que je n’aurai pas le temps de faire du shopping tout de suite !

    Compte sur moi pour y veiller, marmonna Cristina entre ses dents. Bon, on y va ? Faudrait pas rater l’avion ! Du coin de l’œil, elle observa Meredith et sa mère qui s’étreignaient en pleurant. Putain, dans quoi je m’embarque là ? songea-t-elle.

    Il leur fallut près de quatre heures et demie pour parcourir les quelques quatre-vingt-quatre miles qui séparaient Crestwood de Cincinnati, où se trouvait l’aéroport. Les filles s’étaient endormies avant même d’avoir franchi les limites de la ville, de sorte que George avait fait la route dans le silence le plus total, luttant contre son envie de dormir, lui aussi. Comme si elles avaient senti qu’elles étaient arrivées à destination, les filles se réveillèrent quand George stationna la camionnette dans le parking de l’aéroport. Pour Meredith, qui n’avait presque jamais quitté Crestwood, l’aventure commençait déjà. Tandis que George sortait les bagages, elle regarda avec des yeux ronds, l’agitation qui régnait autour d’eux.

    Tu es bien certain, George, que ton copain va venir chercher la camionnette ? s’inquiéta Izzie. Je ne veux pas avoir à payer des frais en plus.

    Mais oui, Izzie. Il a dit qu’il passerait vers 19h, répondit le jeune homme, agacé par le manque de confiance que lui témoignait sa cousine.

    Une fois qu’ils eurent disposé leurs bagages sur des chariots, ils partirent en direction de l’aérogare où Cristina prit les choses en main. Après avoir fait enregistrer les valises et distribué les cartes d’embarquement, elle les entraîna au passage obligé de la sécurité. Près d’une heure plus tard, ils étaient tous installés au McDonald’s, devant un soda, en attendant l’annonce de leur vol. La voix suave d’une hôtesse de l’air résonna enfin. Nous allons procéder à l’embarquement du vol Delta Air Lines n° 37 à destination de San Francisco. Décollage prévu à 17h05. Les passagers sont invités à se présenter à la porte 52. 

    Cristina termina son coca d’un trait et attrapa son sac en bandoulière. C’est pour nous, ça. On y va ! Le groupe partit en courant.

    Ce n’est que lorsque l’avion se mit à rouler sur le tarmac que Meredith réalisa vraiment ce qu’elle était en train de faire. Elle saisit la main d’Izzie qui était assise à côté d’elle. Dis-moi qu’on a pris la bonne décision.

    Izzie se tourna vers elle. Honnêtement, je n’en sais rien mais il est trop tard pour reculer. Je suis sûre que de grandes choses nous attendent là-bas, ajouta-t-elle pour rassurer son amie qu’elle devinait morte de peur.

    J’espère que tu as raison. Meredith regarda autour d’elle. Tu sais, le plus grand voyage que j’ai fait, c’est pour aller à Louisville, quand on est allée rendre visite à ma tante Mary qui s’était fait opérer. Et là, je suis dans un avion pour San Francisco. Elle se rapprocha de son amie pour parler à son oreille. J’ai l’impression de participer à un voyage dans l’espace.

    Izzie émit un petit rire. Quand tu y réfléchis, c’est un peu ça. Elle baissa un peu la voix. Je vais t’avouer un truc. Moi aussi, j’ai peur. Je suis même terrorisée.

    Meredith dévisagea son amie avec étonnement. Toi, tu as peur ? Mais tu as l’air tellement calme.

    C’est parce que je ne veux pas montrer à quel point je suis morte de trouille, expliqua Izzie. Surtout pas à Cristina. Mais je panique grave. Ce qu’on s’apprête à faire, ce saut dans l’inconnu… S’il n’y avait que moi, ce ne serait pas grave. Mais je vous ai tous entraînés avec moi et si ça se passe mal, je m’en voudrai toute ma vie ! 

    Pourquoi ? s’étonna Meredith. Tu nous as proposé quelque chose et on a accepté, en toute connaissance de cause. Si ça rate, ce sera de notre faute à tous mais on va partir du principe que tout va bien se passer et que cette boutique va connaître le succès qui lui est dû. Son regard tomba sur le sac à provisions qui était aux pieds de son amie. Et si tu me montrais ce que tu as préparé. J’ai faim ! Quelques minutes plus tard, les deux filles se régalaient de muffins au chocolat. Meredith se passa la langue sur la bouche et émit un petit soupir de délectation. Mmm… Iz, je te prédis que les San Franciscains viendront bientôt dans ta boutique pour goûter à tes délices.

