• Meredith secoua la tête. Il y a une grande différence entre hériter d’une bague ou d’un livre, et une telle somme. Deux cent cinquante mille dollars, Mark ! Est-ce que tu te rends compte de ce que ça représente ? Bien sûr que non, il ne s'en rendait pas compte, comme en attestait son petit sourire amusé. Comment aurait-il pu, lui qui était né avec une cuiller en argent dans la bouche ? Mais elle qui avait toujours connu sa mère aux prises avec des difficultés financières, elle connaissait la valeur de l’argent. De plus, elle avait été élevée dans l’idée qu’il ne fallait compter que sur soi et sur son travail pour gagner sa vie. Alors, cette somme astronomique qui lui tombait du ciel, sans qu’elle n’ait rien fait pour la mériter, la mettait mal à l’aise. Il y a trois semaines, je ne connaissais même pas ta grand-mère. Je me suis imposée dans sa maison, j’ai vécu à ses crochets. Elle fit abstraction d’un bruyant soupir que Derek venait de pousser pour manifester son énervement. Elle a déjà été d’une telle générosité pour moi que je ne peux plus rien accepter. Et puis, si je prenais cet argent, j’aurais l’impression de te voler.

    Me voler ? s’exclama Mark avant de pouffer de rire. T’en fais pas pour ça, va. Premièrement, ma grand-mère m’a demandé ce que j’en pensais et je lui ai dit que c’était une excellente idée. Et puis… Je vais sans doute te paraitre prétentieux mais deux cent cinquante mille dollars de plus ou de moins, je ne verrai même pas la différence.

    Meredith savait qu’il avait raison. Elle avait compris, à la lecture du testament, par l’énoncé de tous les biens que sa grand-mère lui laissait, que Mark était désormais à la tête d’une fortune considérable. Sans doute même, son salaire de chirurgien lui tiendrait-il lieu dorénavant d’argent de poche. Pourtant, elle ne changerait pas d’avis. Il était hors de question qu’on lui fasse la charité. Eh bien, alors, tu n’as qu’à prendre ces deux cent cinquante mille dollars et les offrir à une association, bougonna-t-elle.

    Tu dis des bêtises. Mark saisit la main de son amie et la serra dans la sienne. Momsy t’aimait, Mer. Elle t’aimait comme sa propre petite-fille et elle voulait que tu le saches. C’est sa façon de te le dire.

    Cet aveu fit monter les larmes aux yeux de la jeune fille. Je l’aimais aussi. Mais ne m’oblige pas à le prouver en acceptant son argent, Mark. De toute façon, deux cent cinquante mille dollars, c’est beaucoup trop, même pour des études universitaires.

    Tout dépend de l’université, objecta Mark. Momsy voulait que tu puisses faire ton choix sans te préoccuper de ce que ça coûterait.

    C’est adorable mais je ne peux pas accepter, s’entêta Meredith.

    Très bien, décréta Derek qui était sur des charbons ardents depuis le début de la conversation. Refuse cet héritage puisqu’il te gêne tant. Tu as raison. Mark lui jeta un regard stupéfait. Il espérait compter sur son appui pour convaincre Meredith et le voilà qui torpillait tous ses efforts. En revanche, Meredith se tourna vers son ex-amant, pleine d’espérance mais de méfiance aussi. Avait-il compris sa motivation ou voulait-il seulement rentrer dans ses bonnes grâces ?

    Mais… et ses études ? objecta Mark, désarçonné. Comment elle va faire pour aller à l’université sans cet argent ?

    Presque enthousiaste, Meredith lui posa une main sur le bras. Il y a les banques. Je peux toujours faire un prêt. Elle foudroya du regard Derek qui ricanait.

    Et te coller des dettes pendant des années ? C'est justement ce que tu ne voulais pas faire, lui rappela Mark. En plus, avec la crise financière, les banques n’octroient plus si facilement ce genre de prêt. Si tu n’as pas de contrepartie à donner, tu ne l’obtiendras pas.

    Mais il y a cette nouvelle mesure prise par le gouvernement, argua Meredith. Je me suis renseignée. Maintenant, à cause de la crise justement, tu peux demander un prêt directement au Département de l’Education et les intérêts sont beaucoup plus intéressants.

