• CHAPITRE 938

    Bien que la jeune fille essaie de se contrôler, elle ne parvenait pas à empêcher ses larmes de couler. Elle a été tellement gentille avec moi. J’aurais voulu la connaître plus longtemps. Elle aurait pu m’apprendre tellement de choses, déplora-t-elle.

    Oui, c’était une femme exceptionnelle, reconnut Derek en lui tendant son mouchoir. Elle t’a parlé d’Hollywood ? lui demanda-t-il avec un sourire ému. Elle acquiesça d'un signe de tête tout en essuyant ses joues ruisselantes de pleurs. On adorait ça, Mark et moi, quand on était gamins. Elle nous faisait voir des vieux films et elle nous racontait toutes ces choses sur les acteurs, ou sur la façon dont se passaient les tournages, lui expliqua-t-il, attendri par les souvenirs d’enfance qui lui revenaient en mémoire. C’était un peu comme si, avec elle, on avait accès à l’envers du décor, tu vois.

    Oui, comme si on pénétrait dans un autre monde, chuchota Meredith comme pour elle-même. Quand on pense qu’elle a connu Marilyn ! s’exclama-t-elle soudain. Elle m’a montré les photos. C’est dingue !

    Derek émit un petit rire. Les fameuses photos ! Qu’est-ce que j’ai pu passer comme temps à les regarder ! Je ne connaissais pas du tout ces gens, pour la plupart. Mais le simple fait de savoir qu’ils vivaient à Hollywood en faisait des héros pour moi. Et que Momsy les ait tous si bien connus… Pour moi, elle était une star elle aussi. Il se revit, petit garçon, le nez plongé des heures durant dans les albums de la grand-mère de Mark, découvrant le visage de ces inconnus, si beaux, qui semblaient tellement heureux de vivre. Ce n’était que bien plus tard qu’il avait pris conscience des drames qui se jouaient souvent derrière ces sourires de façade. Quand j’étais petit, je voulais être acteur, moi aussi, lâcha-t-il soudain, les yeux perdus au loin. Ma vie n’était pas facile alors, jouer à être quelqu’un d’autre et être payé pour ça, je trouvais ça génial.

    Meredith le regarda, étonnée qu’il se laisse aller à ce qui ressemblait bien à une confidence. Quand ils sortaient ensemble, il avait toujours soigneusement évité d’évoquer son enfance, son passé, tout ce qui était personnel, en fait. Et le voilà qui, maintenant, semblait prêt à aborder le sujet. Tu voulais échapper à la réalité, présuma-t-elle d'une voix douce.

    Derek haussa légèrement les épaules. Oh tu sais, en grandissant, je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de gens qui vivaient des choses bien pires que moi. Je n’ai jamais eu faim. J’avais de beaux vêtements, une belle maison. On partait en vacances dans des endroits idylliques. Je n’ai manqué de rien. C’était tellement plus facile de lui parler de lui, de son passé, maintenant que Momsy lui avait révélé ce qu’il avait vécu. De ce fait, il n’avait plus à craindre que la jeune fille lui pose des questions, qu’elle veuille entrer dans les détails, puisqu’elle savait déjà tout. En se chargeant de mettre à jour les horreurs qu’il s’était évertué à garder secrètes pendant si longtemps, Momsy l’avait dispensé d’une tâche qu’il n’était pas sûr de pouvoir assumer. Mes parents m’ont donné tout ce dont j’avais besoin, sauf leur amour, conclut-il avec une nuance de regret.

    C’est ce qu’il y a de plus important, Derek, objecta Meredith, touchée par la détresse qu’il lui laissait entrevoir.

    Je sais, soupira-t-il. Encore que… quand j’avais trop besoin d’affection, il y avait Momsy. Elle était un peu ma grand-mère, à moi aussi, avoua-t-il. Pour cacher l’émotion qui le submergeait subitement, il se retourna et se servit une deuxième tasse de café.

    Meredith fut tentée de lui dire que Momsy lui avait parlé du petit garçon qu’il avait été, celui qui réclamait les baisers qu’il ne recevait pas chez lui, qu’elle lui avait dévoilé aussi ses secrets de famille. Mais elle s’en abstint. Elle n’était pas du tout convaincue qu’il apprécie cette initiative et elle ne voulait pas risquer de ternir l’image qu’il avait de Momsy. Elle était un peu la grand-mère de tout le monde, murmura-t-elle. Je n’arrive pas à croire qu’elle n’est plus là.

    Moi non plus, répondit Derek sur le même ton. Ils se perdirent un instant dans leurs pensées, chacun songeant aux moments privilégiés qu’il avait partagés avec la vieille dame. C’était une chance d’avoir connu un tel personnage.

    Ces derniers temps, elle passait beaucoup de temps à regarder ses photos, lui confia soudain la jeune fille. Pas celles d’Hollywood, tu sais, mais des photos de famille. C’est ce qu’elle faisait quand elle…

    Alerté par le tremblement de sa voix, Derek se tourna vers elle et la découvrit agitée de pleurs silencieux. Il n’avait qu’une envie, la prendre dans ses bras pour la consoler, comme il le faisait avant. Il ne le fit pas de peur de déclencher une réaction hostile. Dans l’immédiat, le plus important, c’était de renouer le dialogue avec elle. Mer…

    Elle ne le laissa pas continuer. Même si cela lui faisait mal, elle éprouvait le besoin de lui dire ce qu’elle avait ressenti. Elle n’en avait encore parlé à personne. Et même si elle lui en voulait, pour de tout autres motifs, elle était consciente que personne ne pourrait la comprendre mieux que lui. Quand je suis entrée dans sa chambre… il y avait un album par terre. J’imagine qu’il est tombé quand elle… Elle se revit entrant dans la chambre, encore inconsciente du drame qui s’y était joué. Il était ouvert sur une photo de son mari et de son fils. Et elle… Elle plongea ses yeux remplis de détresse dans ceux de Derek. Elle souriait. J’ai cru qu’elle dormait. Je n’ai pas compris tout de suite, admit-elle en secouant lentement la tête. C’est la première fois que je voyais un mort. Quand mon père est décédé, j’étais toute petite. Alors, ma mère n’a pas voulu que je le voie. Derek la regarda avec compassion. Lui, la mort faisait partie de sa vie, que ce soit dans son histoire personnelle ou dans son métier. Après tant d’années passées à ses côtés, il avait appris à la connaître. Il la sentait arriver, il la voyait rôder autour des patients. Il essayait de l’amadouer, de la repousser, tout en sachant qu’il ne parviendrait jamais à la vaincre. Bien sûr, il ne s’y habituait pas – le jour où cela arriverait, il serait temps qu’il change de métier – mais il n’y faisait plus vraiment attention, un peu comme avec ces personnes qu’il croisait tous les jours sans plus vraiment les voir. Il ne pouvait en être de même pour Meredith que ce premier face-à-face avec la grande faucheuse avait traumatisée, il s’en rendait compte. Elle souriait, répéta-t-elle. Comment j’aurais pu deviner ? Elle avait l’air tellement heureuse, Derek.


  • Commentaires

    1
    Butterfly
    Jeudi 23 Mai 2019 à 21:09

    Ils arrivent à se parler de façon civilisée et même Derek se laisse aller à de petites confidences sur sa jeunesse, et Meredith se confie à lui, c'est de bonne augure pour la suite 

      • Mdbailey
        Jeudi 23 Mai 2019 à 21:55
        Je trouve aussi, on avance a petit pas. Ils aimaient tous les deux Momsy
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