    Notre boutique, rectifia Izzie. Les deux filles se sourirent.


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  • Le visage de Cristina surgit dans l’espace qui séparait les deux fauteuils de devant. Hé, bande de goinfres ! Laissez-en un peu pour les autres ! Izzie lui passa le paquet de muffins en riant.  

    Près de cinq heures plus tard, l’avion arriva à San Francisco. Le nez collé au hublot, Meredith regarda avec effarement, mais aussi une certaine excitation, les lumières qui s’étendaient à perte de vue. De son côté, George tentait vainement d’apercevoir quelque chose par-dessus l’épaule de Cristina. Vous croyez qu’on va trouver la maison ? dit-il soudain.

    Sa voisine le regarda avec le plus grand dédain. J’crois pas, non ! Prépare-toi à passer ta première nuit de sans-abri, Goofy.

    La voix désapprobatrice de Meredith s’éleva derrière eux. Cristina !

    Quoi ? se récria Cristina. C’est de ma faute s’il pose des questions idiotes ?

    Elle n’y est pas si idiote que ça, protesta Meredith. Comment on va retrouver la maison de ma tante dans cette grande ville où aucun de nous n’a jamais mis les pieds ? 

    En entendant le ton anxieux de sa camarade, Cristina se radoucit légèrement. Ce n’est pas la jungle, Meredith. Pour aller chez ta tante, il va juste falloir trouver un taxi.

    Moins d’une heure plus tard, ils étaient sortis de l’aéroport. Cristina ordonna à ses amis de surveiller les bagages tandis qu’elle s’occuperait de trouver un taxi qui puisse les transporter, eux et leurs nombreuses valises. Meredith ressentit un immense soulagement en voyant que Cristina semblait savoir ce qu’il fallait faire et qu’elle prenait les choses en main. Contrairement à elle, Cristina n’était jamais prise au dépourvu. Elle savait toujours précisément comment réagir dans toutes les situations.

    Tout à coup, un minibus taxi s’arrêta devant le trio. La tête de Cristina apparut à la vitre de la portière passager. Bon, vous montez ou bien vous préférez courir derrière la voiture ? Meredith et Izzie se dépêchèrent de grimper dans le véhicule tandis que George aidait le chauffeur à mettre les bagages dans le coffre.

    Pendant le trajet, les jeunes gens se perdirent dans la contemplation des rues qui défilaient. Ils entrevirent au loin les lumières du Golden Gate Bridge, monument incontournable de San Francisco que, ils l’apprendraient bientôt, on pouvait apercevoir de n’importe quel endroit de la ville. Mais ce qui les surprit le plus, ce furent toutes ces grandes bâtisses de style victorien qu’ils apercevaient de chaque côté des rues. Ce n’était pas comme cela qu’ils s’étaient imaginé la ville. D’une certaine façon, cela les rassura. Au fond, peut-être que la vie ici n’était pas si différente de celle qu’ils avaient menée à Crestwood.

    Enfin, ils arrivèrent dans le quartier de Nob Hill, tout en collines et dont les rues étaient bordées de belles demeures de style faites de bois coloré. Le taxi s’arrêta dans une rue extrêmement pentue, devant une maison blanche dont les châssis étaient peints en bleu au rez-de-chaussée et au premier étage. Après avoir retiré leurs bagages du taxi, les quatre provinciaux restèrent plantés sur le trottoir, comme tétanisés. C’est ici ? demanda finalement George qui commençait à sentir le froid le pénétrer.

    Ben oui, banane ! le rabroua Cristina. Tu crois qu’ici, les chauffeurs de taxi s’amusent à déposer leurs clients à de mauvaises adresses ? Elle se retourna vers Meredith. Et toi, tu n’irais pas sonner à la porte ? On ne va pas passer la nuit sur le trottoir, tout de même !

