Mark trouva que le paysage était étrangement apaisant. Le soir commençait à descendre doucement et il était impossible de distinguer une maison à plusieurs kilomètres à la ronde. Il n’y avait que des champs aux herbes jaunies. Il se tourna vers Meredith et soupira. Une fois la ville de San Francisco derrière eux, elle ne lui avait plus adressé la parole. Elle avait pleuré silencieusement durant tout le trajet, le visage ostensiblement dirigé vers la vitre. Elle ne s’était tournée vers lui que lorsque son BlackBerry avait sonné et il avait alors pensé à une biche prise dans les phares d’une voiture. Pour ne pas rajouter à sa détresse, il avait éteint le téléphone sans même regarder de qui venait l’appel. Elle l’avait remercié d’un petit sourire avant de reprendre sa position contre la portière. Elle s’était finalement endormie à l’entrée de Santa Rosa et ne s’était plus réveillée, même lorsque Mark s’était arrêté à une pompe à essence, pour refaire le plein et aussi prévenir de leur arrivée. Il en avait profité pour rallumer son téléphone et n’avait pas été étonné de constater que Derek lui avait laissé des dizaines de messages, autant écrits que vocaux. Il avait éteint à nouveau son téléphone sans en prendre connaissance. A ce moment-là, sa seule préoccupation était de mettre Meredith à l’abri.

Le Hummer tourna sur la droite pour emprunter une allée de pavés, bordée de palmiers, qui traversait une immense propriété verdoyante jusqu’à arriver devant une grande bâtisse éclairée par des torches.

Mark coupa le moteur et tressaillit d’émotion en voyant la porte de la maison s’ouvrir pour livrer le passage à une vieille dame qui s’appuyait sur une canne. Sa chère grand-mère, son pilier, celle grâce à qui son enfance n’avait pas été une catastrophe. Il eut le cœur serré en constatant à quel point elle avait vieilli depuis la dernière fois qu’il l’avait vue et il comprit qu’elle n’avait pas exagéré son état. Elle ne résisterait plus très longtemps. Il s’en voulut de ne pas lui avoir rendu visite plus tôt. Malgré l’urgence, il avait toujours différé sa venue et, ce soir, en la revoyant, il réalisa le temps qu’il avait perdu. Il sauta hors de la voiture et courut vers son aïeule pour la serrer fort dans ses bras. Il resta longtemps penché sur elle, le visage niché dans son cou, luttant contre son envie de pleurer.

Momsy lui passa tendrement la main dans les cheveux. Ho là mon petit ! Inutile de m’étouffer. Je mourrai bien assez vite. Sois un peu patient !

Mark se redressa. Momsy ! Ne parle pas comme ça, la gronda-t-il.

Hé quoi ? Il faut voir les choses en face. Je suis plus près de la sortie que de l’entrée et, quand je vois ce que devient le monde, je m’en réjouis. Elle le regarda avec fierté. Qu’il était beau, son petit-fils, avec ce physique de surfeur. Quand elle le regardait, elle revoyait son mari et son fils, partis trop tôt. Mais heureusement, bientôt, elle serait auprès d’eux. Je suis contente de te voir, mon petit poussin, murmura-t-elle soudainement émue. Pour une fois, Mark ne protesta pas en entendant ce surnom qui lui rappelait tant de moments heureux. Il se pencha et déposa un baiser sur le front de sa grand-mère. Celle-ci tapota sa joue avant de regarder en direction de la voiture. Je vois que tu n’es pas venu tout seul. Voilà enfin Meredith ! C’est bien elle, n’est-ce pas ? Il hocha la tête. Je suis contente. J’avais hâte de la connaître.

Mark se détourna, mal à l’aise. Il fit un geste vague en direction de son véhicule. Je devrais aller…

Mais oui, bien sûr, l’encouragea sa grand-mère. Va la chercher, cette petite. Elle ne va pas passer la nuit dans ton char d’assaut. Et comme ça, je pourrai voir à quoi elle ressemble. Depuis le temps que j’attends que tu te cases, grommela-t-elle en agitant sa canne dans les airs, pour inciter son petit-fils à se dépêcher.

Il repartit à la voiture, conscient qu’il ne pouvait pas abuser plus longtemps de la crédulité de sa grand-mère. A Aspen, lorsqu’il lui avait parlé de sa pseudo-relation amoureuse avec Meredith, il avait encore l’espoir que le destin jouerait en sa faveur. D’ailleurs, à l’époque, il n’avait pas vraiment eu l’impression de mentir. Mais quelques heures plus tard, la conversation qu’il avait eue avec la jeune fille avait mis fin à tous ses espoirs et son beau rêve était devenu une stupide chimère. Maintenant qu’il était face à celle qui l’avait quasiment élevé, il devait mettre fin à la mascarade. De toute façon, il était aculé. Il fallait que Momsy sache la vérité avant que Meredith ne se réveille. Sinon, elle poserait des questions toutes plus indiscrètes les unes que les autres et Meredith comprendrait rapidement que son meilleur ami s’inventait une vie amoureuse dont elle était l’héroïne. Hors de question !

Il ouvrit la portière et, délicatement, comme s’il s’agissait d’un nouveau-né, il prit Meredith dans ses bras et la sortit doucement du véhicule, prenant garde de ne pas la heurter contre la carrosserie. La jeune fille n’eut aucune réaction. Rassure-moi. Elle est toujours vivante ? feignit de s’inquiéter Momsy, tout en ironie.

Qu’est-ce que tu crois ? Que je suis venu pour enterrer son cadavre au fond du jardin ? répliqua Mark sur le même ton.

Momsy leva les yeux au ciel. Oh avec toi…

Ils échangèrent un sourire, heureux de constater que leur complicité était intacte. Elle a eu une sale journée, expliqua sobrement Mark.

Alors dépêche-toi de l’amener à l’intérieur. Je vous ai fait préparer la chambre bleue. Je sais que c’est ta préférée. Momsy donna de légers coups de canne sur les fesses de son petit-fils. Mais grouille-toi, bon sang, on ne va pas rester dehors toute la nuit quand même ! s’emporta-t-elle, impatiente qu’il puisse enfin lui faire le récit de ses amours.