    Mark fit une grimace. Je sais, Mer. Mais ça représente des démarches à n’en plus finir.

    Je me débrouillerai, répondit précipitamment Meredith. De toute façon…

    Derek lui coupa la parole. De toute façon, si ce n’est pas l’argent de Momsy qui finance tes études, ce sera le mien. Il défia Meredith du regard. Fin de la discussion ! Enervé, il se leva et alla au frigo prendre deux bières pour lui et Mark. Tu veux quelque chose ? demanda-t-il à Meredith, tout en se préparant à la riposte. Il la connaissait assez pour savoir qu’elle n’adhérerait pas à son initiative.

    Non ! cria-t-elle. Et la discussion n’est pas finie. Il est hors de question que j’accepte ton argent.

    C’est ce qu’on verra ! Derek revint s’asseoir et ouvrit sa bouteille, les yeux pleins de hargne. Il vida la moitié de sa bière en une gorgée. En ce moment, il était tellement irrité qu’il ne pensait plus à ménager la susceptibilité de la jeune fille. Il ne réfléchissait pas au fait que sa franchise risquait de compromettre définitivement les maigres chances qui lui restaient de se réconcilier avec elle. Depuis qu’il était là, il avait forcé sa nature en surveillant le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles. Mais la diplomatie ne faisait pas partie de ses vertus premières et, ses efforts n’ayant pas payé, il en avait assez de louvoyer.

    Meredith ouvrit de grands yeux scandalisés. C’est tout vu ! Et à quel titre je devrais accepter ton argent d’ailleurs ?


    1 commentaire
  • Au titre que tu es une fille intelligente ! tonna Derek. Et que ce serait un sacré gâchis de ne pas faire les études de ton choix. Alors, je ne laisserai pas de foutus problèmes d’argent t’empêcher de réaliser tes rêves.

    Ils n’empêcheront rien du tout, assura Meredith, en se tournant vers Mark dans l’espoir d’avoir son appui. Son regard alla de Derek à Mark tandis qu’elle faisait valoir son point de vue. C’est pour ça que je suis venue à San Francisco, pour qu’ils se réalisent. Je travaille, je mets un maximum de côté et le jour où…

    Quand, Meredith ? l’interrompit Derek avec violence. Quand estimeras-tu avoir assez d’argent pour te lancer ? Dans dix ans ? Parce qu’avec ce que tu gagnes à la boutique…

    Meredith s’énerva. Mais de quoi je me mêle ? De toute façon, je ne veux rien te devoir !

    Alors, accepte l’argent de Momsy, répliqua Derek. Mets ton orgueil de côté pour une fois.

    Ça te va bien de dire ça ! riposta la jeune fille.

    Ce fut plus fort que lui. Il ne parvint plus à taire ce qu’il avait sur le cœur. Qu’est-ce que tu crois que je fais pour le moment ? cria-t-il. Ça fait trois semaines que je me comporte comme un mendiant, juste pour un signe de ta part. En se levant brusquement, il fit tomber sa chaise par terre mais n’y prit garde. Le bruit fit sursauter Meredith.

    Derek, dit Mark pour mettre en garde son ami qui tournait en rond dans la pièce.

    Qu’est-ce que tu veux, Meredith ? continua Derek qui ne l’avait même pas entendu. Qu'est-ce que tu attends de moi ? Que je mette à genoux ? Que je rampe ? 

    Surprise par cette réaction qu’elle n’avait pas vu venir, Meredith blêmit. Je… je ne… je ne veux… pas… parler de ça, bégaya-t-elle.

    Mais alors quand, nom de dieu, se mit à hurler Derek, en écartant les bras. Quand voudras-tu en parler ? Choquée par ce qu’elle ressentait comme une agression, Meredith se mit à pleurer. Derek se calma instantanément. Meredith…

    T’es content ? fulmina Mark. T’as eu ce que tu voulais ? Il passa son bras autour des épaules de la jeune fille pour la ramener contre lui. Calme-toi, Mer.

