Meredith eut à peine le temps d’entrer dans la demeure de sa tante que les larmes jaillirent de ses yeux. Comment en étaient-ils arrivés là ? Tout allait si bien mais en quelques jours tout s’était effondré. A nouveau, elle maudit Shepherd Senior pour avoir détruit l’équilibre que Derek et elle avaient atteint. Cela ne concernait pas les sentiments de Derek à son égard. Il l’aimait toujours et il voulait passer sa vie avec elle, elle en était convaincue. Mais il était indéniable qu’avoir revu son père, et dans une moindre mesure sa sœur, l’avait perturbé. Cela avait certainement fait remonter un tas de souvenirs tous plus mauvais les uns que les autres et cela ne faisait aucun doute pour elle que c’était ce qui avait amené son petit ami à réagir de façon aussi épidermique à propos du mariage, en l’humiliant publiquement au passage. Et pourtant, elle ne lui en voulait pas, enfin pas vraiment, parce qu’elle était certaine que ses réactions à l’emporte-pièce de ces derniers jours n’étaient que l’expression des peurs héritées de son enfance tourmentée, la principale étant la peur de l’abandon. Il ne fallait pas avoir étudié la psychologie pour deviner que c’était cette peur-là qui l’avait poussé à faire la pire des demandes en mariage. De tous les moments horribles du week-end, celui-là était peut-être le pire. La déception et la tristesse submergèrent Meredith. Elle posa sa main droite sur ses lèvres serrées pour étouffer le bruit de ses pleurs. Elle ne se faisait guère d’illusions, elle ne réussirait pas à tromper sa mère, et d’ailleurs ce n’était pas ce qu’elle voulait, car elle était revenue chez elle pour trouver du réconfort et du soutien, mais elle ne voulait pas trop l’inquiéter. Elle ne voulait pas non plus que sa mère accable Derek ; l’entendre l’accuser de tous les maux ne l’aiderait pas à se sentir mieux. Elle était en train de se calmer pour pouvoir se rendre dans le salon d’où venait le son de la télévision, lorsque Ellis surgit dans le hall d’entrée. Oh Meredith, tu es là, s’écria-t-elle. La jeune fille se retourna rapidement pour essuyer discrètement ses yeux. Anne, notre petite Meredith est rentrée, cria Ellis pour avertir sa belle-sœur.

Celle-ci accourut. Meredith ? dit-elle, étonnée, car elle ne s’attendait pas ce que sa fille rentre ce soir-là. En la voyant avec ses yeux embués de larmes, elle comprit qu’il y avait un problème mais elle fit comme si de rien n’était. Mais rentre, voyons ! Tu ne vas pas rester dans le hall. Viens au salon. J’allais justement me faire une infusion. Tu en veux une ? La gorge nouée par l’émotion, Meredith accepta d’un signe de la tête. Sa chère maman si délicate qui devinait toujours tout mais qui faisait semblant de rien pour lui laisser l’initiative de la discussion quand elle en ressentirait le besoin ! Meredith se sentit déjà mieux. Elle poussa son bagage sur le côté et pénétra dans le salon. Elle s’assit dans un fauteuil, les genoux repliés contre sa poitrine et les bras autour des jambes. Quand sa mère revint avec deux infusions de fleurs d’oranger et une assiette de cookies, elle était dans la même position, plongée dans ses pensées. Anne lui donna une tasse avant de lui proposer un gâteau qu’elle refusa d’un signe de tête. Anne reprit sa place sur le canapé, en serrant sa tasse entre ses mains, le regard fixé sur l’écran de télévision pour donner l’impression qu’elle regardait le programme alors qu’elle guettait du coin de l’œil le moment où sa fille se confierait enfin à elle. Elle ne dut pas attendre longtemps.

On s’est disputé, lâcha enfin la jeune fille dans un souffle, après avoir bu une gorgée d’infusion.

Anne lui adressa un tendre sourire. Je m’en doutais un peu. Et c’était à quel sujet ? Tu veux me le dire ? 

Meredith haussa légèrement les épaules. C’est à cause du mariage.