    Docile, Meredith obéit sur-le-champ à son autoritaire amie. Après quelques minutes, la porte s’ouvrit sur une dame d’une cinquantaine d’années. Mon Dieu, Meredith ! s’écria Ellis Grey en jetant ses bras au ciel. Comme tu es grande pour tes seize ans ! Les jeunes gens se regardèrent un peu interloqués.

    Eh bien, on ne va pas s’emmerder avec Tatie Dingo, se dit Cristina.

    Je t’aurais reconnue entre mille, poursuivit Ellis en prenant Meredith dans ses bras. Tu es le portrait craché de ta mère. Elle aperçut alors les trois jeunes qui se tenaient debout derrière sa nièce. Mais entrez donc, mes enfants ! Vous allez attraper la mort, à rester dehors comme ça. Le temps de déposer leurs bagages dans le hall d’entrée, tout le monde se retrouva dans le salon. Vous devez être épuisés, compatit Ellis. C’est que ça fait un bout de chemin depuis Crestwood. Elle hocha lentement la tête. Mon Dieu, ça fait au moins vingt-cinq ans que je n’ai plus mis les pieds là-bas. Ça a dû beaucoup changer, non ? Il y a toujours la quincaillerie du vieux Dick ? Et la mercerie d’Hilda ?

    Oui, ils sont toujours là, lui apprit Meredith.

    Hilda est une vraie salope, commenta Ellis sur un ton désinvolte. Il n’y a que le train qui ne lui est pas passé dessus.

    A nouveau, les quatre amis échangèrent un regard où la surprise se mêlait à de l’amusement. Ils avaient beaucoup de mal à imaginer la revêche Hilda, qui passait le plus clair de ses journées à l’église, en femme de petite vertu. Finalement, je crois qu’on va bien se marrer ici, pensa Cristina qui avait beaucoup de mal à se retenir de rire.

    Je vous sers quelque chose de rafraîchissant ? proposa Ellis. Ou plutôt un thé ? Un café ? Ou bien vous préférez vous installer d’abord ?

    Si ça ne vous dérange pas, on préférerait s’installer, Madame, répondit Cristina en enlevant son blouson. Et surtout prendre une douche.

    Oui, parce qu’on est en route depuis ce matin, précisa Meredith.

    Mais bien sûr ! s’exclama Ellis. Où ai-je la tête ? Je vais vous montrer vos chambres et la salle de bains. On aura le temps de discuter demain. 


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  • Environ une heure et demie plus tard, les amis se retrouvèrent au salon. Ils s’affalèrent dans les fauteuils et commencèrent à manger ce qui restait des provisions d’Izzie. Vous croyez qu’elle disait la vérité tout à l’heure, à propos d’Hilda ? demanda soudain George. 

    Meredith fit signe que non. Je crois qu’on ne doit pas vraiment se fier à ce que dit ma tante. Avec sa maladie, elle n’a plus toute sa tête.

    Eh bien, moi, je la crois, intervint Cristina. Ça expliquerait pourquoi cette vieille carne d’Hilda passe son temps à l’église. Elle supplie Dieu de lui pardonner toutes les fois où elle s’est fait brouter le gazon. George, qui venait de boire une gorgée de café, faillit le recracher. Après avoir avalé, il éclata d’un rire gras. Quant à Meredith, elle devint rouge pivoine. Si elle ne comprenait pas vraiment le sens des mots employés par Cristina, elle devinait sans trop de mal ce que cela pouvait impliquer.

    Recroquevillée dans un fauteuil, Izzie était perdue dans ses pensées. Je me demande à quoi il ressemble, dit-elle soudain en se penchant vers la table pour prendre un cookie. 

    Qui ça, les innombrables amants d’Hilda ? s’enquit Cristina. A des vieux croûtons dans son genre, sans doute.

    Izzie la regarda en fronçant les sourcils. Mais de quoi tu parles ? C’est quoi cette histoire avec Hilda ? Moi, j’te parle du magasin, de notre boutique. Elle se redressa avant de se mettre debout. Et si on allait voir ?

    Les yeux de Cristina s’écarquillèrent de surprise. Quoi, le magasin ?  

    A cette heure ci ? piailla George. 

    George a raison, Iz, fit remarquer Meredith que la perspective d’une balade en pleine nuit dans une ville inconnue n’enchantait guère. Il est près de minuit. On ne peut pas partir à l’aventure comme ça. En plus, on va voir quoi en pleine nuit ? C’est mieux d’attendre demain matin.