    Derek n’avait pas prévu que la conversation prendrait cette tournure et, maintenant, il s’en voulait de s’être laissé emporter. Ce que je veux, c’est seulement qu’elle me laisse lui parler, dit-il d’un ton las. Il eut mal au cœur en voyant Meredith pleurer à chaudes larmes. C’était peut-être la seule chose au monde qu’il était incapable de supporter. Je ne veux pas te faire du mal, bébé.

    Tu l’as déjà fait ! lança Meredith en essuyant rageusement les larmes qui mouillaient son visage. Et je t’ai déjà dit de ne plus m’appeler bébé !

    Mark les regarda l’un après l’autre, avec commisération. Était-il possible de s’aimer autant que ces deux-là et de ne pas être capable de se le dire autrement qu’à travers des cris et des larmes ? Moi, je pense que vous devriez vous parler, tous les deux, et parler calmement, vous dire les choses… seul à seul.

    Je ne demande que ça, murmura Derek, avec un regard plein d’espoir vers Meredith. Celle-ci ne bougea pas.

    Eh bien, alors, je vais vous laisser, hein ! claironna Mark sur un ton qui se voulait guilleret. Discutez bien et surtout discutez posément. Ça ne sert à rien de gueuler. Après avoir déposé un baiser sur le front de Meredith, il se leva et fit quelques pas en direction de la porte.

    Non, je ne veux pas discuter. Il n’y a rien à dire, de toute façon. Meredith se leva à son tour. Tu peux rester, Mark.

    Derek baissa la tête. Voilà, une fois encore, elle venait de le rejeter. Au moment où elle passait à côté de lui, il l’attrapa par le poignet. Meredith, murmura-t-il en posant sur elle un regard plein de détresse qui la fit frémir. Je sais que j’ai fait une épouvantable erreur et que je t’ai fait du mal. Mais est-ce que tu ne crois pas que je l’ai déjà payé assez cher ?

    Elle prit une grande inspiration avant de lui répondre. Il ne s’agit pas de te faire payer, Derek. Elle l’aimait, elle l’aimait encore, envers et contre tout, et elle l’aimerait toujours, elle en était convaincue. Pourtant, même cette certitude, et la perspective de ne jamais pouvoir l’oublier, ni le remplacer, ne lui permettaient pas de passer au-dessus de l’immense déception qu’elle avait ressentie en découvrant qu’il s’était joué d’elle. Je ne cherche pas à me venger. Il s’agit seulement d’accepter ce qui s’est passé. Et ça, malgré tout ce que j’éprouve encore pour toi, je n’y arrive pas. Et je ne sais pas si j’y arriverai un jour. Elle rejoignit Mark et sortit après l’avoir embrassé sur la joue au passage.

    Mark vint se rasseoir devant son ami. Elle est dure, putain ! s’exclama-t-il sans se rendre compte de l’admiration qui perçait dans sa voix. Elle est têtue, c’est fou. Il s’aperçut soudain que Derek était blanc comme un mort. T’en fais donc pas. Ça va s’arranger.

    Désillusionné, Derek secoua la tête. Je ne vois pas comment.

    T'as perdu une bataille, mon vieux. Ça ne veut pas dire que tu as perdu la guerre, assura Mark avec conviction. Il faut seulement t’armer de patience. Derek leva les yeux au ciel. Mark sourit. Oui, je sais, ce n’est pas ton point fort, mais va falloir t’y faire. Je t’avais prévenu. Elle va t’en faire baver.


    1 commentaire
  • Installé sur la terrasse, Jackson se balançait doucement dans un rocking-chair, sans quitter des yeux le paysage qui s’étendait à perte de vue devant lui. Les nuages blancs du matin avaient disparu pour faire place au doux soleil de printemps. L’air fleurait bon les jeunes pousses de crocus et de primevère qui commençaient à poindre dans les parterres. Un peu plus loin devant la maison, derrière les barrières, de chaque côté, les haies de ligustrum frissonnaient au moindre souffle d’air. La silhouette élancée des palmiers se détachait sur le ciel bleu tandis que les ombres des chevaux, que les palefreniers faisaient sortir un à un des écuries, dansaient sur l’herbe d’un splendide vert émeraude. Pour Jackson, il n’y avait pas de plus bel endroit au monde. De plus, il se sentait vraiment chez lui à l’Hacienda, en sécurité, à l’abri des bassesses qui foisonnaient dans le monde extérieur. Il n’imaginait pas vivre ailleurs mais le décès de Momsy allait peut-être le contraindre à changer ses plans. Il avait l’impression d’être maintenant à la merci des humeurs de Mark Sloan et cela ne lui plaisait guère.

