• CHAPITRE 994

    L’impression que sa mère lui reprochait de ne pas être à la hauteur fit monter les larmes aux yeux de Meredith. Maman, ce n’est pas que je ne veux pas m’occuper de tante Ellis mais… Le jour, je travaille. Le soir, je dois veiller sur elle. Et je vis quand, moi ? J’ai vingt-et un ans et je devrais passer tout mon temps libre auprès d’une malade ? En plus, je ne sais pas comment agir avec elle ! Une larme coula le long de sa joue.

    En dépit de l'attitude qu'elle avait adoptée envers lui, Derek eut pitié de sa détresse. De plus, il était totalement d’accord avec elle. Il lui avait assez répété que ce n’était pas à elle de gérer ce genre de situation. Ce fut pour cela qu’il décida de lui apporter son soutien. Effectivement, le maintien à domicile demande un investissement humain très important, parce que la surveillance doit être constante. La responsabilité est énorme, surtout pour une personne de l’âge de votre fille, exposa-t-il à Anne. Il fut touché de voir le regard plein de reconnaissance que lui lançait Meredith et il esquissa un bref sourire.

    Oui, je m’en rends compte maintenant. Anne se tourna vers sa fille. Tu as raison, je t’en ai trop demandé. Tu as le droit de vivre ta vie. Elle réfléchit un bref instant. Je devrais peut-être envisager de venir vivre à San Francisco.

    Maman ! s’écria Meredith, interloquée. Ta vie est à Crestwood. Tu as tes amies, ton travail… Et papa ? Tous les moments que tu passes avec lui, tu es prête à y renoncer ?

    L’émotion submergea Anne Grey. En effet, elle se rendait au moins trois fois par semaine au cimetière. Elle aimait passer de longues heures, assise sur la pelouse, juste à côté de la tombe de son défunt mari, pour lui conter ce qui faisait sa vie depuis qu’il n’était plus là : en premier lieu bien sûr, tout ce qui concernait Meredith, et puis pêle-mêle, ses tracas professionnels, ses petits problèmes domestiques, les naissances, mariages et décès qui survenaient dans son entourage, les derniers potins… Elle se plaisait à croire qu’il l’entendait et qu’elle arrivait parfois à le distraire avec ses petites histoires. De temps en temps même, elle avait l’impression de l’entendre rire. C’était tous ces petits moments qui lui permettaient de tenir le coup sans lui. Meredith avait raison. Le sacrifice serait énorme. Ma chérie, que je sois à Crestwood ou pas, ça ne change plus rien pour ton papa, dit-elle d’une voix douce. Quant au travail, on peut en trouver partout quand on est de bonne volonté. C’est la sœur de ton père, Meredith, se justifia-t-elle devant le regard dubitatif de sa fille. Elle a veillé sur lui quand il était petit. Je veux lui rendre la pareille, conclut-elle en se tournant vers Derek avec un sourire qui se voulait plein de bravoure mais qui cachait mal son désarroi. Elle n’était vraiment pas sûre d’être à la hauteur de la tâche qui l’attendait.

    Je comprends vos motivations, Madame et je les respecte, assura le chirurgien. Mais si vous m’autorisez à donner mon avis – Anne et Meredith acquiescèrent simultanément d’un signe de tête – je ne crois pas que ce soit une bonne idée. En tout cas, si j’étais à votre place, je ne le ferais pas. D’habitude, lorsque les familles de ses patients lui demandaient des conseils, il s’abstenait toujours de donner son avis personnel et se bornait à énoncer froidement les faits et les différentes options, sans parti pris, afin que les personnes concernées puissent prendre une décision en toute connaissance de cause, mais aussi en toute indépendance. Il se rendait compte que, dans le cas présent, il enfreignait cette règle d’or, parce qu’il s’agissait de Meredith et que, malgré toute sa volonté, il lui était impossible de rester neutre. Vous voyez, le problème avec Alzheimer, c’est que la personne qui en souffre est dans son monde et ce monde est en total décalage avec le nôtre. C’est pour cela que cette maladie est bien plus éprouvante pour l’entourage que pour le patient lui-même. A nouveau, il décida de se baser sur du concret pour faire comprendre à Anne ce dont il était question. Par exemple, votre belle-sœur peut fort bien se réveiller en pleine nuit, marcher dans la maison ou s’habiller. En revanche, elle va passer des heures au lit en pleine journée. Si vous décidez de vous occuper d’elle, vous allez être sollicitée à toute heure du jour et de la nuit et vous allez accumuler une fatigue dont l’effet ne sera pas négligeable, à plus ou moins long terme, sur votre humeur et votre état de santé.

    Alors, vous êtes du même avis que Meredith ? Vous pensez qu’il faut placer Ellis en maison de retraite ? s'enquit Anne d’une voix soudain éteinte.

    Derek secoua la tête. Peut-être pas immédiatement, non. Il y a des centres thérapeutiques qui accueillent les malades pendant la journée. Ils participent à des activités comme des exercices de motricité, des jeux, des activités artistiques, des ateliers de stimulation cognitive. C’est vraiment bénéfique pour eux.

    Ça a l’air très bien mais ça ne résout pas le problème de la nuit, fit remarquer Meredith, ses yeux suppliants allant de sa mère à Derek. Gloria rentre chez elle le soir. On fait quoi alors ?

    Derek hésita avant de répondre. Etait-ce à lui de trouver des solutions pour qu’elle puisse s’amuser, sortir, sans lui, avec d’autres sûrement ? Il s’y résolut. Puisque leur histoire était terminée, il n’avait pas à la retenir prisonnière, sans parler du danger que cela représentait pour Ellis de la laisser aux mains d’une jeune fille inexpérimentée. Il était peut-être temps de conclure une trêve. Si cette dame ne peut pas assurer la garde de nuit, vous devrez faire appel à une garde-malade. Il y a des organismes très sérieux qui pourraient vous envoyer une personne qui soit formée pour répondre aux besoins de votre belle-sœur.

    Nous en avons déjà une, fit remarquer Meredith. C’est une infirmière à domicile, elle nous a été fournie par une association que Gloria a contactée. D’après elle, les tarifs sont vraiment intéressants.

    Eh bien, voilà déjà un problème de réglé, décréta Derek. Il ne s’était pas encore posé la question, mais à cet instant il sut qu’il continuerait d’assumer les frais de garde de la tante de Meredith tant que ce serait nécessaire. C’était le moins qu’il pouvait faire pour la jeune fille, après le chagrin qu’il lui avait causé.


  • Commentaires

    1
    Butterfly
    Vendredi 9 Août 2019 à 21:24

    Ah on dirait que le vent tourne ! Ils se sont calmés un peu et je trouve ça très élégant de la part de Derek de vouloir continuer à payer l'infirmière pour Ellis malgré tout. 

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