En gros, que j’ai été un mauvais père, ce que je n’ai pas pu nier, admit Christopher. Et qu’elle avait peur des conséquences de l’intervention, en cas d’échec. Pour ta carrière mais avant tout pour toi, d'un point de vue personnel. Elle craint l'effet que cela te ferait si je ne survivais pas. Mais surtout, elle m’a dit que tu voulais m’opérer à cause de ta mère, parce que tu te sens coupable envers elle. On dirait bien qu’elle a tout faux, conclut-il sur un ton plein d’ironie.   

Non, elle a raison, lui apprit Derek. J’ai envisagé de vous opérer, à cause de Maman, parce que c’est ce qu’elle aurait voulu. Dieu m’est témoin que je ne comprends pas pourquoi mais elle aurait voulu que vous soyez sauvé.

Pourtant, tu as choisi de ne pas lui donner satisfaction, constata Christopher qui n’éprouvait aucun scrupule à jouer sur la corde sensible de son fils du moment que cela lui sauve la vie.

Oui. Dernièrement, une personne très sensée m’a fait remarquer que Maman n’était plus là et que, quelle que soit l’issue de l’intervention, ça ne changerait plus rien pour elle. En revanche, ça pourrait tout changer pour Meredith. Elle tient à moi, elle a peur pour moi. 

Tu devrais la rassurer, conseilla Christopher. Parce que j’imagine que si je meurs sur ta table d'opération, ce sera une grande satisfaction pour toi. Comme Derek hochait la tête avec un air excédé, il haussa les sourcils. Ne me dis pas que tu aurais du chagrin si je mourrais.

Il n'est pas question de chagrin, plutôt de culpabilité, mais bien entendu, c'est un sentiment qui vous est étranger, déclara froidement Derek.

Christopher ne releva pas cette accusation. Et donc, tu me condamnes à mort pour ménager les sentiments de ta compagne ? Je ne te savais pas si romantique.

Je ne vous condamne pas à mort. Vous allez être opéré, annonça Derek. Je vais monter une équipe à qui j'expliquerai ma procédure. Je vais répéter l'intervention avec eux et je serai présent dans la salle pour superviser les choses. Mais je ne tiendrai pas le scalpel.

Christopher se raidit imperceptiblement. C’est à toi seul que je fais confiance. Pas aux autres, aussi bons soient-ils.

Derek ricana. Allons donc ! Je n’étais pas votre premier choix. Loin de là. Vous avez fait confiance à des tas d’autres médecins avant de vous adresser à moi alors, vous pouvez bien essayer de faire confiance à ceux que je choisirai. Et ils appliqueront ma procédure.

Il y a la procédure et il y a celui qui manie les instruments, lui fit remarquer son père.

En ce qui me concerne, c’est à prendre ou à laisser. Derek se leva pour se camper à la fenêtre de son bureau. Vous êtes libre de refuser, bien entendu.

Christopher soupira. J’ai bien peur de ne pas avoir vraiment le choix. Derek acquiesça d’un signe de la tête. J’ai une autre demande à te faire, enchaina son père. 

Quoi encore ? grogna-t-il en se retournant vivement.

Tes sœurs. S’il m’arrive quelque chose, j’aimerais que tu veilles sur elles. Ce sont des adultes, bien sûr, et elles se débrouillent très bien dans leur vie mais ça ne veut pas dire qu’elles n’ont plus besoin de soutien.

Derek reprit sa place derrière son bureau. Bien sûr. Vous pouvez compter sur moi, promit-il sur un ton plus doux.

Je voudrais aussi que tu renoues avec elles. Elles ne sont pour rien dans ce qui s’est passé. Je suis le seul fautif, confessa enfin Christopher. Estomaqué par cet aveu inhabituel de la part d’un homme qui n’avait jamais admis la moindre erreur, Derek ne put qu’incliner brièvement la tête pour signifier qu’il acceptait la requête. Et tant que j’y suis, poursuivit Christopher avant de se taire pendant quelques secondes. Meredith m’a dit que tu avais grandi en ayant le sentiment que ta mère et moi te détestions, reprit-il. Je suppose que c’est normal, compte tenu du contexte, mais je veux que tu saches que ce n’était pas le cas. Tu es notre fils, comment aurions-nous pu te détester ?

Derek émit un petit rire sarcastique. J’ai des centaines d’exemples pour vous l’expliquer.

Oui, je sais, nous n’avons pas été de bons parents, reconnut Christopher. Nous étions trop impliqués dans nos problèmes de couple. Mais à ma décharge, ta mère n’était pas facile à vivre et…

Derek ne le laissa pas en dire plus. Stop ! ordonna-t-il en serrant les poings. Je refuse de vous écouter dire du mal d’elle. Après tout ce qu’elle a fait pour vous, vous êtes le dernier à pouvoir la critiquer.

Ce n’est pas dire du mal quand il s’agit de la vérité, argumenta Christopher. Tu ne peux pas nier que ta mère était parfois particulièrement pénible.

Pénible ? releva son fils, abasourdi. Moi, je trouve qu’elle a été plutôt sympa avec vous. Avec tout ce que vous lui avez fait subir ! N’importe quelle autre femme vous aurait foutu à la porte pour bien moins que ça. Bon sang, est-ce que vous réalisez seulement ce que vous lui avez infligé ? tonna-t-il. Votre tyrannie, votre indifférence, vos infidélités, l’isolement, le fait qu’après vingt-cinq ans de mariage, et alors qu’elle était au plus mal, vous l’ayez quittée pour une gamine de vingt ans qui en plus était la petite amie de votre fils, et ça, somme toute, ce n’est qu’un détail par rapport à tout le reste.

Non, ce n’est pas un détail. C’est une faute, avoua son père. La plus terrible de toutes. Et je te dois des excuses pour ça. Parce que non seulement je t’ai trahi de la pire des façons pour un père mais surtout, parce que cela a déclenché une série d’évènements dont tu as été la principale victime, j’en suis conscient. Et le jeu n’en valait pas la chandelle. Vraiment pas.