    Il tourna la tête à l’arrivée de Derek et le salua, sans un mot, simplement en relevant le menton vers lui, avant de revenir à sa contemplation. Derek avança sur le devant de la terrasse et admira le paysage, lui aussi. Jackson apprécia que le chirurgien ne ressente pas le besoin de parler. Il aimait les gens qui, comme lui, ne se sentaient pas obligés de meubler le silence. Ne l’ayant plus vu depuis douze ans, il avait de Derek le souvenir d’un homme extrêmement respectueux et à l’écoute. Ce fut ce qui l’incita à exprimer ce qu’il ressentait. Presque deux jours déjà, murmura-t-il si bas que Derek peina à comprendre ce qu’il disait. Je ne parviens toujours pas à croire qu’elle est partie. On savait qu’elle était vieille et qu’elle avait des problèmes de santé, bien sûr, mais on croyait qu’elle allait toujours être là, comme si elle était indestructible, tu comprends ? Derek opina de la tête. Jackson, Meredith, Mark, lui-même, tous ceux en fait qui avaient connu Momsy, ne fût-ce que brièvement, ressentaient la même incompréhension, le même vide devant sa mort. Jackson se leva et rejoignit Derek, embrassant toute la propriété en un seul coup d’œil, avant de se retourner vers la maison. J’avais six ans quand je suis arrivé ici. Je ne me souviens même plus de ce qui s’est passé avant, où j’ai vécu et tout ça. C’est comme si j’étais né le jour où j’ai franchi cette porte. Il refit demi-tour et observa le ballet des hommes qui s’affairaient autour des chevaux. C’est chez moi ici. Je ne me vois pas vivre ailleurs.

    Personne ne t’y oblige, lui fit remarquer Derek.

    Jackson ne lui répondit pas directement. Je suis un homme de la campagne, moi. Les champs, les forêts, les animaux, l’air pur, le silence, ça me plaît. J’en ai besoin même. Il soupira. Parfois, je dois me rendre à San Francisco pour les affaires. Après quelques heures, j’ai l’impression d’étouffer. Déjà, rien que de devoir aller à Santa Rosa, ça me gave. Derek sourit. Lui, c’était exactement le contraire. Quelques heures à la campagne et il s’ennuyait ferme. Il avait besoin de l’agitation de la ville pour se sentir vivant. Pour mes vingt-et-un ans, Momsy m’avait offert un voyage de quelques jours à New York, poursuivit Jackson avec un sourire attendri. Elle pensait me faire plaisir et puis, elle voulait que je connaisse autre chose que mon bled, comme elle disait. Je n’étais pas vraiment intéressé mais, bon, j’y suis allé. Bon sang ! Les gens, le bruit, toute cette agitation, ça m'a stressé à mort. Et les gaz d’échappement, j’ai cru que j’allais crever ! Il jeta un regard incrédule en direction de Derek. Comment vous faites pour vivre là-dedans toute l’année ?

    Derek haussa les épaules en faisant une grimace. Question d’habitude…

    Moi, je ne pourrais pas, assura Jackson. Si je dois partir… L’Hacienda était sa maison, les gens qui y vivaient étaient sa famille. Si on le chassait de ce paradis, il redeviendrait l’orphelin qu’il était avant que Momsy le recueille.

    Je ne crois pas qu’il en soit question, avança prudemment Derek qui n’avait pas encore eu l'occasion de parler avec Mark de ses intentions au sujet de la propriété.

    Ce fut au tour de Jackson de grimacer. Si Sloan décide de vendre…

    Derek afficha une moue dubitative. Je ne vois pas pourquoi il vendrait.  

