• CHAPITRE 822

    Un instant, Derek fut tenté de demander à Meredith, une fois encore, de l'autoriser à venir la voir, ne fut-ce qu’une heure ou deux. Mais, pétri d’orgueil, il s’abstint. Si elle ne voulait pas passer un peu de temps avec lui, eh bien, tant pis, il se ferait une raison. Il n’allait pas se mettre à la supplier tout de même. Mais au moment même où il se disait cela, il sentit l’amertume l’envahir. Il ne dit plus que quelques banalités avant de prétexter du rangement, lui aussi, pour mettre fin à la conversation.

    Après avoir ruminé ses ressentiments, il décida de finalement défaire ses bagages. Tout plutôt que cette inaction. Pourtant, après avoir enlevé deux pulls et un pantalon, il laissa tout en plan, incapable de se concentrer sur autre chose que Meredith. Il commença à tourner en rond dans sa demeure, passant de pièce en pièce, laissant sa main traîner sur les meubles, les yeux perdus dans le vague, pour revenir finalement dans le salon et s’affaler dans le fauteuil, les pieds sur la table basse. Il se sentit désœuvré, triste, vide, sans but et il détesta cela. Cela ne lui ressemblait pas. Mais il y avait quelque temps qu’il ne reconnaissait plus l’homme qu’il était devenu et la cause en était évidente : Meredith. En quelques mois, cette fille avait pris une importance qu’il ne pouvait plus se cacher.

    Les évènements avaient pris une tournure à laquelle Derek ne s’attendait pas du tout lorsqu’il avait entamé cette relation. Bien sûr, dès le début, il avait eu une tendresse particulière pour Meredith, il ne fallait pas se mentir. La jeunesse de la jeune fille, sa fraîcheur, son inexpérience dans bien des domaines, sa naïveté, son désintérêt total l’avaient séduit. Mais de là à en arriver au point où il en était, il y avait un pas qu’il n’avait jamais pensé franchir. Parce que ce qui, au début, devait être une relation libre et sans contrainte, s’apparentait de plus en plus à quelque chose d’établi et de sérieux. L'envie constante qu'il avait de la voir, d’être avec elle, ce désir sans cesse renouvelé, et même, de plus en plus fort, la responsabilité qu’il pensait avoir envers elle, lui qui ne souciait jamais de rien ni de personne, cette inquiétude permanente à son sujet, toutes ces questions qu’il se posait… Non, ce n’était pas lui, ça. Encore que ce n’était pas le pire ! Le pire, c’était tous ces petits détails qui, lorsqu’il y pensait, lui faisaient froid dans le dos, à commencer par ces noms tendres qu’il lui donnait, comme bébé ou ma chérie. Ma chérie ! Cela lui était venu tellement naturellement qu’il comprenait maintenant que ce n’était que l’expression de ses sentiments. Oui, il chérissait cette fille, c’était bien là le problème ! Voilà pourquoi sans doute il s’était retrouvé, après l’agression dont elle avait été la victime, à vivre avec elle, comme un vrai couple, partageant la même maison quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l’amenant avec lui à la clinique, et surtout, surtout, renonçant aux plaisirs du sexe. Car, pour elle, il avait accepté de ne plus faire l’amour pendant quinze jours et il était conscient que, si elle le lui avait demandé, il aurait pu attendre encore plus longtemps, sans que cela lui coûte trop. Mais ce qui l’épouvantait le plus, c’était le choix qu'il avait fait délibérément et en toute connaissance de cause, de faire l'amour sans se protéger. Le désir qu’il avait pour elle était tellement fort qu’il en avait balayé tous ses principes. Faire l’amour avec elle, sans préservatif, avait été une des expériences les plus fortes de sa vie. Et depuis, il ne rêvait que d’une chose, la renouveler. Même la crainte qu’il avait éprouvée le lendemain, à l’idée qu’elle puisse être enceinte, ne suffisait pas à l’en dissuader. De toute façon, quand il y réfléchissait posément, il réalisait que si cela avait été le cas, il serait resté à ses côtés, alors que pour n'importe quelle autre fille, il n’aurait pas voulu en entendre parler et aurait fui. Jamais, il n’aurait pu abandonner Meredith à son triste sort, quelle que soit sa décision. Cette idée était effroyable parce qu'elle remettait en cause toutes les résolutions qu’il avait prises des années auparavant et sur lesquelles il n’avait jamais pensé revenir.