    Meredith, geignit Izzie sur un ton suppliant. 

    Cristina se leva de son fauteuil. Allez, on y va. De toute façon, si on reste ici, elle ne va pas arrêter de nous casser les pieds. Ravie, Izzie battit des mains. Cristina saisit sa veste qui gisait sur un dossier de chaise et se dirigea vers la porte. On fait juste l’aller retour, promit-elle pour décider Meredith qui restait assise.

    Mais on ne peut pas laisser Tante Ellis toute seule, objecta Meredith, certaine d’avoir trouvé là l’argument décisif. 

    Ah oui, merde ! grogna Cristina. Son regard tomba alors sur George. Eh bien, Goofy va rester ici.   

    L’intéressé bondit hors de son fauteuil. Il est hors de question que je reste ici pour m’occuper d’une vieille que je ne connais pas pendant que vous allez vous promener. Et arrête de m’appeler Goofy ! cria-t-il en menaçant Cristina de son index. 

    Bouh j’ai peur ! se moqua Cristina. 

    Je t’en prie, George, implora Izzie. On sera de retour dans une heure. Le jeune homme lui décocha un regard assassin mais se rassit dans son fauteuil. 

    Et on y va comment ? s’inquiéta Meredith. 

    Cristina mit la main à la poche de son jean. Regarde ce que j’ai là ! Elle brandit une clé. Tout à l’heure, ta tante m’a donné les clés de sa voiture. Elle m’a dit qu’on pouvait s’en servir, vu qu’elle, elle ne peut plus la conduire. Alors, tu viens avec nous ou tu continues à faire ta chochotte ? Piquée au vif, Meredith se leva pour suivre ses amies. Arrivée sur le pas de la porte du salon, elle se retourna vers George et lui fit un petit sourire plein de désolation en même temps qu’un signe de la main en guise d’au revoir. 

    Bon maintenant, les filles, faut juste repérer une vieille Ford grise, déclara Cristina, une fois qu’elles furent dans la rue. Elles la trouvèrent un peu en contrebas de la maison. Cristina se glissa d’autorité derrière le volant, Izzie prit place sur le siège passager et Meredith se retrouva sur la banquette arrière. Il fallut quelques minutes pour que la voiture, qui n’avait certainement plus roulé depuis un bon moment, accepte de démarrer. Cristina se tourna vers Izzie. Tu as l’adresse de ton château, Cendrillon ? demanda Cristina. 

    Izzie fouilla dans son sac. Voilàààà, chantonna-t-elle en extirpant un bout de papier.

    Près de trois quarts d’heure plus tard, après s’être trompé une bonne douzaine de fois, effectué un nombre incalculable de demi-tours et même demandé son chemin à un clochard qui fumait une cigarette sur un banc, Cristina gara la voiture devant le 10 Marina Boulevard.


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  • Sans sortir de la voiture, comme si elles n’osaient pas en descendre, les filles tendirent le cou pour découvrir leur futur royaume. La lueur d’un réverbère leur permit d’entrevoir un petit immeuble de deux étages, dont la façade semblait peinte de bleu, et au rez-de-chaussée, comme l’indiquait l’annonce, un magasin avec une vitrine de part et d’autre de la porte. 

    Qu’est-ce que vous en pensez ? demanda Izzie à ses camarades. 

    Qu’est-ce que tu veux qu’on en pense ? bougonna Cristina. On ne voit rien. 

    Je vous l’avais dit, rappela Meredith. On aurait dû attendre demain.

    Agacée par le caractère par trop timoré de son amie, Cristina se tourna vivement vers l’arrière de la voiture. Oui mais maintenant, on est là et je n’ai pas traversé cette putain de ville pour rien ! Elle ouvrit sa portière. Alors, on sort et on va voir.

    Les filles se retrouvèrent sur le trottoir et firent les quelques pas qui les séparaient de leur future boutique. Elles levèrent le nez vers le bâtiment et découvrirent que la peinture, de la façade autant que des châssis de la vitrine, était largement écaillée. Les trois femmes se regardèrent avec consternation. Je ne m’attendais pas à ça, murmura Izzie. 

    T’as la clé ? soupira Cristina. Qu’on aille voir l’intérieur tant qu’on y est. 