    Jackson reprit sa place dans son fauteuil. Allons, Derek, souffla-t-il. C’est un homme de la ville, comme toi. Il n’en a rien à foutre de l’Hacienda. Il ne venait ici que pour rendre visite à sa grand-mère alors, maintenant qu’elle n’est plus là…

    Derek secoua la tête. Il sait à quel point Momsy tenait à cette propriété. En plus, elle a expressément exigé que Frances puisse y vivre tant qu’elle le voudrait, alors, je suis certain qu’il va la garder. Et indépendamment de tout ça, vous êtes de la même famille. Il ne va pas te foutre à la porte tout de même !

    Tu parles ! grommela Jackson. Il me déteste. Si ça ne tenait qu’à lui… Comme souvent, le jeune homme laissa sa phrase en suspension.

    Il n’est pas aussi mauvais que tu le crois, dit Derek avec un petit sourire. Je pense que tu n’as rien à craindre de lui.

    La défiance se peignit sur les traits de Jackson. Que Dieu t’entende ! se contenta-t-il cependant de dire en faisant à nouveau balancer son rocking-chair. Il vit soudain que Derek, qui était mollement appuyé contre la rambarde, se redressait subitement et se tendait en avant. Surpris, le jeune métis suivit du regard la direction indiquée par le corps de son camarade. Il comprit immédiatement. Meredith, une selle à la main, venait de sortir des écuries avec Bluebelle, tout en discutant avec Curtis, le nouveau palefrenier, qui la suivait avec Abakan. Les deux hommes l’observèrent un instant, tandis qu’elle s’occupait de sa monture.


    votre commentaire
  • Elle va s’en aller, laissa tout à coup tomber Jackson.

    Derek fronça les sourcils. Pardon ?

    Elle va s’en aller, répéta Jackson. Elle va repartir avec vous.

    Elle te l’a dit ? se renseigna Derek, plein d’espoir.

    Jackson hocha la tête en souriant. Pas besoin. Je le sais. Elle est venue à l’Hacienda pour faire le point mais sa vie n’est pas ici. Sa vie est à San Francisco, avec toi.

    Derek se renfrogna. Je ne crois pas, non, exprima-t-il avec une intonation douloureuse. Il n’avait pas eu l’intention de parler de Meredith et de leur relation à Jackson. Il détestait faire état de ses problèmes personnels. Il n’y avait qu’auprès de Mark qu’il acceptait de s’épancher, et encore. Mais maintenant que le sujet était lancé et puisqu’il semblait que Jackson était au courant de la situation… Derek hésita encore un instant mais son envie de savoir fut la plus forte. Elle t’a parlé de… de nous ?

    Pas vraiment. Jackson n’était pas le genre de personne qui aimait rapporter les confidences qu’on lui faisait. Mais il appréciait Derek et de surcroît, il le sentait sincèrement épris de Meredith. Sachant que le sentiment était réciproque, il était plutôt enclin à donner un petit coup de pouce au couple. Elle m’a seulement dit qu’elle aimerait savoir qui tu étais vraiment, lui confia-t-il.

    Encore faudrait-il que je le sache moi-même, répondit sincèrement Derek. En effet, il aurait été bien en peine de se définir. L’introspection n’était pas une occupation à laquelle il aimait se livrer. Il se contentait de suivre ses instincts sans éprouver le besoin de les analyser. Il n’en voyait pas l’intérêt. Quant à la façon dont il était perçu, il s’en moquait généralement. Ceux qui l’avaient connu jeune avaient vraisemblablement gardé de lui l’image du gendre idéal. Ensuite, il s’était forgé une solide réputation d’infâme salaud. La vérité était située entre les deux, sans doute.

    Oh moi, j’ai ma petite idée, avança Jackson avec un petit sourire entendu. Tu devrais commencer par lui parler de ce jeune homme qui n’hésitait pas à se battre pour défendre un p’tit métis gay.

    C’était il y a très longtemps. Je ne suis plus ce gars-là, prétendit Derek, blasé.

    Bien sûr que si ! répliqua Jackson. Tu es quelqu’un de bien, Derek, et tu l’as toujours été. C’est juste que ça t’a arrangé de faire croire le contraire. Il hésita un instant avant de poursuivre. Un jour, Momsy m’a dit que tu avais décidé de te faire passer pour un sale type pour garder les autres à distance. Comme ça, ils n’avaient plus l’occasion de te faire du mal. Emu, Derek approuva d’un signe de tête. Jackson regarda à nouveau la jeune fille que ces derniers jours lui avaient permis d’apprécier. Je ne crois pas que Meredith te veuille du mal. Alors, arrête de la repousser.