    Le fait est que cette nuit-là, au bord de la piscine, il avait retrouvé des sensations qu’il croyait à jamais disparues et si, pour Meredith, cela avait été comme une renaissance, cela en avait une pour lui aussi, il s’en rendait compte maintenant. Avec elle, il avait l’impression de redevenir humain. C’était comme s’il s’était à nouveau ouvert aux sentiments, et peut-être même d'une façon totalement inédite. C’est sans doute pour cela qu’à un moment, tandis qu’il la possédait, il avait senti monter en lui des mots qu’il n’avait jamais prononcés. Mon amour, murmura-t-il soudain d’une voix presque inintelligible. Il frissonna et ferma les yeux, atterré par ce qu’il avait réussi jusqu’à maintenant à se cacher mais qui, là, lui apparaissait comme une évidence. Il était en train de tomber amoureux de cette fille ! Ou plutôt non. Inutile de se cacher la vérité plus longtemps. Amoureux, il l’était déjà depuis un moment, depuis le début même peut-être, quand pour la toute première fois il l’avait emmenée à la clinique pour l'examiner après sa chute et qu’il avait remarqué l’éclat de ses yeux sous l’effet de la colère. Ou bien, quand il l’avait vue métamorphosée, dans sa robe de bal, le soir du gala, et qu’il l’avait embrassée sur la terrasse. Ou encore à Cloverdale, dans ce motel minable où elle avait joui pour la première fois sous ses caresses… Il renonça rapidement à passer en revue les moments qui avaient pu être décisifs. Peu importe quand cela était arrivé ! Toujours est-il qu’il l’aimait. Il l’aimait vraiment. Il retira les pieds de la table et s’assit normalement, les poings serrés, la mâchoire contractée, les yeux grands ouverts où se lisait l’effroi qu’il ressentait. Non, non, je ne peux pas, chuchota-t-il, la voix chevrotante. Je ne veux pas, dit-il plus fort comme pour affirmer sa détermination. Il se leva pour se servir un grand whisky et fut choqué de voir trembler ses mains pendant qu’il versait l’alcool dans son verre. Il se détesta d’être aussi faible. Voilà pourquoi il avait décidé, des siècles auparavant, que cela ne lui arriverait plus. Il avait tout mis en œuvre pour cela, élevé des barrières, forgé une carapace, durci son caractère… Il s’était fermé à l’amour, à tout jamais et il était hors de question de revenir en arrière. Il ne laisserait plus jamais personne lui infliger les souffrances qu’il avait jadis endurées.

    Il regarda autour de lui et, soudain, cette péniche, ce calme, ce silence, et lui au milieu, comme un con empêtré dans ses sentiments, tout lui parut insupportable. Il ne pouvait pas rester là, à gémir et pleurer sur son sort. Il avait un problème, c’était certain, mais il allait le résoudre, et pas plus tard que tout de suite. Il avait laissé la jeune fille prendre trop de place dans son existence. Il allait donc reprendre celle-ci en main. Et puis, il ne pouvait pas avoir changé tant que ça. Derek Shepherd, celui qu’il s’était construit, était toujours là, au fond de ses tripes, et toutes les Meredith du monde n’y pourraient jamais rien. Il fallait mettre fin à cette guimauve. Il but son whisky en une gorgée, attrapa sa veste et ses clefs de voiture et sortit à la hâte de la péniche, pour partir en courant vers la Porsche, pressé maintenant de retrouver sa vie d'avant.


  • Commentaires

    1
    Butterfly
    Jeudi 29 Novembre 2018 à 21:41

    Pressé de retrouver sa vie d'avant ????? Ca veut dire quoi, ça ? Ne me dites pas qu'il va recommencer à se taper n'importe qui  ? Comme si ça allait changer quelque chose à ce qu'il ressent pour Meredith ! Et en plus, pourquoi ça lui fait si peur d'être amoureux d'elle ? On devine qu'il a eu une mauvaise expérience mais ça se passe bien avec Meredith, alors pourquoi tout gâcher pour une vieille histoire ? Je crains le pire pour la suite eek

      • Nolcéline 97234
        Lundi 31 Décembre 2018 à 20:07

        Bonsoir à tous, je le crains aussi frown. En tout cas ce n'est pas son meilleur ami qui aurait rechigné au bonheur ah ça non no. Bonne dernière soirée de l'année 2018. 

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