    Izzie lui tendit un trousseau sur lequel pendaient trois clés. Cristina les essaya l’une après l’autre. La dernière était la bonne. Comme la porte lui résistait, Cristina finit par lui donner un grand coup d’épaule. La porte s’ouvrit dans un grand craquement. Les trois jeunes filles entrèrent dans le local qui était évidemment plongé dans l’obscurité. Izzie commença à tâter le pourtour de la porte. Je ne trouve pas l’interrupteur, se plaignit-elle à voix basse. 

    Te fatigue pas ! De toute façon, ça m’étonnerait que l’électricité soit ouverte, déclara Cristina.  

    Il faudrait une lampe de poche, murmura Meredith. 

    J’en ai une, annonça Izzie sur le même ton. Elle ouvrit son sac et brandit victorieusement une petite lampe torche. 

    Mais pourquoi vous chuchotez ? demanda Cristina. Il n’y a personne ici. Elle prit la torche des mains de son amie et dirigea le faisceau lumineux sur les murs du local. C’était difficile de se faire une idée réelle de l’état des lieux mais il était évident que ce magasin ressemblait plus à un taudis qu’à un palais. C’est encore pire que ce que j’imaginais, déplora Cristina avec une voix d’outre-tombe.

    Izzie éclata en sanglots. Meredith se précipita pour la prendre dans ses bras. Ne pleure pas. Ce n’est peut-être pas si catastrophique que ça. On verra demain, à la lumière du jour. Elle voulait remonter le moral de son amie mais d’un point de vue personnel, elle n’était guère optimiste. Il était vraisemblable que le jour leur révélerait de bien plus grands dégâts. Elle eut l’impression de voir son avenir radieux s’éloigner à grands pas. 

    Moins délicate que sa camarade, Cristina exprima clairement ce qu’elle pensait. Tu parles ! Ce sera encore pire. Mais ça ne sert à rien de pleurnicher. Il va falloir faire en sorte que ce bouge devienne la plus belle boutique de la ville. 

    Izzie redressa la tête en reniflant et regarda Cristina avec des yeux emplis d’espoir. Tu croix que c’est possible ? 

    Cristina haussa les épaules. Je n’en sais rien mais ce que je sais, c’est que c’est toi qui nous as fait venir ici. Alors, c’est à toi de trouver un moyen de nous tirer de cette panade. 

    Cristina ! gronda Meredith Tu exagères ! Izzie ne nous a pas obligés à venir. On était tous d’accord. 

    On était d’accord pour ouvrir un commerce, répliqua Cristina. Pas pour jouer au maçon et au peintre. Et là… Elle regarda encore une fois autour d’elle avec un air dégouté. Allez, on se tire ! annonça-t-elle. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai besoin d’un verre. On va se trouver un endroit sympa et on en profitera pour discuter de ce qu’on va faire. 

    Izzie et Meredith la suivirent docilement jusqu’à la voiture. Une fois installée, Meredith qui n’avait pas envie de prolonger la sortie nocturne, tenta de convaincre Cristina de rentrer directement à la maison. On est vraiment obligée de traverser toute la ville pour discuter ? On pourrait rentrer et Izzie nous préparerait une tasse de thé.

    Cristina regarda durement Meredith dans le rétroviseur. Il va me falloir plus qu’une verveine pour faire passer ce que je viens de voir. Sans laisser à Meredith le temps de répondre, elle mit le contact et démarra. Elle roula au hasard jusqu’à ce qu’elle débouche sur Colombus Avenue, dans le quartier de North Beach dont la forte identité italo-américaine ne faisait aucun doute. De part et d’autre de la rue, il y avait des restaurants et des bars aux couleurs vert, blanc et rouge. Cristina arrêta la voiture devant l’un deux. C’est exactement ce qu’il nous faut. Elle se gara à quelques mètres de là et sortit de la voiture sans même attendre ses camarades. Celles-ci coururent derrière elle. Quelques minutes plus tard, elles étaient attablées dans l’établissement. Après avoir râlé d’avoir dû montrer son permis de conduire pour prouver qu’elle avait bien vingt-et-un ans, Cristina avala une longue gorgée de sa bière. Ensuite, elle regarda les deux filles assises en face d’elle. Bon, alors, voilà ce qu’on va faire…


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