    Mais, là, je ne la repousse plus, s’indigna Derek. C’est elle qui refuse de me parler.

    Mais elle fait comme toi, mon vieux, répondit calmement Jackson. Elle s’enferme dans sa colère. Ça lui permet de te tenir à distance. Il ne fut nullement impressionné par le regard noir que lui décocha le chirurgien. Elle se protège. Et puis, j’imagine qu’elle veut te faire payer tes conneries, aussi.

    Les gonzesses, j’te jure, maugréa Derek, l’œil rivé sur Meredith qui commençait à seller son cheval. Elles sont d’un compliqué.

    Ah pour ça, je te crois sur parole, plaisanta Jackson. Il partit soudain d’un petit rire. Tu n’aurais pas tous ces problèmes si tu avais accepté ma proposition, il y a douze ans.

    Derek se tourna vers lui avec un sourire complice. Ouais, belle connerie que j’ai faite ce jour-là, dit-il avant de se mettre à rire à son tour. T’es trop con, toi !

    Pourquoi ? Jackson se leva pour le rejoindre. Tu sais, si tu veux changer d'avis, il n’est pas trop tard. C’était une boutade, bien sûr, et pourtant… Jackson devait bien avouer que, malgré les sentiments sincères qu’il portait à Jonas, il était toujours aussi sensible au charme du chirurgien. Mais il n’y avait aucun espoir à nourrir, compte tenu du regard plein de passion dont Derek enveloppait à nouveau Meredith. Va lui parler, conseilla Jackson. Elle n’attend que ça.  

    Un bruit de pas les fit se retourner. Mark venait d’arriver sur la terrasse. Salut, grommela-t-il entre ses dents, contrarié par la présence de Jackson.

    Salut, répondit froidement celui-ci. Il s’adressa ostensiblement à Derek. Bon, tu m’excuseras, mais j’ai du boulot qui m’attend. A plus. Sans un regard vers Mark, il dévala les quelques marches et partit à grandes enjambées vers son pick-up.

    Qu’est-ce qu’il raconte ? s’enquit Mark sur un ton grognon, en le regardant s’éloigner.

    Rien de spécial, répondit distraitement Derek qui réfléchissait à la meilleure façon d’entamer la conversation avec Meredith.

    Paraît qu’il sort avec le fils du Marshal, commenta Mark. La veille, lors de leur promenade équestre, la bavarde Taylor lui avait dévoilé tous les secrets d’alcôve de Jackson, sans qu’il ait eu besoin de demander quoi que ce soit.

    Derek regarda son ami avec un air agacé. Et ça te gêne ?


    votre commentaire
  • Pas du tout. Je me fous totalement de son orientation sexuelle. C’est sa naissance qui me dérange, grogna Mark. Il n’avait rien contre les gays, que du contraire. Chaque gay était un rival de moins pour lui.

    Il est comme nous, tu sais, objecta Derek. Il n’a pas choisi ses parents.

    Pourquoi faut-il que tu prennes toujours sa défense ? s’emporta Mark. Parce qu’il était amoureux de toi quand il était gamin ? Ça flatte ton ego ?

    Les yeux de Derek se firent plus froids. Puisque tu n’as que des conneries à dire… Il descendit les quelques marches qui menaient au jardin. En passant devant un parterre de fleurs, il y arracha une magnifique tulipe jaune. Il entendit Mark qui lui criait quelque chose mais n’y prêta pas attention. Ne comptait plus que la jeune fille blonde vers laquelle il avançait. Il n’était plus qu’à deux mètres lorsqu’elle leva les yeux vers lui. Il fit passer dans son sourire l’énorme bouffée de tendresse qui venait de l’envahir et elle ne put que lui sourire à son tour. Il lui tendit la fleur. Tiens, c’est pour me faire pardonner. Pour ce qui s’est passé cette nuit, précisa-t-il pour qu’elle ne se méprenne pas. Il était clair qu’il faudrait bien plus qu’une tulipe pour faire oublier le mal qu’il lui avait fait. Et tu es obligée de l’accepter, ajouta-t-il avec de grands yeux innocents. Sinon, Mark va me tuer parce que j’aurai massacré le parterre de sa grand-mère pour rien.