Sa mère eut un petit sursaut de surprise. Pourquoi ? Ça s’est mal passé ? Ses amis ont été désagréables avec toi ?

Meredith la rassura aussitôt. Oh non, non, pas du tout. Le mariage était très bien et ses amis sont très gentils. Non, on s’est disputé à cause du mariage en général. Il m’aime et il veut vivre avec moi, mais il ne veut pas se marier à cause de ce qu’il a vu avec ses parents et dans son entourage aussi, expliqua-t-elle. Je sais que ça a été terrible entre ses parents et je comprends que ça l’ait traumatisé, mais j’en ai un peu marre que toute ma vie dépende de ce qui s’est passé dans la famille Shepherd.  

Anne posa sa tasse sur la table. Ça, je t’avais prévenue ! dit-elle avec un air un peu triomphant.

Si c’est pour me dire ça, c’est pas la peine, répliqua Meredith, irritée. Anne leva les yeux au ciel mais n’ajouta rien. Ce qui m’énerve le plus, c’est qu’il décide de tout sans tenir compte de ce que je veux, reprit Meredith. Enfin, il ne peut pas en tenir compte puisqu’il ne sait même pas ce que je veux, il ne me l’a pas demandé, déplora-t-elle avec amertume. Il a décrété qu’on ne se marierait pas et voilà, c’est comme ça. Fin de la discussion !

Je ne t’ai pas élevée pour que tu te soumettes à la volonté d’un homme, lui rappela sa mère. Tu dois lui dire que tu n’es pas d’accord avec ses décisions et qu’il y a des choses auxquelles tu n’es pas prête à renoncer.

Mais c’est ce que j’ai fait ! geignit Meredith. J’ai dit que je voulais me marier. Et avoir des enfants. Mais il a peur. Peur de répéter l’histoire de ses parents. Il dit qu’on est heureux comme on est, alors il ne veut rien changer.

Anne soupira. Dans quoi tu t’es engagée ? Vous n’en êtes qu’au début de votre relation, et vous avez déjà tellement de problèmes ! Qu’est-ce que ce sera dans dix ans, quand la passion aura tiédi et que vous devrez affronter les aléas d’une vie de couple ? Vivre à deux est déjà tellement compliqué quand les deux personnes ont la même vision des choses. Alors, quand ce n’est pas le cas… Elle se pencha pour poser sa main sur le bras de sa fille. J’apprécie Derek. Vraiment. Plus que je ne l’aurais cru même. Il est très gentil, il est généreux, attentionné et il t’aime sincèrement, je n’ai aucun doute là-dessus. Mais vous ne voulez pas les mêmes choses et surtout, il a un passé compliqué. Sans parler de la différence d’âge. C’est trop lourd pour toi, Meredith. Tu es jeune, trop jeune pour tout ça. Il vaut mieux arrêter avant que ça n’aille plus loin. Avant que tu souffres encore plus.

Arrêter ? ânonna Meredith, désarçonnée. Si seulement c’était aussi simple.

Qu’est-ce que tu veux faire ? s’écria Anne. Attendre qu’il change d’avis ? Et s’il ne le fait pas ? Combien d’années es-tu prête à perdre en espérant des choses que tu n’obtiendras peut-être jamais. Tu veux te marier, avoir des enfants, c’est ce que tu as toujours voulu. Depuis que tu es une petite fille. Tu es prête à y renoncer pour un homme ? 

Non. Mais je ne suis pas prête non plus à renoncer à lui. Je ne peux pas, c’est au-dessus de mes forces, avoua Meredith. Je sais que tu ne comprends pas, que tu penses que j’exagère, que j’idéalise ce qu’on vit ou je ne sais pas quoi. Mais ce n’est pas le cas. On s’aime tellement fort tous les deux. Je dois juste attendre un peu. Je suis jeune, je peux attendre. Un jour, il va comprendre, il va changer d’avis. Un jour, il en aura envie autant que moi, j’en suis sûre. Je ne peux pas m’être trompée sur lui. Je ne peux pas… Ce n’est pas possible. Elle éclata en sanglots.