    Merci. Meredith prit la fleur et, pour se donner une contenance, la porta à son nez tout en sachant que la tulipe ne dégageait aucun arôme particulier. Lorsque Derek se faisait aussi charmeur, elle se sentait vraiment trop vulnérable.

    Il fit le tour de la jument en restant à une distance respectable. Il est beau. Comment il s’appelle ?

    Elle. Elle s’appelle Bluebelle. Elle est adorable. Meredith prit la tête de l’animal entre ses mains pour déposer un baiser juste au-dessus de ses naseaux. On s’entend bien toutes les deux, n’est-ce pas, ma jolie ?

    Tu ne m’as jamais dit que tu aimais les chevaux, déplora Derek en la suivant pendant qu’elle passait de l’autre côté de sa monture.

    La réponse fusa, telle un éclair. Parce que tu ne me l’as jamais demandé. La fleur toujours à la main, Meredith mit le pied à l’étrier.

    C’est vrai, reconnut Derek, tout penaud. Je ne t’ai jamais vraiment posé de questions sur toi. Sans doute parce que j’avais peur que tu m’en poses aussi, murmura-t-il d’une voix sourde.

    Meredith s’arrêta dans son élan pour se tourner vers lui. Ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait comprendre qu’il était prêt maintenant à parler de lui mais elle ne se sentait pas encore prête à saisir cette perche qu’il lui tendait, tout simplement parce qu’elle savait qu’une fois cette conversation entamée, il leur faudrait aller jusqu’au bout, avec tout ce que cela impliquerait de douleurs ravivées, pour l’un comme pour l’autre. Il faut que j’y aille.

    Derek se dépêcha de lui poser une main sur le bras, pour la retenir. Je te propose un marché. Tu me laisses t’accompagner dans ta promenade et en échange, je réponds à toutes tes questions.

    Toi ? Mais tu détestes les chevaux ! s’exclama Meredith, amusée, en reposant le pied à terre.

    Derek fut heureux qu’elle ne rejette pas directement sa proposition. C’était donc qu’elle n’y était pas opposée. Jamais, depuis qu’il l’avait retrouvée, il ne s’était senti aussi proche d’obtenir ce qu’il souhaitait, à savoir s’expliquer et plaider sa cause. Moi, détester les chevaux ? Qui dit ça ?

    Pas besoin de le dire. Ça se voit.

    Ce n’est pas que je les déteste mais… Il dévisagea Bluebelle avec méfiance. C’est plutôt eux qui ne m’aiment pas. Quand j’étais petit, je me suis fait mordre plusieurs fois. Alors depuis… j’en ai un peu peur, finit-il par lâcher.

    Meredith fut attendrie par cet aveu qui lui coûtait, elle le savait. Et puis, il y avait ce regard tour à tour tendre et implorant qu’il posait sur elle, et auquel elle ne savait pas vraiment résister. OK. Je te propose un autre marché. Je renonce à ma balade et en échange, tu réponds à mes questions, sans te défiler.

    Marché conclu ! s’écria Derek, heureux d’avoir remporté cette manche en échappant à la corvée de la promenade équestre. Immédiatement après, le stress l’envahit à l’idée de tout ce qu’il allait devoir remuer pour satisfaire la jeune fille. Et honnêtement, quoiqu’il lui ait promis, il n’était pas certain d’y arriver.

    Meredith passa la main sur le flanc de Bluebelle. On ira se promener un peu plus tard, ma belle. D’accord ? La jument secoua la tête en hennissant légèrement. Tu es gentille. Tu veux bien la rentrer pour moi ? demanda Meredith à Curtis qui revenait pour nourrir les chevaux. Elle lui passa les rênes et revint à Derek. Ça te va, là ? lui demanda-t-elle en pointant du doigt le banc où il s’était assis quelques jours plus tôt avec Momsy. Il acquiesça et la suivit avec l’impression qu’il allait enfin pouvoir essayer de boucler la boucle.


    2 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires